Cass. com., 1 décembre 2021, n° 19-14.490
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Darbois
Rapporteur :
Mme Bessaud
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Buk Lament-Robillot, SCP Alain Bénabent
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 13 décembre 2018), la société Trodat France, filiale de la société Trodat GmbH, a pour activité la commercialisation, en France, de tampons à encrage automatique intégrant une cassette d'encrage, commercialisés sous le nom « Printy. »
2. La société Trodat GmbH est titulaire de :
- deux modèles français de timbres manuels déposés le 16 août 1993 sous le n° 934293, sous priorité d'un modèle autrichien déposé le 17 février 1993 ;
- un modèle de tampon dateur déposé le 30 mai 1995 sous le n° 953049, sous priorité d'un modèle autrichien déposé le 1er décembre 1994 ;
- un modèle communautaire d'étuis pour tampons à main déposé le 1er avril 2003 sous le n° 19708.
3. La société Pro tampons France (la société Pro tampons) distribue, en France, des tampons produits par la société Traxx Printer Emporia Eidon Grafeiou (la société Traxx), commercialisés sous la dénomination Traxx.
4. Après la mise en redressement judiciaire de la société Pro tampons par jugement du 26 juin 2013, un plan de redressement a été adopté le 7 juillet 2014, M. [M] et la SCP [P], prise en la personne de M. [P], étant désignés en qualité respectivement de mandataire judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan.
5. Les 20 septembre 2013 et 7 août 2014, les sociétés Trodat France et Trodat GmbH (les sociétés Trodat) ont assigné la société Pro tampons, M. [M] et la SCP [P], ès qualités, ainsi que la société Traxx, en contrefaçon de modèles et réparation du préjudice en résultant.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La société Pro tampons, M. [M] et la SCP [P], ès qualités, et la société Traxx font grief à l'arrêt de les condamner in solidum à verser aux sociétés Trodat la somme de 50 000 euros au titre de la contrefaçon du modèle n° 953049, déposé à l'Institut national de la propriété intellectuelle le 30 mai 1995, et du modèle communautaire n° 19708, déposé le 1er avril 2003, par la commercialisation des modèles Traxx n° 7024, 7850, 7836, 7040, 7050, 9045, 9015 et 9050, d'interdire sous astreinte à ces sociétés d'importer et de commercialiser sur le territoire national ces tampons de la marque Traxx, de dire que le tampon Traxx n° 7140 contrefait le tampon Trodat n° 46140, que le tampon Traxx n° 9015 contrefait le modèle français n° 934293 et que les tampons Traxx n° 9130 et 9140 constituent des contrefaçons des tampons Trodat n° 46030 et 46040, d'interdire sous astreinte aux sociétés Traxx et Pro tampons d'importer et de commercialiser sur le territoire national les tampons Traxx n° 7140, 9130 et 9140 et d'ordonner la publication de la décision, alors « que le tampon Traxx commercialisé sous la référence n° 9015 dispose d'une base évidée permettant de visualiser le texte à imprimer ; qu'en retenant, pour dire que ce tampon contrefaisait le modèle français n° 934293 et interdire en conséquence aux sociétés Traxx Printer Emporia Eidon Grafeiou et Pro tampons de l'importer et de le commercialiser sur le territoire national, qu'à la différence des autres tampons Traxx argués de contrefaçon, le tampon Traxx commercialisé sous la référence n° 9015 disposait, comme le modèle déposé n° 934293, d'une base pleine ne permettant pas de visualiser le texte à imprimer, la cour d'appel a dénaturé le tampon Traxx commercialisé sous la référence n° 9015 reproduit dans le catalogue Traxx disposant clairement d'une base évidée et non pleine, et a ainsi méconnu le principe qui interdit au juge de ne pas dénaturer les documents qui lui sont soumis. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
7. Pour juger que le modèle de tampon Traxx n° 9015 constitue la contrefaçon du modèle français enregistré sous le n° 934293, condamner, en conséquence, les sociétés Pro tampons et Traxx à payer aux sociétés Trodat une certaine somme en réparation de leur préjudice et ordonner des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication, l'arrêt retient qu'à la différence des autres modèles de tampons Traxx argués de contrefaçon, il ne comporte pas de base évidée.
8. En statuant ainsi, alors qu'il ressort clairement du catalogue des tampons commercialisés par la société Traxx que les produits de « la ligne rouge », dont le modèle n° 9015 ne constitue qu'une déclinaison, comportent tous une base évidée, la cour d'appel a violé le principe susvisé.
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
9. La société Pro tampons, M. [M] et la SCP [P], ès qualités, et la société Traxx font le même grief à l'arrêt, alors « que la contrefaçon, fût-ce par imitation, d'un dessin ou modèle ne peut résulter que de la comparaison du produit prétendument contrefaisant avec le dessin ou modèle déposé auprès de l'Institut national de propriété intellectuelle ; qu'en retenant, pour juger que les tampons Traxx commercialisés sous les références 7024, 7850, 7836, 7040, 7050 et 9050 contrefaisaient le modèle déposé sous le n° 953049 par les sociétés Trodat, que les modèles " Printy" n° 4750, 4724 et 4850 présentaient une forme, des proportions et un aspect visuel correspondant au modèle déposé n° 953049 et que les tampons Traxx commercialisés sous les références 7024, 7850, 7836, 7040, 7050 et 9050 imitaient l'ergonomie générale des tampons Trodat et la forme de leur mécanisme et produisaient ainsi la même impression visuelle d'ensemble aux yeux d'un observateur averti, la cour d'appel qui a comparé les tampons litigieux avec les modèles commercialisés par les sociétés Trodat, et non avec le modèle déposé, et partant, n'a pas constaté que les tampons litigieux produisaient une impression visuelle d'ensemble identique au modèle déposé sur un observateur averti, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 513-4, L. 513-5 et L. 521-1 du code de la propriété intellectuelle. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 513-4 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2014-315 du 11 mars 2014, et les articles L. 513-5 et L. 521-1, alinéa 1er, du même code :
10. Selon le dernier de ces textes, toute atteinte portée aux droits du propriétaire d'un dessin ou modèle, tels qu'ils sont définis aux articles L. 513-4 à L. 513-8 du code de la propriété intellectuelle, constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Aux termes du premier de ces textes, sont interdits, à défaut du consentement du propriétaire du dessin ou modèle, la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation, l'utilisation, ou la détention à ces fins, d'un produit incorporant le dessin ou modèle. Aux termes du deuxième, la protection conférée par l'enregistrement d'un dessin ou modèle s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'observateur averti une impression visuelle d'ensemble différente.
11. Pour dire que les tampons Traxx commercialisés sous les références n° 7024, 7850, 7836, 7040, 7050 et 9050 contrefont le modèle français n° 953049, condamner, en conséquence, les sociétés Pro tampons et Traxx à payer aux sociétés Trodat une certaine somme en réparation de leur préjudice et ordonner des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu'ils imitent les tampons « Printy » commercialisés par les sociétés Trodat, dans leur ergonomie générale et dans leur mécanisme non protégeable en lui-même mais dans sa forme et qu'ils produisent, aux yeux d'un observateur averti, une impression visuelle d'ensemble identique.
12. En statuant ainsi, en se référant exclusivement aux modèles tels que commercialisés par les sociétés Trodat, alors que la contrefaçon d'un modèle s'apprécie au regard des caractéristiques protégées telles que déterminées par les seules reproductions graphiques ou photographiques contenues dans le certificat d'enregistrement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Sur le moyen, pris en sa septième branche
Enoncé du moyen
13. La société Pro tampons, M. [M] et la SCP [P], ès qualités, et la société Traxx font encore le même grief à l'arrêt, alors « que la contrefaçon, fût-ce par imitation, d'un dessin ou d'un modèle communautaire enregistré ne peut résulter que de la comparaison du produit prétendument contrefaisant avec le dessin ou modèle tel qu'enregistré auprès de l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) ; qu'en retenant, pour juger que le tampon Traxx commercialisé sous la référence n° 7140 constituait une contrefaçon du modèle communautaire n° 19708, que le modèle de la gamme "Printy" commercialisée par les sociétés Trodat sous la référence n° 46140 avait une forme arrondie et évidée à la base ainsi que des lignes et proportions conformes au dessin déposé sous le modèle communautaire n° 19708, que le tampon Traxx 7140 contrefaisait le produit Trodat 46140, bénéficiant de la protection au titre du modèle communautaire, s'agissant d'un tampon dateur de forme cylindrique et allongée, composé d'une partie haute de couleur noire et d'une bande couleur blanche, le dessus de la partie haute étant assorti d'une vitre et deux boutons latéraux de couleur rouge permettant d'éjecter les cassettes d'encrage, le système d'impression des dates étant apparent et la base étant évidée, la cour d'appel qui a comparé le tampon litigieux avec le modèle commercialisé par les sociétés Trodat, et non avec le modèle communautaire enregistré, et partant, n'a pas constaté que le tampon litigieux produisait une impression visuelle globale identique au modèle communautaire enregistré sur un utilisateur averti, a privé sa décision de base légale au regard des articles 10 et 19 du règlement (CE) n° 6/2002 du 12 décembre 2001 et des articles L. 521-1 et L. 522-1 du code de la propriété intellectuelle. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 10 et 19 du règlement (CE) du 12 décembre 2001 et l'article L. 515-1 du code de la propriété intellectuelle :
14. Selon le premier de ces textes, la protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'utilisateur averti une impression visuelle globale différente. Selon le deuxième, le dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l'utiliser et d'interdire à tout tiers de l'utiliser sans son consentement. Par utilisation, on entend en particulier la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation ou l'utilisation d'un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins. Aux termes du dernier de ces textes, toute atteinte aux droits définis par l'article 19 du règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires, constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur.
15. Pour dire que le tampon Traxx commercialisé sous la référence n° 7140 contrefait le modèle communautaire n° 19708, condamner, en conséquence, les sociétés Pro tampons et Traxx à payer aux sociétés Trodat une certaine somme en réparation de leur préjudice et ordonner des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication, l'arrêt retient qu'il est contrefaisant du tampon Trodat n° 46140 qui bénéficie de la protection au titre du modèle communautaire dans la mesure où il s'agit également d'un tampon dateur de forme cylindrique et allongée, composé d'une partie haute de couleur noire et d'une bande de couleur blanche, le dessus de la partie haute étant assorti d'une vitre et de deux boutons latéraux de couleur rouge permettant d'éjecter les cassettes d'encrage, et où le système d'impression des dates est apparent et la base évidée.
16. En statuant ainsi, en se référant exclusivement au modèle tel que commercialisé par les sociétés Trodat, alors que la contrefaçon d'un modèle s'apprécie au regard des caractéristiques protégées telles que déterminées par les seules reproductions graphiques ou photographiques contenues dans le certificat d'enregistrement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le moyen, pris en sa neuvième branche
Enoncé du moyen
17. La société Pro tampons, M. [M] et la SCP [P], ès qualités, et la société Traxx font encore le même grief à l'arrêt, alors « que la contrefaçon, fût-ce par imitation, d'un dessin ou d'un modèle communautaire enregistré ne peut résulter que de la comparaison du produit prétendument contrefaisant avec le dessin ou modèle tel qu'enregistré auprès de l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) ; qu'en retenant, pour juger que les tampons Traxx commercialisés sous la référence n° 9045, 9130 et 9140 contrefaisaient le modèle communautaire n° 19708, que les modèles de la gamme "Printy" commercialisés par les sociétés Tordat sous les références n° 46030, 46040, 46140, 46045 avaient une forme arrondie et évidée à la base ainsi que des lignes et proportions conformes au dessin déposé sous le modèle communautaire n° 19708, que le tampon Traxx n° 9045 constituait une contrefaçon des modèles de la gamme "Printy" n° 46030, 46040, 46140, 46045, en ce qu'il présentait une forme, des proportions et des dimensions identiques, une base évidée, une même bande noire au centre, une forme arrondie sur le dessus et une base en matière plastique blanche, et que les tampons Traxx n° 9130 et 9140 constituaient des contrefaçons des tampons Trodat 46030 et 46040, en ce qu'ils constituaient des déclinaisons du tampon n° 9045 sous deux autres formats, la cour d'appel qui a comparé les tampons litigieux avec les modèles commercialisés par les sociétés Trodat, et non avec le modèle communautaire enregistré, et partant, n'a pas constaté que les tampons litigieux produisaient une impression visuelle globale identique à celui du modèle communautaire enregistré sur un utilisateur averti, a privé sa décision de base légale au regard des articles 10 et 19 du règlement (CE) n° 6/2002 du 12 décembre 2001 et des articles L. 521-1 et L. 522-1 du code de la propriété intellectuelle. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 10 et 19 du règlement (CE) du 12 décembre 2001 et l'article L. 515-1 du code de la propriété intellectuelle :
18. Pour dire que les tampons Traxx commercialisés sous les références n° 9045, 9130 et 9140 contrefont le modèle communautaire n° 19708, condamner, en conséquence, les sociétés Pro tampons et Traxx à payer aux sociétés Trodat une certaine somme en réparation de leur préjudice et ordonner des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que le tampon Traxx n° 9045, qui présente une forme, des proportions et des dimensions identiques, une base évidée, une bande noire au centre, une forme arrondie sur le dessus et une base en matière plastique blanche, ne produit pas auprès du consommateur averti une impression visuelle d'ensemble différente des modèles « Printy » n° 46030, 46040, 46140, 46045 et constitue une contrefaçon de ces derniers, et que, de même, les tampons Traxx n° 9130 et 9140, qui constituent, sous ces références, une déclinaison dans les formats de 30 mm et 40 mm du tampon n° 9045, constituent la contrefaçon des tampons « Printy » n° 46030 et 46040.
19. En statuant ainsi, en se référant exclusivement aux modèles tels que commercialisés par les sociétés Trodat, alors que la contrefaçon d'un modèle s'apprécie au regard des caractéristiques protégées telles que déterminées par les seules reproductions graphiques ou photographiques contenues dans le certificat d'enregistrement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il condamne in solidum la société Traxx, la société Pro tampons France, M. [M] et la SCP [P], prise en la personne de M. [P], en qualité respectivement de mandataire judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de la société Pro tampons France, à payer la somme de 50 000 euros aux sociétés Trodat France et Trodat GmbH au titre de la contrefaçon des modèles français n° 934293 et 953049 déposés respectivement les 16 août 1993 et 30 mai 1995, et communautaire n° 19708, déposé le 1er avril 2003, ordonne des mesures d'interdiction, sous astreinte, d'importer et de commercialiser sur le territoire national les tampons de marque Traxx n° 7024, 7850, 7836, 7040, 7050, 9045, 9015 et 9050 ainsi que des mesures de publication, en ce qu'y ajoutant, il dit que le tampon Traxx n° 7140 contrefait le tampon Trodat n° 46140, dit que le tampon Traxx n° 9015 contrefait le modèle français n° 934293, dit que les tampons Traxx n° 9130 et 9140 constituent des contrefaçons des tampons Trodat n° 46030 et 46040 et interdit aux sociétés Traxx et Pro tampons France d'importer et de commercialiser sur le territoire national les tampons Traxx n° 7140, 9015, 9130 et 9140 sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai de quinze jours de la signification de la décision, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 13 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne les sociétés Trodat France et Trodat GmbH aux dépens.