Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 18 février 2022, n° 20/17571

PARIS

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

VIACAB (Sarl)

Défendeur :

DREAM ON BOARD (Sarl)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chokron

Conseillers :

Mme Lehmann, Mme Marcade

Avocat :

SELAS B. - B. - C. - G. & ASSOCIÉS

T. com Paris, du 10 oct. 2016, n° 16/241…

10 octobre 2016

Contradictoire

Par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Brigitte CHOKRON, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu le jugement réputé contradictoire rendu le 10 octobre 2016 par le tribunal de commerce de Paris qui a :

- débouté la société Viacab de toutes ses demandes,

- débouté les sociétés Dream On Board et Italian Dream de leurs demandes reconventionnelles,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs autres demandes,

- dit que le jugement sera transmis au procureur de la République,

- condamné la société Viacab aux dépens.

Vu l'appel de ce jugement interjeté par la société Viacab le 1er décembre 2016.

Vu l'arrêt de la cour d'appel de Paris (chambre 5-1) rendu par défaut le 5 mars 2019 qui a :

- confirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Et, y ajoutant,

- rejeté la demande formée par la société Dream On Board pour procédure abusive,

- condamné la société Viacab aux dépens d'appel et au paiement à la société Dream On Board de la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu l'arrêt de la Cour de cassation (chambre commerciale, financière et économique) rendu le 18 novembre 2020, qui a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris, remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Vu la déclaration de saisine remise le 2 décembre 2020 au greffe de la cour d'appel de Paris par la société Viacab (SARL) à l'encontre de la société Dream On Board (SARL) et tendant à l'infirmation du jugement du 10 octobre 2016 la déboutant de ses demandes et à la condamnation de la société Dream On Board à lui payer diverses sommes notamment pour concurrence déloyale et au prononcé de mesures d'interdiction pour diverses infractions.

Vu l'ordonnance rendue sur incident le 16 septembre 2021 par la présidente de la chambre (5-2) disant, au visa de l'article 1037-1 du code de procédure civile, qu'il n'entre pas dans ses pouvoirs de constater que la société Dream On Board est réputée s'en tenir aux moyens et prétentions qu'elle avait soumis à la cour d'appel de Paris dont l'arrêt du 5 mars 2019 a été cassé.

Vu les dernières conclusions de la société Viacab demanderesse à la saisine, notifiées par voie électronique le 28 septembre 2021, demandant à la cour de :

- écarter des débats les conclusions de la société Dream On Board notifiées par voie électronique le 28 avril 2021 et, le cas échéant, toutes autres conclusions postérieures,

- dire que la société Dream On Board est réputée s'en tenir aux moyens et prétentions notifiés par voie électronique le 5 avril 2017 devant la cour d'appel ayant statué par arrêt du 5 mars 2019,

Sur le fond :

- infirmer le jugement du tribunal de commerce en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a jugé que la demande de Viacab n'était pas un abus de droit d'ester en justice,

- prononcer que Dream On Board, en ne respectant pas la réglementation sur l'occupation et l'utilisation du domaine public de Paris, profite d'une capacité de commercialisation de ses services anormalement supérieure à celle de Viacab,

- prononcer que Dream On Board a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de Viacab sur le marché de la location de véhicules sans chauffeurs à Paris,

- débouter Dream On Board de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

Statuant à nouveau :

- rappeler qu'une situation de concurrence directe ou effective entre les sociétés considérées n'est pas une condition de l'action en concurrence déloyale qui exige seulement l'existence de faits fautifs générateurs d'un préjudice,

- prononcer que le fait de ne pas être propriétaire de ses véhicules n'est pas une condition requise à l'action de Viacab en réparation de concurrence déloyale contre Dream On Board qui exige seulement l'existence de faits fautifs générateurs d'un préjudice,

- prononcer que Viacab justifie bien notamment d'une activité régulière et effective de location d'automobiles sans chauffeur sous les noms Black Cab (location de véhicules anglais) et Super Cab (location de véhicules de prestige) soit en tant que propriétaire de ses véhicules soit en tant qu'intermédiaire (courtier de location) à la demande,

Sur les illégalités et les fautes commises par les intimées,

- prononcer que le remisage des véhicules de location de Dream On Board sur le domaine public de Paris en attente d'affectation à un client, faisant en réalité du domaine public une annexe du siège social de l'entreprise par appropriation privée de la voie publique à des fins commerciales, excède l'usage normal des droits de stationnement,

- prononcer que l'occupation et l'utilisation du domaine public par Dream On Board en vue d'une exploitation économique de location de véhicules sur le domaine public de Paris excèdent le droit d'usage qui appartient à tous,

- prononcer, qu'en plus des preuves apportées par Viacab, Dream On Board reconnaît elle même de toute manière occuper et utiliser le domaine public depuis juin 2011,

- prononcer que Dream On Board est un occupant sans titre du domaine public de Paris depuis le 1er jour de son installation sur le domaine,

- prononcer que l'occupation et l'utilisation du domaine public de Paris par Dream On Board sans disposer d'un titre d'occupation l'y autorisant est contraire à la police de circulation de ce domaine public,

- prononcer que Dream On Board occupe et utilise de manière irrégulière la voie publique au niveau de la [...], de la [...], de l'[...], de la [...] et de la [...],

- prononcer que la prestation de services de location de véhicules de Dream On Board réalisée sur le domaine public de Paris, sans disposer d'un titre d'occupation l'y autorisant, constitue un acte de concurrence déloyale à l'encontre de Viacab,

-prononcer que la négligence de Dream On Board à laisser ses employés enfreindre le code de la route constitue un acte de concurrence déloyale à l'encontre de Viacab,

- prononcer que la présentation de l'offre de location de véhicules avec accompagnateurs comme étant licite sur le domaine public en défaut de titre d'occupation par Dream On Board constitue un acte de concurrence déloyale à l'encontre de Viacab,

- prononcer que le stationnement des véhicules de Dream On Board utilisés à des fins essentiellement publicitaires sur la voie publique dans Paris dans les zones de protection délimitées autour des sites classés ou autour des monuments historiques classés et dans les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager et les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine constitue un acte de concurrence déloyale à l'encontre de Viacab, -prononcer que la dissimulation d'emplois salariés commise par Dream On Board constitue un acte de concurrence déloyale à l'encontre de Viacab,

Sur la cessation des troubles commerciaux,

- interdire à Dream On Board d'occuper et d'utiliser irrégulièrement tout lieu du domaine public de Paris sans titre d'occupation l'y autorisant sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard passé le délai de 10 jours suivant la signification du présent arrêt,

- ordonner à Dream On Board de retirer de tous ses supports de communication toute mention qui présenterait comme licite le fait de proposer à la location sur le domaine public ses véhicules sans titre d'occupation l'y autorisant sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard passé le délai de 10 jours suivant la signification du présent arrêt,

- ordonner à Dream On Board de ne pas faire stationner des véhicules utilisés à des fins essentiellement publicitaires sur la voie publique dans Paris dans les zones de protection délimitées autour des sites classés ou autour des monuments historiques classés et dans les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager et les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard passé le délai de 10 jours suivant la signification du présent arrêt,

Sur les demandes indemnitaires,

- condamner la société Dream On Board à verser à la société Viacab :

- 55 600 euros au titre de la perte de chance

- 150 000 euros au titre du préjudice moral

- 50 000 euros au titre de la désorganisation économique

- 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Sur les autres demandes,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans 2 revues ou journaux parisiens au choix de la société Viacab et aux frais de Dream On Board à concurrence de 3.000 euros HT par insertion et ce, au besoin, à titre de dommages-intérêts complémentaires,

- prononcer que la créance indemnitaire de Viacab portera intérêt légal à compter de l'arrêt à intervenir majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois,

- condamner Dream On Board aux entiers dépens qui comprendront notamment les frais de constats d'huissier

Vu l'ordonnance de clôture du 28 octobre 2021.

SUR CE, LA COUR :

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure aux décisions sus-visées et aux écritures des parties.

Il suffit de rappeler que la société Viacab, qui a débuté son activité de location de véhicules sans chauffeur le 9 juin 2011, indique avoir été l'une des premières à s'implanter sur le marché de la location de très courte durée de véhicules de luxe de type Ferrari ou Lamborghini. Elle offre ses services sous le nom commercial Supercab et propose à sa clientèle la réservation, sur son site internet, d'un véhicule qui sera mis à sa disposition dans ses garages ou en un lieu de la voie publique sur rendez-vous préalable.

Les sociétés Dream On Board, Italian Dream, Fast and Precious, Fast and Precious Group, Fast and Precious France ont commencé leur activité, respectivement, le 1er juillet 2011, 20 mars 2014, 8 mai 2015 et, pour les deux dernières, 1er juin 2015. La société Dream On Board expose proposer à ses clients une prestation consistant à leur offrir la possibilité de conduire eux-mêmes des véhicules exceptionnels, accompagnés d'un de ses salariés qui leur donne des instructions pour la conduite du véhicule et l'itinéraire à emprunter parmi des parcours prédéfinis dans les rues de Paris.

La société Viacab fait grief à ces sociétés d'exercer leur activité sur la voie publique sans autorisation et de manière illicite et de bénéficier ainsi d'avantages concurrentiels à son détriment.

Suivant acte du 3 décembre 2014, la société Viacab a fait assigner la société Dream On Board devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, notamment pour faire cesser le trouble manifestement illicite résultant, selon elle, de la commercialisation des services de cette société sur la voie publique de Paris sans autorisation préalable. Par une ordonnance du 6 mai 2015, le président du tribunal de commerce de Paris a débouté la société Viacab de ses demandes.

Par des actes des 3, 4, 13 et 14 août 2015, la société Viacab, invoquant les dispositions de l'article 1382 (devenu 1240) du code civil ainsi que des dispositions du code du travail, du code de la consommation, du code de l'environnement outre divers textes réglementant l'occupation de l'espace public à Paris, a fait assigner les sociétés Dream On Board, Italian Dream, Fast and Precious, Fast and Precious Group et Fast and Precious France devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de les voir condamnées à lui payer des dommages-intérêts pour concurrence déloyale et obtenir à leur encontre des mesures d'interdiction sous astreinte.

Les sociétés Fast and Precious, Fast and Precious Group et Fast and Precious France n'ont pas comparu devant le tribunal qui a rendu un jugement réputé contradictoire déboutant la société Viacab de ses demandes et les sociétés Dream On Board et Italian Dream de leurs demandes reconventionnelles.

La société Viacab a relevé appel de ce jugement. Au nombre des sociétés intimées, seule la société Dream On Board a constitué avocat et la cour d'appel a rendu un arrêt de défaut confirmant le jugement déféré et déboutant la société Dream On Board de sa demande indemnitaire pour procédure abusive.

La Cour de cassation a par arrêt du 18 novembre 2020 cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt précité aux motifs que : En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que les véhicules de la société Dream on board stationnaient sur le domaine public en contravention avec l'arrêté du préfet de police de Paris invoqué qui interdisait tout stationnement des véhicules de location sur la voie publique, ce dont il résultait que cette société exerçait son activité en violation des dispositions réglementaires sur la police des lieux, méconnaissant ainsi l'article L. 442-8 du code de commerce, fait constitutif de concurrence déloyale, peu important que son activité ne soit pas soumise à une autorisation d'occupation du domaine public, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations.

C'est dans ces circonstances que la présente cour de renvoi est appelée à se prononcer sur le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 10 octobre 2016.

Sur la procédure,

Il est souligné que seules sont parties au litige devant la présente cour de renvoi, la société Viacab, demanderesse à la saisine, et la société Dream On Board, défenderesse à la saisine.

Précédemment, la société Viacab s'était désistée, devant la première cour d'appel, de ses demandes à l'encontre de la société Fast and Precious en conséquence de quoi la cour, par son arrêt du 5 mars 2019, a conclu que le jugement est définitif à l'égard de cette société. La société Viacab s'est ensuite désistée de son pourvoi en cassation en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Italian Dream, Fast and Precious Group et Fast and Precious France, ce dont l'arrêt de la Cour de cassation du 18 novembre 2020 lui a donné acte.

La société Viacab demande à voir écarter des débats les conclusions de la société Dream On Board notifiées par voie électronique le 28 avril 2021 et à voir dire que la société Dream On Board est réputée s'en tenir aux moyens et prétentions soutenus par ses conclusions du 5 avril 2017 devant la cour d'appel ayant statué par arrêt du 5 mars 2019.

Il est établi au vu des éléments de la procédure, et il n'est pas contesté, que :

- la société Viacab, auteur de la déclaration de saisine de la cour d'appel de renvoi effectuée en date du 2 décembre 2020, a remis ses conclusions au greffe le 1er février 2021 et fait signifier ces mêmes conclusions, ainsi que la déclaration de saisine, à la société Dream On Board, suivant acte d'huissier de justice, remis en l'Etude, le 3 février 2021,

- la société Dream On Board a constitué avocat le 9 février 2021 et a remis au greffe et notifié ses conclusions par voie électronique le 28 avril 2021 .

Or, selon les dispositions de l'article 1037-1 alinéa 4 du code de procédure civile, Les parties adverses remettent et notifient leurs conclusions dans un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'auteur de la déclaration.

La société Dream On Board a ainsi outrepassé, par infraction aux dispositions précitées, le délai qui lui était imparti pour conclure.

L'article 1037-1 alinéa 6 du code de procédure civile prévoit, concernant la partie, défenderesse à la saisine, qui ne concluerait pas dans le délai fixé à l'alinéa 4, qu'elle est réputée s'en tenir aux moyens et prétentions qu'elle avait soumis à la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé.

La présente cour de renvoi statuera, en conséquence, au vu des conclusions de la société Dream On Board du 5 avril 2017 qui sont ses dernières conclusions notifiées dans la procédure d'appel ayant donné lieu à l'arrêt cassé.

Aux termes de ces écritures, la société Dream On Board demandait à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en celles concernant ses demandes reconventionnelles au titre de l'abus de procédure et au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter la société Viacab de l'ensemble de ses demandes,

- la condamner à lui verser la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive outre celle de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Réfutant l'ensemble des griefs invoqués à son encontre, la société Dream On Board, se rapportant aux motifs retenus par le tribunal de commerce pour débouter la société Viacab de ses demandes, faisait valoir, essentiellement, que les offres respectives ne sont pas substituables et qu'il n'existe donc pas de rapport de concurrence entre les sociétés en présence. Elle relevait à cet égard que, dans la prestation qu'elle propose, le client, majoritairement un touriste, conduit dans le cadre d'un service de location de courte durée, un véhicule de sport ou de luxe en étant accompagné par un de ses préposés tandis que la société Viacab propose une offre beaucoup plus large de location, avec ou sans chauffeur, et de transport de voyageurs par taxis. Concernant la violation, reprochée par la société Viacab, de l'arrêté préfectoral n° 95-11067, la société Dream On Board rétorquait que son activité n'est pas contraire à une loi ou à un règlement ainsi qu'en attestent la réponse donnée par le Conseil de Paris en juillet 2014 à la suite d'une question écrite posée par M. Pierre L. et celle apportée par le préfet de police de Paris à la suite de l'interrogation de la société Viacab. Sur l'absence de fourniture d'un contrat de location avec mention des conditions générales de vente avant que le client commande une location, elle s'en remet à la motivation du tribunal de commerce qui a retenu qu'un tel fait, n'est susceptible de constituer un dommage qu'en vertu des dispositions du code de la consommation et à celui qui en serait directement victime, c'est-à-dire le consommateur, et n'est pas constitutif de concurrence déloyale à l'égard de la société Viacab qui ne justifie pas d'un dommage en relation directe avec le grief allégué. Compte tenu, enfin, des éléments apportés aux débat établissant qu'elle emploie 11 salariés, la société Dream On Board demandait à la cour de rejeter, à l'instar du tribunal de commerce, le grief de dissimulation d'emplois salariés et de dissimulation d'activité relative à son établissement secondaire.

Sur le fond,

Il est rappelé que la concurrence déloyale trouve son fondement dans l'article 1382, devenu 1240 du code civil, qui dispose que tout fait quelconque, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

S'il est constant que l'activité des opérateurs économiques est gouvernée par le principe fondamental de la liberté du commerce et de l'industrie elle doit cependant être exercée dans des conditions loyales et respectueuses de l'activité des autres opérateurs économiques. La violation par un opérateur économique des obligations légales et réglementaires auxquelles il est normalement soumis a pour effet de lui procurer indûment un avantage, résultant notamment des économies de temps et d'argent ainsi réalisées, en créant une rupture d'égalité dans la compétition au détriment de concurrents exerçant leur activité dans le respect des règles.

La société Dream On Board contestant être en situation de concurrence avec la société Viacab, la cour observe que cette dernière a pour activité selon les mentions du K bis, le transport de personnes à titre onéreux et la location de véhicules dont automobiles, selon le répertoire Sirene, la location de courte durée de voitures et de véhicules automobiles légers et, aux termes de l'objet social indiqué dans ses statuts, la location de voitures avec ou sans chauffeurs. Il ressort des éléments de la procédure qu'elle propose sous le nom commercial Supercab, à travers le site internet accessible à l'adresse www.super-cab.fr, la location de véhicules de luxe Ferrari, Lamborghini) avec ou sans chauffeur.

La société Dream On Board propose, au vu de sa communication publicitaire et des extraits de son site internet ainsi que de ses propres écritures, une offre de location de courte durée, sans chauffeur, de véhicules automobiles de marques italiennes de prestige à destination d'une clientèle non professionnelle et majoritairement touristique.

Les activités respectives sont donc concurrentes, les sociétés en litige proposant l'une et l'autre la location, sur une courte durée, de véhicules automobiles de luxe, sans chauffeur, peu important que l'offre de la société Viacab soit plus large en ce qu'elle inclut aussi un service de location de véhicules automobiles avec chauffeur.

Ceci posé, la société Viacab reproche à la société Dream On Board des actes de concurrence déloyale résultant des diverses infractions qu'elle commet dans l'exercice de son activité. Elle invoque, précisément, le remisage illicite des véhicules de location sur la voie publique, l'utilisation irrégulière du domaine public, le défaut de titre d'occupation du domaine public, le non-respect du code de la route, des pratiques commerciales trompeuses et déloyales, de la publicité illicite, une dissimulation d'activité et de travailleurs salariés.

Concernant la violation de la règlementation sur l'occupation de l'espace public, la cour relève dans les pièces produites aux débats que la préfecture de police de Paris, appelée à répondre aux réclamations de la société Viacab dénonçant le fonctionnemment de la société Dream On Board en sa qualité de loueur de véhicules haut de gamme sur trois sites touristiques à Paris, indique dans un courrier du 21 avril 2015 que le règlement relatif aux activités commerciales sur l'espace public, en dehors des foires et marchés, concerne les activités commerciales ambulantes permanentes établies sur des emplacements permanents. La présence des véhicules de la société Dream On Board sur la voie publique n'est pas synonyme d'emplacement permanent puisqu'elle se limite à la mise à disposition du véhicule sur un site et à la consommation de la prestation par insertion dans la circulation générale puis au débarquement du client sur le même site ou un autre, une fois la prestation consommée. Il n'y a pas d'implantation sur la voie publique. Par conséquent, les activités commerciales itinérantes telles que celles proposées par la société Dream On Board ne sont pas soumises à la règlementation des activités commerciales permanentes (...) Au vu de la règlementation actuelle, il n'est pas possible d'opposer une absence d'autorisation d'occupation du domaine public et de verbaliser à ce titre la société Dream On Board.

Dans un courrier du 8 octobre 2015, la préfecture de police de Paris précise que Cette nouvelle forme de location de courte durée est désormais bien connue (...) des effectifs de police et des ASP qui déploient une activité contraventionnelle très soutenue en matière de contrôle et de répression du stationnement irrégulier à leur encontre (....) Seules ces actions fondées sur le code de la route sont pertinentes en la matière, l'exercice de la location de tels véhicules sur la voie publique n'étant pas interdit en tant que tel.

Au regard de ces éléments de la procédure émanant de la préfecture de police de Paris, d'où il ressort que l'activité de la société Dream On Board n'est pas soumise à une autorisation d'occupation du domaine public, le grief invoqué à son encontre, tiré d'un défaut de titre l'habilitant à occuper le domaine public n'est pas fondé.

Il apparaît en revanche que celle-ci exerce son activité en violation de la règlementation sur le stationnement des véhicules automobiles qui interdit le remisage des véhicules de location en attente d'affectation à un client sur la voie publique.

L'arrêté préfectoral n° 95-1107 complétant l'ordonnance n°71-16757 du 15 septembre 1971, dispose en effet que : Le remisage des véhicules de location sur la voie publique en attente d'affectation à un client excède l'usage normal des droits de stationnement, faisant en réalité de la voie publique une annexe du siège social de l'entreprise, ce qui constitue une appropriation privée de la voie publique à des fins commerciales, et donc une utilisation du domaine public non conforme à sa destination.

Article 1er : le remisage des véhicules de location en attente d'affectation à un client sur la voie publique ou ses dépendances est interdit et constitue un stationnement abusif.

Les trois procès-verbaux de constat successivement dressés par huissier de justice le 23 octobre 2014, 14 janvier et 4 juin 2015, montrent le stationnement de véhicules de luxe de la société Dream On Board en attente de clients dans divers endroits touristiques de la capitale ([...], [...], [...] à proximité des Champs-Elysées), ce dont il résulte des infractions caractérisées aux dispositions de l'arrêté préfectoral précité.

Force est de rappeler que le code de commerce ne permet pas de se livrer à des actes de commerce dans des conditions d'utilisation irrégulière du domaine public. L'article L. 442-8 du code de commerce dispose en effet qu'il est interdit à toute personne d'offrir à la vente des produits ou de proposer des services en utilisant, dans des conditions irrégulières, le domaine public de l'Etat, des collectivités locales et de leurs établissements publics.

Les infractions à l'interdiction mentionnée à l'alinéa précédent sont recherchées et constatées dans les conditions définies par les articles L. 450-1 à L. 450-3 et L. 450-8. Les agents peuvent consigner, dans des locaux qu'ils déterminent et pendant une durée qui ne peut être supérieure à un mois, les produits offerts à la vente et les biens ayant permis la vente des produits ou l'offre de services.

Il découle des observations qui précèdent que la société Dream On Board commet, dans l'exercice de son activité commerciale de location de courte durée de véhicules automobiles de luxe sans chauffeur, des agissements en contravention avec les dispositions de l'arrêté préfectoral n° 95-1107 et en méconnaissance des dispositions de l'article L. 442-8 du code de commerce, bénéficiant ainsi d'un avantage concurrentiel indû par rapport à ses concurrents soumis aux mêmes règles.

De tels agissements sont constitutifs de concurrence déloyale au préjudice de la société Viacab et c'est dès lors à tort que le tribunal de commerce de Paris a considéré qu'ils ne pouvaient être retenus au titre de la concurrence déloyale.

La société Viacab reproche en outre à la société Dream On Board d'inciter sa clientèle à enfreindre le code de la route en dépassant la vitesse maximale autorisée en ville alors qu'il incombe au préposé, sous les consignes duquel le client conduit le véhicule loué, de rappeler ce dernier à l'ordre en lui intimant de respecter la limitation de vitesse. Elle soutient que la société Dream On Board s'arroge un avantage commercial déloyal en se dotant de l'image de société passe-droit attirant à elle, préférentiellement, les clients désireux de pouvoir rouler à une vitesse prohibée.

Au soutien du grief la société Viacab produit le commentaire d'un client, posté sur internet en janvier 2013, rédigé dans les termes suivants : Ce V10 m'a permis d'atteindre les 160 km/h sur quelques dizaines de mètres seulement.

Un tel commentaire, recueilli dans des conditions dont il n'est pas justifié, est cependant dénué de toute valeur probante et ne saurait suffire, en toute hypothèse, à caractériser à la charge de la société Dream On Board un fait constitutif de concurrence déloyale au préjudice de la société Viacab.

La société Viacab invoque des pratiques commerciales trompeuses et déloyales au sens des dispositions de l'article L. 121-4 du code de la consommation constitutives de concurrence déloyale. Elle reproche à cet égard à la société Dream On Board, de déclarer ou de donner l'impression que la fourniture de ses services est licite alors qu'elle ne dispose d'aucun titre d'occupation du domaine public ce qui entache son activité d'une illicéité patente.

Force est toutefois de rappeler qu'il a été précédemment observé que le grief tiré d'un défaut de titre d'occupation du domaine public n'est pas fondé à l'encontre de la société Dream On Board dont l'activité n'est pas soumise à une autorisation d'occupation du domaine public.

En conséquence, aucune pratique commerciale trompeuse ne saurait être caractérisée à raison du fait que la société Dream On Board se serait présentée faussement comme titulaire d'un titre d'habilitation pour occuper le domaine public.

La société Viacab fait encore grief à la société Dream On Board de se livrer à de la publicité illicite. Elle invoque les dispositions de l'article L. 581-15 du code de l'environnement selon lesquelles La publicité sur les véhicules terrestres, sur l'eau ou dans les airs peut être réglementée, subordonnée à autorisation ou interdite, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

Toutefois, les dispositions de l'alinéa précédent ne sont pas applicables à la publicité relative à l'activité exercée par le propriétaire ou l'usager d'un véhicule, sous réserve que ce véhicule ne soit pas utilisé ou équipé à des fins essentiellement publicitaires.

Elle invoque également les dispositions de l'article L. 581-8-I du code de l'environnement dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016, applicable aux faits de la cause, qui prévoit que la publicité est interdite, à l'intérieur des agglomérations, 1° Dans les zones de protection délimitées autour des sites classés ou autour des monuments historiques classés (...) 6° Dans les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager et les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine.

Force est de relever que les photographies de véhicules en stationnement équipés, sur le toit, de panneaux portant l'inscription drive me for 89 euros, exposées dans les procès-verbaux d'huissier de justice produits aux débats, mentionnent le nom de la société Fast and Precious qui n'est plus dans la cause. D'autres photographies sont versées aux débats, montrant des véhicules équipés sur le toit de panneaux portant l'inscription drive me for 89 euros et mentionnant le nom Dream On Board. Ces photos auraient été publiées selon la société Viacab en juillet 2012 sur la page Facebook de la société Dream On Board et auraient été prises dans les zone 8ème et zone 16ème. Elles ne sont pas susceptibles de montrer que les véhicules stationnaient dans les zones de protection visées à l'article L. 581-8-I précité et ne sont pas davantage de nature à établir que ces véhicules sont utilisés 'à des fins essentiellement publicitaires' ce qui ne saurait résulter du seul fait qu'ils stationnent, plus ou moins durablement, sur la voie publique en attente du client.

Il s'ensuit que la publicité illicite n'est pas caractérisée et ne peut être retenue comme constitutive de concurrence déloyale.

La société Viacab reproche enfin à la société Dream On Board une dissimulation d'activité et de travailleurs salariés et fait grief au tribunal de commerce d'avoir écarté ce grief au vu d'un registre du personnel de l'année 2015 qui ne justifie en rien du parfait paiement des salaires et des charges sociales pour les années 2011 à 2014.

La cour constate toutefois que les comptes de résultat de la société Dream On Board, qui a démarré son activité en juillet 2011, établissent un montant de charges sociales déclarées de 5 635 euros pour le premier exercice, clos le 30 septembre 2012, et, pour les exercices suivants, des rémunérations de personnel et des charges sociales de 64 649 euros et 13 485 euros pour l'exercice clos le 30 septembre 2013 et de 171 954 euros et 22 691 euros pour l'exercice clos le 30 septembre 2014. Elle fournit en outre, ainsi qu'il a été relevé par le tribunal de commerce, un registre du personnel mentionnant les noms de 11 salariés. Ces éléments chiffrés ne font pas apparaître de contradiction ou incompatibilité avec le fait que la société Dream On Board disposait, ainsi que le souligne la société Viacab dans ses écritures, d'une flotte de 10 véhicules en 2013.

Il s'ensuit que le grief de dissimulation d'activité et de travailleurs salariés n'est pas établi à la charge de la société Dream On Board et ne saurait être retenu comme constitutif de concurrence déloyale au préjudice de la société Viacab.

Sur les mesures réparatrices,

Il découle des motifs qui précèdent que la société Dream On Board exerce son activité commerciale en manquant au respect des dispositions de l'arrêté préfectoral n° 95-1107 et des dispositions de l'article L. 442-8 du code de commerce et qu'un tel fait est constitutif de concurrence déloyale pour la société Viacab.

Il est constant qu'un préjudice, ne serait-ce que moral, s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale qui est générateur d'un trouble commercial.

En l'espèce, la société Viacab et la société Dream On Board ont commencé leur activité concomitamment en 2011 (juin 2011 pour la première et juillet 2011 pour la seconde). La société Dream On Board a vu son chiffre d'affaires passer de 178.357 euros en septembre 2012 au terme de 15 mois d'activité à 376 100 euros en septembre 2013 et atteindre 536 733 euros en septembre 2014. La progression ainsi constatée du chiffre d'affaires réalisé sur les trois années qui ont suivi le lancement par la société Dream On Board de son activité résulte pour partie des actes de concurrence déloyale dont elle s'est rendue coupable et qui lui ont permis de conquérir des parts de marché au détriment de la société Viacab. Cette dernière est en conséquence fondée à se prévaloir d'une perte de chance de conquérir des parts de marché plus importantes.

La société Viacab évalue son préjudice de perte de chance à la somme de 55.600 euros en se basant sur un chiffre d'affaires cumulé de la société Dream On Board de 1,8 millions d'euros entre 2011 et 2016. Un tel montant repose cependant sur des projections pour les années 2015 et 2016 et n'est pas établi. La société Viacab fait en outre état d'un taux de marge de 30% qui n'est pas justifié. Elle estime qu'elle aurait pu réaliser 10% du volume d'affaires que Dream On Board a effectué. Cependant, la chance perdue ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée et un taux de 5% apparait plus juste. Compte tenu de l'ensemble des éléments d'appréciation versés à la procédure permettent le préjudice de perte de chance doit être raisonnablement estimé à 25 000 euros, la somme demandée à ce titre étant excessive.

Le trouble commercial subi par la société Viacab dans les premières années du démarrage de son activité justifie l'allocation d'une indemnité compensatoire de 15 000 euros tandis que son préjudice moral certain sera justement réparé à hauteur de la somme de 10 000 euros.

La société Viacab demande qu'il soit prononcé à l'encontre de la société Dream On Board une mesure d'interdiction d'occuper et d'utiliser irrégulièrement tout lieu du domaine public de Paris sans titre d'occupation l'y autorisant sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard passé le délai de 10 jours suivant la signification du présent arrêt. L'interdiction demandée ne peut être prononcée dès lors que le grief d'occupation sans titre du domaine publique n'a pas été retenu à la charge de la société Dream On Board.

Il ne peut davantage être ordonné à la société Dream On Board, dès lors que les griefs invoqués à son encontre des chefs de pratique commerciale trompeuse et de publicité illicite n'ont pas été retenus, de retirer de ses supports de communication toute mention qui présenterait comme licite le fait de proposer à la location sur le domaine public ses véhicules sans titre d'occupation l'y autorisant sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard passé le délai de 10 jours suivant la signification du présent arrêt, ou encore, de ne pas faire stationner des véhicules utilisés à des fins essentiellement publicitaires sur la voie publique dans Paris dans les zones de protection délimitées autour des sites classés ou autour des monuments historiques classés et dans les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager et les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard passé le délai de 10 jours suivant la signification du présent arrêt.

Il n'y a pas lieu enfin de faire droit à la demande de publication judiciaire qui n'apparaît pas opportune eu égard à l'ancienneté des faits.

Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Dream On Board de sa demande, mal fondée, de dommages-intérêts pour procédure abusive.

L'équité commande de condamner la société Dream On Board à payer à la société Viacab une indemnité de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel et de débouter la société Dream On Board de ses demandes formées à ce même titre.

La société Dream On Board, partie perdante supportera la charge des entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant dans les limites de la saisine,

Constate que la société Dream On Board est réputée s'en tenir aux moyens et prétentions qu'elle avait soumis, par ses dernières conclusions du 5 avril 2017, à la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé,

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il déboute la société Dream On Board de ses demandes reconventionnelles formées au titre de la procédure abusive et des frais irrépétibles,

Dit que la société Dream On Board a commis au préjudice de la société Viacab des actes de concurrence déloyale dont elle droit réparation,

Condamne la société Dream On Board à payer à la société Viacab les sommes de :

- 25 000 euros en réparation du préjudice de perte de chance,

- 15 000 euros en réparation du trouble commercial,

- 10 000 euros en réparation du préjudice moral,

Rejette le surplus des prétentions de la société Viacab,

Condamne la société Dream On Board à payer à la société Viacab la somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel et la déboute de ses demandes formées à ce même titre,

Condamne la société Dream On Board aux dépens de première instance et d'appel.