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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 23 février 2022, n° 21/07731

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Financière d'Aguesseau (Sté)

Défendeur :

Achats Marchandises Casino (SAS) , Distribution Casino France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignières

T. com. Paris, du 20 mars 2017, n° 20147…

20 mars 2017

La société Financière d'Aguesseau, anciennement la société Espas, exerçait une activité de commercialisation d'articles de sport, principalement auprès des grandes surfaces.

La société Achats Marchandises Casino (ci-après « la société AMC »), anciennement la société EMC Distribution, est une société du groupe Casino, lequel distribue à travers différentes enseignes telles que Géant casino, Supermarché casino, Monoprix, Franprix. Elle est la centrale de référencement du groupe Casino et signe les accords commerciaux avec les fournisseurs dans le cadre d'un mandat donné par les différentes sociétés du groupe, dont la société Distribution Casino France.

La société Distribution Casino France (ci-après « la société Casino ») est une société du groupe Casino qui exerce son activité de distribution à travers différentes enseignes telles que Géant casino, Supermarché casino, Monoprix, Franprix.

Selon l'arrêt attaqué, la société Espas, qui commercialisait des articles de sport, entretenait des relations commerciales avec la société EMC, devenue la société AMC, centrale de référencement du groupe Casino, et avec la société Casino, toutes deux spécialisées dans la distribution, sous différentes enseignes allant de l'hypermarché au commerce de proximité.

Venue aux droits de la société Espas, la société Financière d'Aguesseau, a, par un jugement du 24 octobre 2013, été placée sous sauvegarde puis mise en liquidation judiciaire par un jugement du 19 septembre 2014. Me X a été désigné en qualité de liquidateur judiciaire.

Reprochant aux sociétés EMC et Casino d'avoir facturé des fausses prestations de services de coopération commerciale et exigé des ristournes conditionnelles injustifiées, le liquidateur judiciaire de la société Financière d'Aguesseau les a assignées en restitution des sommes versées à ce titre par actes des 1ers et 3 décembre 2014.

Par un jugement du 20 mars 2017 du tribunal de commerce de Paris qui a statué en ces termes :

« DIT les demandes de la SELARL MJ SYNERGIE prise en la personne de Me X es qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la SA FINANCIERE D'AGUESSEAU concernant le remboursement des paiements effectués au titre des factures du 15 mars et du 15 septembre 2009 prescrites ;

CONDAMNE in solidum la SAS EMC DISTRIBUTION et la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE à payer à la SELARL MJ SYNERGIE prise en la personne de Me X es qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la SA FINANCIERE D'AGUESSEAU la somme de 21 410,94 € HT ;

DEBOUTE la SELARL MJ SYNERGIE prise en la personne de Me X es qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la SA FINANCIERE D'AGUESSEAU de ses autres demandes ;

CONDAMNE in solidum la SAS EMC DISTRIBUTION et la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE à payer à la SELARL MJ SYNERGIE prise en la personne de Me X es qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la SA FINANCIERE D'AGUESSEAU la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du CPC ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent dispositif ;

DIT n'y avoir lieu à l'exécution provisoire ;

CONDAMNE in solidum la SAS EMC DISTRIBUTION et la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 104,68 € dont 17,23 € de TVA. »

Le liquidateur judiciaire de la société Financière d'Aguesseau a interjeté appel de ce jugement par déclaration enregistrée le 11 mai 2017.

Le 9 janvier 2019, un arrêt a été rendu par la cour d'appel de Paris qui :

« CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société Mj Synergie, es-qualités de liquidateur de la société Financière d'Aguesseau, de sa demande de remboursement d'une somme de 107 956,21 euros au titre de la facture du 20 janvier 2010 ;

L'INFIRME sur ce point ;

Statuant à nouveau,

CONDAMNE in solidum les sociétés Achats Marchandises Casino (AMC) et Distribution Casino France à restituer à la société Mj Synergie, es-qualités de liquidateur de la société Financière d'Aguesseau, la somme de 107.956,21 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2014 au titre de la facture du 20 janvier 2010 ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 ancien du code civil ;

Et y ajoutant,

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

CONDAMNE in solidum les sociétés Achats Marchandises Casino (AMC) et Distribution Casino France aux dépens de l'appel ;

CONDAMNE in solidum les sociétés Achats Marchandises Casino (AMC) et Distribution Casino France à verser à la société Mj Synergie, es-qualités de liquidateur de la société Financière d'Aguesseau, la somme supplémentaire de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ».

Les parties ont formé un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation a rendu un arrêt en date du 3 mars 2021 selon lequel elle :

« CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il condamne les sociétés Achat marchandises Casino et Distributeur Casino France in solidum à payer à la société MJ Synergie, en qualité de liquidateur de la société Financière d'Aguesseau, la somme de 21 410,94 euros HT et rejette la demande de cette dernière de condamnation des sociétés Achat marchandises Casino et Distributeur Casino France à lui payer une somme de 1 042 607 euros au titre des ristournes conditionnelles injustifiées, l'arrêt rendu le 9 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état ou elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne les sociétés Achat marchandises Casino et Distributeur Casino France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Achat marchandises Casino et Distributeur Casino France et les condamne à payer a Ia société B., en sa qualité de liquidateur de la société Financière d'Aguesseau, la somme globale de 3 000 euros ; »

Une déclaration de saisine a été effectuée par Me X en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Financière d'Aguesseau le 18 avril 2021.

Par des conclusions en date du 17 novembre 2021, Me X en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Financière D'Aguesseau demande à la cour de :

« Vu, dans leur version applicable au moment des faits,

L'article L. 442-6 I, 1°, 2° et 4° et III° du Code de Commerce

Les articles L. 441-3, L. 441-7 L. 441-10 du Code de Commerce,

Les articles 1134 et 1147 et suivants, 1378, 1154 du Code Civil,

Vu l'adage Fraus omnia corrumpit,

Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes de la SELARL MJ SYNERGIE prise en la personne de Maître Geoffroy B., ès qualités de liquidateur judiciaire de la société FINANCIERE D'AGUESSEAU visant à obtenir la condamnation des sociétés ACHATS MARCHANDISES CASINO et DISTRIBUTION CASINO FRANCE à lui payer la somme de 1.042.607 € au titre des ristournes conditionnelles injustifiées.

Statuant à nouveau :

Condamner solidairement les sociétés ACHATS MARCHANDISES CASINO et DISTRIBUTION CASINO FRANCE ou l'une à défaut de l'autre à payer à la SELARL B. prise en la personne de Maître Geoffroy B., ès qualités de liquidateur judiciaire de la société FINANCIERE D'AGUESSEAU, une somme en principal de 1 047 676 € au titre de la répétition des ristournes conditionnelles injustifiées, outre les intérêts à compter de chacun des paiement effectués entre 2009 et 2013, au taux appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage, soit les sommes de :

- 10 536 € avec les intérêts depuis le 20/08/2010

- 314 265 € avec les intérêts depuis le 13/12/2010

- 1 000 € avec les intérêts depuis le 03/02/2011

- 16 000 € avec les intérêts depuis le 01/03/2011

- 14 720 € avec les intérêts depuis le 05/04/2011

- 2 511 € avec les intérêts depuis le 18/05/2011

- 41 710 € avec les intérêts depuis le 24/05/2011

- 3 326 € avec les intérêts depuis € le 17/06/2011

- 2 980 € avec les intérêts depuis le 07/09/2011

- 99 867 € avec les intérêts depuis le 09/11/2011

- 18 920 € avec les intérêts depuis le 07/02/2012

- 17 651 € avec les intérêts depuis le 21/11/2012

- 1 177 € avec les intérêts depuis le 14/12/2012

- 153 581 € avec les intérêts depuis le 08/04/2013

- 9 177 € avec les intérêts depuis le 11/06/2013

- 169 662 € avec les intérêts depuis le 24/10/2013

- 170 547 €

Dire que les intérêts dus à compter du 3 décembre 2014 seront capitalisés année par année à compter de cette date et jusqu'à complet paiement.

Condamner solidairement les sociétés ACHATS MARCHANDISES CASINO et DISTRIBUTION CASINO FRANCE ou l'une à défaut de l'autre à payer à la SELARL B. prise en la personne de Maître Geoffroy B., ès qualités de liquidateur judiciaire de la société FINANCIERE D'AGUESSEAU, une somme de 650 000 € à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance d'éviter la liquidation judiciaire de l'entreprise.

Condamner solidairement les sociétés ACHATS MARCHANDISES CASINO et DISTRIBUTION CASINO FRANCE ou l'une à défaut de l'autre à payer à la SELARL B., prise en la personne de Maître Geoffroy B., ès qualités de liquidateur judiciaire de la société FINANCIERE D'AGUESSEAU une somme de 50 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux dépens ».

Par des conclusions en date du 6 décembre 2021, la société AMC et la société Casino demandent à la cour de :

« Vu les articles 1134, 1147 et 1984 et suivants du Code civil,

Vu les articles L. 442-6-I-1 et L. 442-6-I-2° et 4° du Code de commerce,

Vu les accords commerciaux conclus entre les parties,

Vu les pièces apportées aux débats,

Vu la jurisprudence,

CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 20 mars 2017, sauf en ce qu'il condamne in solidum AMC et DISTRIBUTION CASINO France à payer à la SELARL MJ SYNERGIE, prise en la personne de Maître Geoffroy B. ès qualité de liquidateur judiciaire de la société FINANCIERE D'AGUESSEAU :

- la somme de 21 410,94€ HT ;

- la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- les dépens.

Le REFORMER sur ces condamnations ;

EN TOUTES HYPOTHESES, CONSTATER que le solde de la facture de 21 410, 94 € HT n'a jamais été réglé par l'Appelante, pour un montant de 3 003,08 € HT ;

EN CONSEQUENCE, INFIRMER le jugement en ce qu'il condamne AMC et DISTRIBUTION CASINO France à payer la somme de 21 410, 94 € HT, le montant ne pouvant excéder la somme de 18 407, 86 € HT.

DEBOUTER la SELARL MJ SYNERGIE, prise en la personne de Maître Geoffroy B. ès qualité de liquidateur judiciaire de la société FINANCIERE D'AGUESSEAU, de l'ensemble de ses demandes, et notamment :

- de sa demande de condamnation au paiement de la somme de 1 047 676 € au titre de la répétition des ristournes conditionnelles,

- de sa demande de condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

DECLARER la SELARL MJ SYNERGIES, prise en la personne de Maître Geoffroy B. ès qualité de liquidateur judiciaire de la société FINANCIERE D'AGUESSEAU, irrecevable dans sa demande de condamnation au paiement d'intérêts et pénalités de retard, subsidiairement l'en débouter ;

DECLARER la SELARL MJ SYNERGIES irrecevable de sa demande de condamnation au paiement de la somme de 650 000 € à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance d'éviter la liquidation judiciaire de l'entreprise, subsidiairement l'en débouter ;

CONDAMNER la SELARL MJ SYNERGIE, prise en la personne de Maître Geoffroy B. ès qualité de liquidateur judiciaire de la société FINANCIERE D'AGUESSEAU, à verser à AMC et à DISTRIBUTION CASINO FRANCE la somme de 25 000€ chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

DIRE que les dépens d'appel pourront être directement recouvrés par la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, en application de l'article 699 du Code de procédure ci. »

MOTIFS

Sur les ristournes constituant un déséquilibre significatif

L'appelante critique le jugement entrepris en ce que celui-ci a rejeté sa demande en restitution des ristournes litigieuses au motif que la soumission n'était pas caractérisée puisqu'elle avait été en mesure de faire valoir son point de vue dans la négociation de l'accord cadre de 2011 sur lequel elle avait obtenu une « baisse significative » du total, en particulier sur la clause des remises, et aussi sur la clause de reprise des invendus.

A l'appui de sa demande en restitution des ristournes litigieuses, l'appelante fait valoir que :

- la cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 9 juin 2019, a jugé les prestations commerciales contestées comme fictives,

- les sociétés AMC et Casino l'ont contrainte à leur octroyer des réductions de prix, remises et ristournes diverses et variées, hors prestations de coopération commerciale, donnant lieu pour leur règlement à un avoir, à hauteur de 30,5 % à 55 % selon les années entre 2009 et 2013, alors qu'aucune négociation n'avait eu lieu,

- le paiement de ces ristournes était effectué de façon anticipée selon un échéancier mensuel, elles ont systématiquement été appliquées en intégralité sans qu'il soit justifié de la réalisation de l'évènement censé les rendre certaines,

- rien ne permettait de vérifier la date et le contenu précis de chaque prétendue prestation, en réalité fictives,

- en 2008, les sociétés AMC et Casino facturaient 23 % du chiffre d'affaires réalisé avec la société Financière pour des prétendues prestations de coopération commerciale intitulées « optimisation marketing », « optimisation diffusion » et « optimisation administrative ».

- les contrats étaient pré-rédigés et seul le taux de remise a été négocié, et non les ristournes.

En réplique, les intimées font valoir que l'appelante disposait d'une réelle capacité à obtenir les amendements, qu'ainsi des modifications voulues par le fournisseur ont été entérinées par le distributeur, telles :

- la baisse de 1 % par mention manuscrite du fournisseur pour les remises par rapport au pourcentage initialement proposé par le distributeur,

- la prestation de 1 % pour la mise en place commerciale spécifique a été limitée par mention manuscrite du fournisseur à la seule enseigne « Casino »,

- l'indication du coût des conditions de transport pour les livraisons faisait l'objet de mentions manuscrites par le fournisseur.

Les intimées ajoutent que les conditions de paiement faisaient l'objet de négociations annuelles et que des modifications voulues par le fournisseur ont été entérinées par le distributeur sur les retours d'invendus.

Elles en déduisent que les ristournes contestées ont été librement consenties grâce à un rapport de force équilibré entre les parties, l'appelante étant un fournisseur ayant une large prédominance dans les linéaires Casino (notamment accessoires et équipements de sport) et détenteur d'un portefeuille étendu de clients dans la majeure partie des enseignes de la grande distribution et aussi des enseignes spécialisées et autres équipements de renom.

Enfin, les intimées affirment que ces ristournes étaient facturées pour des prestations qui n'étaient pas fictives, et relèvent que le fournisseur a réglé les ristournes aujourd'hui contestées pendant plusieurs années sans observations particulières.

Les distributeurs Casino soutiennent que les ristournes d'Optimisation marketing se reconduisaient d'année en année depuis 2010 et correspondaient aux mêmes prestations que celles déclinées dans l'Accord cadre de 2009 et étaient donc bien connues du fournisseur.

Les distributeurs Casino affirment enfin que les prestations prévues au titre de l'Optimisation marketing se distinguaient de la simple fonction « achat/vente », notamment par l'élaboration de préconisation d'implantations pour le segment sport, une adaptation selon la saisonnalité, ou la mise en avant de certains produits sur des catalogues en période de fêtes. Les intimées ajoutent que l'appelant ne démontre pas le caractère excessif du taux de rémunération au titre des ristournes contestées au regard du marché.

Sur ce ;

Le principe de la libre négociabilité des conditions de vente et des tarifs, qui n'est pas sans limite, est encadrée par les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce, dans sa version applicable au litige, qui prohibent les pratiques restrictives de concurrence.

Ainsi, l'absence de contrepartie ou de justification aux obligations prises par les cocontractants, même lorsque ces obligations n'entrent pas dans la catégorie des services de coopération commerciale, peut être sanctionnée au titre de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dès lors qu'elle procède d'une soumission ou tentative de soumission et conduit à un déséquilibre significatif.

Il convient d'examiner si en l'espèce sont caractérisés les éléments constitutifs du déséquilibre significatif érigé en faute civile par l'article L.442-6, I, 2° du code de commerce dans sa rédaction alors en vigueur.

L'article L.442-6, I, 1, 2° dispose dans sa version applicable au litige que :

I.-Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

(...)

2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

Les ristournes contestées

Les ristournes litigieuses sont mentionnées dans l'accord commercial dit « accord cadre marque nationale » de 2010 liant les parties dans la rubrique intitulée « ristournes », de la manière suivante :

127 CPV libres conditionnelles, « au taux de 1,50 %, 136 CPV non alimentaires spécifique », « au taux de 4,50 %, 159 ristournes financières autres », « au taux de 0,5 %, 161 Ristournes CPV optimisat(ion) marketing » au taux de 23 %. (pièce 5 de l'appelant)

Ces « ristournes » figurent aussi dans les accords de 2011 puis de 2012 dans les mêmes termes. (pièces 6 et 7 de l'appelant)

Les ristournes contestées ne sont pas liées au chiffre d'affaires, elles sont associées à des conditions particulières de vente (CPV), et non à des services de coopération commerciale.

En outre, les parties s'accordent pour dire qu'il s'agit de « ristournes conditionnelles », ce qui implique que leur mise en paiement par le biais de déduction sur les factures émises par le distributeur au titre d'« avoirs » ou « ristournes » n'est déclenchée que si l'évènement conditionnel, c'est à dire l'obligation prévue par l'accord commercial en contrepartie, est effectivement intervenu.

La Cour relève qu'un avis de la Commission d'Examen des Pratiques Commerciales (CEPC), n° 08-121931 du 22 décembre 2008, a rappelé aux acteurs économiques que « incertaines par nature, les ristournes conditionnelles ne peuvent alors pas faire l'objet d'une déduction sur facture que pour autant que l'obligation qui les conditionne ait été exécutée et vérifiée. Un distributeur imposant à son fournisseur cette déduction sur facture au mépris de cette obligation pourrait se voir opposer plusieurs dispositions de l'article L. 442-6 I du code de commerce, en particulier celle visant (alinéa 2) la soumission d'un partenaire commercial à des obligations de nature à créer un déséquilibre significatif ».

La faute prévue à l'article L. 442-6, I, 2°) du code de commerce comporte deux éléments constitutifs, la soumission ou la tentative de soumission d'une part, l'existence d'un déséquilibre significatif, d'autre part.

La caractérisation de la soumission ou la tentative de soumission

Si les premiers juges ont relevé que l'appelante a pu obtenir quelques modifications du contrat pré rédigé soumis par le distributeur sur des points précis tel le pourcentage appliqué aux remises ou le pourcentage dû pour une opération commerciale, néanmoins, il n'est nullement démontré que les ristournes litigieuses facturées pourtant pour un montant significatif ont fait l'objet d'une négociation effective. Ainsi, comme le relève sans être contesté sur ce point l'appelante, le montant facturé au titre des ristournes non liées au chiffre d'affaires a considérablement augmenté de 2,5 % en 2009 à 26,5 % à compter de 2010 sans qu'il soit prouvé que cette hausse notable et les conditions des modalités d'application, notamment la condition censée déclencher leur exigibilité, aient fait l'objet de la moindre discussion entre les parties, ni que le mode de facturation permette de déterminer les prestations venant en contrepartie du paiement de ces ristournes, et ce, plus particulièrement à compter de 2010 avec la facturation par le distributeur à hauteur de 23 % de son chiffre d'affaires au titre des ristournes appelées « CPV optimisation marketing », poste qui n'apparaissait pas dans les conditions contractuelles des années précédentes.

La situation de soumission du fournisseur par rapport au distributeur Casino, qui dispose d'un fort pouvoir de négociation compte tenu des débouchés qu'il offre par le biais de sa centrale d'achat, est donc caractérisée pour les ristournes litigieuses mentionnées sur un contrat pré rédigé par les sociétés Casino, constituant un poste d'importance, pourtant non négocié effectivement par le fournisseur, et dont le mode de facturation indique des intitulés flous regroupant des prestations, tels que « optimisation marketing ».

L'existence d'un déséquilibre significatif

Il convient à ce stade de vérifier si les ristournes conditionnelles, et notamment celles dites « optimisat(ion) marketing » facturées au taux de 23 % constituant le poste le plus important des ristournes contestées, qui sont subordonnées à la réalisation de services résultant de conditions particulières, correspondaient à une contrepartie réelle et identifiée.

Au vu de l'accord commercial qui lie les parties, le distributeur a prévu que le paiement des ristournes contestées (lignes 159 et 161) interviendrait dans le cadre d'échéanciers d'acomptes déjà fixés dans l'accord commercial annuel. Ainsi, concernant les ristournes « optimisat(ion) marketing », il est fixé le règlement par le fournisseur au distributeur de la somme de 36 000 euros le 10 avril 2010 (idem pour le 10 mai et le 10 juin 2010), de 36 180 euros pour le 10 juillet 2010, de 37 000 euros pour le 10 août 2010, de 38 320 euros pour le 10 septembre, et de 38 000 euros pour le 10 octobre 2010 (idem pour le 10 octobre, le 10 novembre et le 10 décembre 2010).

Ce type de paiement par échéances régulières tend à démontrer que le paiement n'est en pratique pas conditionné par l'exécution d'obligations de la part du distributeur pouvant varier selon les périodes et/ou les besoins des parties.

En outre, la facturation émise par le groupe Casino des « avoirs » dus par le fournisseur au distributeur au titre desdites ristournes ne mentionne aucune opération précise autre que « en exécution de l'accord commercial, RIST ESPAS SPORT PERMANENT 20 » et l'année concernée. (pièces 12 de l'appelant)

Le distributeur et sa centrale, pour démontrer la réalité des prestations délivrées en contrepartie des ristournes concernées, invoquent la mise en place d'une signalétique visuelle des rayons et d'un positionnement des produits étudié pour « orienter » le client, l'adaptation des produits sport à la saisonnalité, ainsi que la mise en application des guidelines du Livret établi en interne en 2007 intitulé « Sport permanent » via des planogrammes annuels. A l'appui de ces allégations, sont produits : des extraits de planogrammes, des préconisations d'implantations et un catalogue de Noël en 2009 et en 2010 (pièces Casino 8 à 12 et 25 à 27). Or, ces éléments ne permettent pas de distinguer ces services des opérations « achat/vente » classiquement assumées par le distributeur et de ceux prévus à l'article 3-4 des accords de 2009 à 2012 prévoyant un assortiment qui doit permettre une « optimisation des linéaires et une constante adaptation aux besoins des consommateurs ».

Le distributeur ne justifie d'aucun autre élément concret sur les prestations effectivement réalisées concernant les autres ristournes conditionnelles contestées que sont les postes 127 « CPV libres conditionnelles » au taux de 1,50 %, 136 « CPV non alimentaires spécifique » au taux de 4,50 %, et 159 « ristournes financières autres » au taux de 0,5 %.

Au vu de ces éléments, il n'est pas prouvé que les prestations n'étaient pas déjà dues au titre des relations normales d'achat et de vente et qu'il s'agissait de véritables services, effectivement fournis et proportionnés au prix payé par le fournisseur.

Par conséquent, la demande en restitution doit être accueillie pour les factures payées au titre des ristournes contestées sur les années 2009 à 2013, pour un montant total à hauteur de 1.042.608,34 euros au vu des factures produites et du tableau détaillé récapitulatif des sommes réglées à ce titre en pièce 8 de l'appelant.

Le jugement entrepris qui a débouté le liquidateur judiciaire de la société Financière d'Aguesseau de ce chef de demande sera donc infirmé.

Sur le montant de la restitution de l'indû du fait des services facturés au titre de prestations commerciales fictives

La présente cour est saisie d'un renvoi sur le montant qui doit être restitué au fournisseur sur la facture de 2012 de 21 410,94 euros HT au titre de prestations commerciales fictives, sur le fondement de l'avantage injustifié prévu à l'article L. 442-6,I,1) du code de commerce.

Le jugement du tribunal de commerce a estimé que rien ne permettait de distinguer à quelle opération cette facture correspondait et avait donc condamné les sociétés du groupe Casino à restituer l'entière somme réglée par le fournisseur, et a été sur ce point confirmé en appel.

Pourtant, la Cour de cassation a relevé que les sociétés du groupe Casino avaient expliqué, pièces à l'appui, que la société Financière d'Aguesseau n'avait pas payé le solde de la facture litigieuse, d'un montant de 3 003,08 € HT, de sorte qu'elles ne pouvaient pas être condamnées à restituer une somme qu'elles n'avaient jamais perçue.

Les parties ne produisant pas d'autres éléments quant au paiement du solde de 3 003,08 € HT et Me X ne s'opposant pas à la réduction de la restitution de l'indû après déduction du solde resté impayé, il convient de juger que la somme de l'indû du fait des services facturés au titre des prestations commerciales dans la facture litigieuse de 2012 pour prestations commerciales est de (21 410,94 - 3 003,08) 18 407,86 euros.

Le jugement du tribunal de commerce sera donc infirmé sur le quantum fixé au titre de la condamnation de ce chef.

Sur l'irrecevabilité de demandes nouvelles au sens de l'article 564 du code de procédure civile

- sur la demande relative aux intérêts moratoires sur les condamnations en restitution de l'indû :

Me X sollicite que les intérêts moratoires sur les condamnations au principal soient fixés au taux BEC majoré de 10 points et calculés à compter de chaque versement effectué.

Les intimées soutiennent en réplique que cette demande est irrecevable car nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile.

Or, la Cour relève que la demande tendant au paiement d'intérêts moratoires sur des sommes demandées à titre principal dès la première instance ne peut être considérée comme une prétention nouvelle, en ce qu'elle ne fait qu'en augmenter le montant.

Cette demande sera donc dite recevable.

Sur le fond, il sera ajouté que s'agissant de condamnations prononcées sur un fondement délictuel, la somme de 1 042 608,34 euros ainsi que celle de 18 407,86 euros auxquelles les sociétés Casino sont condamnées au principal seront augmentées des intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2014, date de l'exploit introductif d'instance, par application de l'article 1153-1 ancien du code civil et la capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l'article 1154 ancien du même code.

- sur la demande au titre de dommages intérêts au titre d'une perte de chance d'éviter la liquidation judiciaire

Me X formule pour la première fois cette demande devant la cour d'appel de renvoi et soutient qu'elle n'est que l'accessoire de ses prétentions initiales.

Les intimées soulèvent l'irrecevabilité de la demande de Me X ès-qualités au titre de dommages intérêts au titre de la perte de chance en ce qu'elle est nouvelle.

Sur ce,

Vu l'article 564 du code de procédure civile,

Alors que les demandes élevées en première instance tendaient à la restitution de sommes du fait de factures payées sans contrepartie effective, la demande élevée pour la première fois devant la présente cour de renvoi a pour but une indemnisation du préjudice subi du fait de la perte de chance d'éviter la liquidation judiciaire de la société, elle ne tend donc pas aux mêmes fins et doit être déclarée irrecevable comme nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile du fait du principe de l'unicité de l'instance.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné les sociétés du groupe Casino aux dépens de première instance et au paiement de la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Les sociétés du groupe Casino, succombant devant la présente cour, seront condamnées in solidum aux dépens et à participer aux frais irrépétibles engagés par Me X en qualité de liquidateur judiciaire de la société Financière d'Aguesseau en appel à hauteur de la somme globale de 15 000 euros.

PAR CES MOTIFS

Vu l'arrêt de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation du 3 mars 2021 (pourvoi n° 19-13533),

Statuant dans la limite du renvoi,

INFIRME le jugement en ce qu'il a débouté Me X en qualité de liquidateur judiciaire de la société FINANCIÈRE D'AGUESSEAU de sa demande en restitution au titre des ristournes et des CPV traduisant un déséquilibre significatif ainsi que sur le quantum du remboursement de la facture de 21 410,94 euros HT pour prestations fictives, le confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

CONDAMNE in solidum la société ACHATS MARCHANDISES CASINO, anciennement dénommée EMC DISTRIBUTION, et la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à payer à Me X en qualité de liquidateur judiciaire de la société FINANCIÈRE D'AGUESSEAU la somme de 1 042 608,34 euros en restitution des sommes indûment payées au titre des ristournes conditionnelles constituant un déséquilibre significatif,

CONDAMNE in solidum la société ACHATS MARCHANDISES CASINO, anciennement dénommée EMC DISTRIBUTION, et la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à payer à Me X en qualité de liquidateur judiciaire de la société FINANCIÈRE D'AGUESSEAU la somme de 18 407,86 euros en restitution des sommes indûment payées au titre de la facture de 2012 pour prestations commerciales fictives correspondant à un avantage injustifié,

Y ajoutant,

DIT recevable la demande de Me X en qualité de liquidateur judiciaire de la société FINANCIÈRE D'AGUESSEAU relative aux intérêts moratoires et Dit que les sommes au principal de 1 042 608,34 euros et de 18 407,86 euros auxquelles la société ACHATS MARCHANDISES CASINO, anciennement dénommée EMC DISTRIBUTION, et la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE sont condamnées au principal seront augmentées des intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2014, date de l'exploit introductif d'instance, par application de l'article 1153-1 ancien du code civil et ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 ancien du même code,

DIT irrecevable comme nouvelle la demande de Me X en qualité de liquidateur judiciaire de la société FINANCIÈRE D'AGUESSEAU en dommages intérêts au titre de la perte de chance,

CONDAMNE in solidum la société ACHATS MARCHANDISES CASINO, anciennement dénommée EMC DISTRIBUTION, et la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE aux dépens de l'appel,

CONDAMNE in solidum la société ACHATS MARCHANDISES CASINO, anciennement dénommée EMC DISTRIBUTION, et la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à payer à Me X en qualité de liquidateur judiciaire de la société FINANCIÈRE D'AGUESSEAU la somme globale de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE toutes autres demandes.