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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 23 février 2022, n° 20/00242

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

G2M (EURL)

Défendeur :

ISS Facility Services (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignières

Avocats :

Me Pachalis, Me Nin

T. com. Lyon, du 20 mai 2019, n° 2018J47…

20 mai 2019

Vu le jugement rendu le 20 mai 2019 par le tribunal de commerce de Lyon qui a :

- rejeté la demande d'injonction de communication de pièces formée par la société ISS Propreté,

- considéré qu'en se limitant à 3 mois de préavis, la société ISS Propreté a rompu brutalement les relations,

- condamné la société ISS Propreté à payer la somme de 28 000 € à la société G2M au titre du préjudice résultant de la rupture brutale,

- débouté la société G2M de sa demande au titre de la concurrence déloyale,

- rejeté la demande de la société ISS Propreté au titre de la procédure abusive,

- condamné la société ISS Propreté aux dépens et à payer la somme de 2 000 € à la société G2M sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu l'appel relevé par la société G2M et ses dernières conclusions notifiées le 6 novembre 2020 par lesquelles elle demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6-I 5° du code de commerce et de l'article 1382 du code civil, de :

1) confirmer le jugement en ce qu'il a :

- rejeté la demande d'injonction de communication de pièces formée par la société ISS Propreté,

- considéré qu'en se limitant à 3 mois de préavis, la société ISS Propreté avait rompu brutalement les relations,

- rejeté la demande de la société ISS Propreté au titre de la procédure abusive,

- condamné la société ISS Propreté aux dépens et à lui payer la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

2) infirmer le jugement en ce qu'il a :

- limité le montant des dommages-intérêts dus par la société ISS Propreté au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies à la somme de 28 000 €,

- débouté la société G2M de sa demande au titre de la concurrence déloyale,

Statuant à nouveau :

- condamner la société ISS Propreté à lui payer la somme de 380 000 €, au titre de l'article L. 442-6-I 5° du code de commerce, en réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales,

- la condamner à lui payer la somme de 350 000 € au titre du préjudice résultant de la concurrence déloyale,

3) rejeter l'appel incident formé par la société ISS Propreté,

4) condamner la société ISS Propreté aux dépens et à lui payer la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 7 août 2020 par la société ISS Propreté, qui demande à la cour, de :

1) confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société G2M de sa demande au titre de la concurrence déloyale,

2) réformer le jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 28 000 € au titre de la supposée rupture brutale des relations commerciales établies, en ce qu'il a rejeté sa demande en paiement de la somme de 40 000 € pour procédure abusive et en ce qu'il a rejeté sa demande de communication de documents,

Et, statuant à nouveau :

- débouter la société G2M de sa demande au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies,

- condamner la société G2M au paiement de la somme de 40 000 € sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile,

- condamner la société G2M à communiquer les documents visés dans la sommation de communiquer régularisée à son encontre,

3) en tout état de cause, condamner la société G2M aux dépens et à lui payer la somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

SUR CE LA COUR

La société ISS Propreté, aux droits de laquelle vient la société ISS FACILITY SERVICES, ayant pour activité le nettoyage et l'entretien de locaux et équipements, expose qu'elle entretenait des relations commerciales avec la société Becton Dickinson depuis 1998.

La société G2M, qui est une entreprise de prestations générales de maintenance et services divers, expose quant à elle qu'elle entretenait des relations commerciales avec la société Becton Dickinson depuis 2005.

Le 28 février 2012, la société Becton Dickinson :

- a informé la société G2M qu'elle lançait un appel d'offres visant à regrouper la gestion de l'ensemble de ses besoins autour d'un fournisseur unique tout en intégrant le maintien provisoire de leur relation commerciale,

- lui a précisé que l'attribution de cet appel d'offres conduirait à terme à son désengagement à son égard,

- lui a indiqué que, conformément aux exigences légales, la durée du préavis était estimée à 18 mois.

L'appel d'offres lancé par la société Becton Dickinson faisait obligation à l'attributaire du marché, qui a été la société ISS Propreté, de recourir aux services de la société G2M pendant la durée de son préavis.

Le marché obtenu par la société ISS Propreté auprès de la société Becton Dickinson, d'une durée de 3 ans, a fait l'objet d'une reconduction tacite de 12 mois.

Par lettre recommandée du 3 février 2015, avec avis de réception, la société ISS Propreté a rappelé à la société G2M que le contrat liant ISS et Becton Dickinson arrivait à terme le 1er mai 2015, l'a informée qu'elle mettrait fin à ses prestations à compter de cette date et lui a confirmé qu'elle la consulterait dans le prochain appel d'offres.

Puis, par lettre recommandée avec avis de réception du 16 février 2015, la société ISS Propreté a consulté la société G2M en lui transmettant son cahier des charges et en lui demandant une réponse pour le 9 mars 2015.

La société ISS Propreté a informé la société G2M, le 17 avril 2015, qu'elle ne donnait pas suite à sa proposition et qu'elle souhaitait intégrer ses salariés au sein de ses propres effectifs, lui proposant une réunion le 24 avril suivant aux fins d'échanger sur les modalités de conclusion de conventions tripartites entre elles deux et les salariés de la société G2M.

Le 23 septembre 2016, la société G2M a fait assigner la société ISS Propreté devant le tribunal de commerce de Lyon afin d'obtenir des dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies et concurrence déloyale.

La cour disposant d'éléments suffisants pour statuer, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de communication de pièces formée par la société ISS Propreté.

1) Sur les demandes de la société G2M :

a) En premier lieu, la société G2M demande la condamnation de la société ISS Propreté à lui payer la somme de 380.000 € pour rupture brutale de la relation commerciale établie ; elle fait valoir :

- qu'elle intervenait sur le chantier Becton Dickinson depuis 10 ans et que ses prestations représentaient entre 65 et 70 % de son chiffre d'affaires,

- que la société ISS Propreté a succédé à la société Becton Dickinson dans ses relations commerciales avec elle,

- qu'elle-même émettait des factures au nom de la société ISS Propreté qui les lui réglait,

- que ses relations avec la société ISS Propreté se sont poursuivies au delà du préavis donné par la société Becton Dickinson qui expirait fin août 2013,

- qu'elle a été ainsi maintenue dans la croyance de la pérennité des relations nouées avec la société Becton Dickinson.

L'appelante invoque une durée totale de relations commerciales établies de 10 ans en exposant :

- qu'elle a travaillé de 2005 à août 2013, soit pendant 8 ans, avec la société Becton Dickinson, étant rappelé que pendant la durée du préavis, elle s'est trouvée en lien avec la société ISS Propreté de février 2012 à août 2013,

- qu'elle a pousuivi son activité sur le site de la société Becton Dickinson, à la demande de la société ISS Propreté, jusqu'au mois de mai 2015, soit pendant 21 mois.

Selon l'appelante, le préavis de 3 mois qui lui a été imposé était insuffisant en égard à la durée de la relation commerciale et au pourcentage de chiffre d'affaires qu'elle réalisait ; elle allègue que, selon la juriprudence, le préavis aurait dû être d'un mois par année d'ancienneté de la relation ; elle calcule son préjudice sur la base de 12 mois de chiffre d'affaires moyen réalisé avec la société ISS Propreté.

La société ISS Propreté conteste toute brutalité dans la rupture en soutenant :

- que la rupture est un droit discrétionnaire, sauf à respecter un préavis suffisant,

- que la rupture n'est pas brutale en cas de précarité des relations commerciales, notamment lorsque celles-ci sont régies par des appels d'offres successifs.

Elle prétend que les conditions d'application de l'article L. 442-6-I 5° du code de commerce ne sont pas remplies :

- la société G2M n'ayant entretenu des relations avec elle qu'à compter de septembre 2013 et jusqu'au 1er mai 2015, soit seulement pendant 20 mois,

- qu'à supposer qu'elle ait exécuté le préavis donné par la société Becton Dickinson pour son propre compte, les relations n'auraient duré que 3 ans,

- qu'en sa qualité d'attributaire du marché, elle était tenue d'avoir recours aux services de la société G2M,

- qu'elle lui a laissé un préavis suffisant de 3 mois,

- que si le marché avec la société Becton Dickinson a fait l'objet d'une reconduction tacite de 12 mois, elle a immédiatement lancé un appel d'offres et consulté la société G2M sur ses tarifs,

- que de plus, elle a prolongé ses relations avec la société G2M jusqu'au 30 juin 2015, un salarié de cette société continuant à effectuer des prestations sur le site de la société Becton Dickinson.

La société ISS Propreté soutient que la demande en paiement de la somme de 380 000 € est abusive et manque de sérieux :

- le préjudice devant s'apprécier en fonction de la marge brute escomptée durant la période de préavis qui n'a pas été exécutée,

- que s'agissant de prestations de services, il est retenu l'excédent brut d'exploitation,

- que la société G2M ne justifie en rien de son éventuel préjudice.

Il ressort des pièces versées aux débats que les relations initialement nouées par la société G2M avec la société Becton Dickinson ont été rompues fin août 2013, après expiration d'un préavis de 18 mois.

Contrairement à ce que prétend la société G2M, la société ISS Propreté n'a pas succédé à la société Becton Dickinson dans ces relations, lesquelles étaient rompues.

Cependant, eu égard aux modalités de l'appel d'offres lancé par la société Becton Dickinson, c'est la société ISS Propreté, attributaire du marché, qui a exécuté le préavis donné par la société Becton Dickinson en confiant des prestations à la société G2M.

C'est à partir de février 2012 que la société G2M a commencé à entretenir des relations commerciales avec la société ISS Propreté, laquelle lui a notifié le 3 février 2015 qu'elle y mettrait fin le 1er mai 2015, lui accordant ainsi un préavis de 3 mois et l'informant qu'elle la consulterait dans le cadre de l'appel d'offres qu'elle allait lancer.

Ainsi, les relations commerciales entre les parties ont duré 3 ans ; même si elles étaient liées au marché dont la société ISS Propreté était attributaire, ces relations établies ne peuvent être qualifiées de précaires.

Contrairement à ce qu'elle allègue, la société G2M n'a pas été entretenue dans la croyance de la pérennité des relations qu'elle avait antérieurement nouées avec la société Becton Dickinson.

La société G2M ne produit pas de documents comptables qui justifieraient du pourcentage du chiffre d'affaires qu'elle a réalisé avec la société ISS Propreté au cours des trois années de leurs relations commerciales.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, le préavis accordé était suffisant pour permetttre à la société G2M de se ré-organiser, étant observé qu'il a même été un peu prolongé puisque :

- après son expiration, la société G2M a envoyé un devis à la société ISS Propreté le 10 mai 2015 pour des prestations en mai et juin 2015 et que, par courriel du 25 mai 2015, la société ISS Propreté lui a donné son accord pour le mois de mai et lui a demandé de modifier son devis pour le mois de juin,

- la société G2M ne démontre pas ce qu'elle oppose, à savoir qu'il s'agissait d'un simple prêt de main d'oeuvre.

En conséquence, la demande de la société G2M pour rupture brutale des relations commerciales sera rejetée.

b) En second lieu, la société G2M demande la condamnation de la société ISS Propreté à lui payer la somme de 350 000 € en réparation de son préjudice résultant de la concurrence déloyale de la société ISS Propreté ; elle reproche à cette dernière :

- d'avoir profité de sa position de fournisseur unique de la société Becton Dickinson pour rompre les relations commerciales avec elle et lui retirer, pour se l'approprier, le marché dont elle bénéficiait depuis 10 ans,

- d'avoir, par lettre du 17 avril 2015, manifesté son intention de débaucher ses salariés, sans proposer d'appliquer l'article L. 1224-1 du code du travail,

- de bénéficier, à raison de cette débauche, de la compétence et du savoir-faire de ses salariés sans aucun effort, ni investissement,

- de lui avoir demandé les références des produits utilisés sur le chantier et le contact chez son fournisseur, la société Metrise,

- d'avoir désorganisé son entreprise, alors qu'elle n'avait d'autre choix que d'accepter le transfert de ses salariés dans la mesure où elle n'avait pas le temps de retrouver un autre marché pendant le préavis de 3 mois.

Mais la société ISS Propreté réplique à juste raison :

- que la société G2M avait déjà perdu le marché en février 2012, suite à la rupture de leurs relations par la société Becton Dickinson,

- que cette société a signé les conventions tripartites en vue du transfert de deux de ses salariés, M. X et M. Y, au sein de la société ISS Propreté,

- que la société Metrise, spécialisée dans les solutions de stockage et de rayonnage, a une activité différente de celle exercée par la société G2M qui est une entreprise de nettoyage.

La société G2M ne démontre pas que la société ISS Propreté se serait livrée au débauchage d'autres salariés de son entreprise ou à d'autres agissements de nature à désorganiser son entreprise.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts de la société G2M pour concurrence déloyale.

2) Sur la demande de dommages-intérets de la société ISS Propreté fondée sur l'article 32-1 du code de procédure civile :

La société G2M n'ayant pas fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice, la société ISS Propreté sera déboutée de sa demande en paiement de la somme de 40 000 €.

3) Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

La société G2M qui succombe en ses prétentions doit supporter les dépens.

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme de 7 000 € à la société ISS Propreté et de rejeter la demande de la société G2M à ce titre.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement en ce qu'il a :

- rejeté la demande d'injonction de communication de pièces formée par la société ISS PROPRETÉ,

- débouté la société G2M de sa demande au titre de la concurrence déloyale,

- débouté la société ISS PROPRETÉ de sa demande au titre de la procédure abusive,

INFIRME le jugement en toutes ses autres dispositions et, statuant à nouveau :

DÉBOUTE la société G2M de sa demande en paiement de la somme de 380 000 € au titre de l'article L. 442-6-I 5° du code de commerce,

CONDAMNE la société G2M à payer la somme de 7 000 € à la société ISS PROPRETÉ, aux droits de laquelle vient la société ISS FACILITY SERVICES, par application de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties de toutes leurs autres demandes,

CONDAMNE la société G2M aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.