CA Versailles, 13e ch., 22 juin 2021, n° 20/00599
VERSAILLES
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Groupe Gratuit Pros (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Briere
Conseillers :
Mme Baumann, Mme Bonnet
Avocats :
Me Planche, Me Delespaul, Me Borrel, Me Cosse, Me Dupuis, Me Dourdin
La SARL Groupe gratuit pros, constituée le 17 août 2005 entre M. Y D et M. X H, dont le gérant est M. F D, a pour activité l'édition et la commercialisation de périodiques gratuits. Son capital social de 8 000 euros, divisé, à la date de l'introduction du litige, en 800 parts de 10 euros chacune, se trouvait réparti comme suit :
- M. F D : 576 parts (72 % du capital et des droits de vote) ;
- M. Y D : 8 parts (1% du capital et des droits de vote) ;
- M. X H : 200 parts (25 % du capital et des droits de vote) ;
- M. G C : 16 parts (2 % du capital et des droits de vote).
MM. H et C détiennent ainsi 27 % des droits de vote, soit, s'agissant des décisions extraordinaires telles que prévues à l'article 19 des statuts, une minorité de blocage.
Ils ont été licenciés l'un et l'autre pour faute lourde le 23 janvier 2013 et ont contesté leur licenciement devant la juridiction prud'homale laquelle a requalifié chaque licenciement pour faute lourde en licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Invoquant un abus de minorité, la société Groupe gratuit pros et M. Philippe Paulic, par acte des 29 et 31 janvier 2018, ont assigné MM. H et C devant le tribunal de commerce de Versailles afin de voir valider la décision de transformation de la société Groupe gratuit pros en société par actions simplifiée et désigner un mandataire ad hoc pour représenter les minoritaires lors d'une prochaine assemblée générale ; à titre reconventionnel, MM. H et C ont formé une action ut singuli pour rechercher la responsabilité de M. D et obtenir sa condamnation à payer différentes sommes à la société Groupe gratuit pros.
Par jugement contradictoire assorti de l'exécution provisoire du 18 décembre 2019, le tribunal a :
- reçu la société Groupe gratuit pros et M. Paulic en leur fin de non recevoir sur l'action ut singuli sur le projet Tokster, les a dit mal fondés et les en a déboutés ;
- dit irrecevable l'action ut singuli sur la nullité des résolutions concernant la rémunération de M. D pour les années 2011 à 2014 ;
- reçu la société Groupe gratuit pros et M. Paulic en leur fin de non recevoir sur la cession de la marque Zepros, les a dit mal fondés et les en a déboutés ;
- dit que l'abus de minorité n'est pas caractérisé ;
- débouté la société Groupe gratuit pros et M. Paulic de leur demande de transformation de la société Groupe gratuit pros en société 'anonyme' simplifiée ;
- débouté la société Groupe gratuit pros et M. Paulic de leur demande de désignation d'un mandataire ad hoc ;
- dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts au titre de l'abus de minorité ;
- dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts au titre des manquements contractuels et actes de concurrence déloyale de MM. H et C ;
- condamné M. D à payer à la société Groupe gratuit pros la somme de 1 764 000 euros en sus les intérêts au taux légal à compter de la date du jugement à intervenir ;
- ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
- dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts au titre du caractère dilatoire de la fin de non recevoir ;
- débouté MM. H et C de leur demande de nullité des résolutions concernant la rémunération de M. D pour l'année 2015 ;
- débouté MM. H et C de leur demande de remboursement des rémunérations de M. D pour les années 2011 à 2015 ;
- débouté MM. H et C de leur demande d'expertise ;
- dit n'y avoir lieu à sursoir à statuer ;
- renvoyé la cause et MM. H et C à mieux se pourvoir sur le projet Tokster ;
- condamné M. D à payer à M. H et à M. C la somme de 5 000 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. D aux dépens.
Par déclaration du 29 janvier 2020, M. D et la société Groupe gratuit pros ont relevé appel partiel de ce jugement et par déclaration du 30 janvier 2020, MM. H et C en ont également relevé appel partiel.
Les deux instances ont été jointes par ordonnance du conseiller de la mise en état le 6 février 2021.
Par ordonnance de référé du 23 juillet 2020, le premier président a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire de M. D et l'a condamné à payer à MM. H et C 2000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance d'incident du 18 novembre 2020, le conseiller de la mise en état a :
- dit que les demandes formées par la société Groupe gratuit pros et M. Paulic dans le cadre de l'incident ne relèvent pas des attributions du conseiller de la mise en état mais de la cour et sont par conséquent irrecevables en ce qu'elles lui sont soumises ;
- débouté MM. H et C de leur demande de dommages et intérêts ;
- condamné in solidum la société Groupe gratuit pros et M. Paulic aux dépens de l'incident ;
- condamné in solidum la société Groupe gratuit pros et M. Paulic à payer à M. H d'une part et à M. C d'autre part la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 10 février 2021, M. D demande à la cour de :
- à titre principal et liminaire, opposer une fin de non recevoir à toutes les prétentions et tous les moyens exposés par MM. C et H sur le fondement d'une action ut singuli contre lui en ce qu'elles sont dépourvues de tout lien avec les prétentions originaires et de surcroît prescrites ;
- toujours à titre liminaire et principal, opposer une fin de non recevoir à toutes les prétentions et tous les moyens exposés par MM. C et H sur le fondement d'une action ut singuli contre lui et visant les relations commerciales avec la société Tokster ;
- en conséquence, infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamné à payer à la société Groupe gratuit pros la somme de 1 764 000 euros avec, en sus, les intérêts au taux légal à compter de la date du jugement et a ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
à titre subsidiaire,
- juger que l'ensemble des demandes et prétentions de MM. C et H sont mal fondées, les en débouter ;
- juger que la convention de promesse de cession de marque du 20 décembre 2014 est un acte civil pour lui et qu'il ne peut être produit de commencement de preuve par écrit qui contredise un tel acte;
- juger qu'il n'a commis aucune faute de gestion ni causé aucun préjudice à la société Groupe gratuit pros en lui cédant la marque « Zepros » au prix de 1 770 000 euros TTC ;
- en conséquence, infirmer le jugement rendu par le tribunal en ce qu'il l'a condamné à payer à la société Groupe gratuit pros la somme de 1 764 000 euros avec, en sus, les intérêts au taux légal à compter de la date du jugement critiqué et a ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
à titre infiniment subsidiaire,
- juger que le montant que la société Groupe gratuit pros a payé pour l'acquisition de la marque « Zepros » est un prix stipulé toutes taxes comprises et qu'elle a récupéré 295 000 euros de TVA déductible ;
- en conséquence, infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamné à payer à la société Groupe gratuit pros la somme de 1 764 000 euros avec, en sus, les intérêts au taux légal à compter de la date du jugement critiqué ;
en tout état de cause,
- juger ses demandes recevables et bien fondées ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a :
dit que l'abus de minorité de MM. C et H à son égard et celui de la société Groupe gratuit pros n'était pas constitué ;
• dit n'y avoir lieu à dommages intérêts au titre de l'abus de minorité ; dit n'y avoir lieu à dommages intérêts au titre des manquements contractuels et actes de concurrence déloyale et de parasitisme économique de MM. C et H à l'encontre de la société Groupe gratuit pros ;
• en conséquence,
- dire et juger que le comportement de MM. H et C à son égard et à l'égard de la société Groupe gratuit pros est constitutif d'un abus de minorité ;
- condamner solidairement MM. H et C à lui payer la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1240 du code civil ;
- dire et juger que les agissements de MM. H et C sont constitutifs de manquements contractuels et d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme économique à l'encontre de la société Groupe gratuit pros ;
en tout état de cause,
- juger que les rémunérations qu'il a perçues au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2015 ont un fondement légal et ne résultent pas d'un abus de majorité ;
- en conséquence, débouter MM. C et H de leur demande de nullité des délibérations collectives des associés ayant décidé de ses rémunérations pour l'exercice clos le 31 décembre 2015 ;
- juger qu'il n'a commis aucun acte de concurrence déloyale ni aucune faute de gestion ni manqué à son obligation de loyauté en relation avec la création de la société Tokster et avec les relations entretenues par celle ci avec la société Groupe gratuit pros et n'a causé aucun préjudice au détriment de la société Groupe gratuit pros ;
- juger qu'il n'y a pas lieu d'ordonner une expertise pour fixer le montant de quelque préjudice que ce soit ;
- juger qu'il n'y a pas lieu de verser de provision à valoir sur la fixation du montant d'un quelconque préjudice par un expert ;
- juger qu'il n'y a pas lieu de le condamner à indemniser la société Groupe gratuit pros ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
débouté MM. H et C de leur demande de nullité des résolutions concernant sa rémunération pour l'année 2015 ;
• débouté MM. H et C de leur demande de remboursement de ses rémunérations pour l'année 2015 ;
• débouté MM. H et C de leur demande d'expertise ; dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer ; renvoyé la cause et MM. H et C à mieux se pourvoir sur le projet de la société Tokster ;
•
- condamner solidairement MM. H et C à lui verser la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile ;
- condamner solidairement MM. H et C aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La société Groupe gratuit pros, dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 3 décembre 2020, demande à la cour de :
- à titre principal et liminaire, opposer une fin de non recevoir à toutes les prétentions et tous les moyens exposés par MM. C et H sur le fondement d'une action ut singuli contre M. D en ce qu'elles sont dépourvues de tout lien avec les prétentions originaires, et de surcroît prescrites ;
- toujours à titre liminaire et principal, opposer une fin de non recevoir à toutes les prétentions et tous les moyens exposés par MM. C et H sur le fondement d'une action ut singuli contre M. D et visant les relations commerciales avec la société Tokster ;
- en conséquence, infirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. D à lui payer la somme de 1 764 000 euros avec, en sus, les intérêts au taux légal à compter de la date du jugement et ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
à titre subsidiaire,
- juger que l'ensemble des demandes et prétentions de MM. C et H sont mal fondées, les en débouter ;
- juger que la convention de promesse de cession de marque du 20 décembre 2014 est un acte civil pour M. D et qu'il ne peut être produit de commencement de preuve par écrit qui contredise un tel acte ;
- juger que M. D n'a commis aucune faute de gestion ni ne lui a causé aucun préjudice en lui cédant la marque « Zepros » au prix de 1 770 000 euros TTC ;
- en conséquence, infirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. D à lui payer la somme de 1 764 000 euros avec, en sus, les intérêts au taux légal à compter de la date du jugement et ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
à titre infiniment subsidiaire,
- juger que le montant qu'elle a payé pour l'acquisition de la marque « Zepros » est un prix stipulé toutes taxes comprises et qu'elle a récupéré 295 000 euros de TVA déductible ;
- en conséquence, infirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. D à lui payer la somme de 1 764 000 euros avec, en sus, les intérêts au taux légal à compter de la date du jugement critiqué ;
en tout état de cause,
- juger ses demandes recevables et bien fondées ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a :
dit que l'abus de minorité de MM. C et H à son égard et à l'égard de M. D n'était pas constitué ;
• dit n'y avoir lieu à dommages intérêts au titre de l'abus de minorité ; dit n'y avoir lieu à dommages intérêts au titre des manquements contractuels et actes de concurrence déloyale et de parasitisme économique de MM. C et H à son encontre;
• en conséquence,
- dire et juger que le comportement de MM. H et C à son égard et celui de M. D est constitutif d'un abus de minorité ;
- condamner solidairement MM. H et C à lui payer la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1240 du code civil ;
- dire et juger que les agissements de MM. H et C sont constitutifs de manquements contractuels et d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme économique à son encontre ;
- par conséquent, condamner solidairement MM. H et C à lui verser la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices en résultant ;
en tout état de cause,
- confirmer le jugement rendu en ce qu'il a :
débouté MM. H et C de leur demande de nullité des résolutions concernant sa rémunération pour l'année 2015 ;
• débouté MM. C et H de leur demande de remboursement des rémunérations de M. D pour l'année 2015 ;
• débouté MM. C et H de leur demande d'expertise ; dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer ; renvoyé la cause et MM. C et H à mieux se pourvoir sur le projet de la société Tokster ;
- condamner solidairement MM. C et H à lui verser la somme de 60 000 euros sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile ;
- condamner solidairement MM. C et H aux entiers dépens de première instance et d'appel.
MM. C et H dans leurs dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 17 mars 2021, demandent à la cour de :
- les dire et juger recevables et bien fondés en leurs demandes ;
- dire et juger que M. D s'est rendu coupable de faits de concurrence déloyale, de concurrence interdite et de manquements à son obligation de loyauté envers la société Groupe gratuit pros ;
en conséquence,
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. D à payer à la société Groupe gratuit pros la somme de 1 770 000 euros à titre de dommages et intérêts, mais le réformer sur les intérêts et dire et juger que ladite somme portera intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 27 septembre 2017 pour la somme de 1 196 500 euros et à compter de leurs premières conclusions en première instance valant mise en demeure, soit la date de l'audience de « mise en état » du 11 avril 2018, pour le surplus, et ce avec capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, au titre de la cession de marque ;
- infirmer le jugement et statuant à nouveau ;
- prononcer la nullité des résolutions relatives aux rémunérations de M. D pour l'année 2015 ;
- condamner M. D à payer à la société Groupe gratuit pros, à titre de restitution d'une somme indue (ou à titre subsidiaire à titre de dommages et intérêts), la somme de 377 860 euros, outre les intérêts à compter de leurs premières conclusions en première instance valant mise en demeure, soit la date de l'audience de « mise en état » du 11 avril 2018, avec capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil (au titre de la rémunération 2015), et à titre subsidiaire ramener cette condamnation à la somme de 329 860 euros ;
- ordonner une expertise pour évaluer le montant des préjudices subis par la société Groupe gratuit pros au titre des actes de concurrence déloyale et des fautes de gestion commises par M. D ;
- dire que l'expert aura pour mission de déterminer les préjudices subis par la société Groupe gratuit pros du fait des agissements fautifs de M. D détaillés dans les présentes conclusions et les motifs du jugement, en les classant parmi : les pertes matérielles subies, les dépenses induites, les gains manqués, les pertes immatérielles subies, la perte de chance ;
- condamner M. D à payer à la société Groupe gratuit pros à titre provisionnelle la somme de 2 000 000 euros et sursoir à statuer sur le solde du montant des dommages et intérêts dus par M. D à la société Groupe gratuit pros au titre de ces actes de concurrence déloyale et des autres fautes de gestion et manquements à ses obligations de dirigeant social, dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise ;
à titre subsidiaire,
- condamner M. D à payer la somme de 6 000 000 euros à la société Groupe gratuit pros à titre de dommages et intérêts du fait des nombreuses fautes de gestion, actes de concurrence déloyale commis par lui ;
en toute hypothèse,
- condamner M. D à leur payer la somme de 25 000 euros chacun au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. D aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er avril 2021.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
A titre liminaire, la cour rappelle que, par application de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
Conformément aux écritures des parties, il convient de statuer d'abord sur l'appel concernant les dispositions du jugement relatives aux demandes de MM. H et C et ensuite sur celui portant sur les dispositions relatives aux demandes initiales de M. D et de la société Groupe gratuit pros.
1) sur les demandes de MM. H et C
* sur les fins de non recevoir soulevées par M. D et la société Groupe gratuit pros
- sur l'absence de lien suffisant avec les prétentions originaires
Après avoir rappelé les dispositions des articles 63, 64 et 70 du code de procédure civile, M. D et la société Groupe gratuit pros, qui rappellent que leurs demandes initiales portaient sur l'abus de minorité et les actes de concurrence déloyale et de parasitisme économique commis par MM. H et C, relèvent que ceux ci n'ont pas assigné M. D devant le juge compétent pour statuer sur une action ut singuli au nom et pour le compte de la société Groupe gratuit pros mais ont agi par voie de conclusions en réplique devant une juridiction qui n'avait pas à en connaître, en formant des demandes reconventionnelles tendant à obtenir la condamnation de M. D à payer à la société Groupe gratuit pros une somme en remboursement des sommes versées par la société au titre de l'acquisition de la marque Zepros, à faire annuler et rembourser les rémunérations perçues par
M. D entre 2011 et 2015, à faire diligenter une expertise pour apprécier l'étendue des préjudices consécutifs aux faits de concurrence déloyale, de concurrence interdite et de manquements à son obligation de loyauté envers la société Groupe gratuit pros dont M. D se serait rendu coupable. Ils prétendent qu' i l n 'y a pas de l ien entre les demandes originaires et les demandes reconventionnelles car ces différentes demandes n'opposent pas les mêmes personnes : la demande initiale émane de la société et de M. Paulic, en sa qualité d'associé, pour engager la responsabilité délictuelle de MM. H et C en leur qualité d'associés (abus de minorité) et d'associés fondateurs et dirigeants de la société S&B group, alors que les demandes reconventionnelles de MM. H et C, au titre de l'action ut singuli, engagent 'pêle mêle' la responsabilité de M. D en sa qualité de gérant de la société Groupe gratuit pros, en son nom personnel et en sa qualité de président de la société Tokster, au bénéfice de la société. Ils ajoutent que les demandes originaires et les demandes reconventionnelles n'ont aucun lien d'un point de vue temporel et d'un point de vue juridique.
Après avoir rappelé les dispositions de l'article 1843-5 du code civil, MM. H et C font valoir que l'action ut singuli exercée à titre individuel est recevable dès lors qu'un associé ou un actionnaire disposait de cette qualité à la date de l'assignation et qu'il l'a conservée pendant le déroulement de l'instance et que le seul impératif de l'action ut singuli est, pour que le tribunal puisse statuer sur l'action intentée, que la société ait été régulièrement mise en cause par l'intermédiaire de son représentant légal.
MM. H et C soutiennent que la jurisprudence et la loi n'ont pas dégagé de critères objectifs permettant de caractériser le lien suffisant visé à l'article 70 du code de procédure civile mais que c'est la doctrine qui a tenté d'en définir les contours. Ils expliquent qu'en réponse aux demandes de M. D et de la société Groupe gratuit pros ils ont démontré que leur opposition à la transformation de la société en SAS ainsi qu'à diverses propositions de résolutions résulte de la gestion hégémonique et contraire à l'intérêt social de M. D qui a commis divers abus de biens sociaux et autres fautes de gestion et qui ne cherche, par la transformation de la société Groupe gratuit pros en SAS, qu'un moyen de diluer leur minorité de blocage pour pouvoir continuer à profiter seul de la société et de ses résultats à leur détriment et au détriment de celle ci et que c'est dans ce cadre qu'ils ont développé leurs demandes reconventionnelles qui sont donc liées aux demandes initiales par un lien suffisant.
Les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
En l'espèce, les prétentions initiales formées dans leur assignation par M. D, agissant à titre personnel, et la société Groupe gratuit pros, invoquant un abus de minorité de MM. H et C, tendaient à voir valider la décision de transformation de celle ci en société par actions simplifiée et désigner un mandataire ad hoc pour représenter les minoritaires lors d'une prochaine assemblée générale ayant pour ordre du jour notamment l'augmentation du capital de la société via l'entrée de nouveaux investisseurs ; les demandes reconventionnelles formées à l'encontre de M. D par MM. H et C, exerçant l'action ut singuli, ont différents objets : les premières tendent à obtenir la condamnation de M. D à indemniser la société Groupe gratuit pros de ses préjudices résultant d'actes de concurrence déloyale et fautes de gestion reprochés à M. D ; la deuxième tend à obtenir la condamnation de M. D à rembourser à la société Groupe gratuit pros la somme de 1 770 000 euros au titre de l'acquisition de la marque Zepros et la troisième tend à obtenir sa condamnation à rembourser à la société Groupe gratuit pros les rémunérations qu'il a perçues en 2015.
Les deux dernières demandes, dirigées contre M. D à titre personnel, qui s'inscrivent dans le cadre du litige opposant les associés minoritaires de la société Groupe gratuit pros à ce dernier, associé majoritaire, présentent un lien suffisant avec les demandes initiales formées par M. D, agissant à titre personnel, et la société Groupe gratuit pros, en ce qu'elles concernent des résolutions adoptées ou rejetées en assemblée générale. Elles sont donc recevables.
S'agissant des premières demandes, les actes de concurrence déloyale et les fautes de gestion allégués par MM. H et C à l'encontre de M. D, à les supposer avérés, auraient été commis au préjudice de la société Groupe gratuit pros mais au profit de la société Tokster, qui n'est pas dans la cause, qui a été créée par M. D en avril 2014 et dont il détient 85 % du capital. Les demandes reconventionnelles relatives au « projet Tokster » n'ont pas de lien suffisant avec l'abus de minorité allégué par M. D à l'encontre de MM. H et C à l'appui de ses prétentions initiales en sorte qu'elles ne sont pas recevables.
- sur la prescription
Au visa de l'article 562 alinéa 1 du code de procédure civile, M. D et la société Groupe gratuit pros soutiennent que leur fin de non recevoir tirée de la prescription déjà soulevée en première instance est recevable dès lors que la déclaration d'appel vise la condamnation de M. D à payer à la société Groupe gratuit pros la somme de 1 764 000 euros et donc les chefs du jugement qui en dépendent et que de surcroît une fin de non recevoir déjà soulevée en première instance et rejetée par le tribunal peut être à nouveau soumise à l'examen de la cour sans avoir l'autorité de la chose jugée.
Au visa des articles L. 223-23 et L. 235-9 du code de commerce, ils soulèvent la prescription des demandes de MM. H et C au titre du dépôt de la marque Zepros et du contrat de cession de ladite marque, expliquant que le dépôt par M. D à titre personnel de la marque Zepros que lui reprochent MM. H et C a eu lieu au mois de mai 2012 et que le contrat de cession litigieux a été conclu le 20 décembre 2014 avec effet rétroactif au 2 janvier 2014, avec un premier versement à ce titre courant 2014, alors que la demande reconventionnelle a été formée devant le tribunal par conclusions du 11 avril 2018. Ils soutiennent que MM. H et C ne rapportent pas la preuve d'une dissimulation de la convention qui fonde les paiements, affirmant que tant le dépôt de la marque Zepros en 2012, que la convention de promesse de cession de ladite marque conclue le 20 décembre 2014, étaient notoirement connus des associés.
MM. H et C soulèvent l'irrecevabilité des demandes de la société Groupe gratuit pros et de M. Paulic liées à la prétendue prescription de leur action ut singuli dans la mesure où dans leur déclaration d'appel ils n'ont pas ciblé cette disposition du jugement en sorte que la cour n'est pas saisie de la réformation du jugement sur cette fin de non recevoir et invoquent l'autorité de la chose jugée du jugement de ce chef.
Ils répondent, au visa de l'article L. 223-23 du code de commerce, que ce n'est pas tant le dépôt de la marque en son nom personnel qui est reproché à M. D, mais le fait de s'être fait payer une somme totalement indue au titre de la rétrocession de cette marque à la société, celui ci s'étant engagé de manière claire et irréfragable à faire procéder aux formalités pour régulariser cette situation gratuitement, par courrier officiel de son conseil en date du 17 octobre 2012. Ils expliquent que ce n'est que le 30 octobre 2015 qu'ils ont découvert que M. D, au mépris de cet engagement, s'est secrètement octroyé une avance de plusieurs centaines de milliers d'euros sur l'acquisition de la marque Zepros par la société Groupe gratuit pros. Ils affirment que ces versements et la promesse de cession, à supposer qu'elle ait existé avant 2015, leur ayant été ainsi dissimulés jusqu'au 30 octobre 2015, le délai de prescription triennale n'a pu commencer à courir qu'à compter de cette date en sorte que leur action ut singuli régularisée devant le tribunal de commerce avant le 30 octobre 2018 n'est pas prescrite.
Selon l'article 562 alinéa 1 du code de procédure civile l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
En l'espèce, le chef du jugement dont appel qui 'a reçu la société Groupe gratuit pros et M. Paulic en leur fin de non recevoir sur la cession de la marque Zepros, les a dit mal fondés et les en a déboutés', celle ci concernant la prescription de cette action, n'est pas visé dans la déclaration d'appel ; contrairement à ce que soutiennent M. D et la société Groupe gratuit pros, ce chef du jugement, s'il est en lien avec la condamnation de M. D à payer la somme de 1 764 000 euros qui y est visée, ne dépend pas de ce chef, puisqu'en réalité c'est le second de ces chefs qui dépend du premier.
Ce chef du jugement n'ayant pas été déféré à la cour, la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action ut singuli de MM. H et C n'a pas à être examinée.
sur la demande au titre de la cession de la marque Zepros
Toujours en termes identiques, M. D et la société Groupe gratuit pros font valoir l'un et l'autre que le tribunal a méconnu la force probante de la convention de promesse de cession de marque conclue entre M. D et la société Groupe gratuit pros, acte mixte, civil pour le cédant et commercial pour la société Groupe gratuit pros, en prenant en compte un courriel de M. D à un avocat de la société selon lequel celle ci aurait seulement à prendre en charge les frais de dépôt de la marque Zepros évalués à 6 000 euros pour en déduire que tout prix de cession excédant ce montant devait être restitué à la société Groupe gratuit pros.
M. D et la société Groupe gratuit pros relèvent par ailleurs que si la cession de la marque Zepros comme le soutiennent MM. H et C avait eu lieu en octobre 2012 il est curieux que personne ne se soit ému que la marque n'apparaisse pas dans l'actif de la société Groupe gratuit pros et que des versements effectués par avance sur cession de la marque aient été mentionnés dans les rapports spéciaux des commissaires aux comptes. Ils affirment qu'en réalité, il n'y a jamais eu d'accord ferme et définitif entre M. D et la société Groupe gratuit pros sur une cession de marque à 6 000 euros, ce que le contrat de promesse de cession de marque conclu le 20 décembre 2014 pour un montant définitif de 1 770 000 euros démontre bien.
Après avoir rappelé la jurisprudence en matière de responsabilité d'un dirigeant social et les dispositions de l'article L. 714-1 du code de la propriété intellectuelle, ils soutiennent qu'aucune faute ne peut être reprochée à M. D au titre du dépôt de la marque Zepros en son nom personnel et du contrat de cession y afférent dès lors que cette faculté est expressément prévue par le code de la propriété intellectuelle ; qu'il est le seul créateur du concept et de la marque Zepros ; que le contrat de cession de marque avec clause de réserve de propriété a été visé dans les rapports spéciaux du commissaire aux comptes, présentés aux associés et donc soumis à l'approbation de l'assemblée générale en application des dispositions de l'article L. 223-19 du code de commerce ; que la valeur attribuée à la marque Zepros a été attestée par un expert, dont la synthèse a également été transmise aux défendeurs ; que le commissaire aux comptes n'a émis aucune réserve au titre de cette valorisation ; qu'à compter de 2014, la société a exploité sans aucune contrepartie financière la marque Zepros, laquelle était encore propriété de M. D jusqu'au paiement complet du prix de cession. Ils mettent en avant l'augmentation très importante du chiffre d'affaires de la société entre 2012 et 2019 et l'augmentation de son résultat net pendant cette même période qui révèlent que la stratégie de développement, la stratégie commerciale et plus globalement la gestion de la société par
M. D vont dans le sens de l'intérêt social qui est aussi celui des associés minoritaires.
Enfin, ils font valoir que le prix de cession de la marque a été assujetti à la TVA au taux de 20 % en sorte qu'il convient de déduire de la demande de MM. H et C la somme de 295 000 euros au titre de la TVA récupérée par la société Groupe gratuit pros.
Après avoir rappelé les dispositions de l'article L. 223-19 du code de commerce, MM. H et C font valoir que M. D s'est fait verser par la société Groupe gratuit pros la somme totale de 1 770 000 euros au titre d'une prétendue cession de marque alors qu'aucune convention valablement formée n'existe et n'a existé entre la société Groupe gratuit pros et M. Paulic sur une cession onéreuse de la marque Zepros, soulignant que la marque était au début de la présente procédure toujours inscrite comme déposée par M. D et est en outre exploitée par la société Tokster, société créée et dirigée par M. D et directement concurrente de la société Groupe gratuit pros. Ils prétendent que M. D avait reconnu avoir déposé la marque pour le compte de la société Groupe gratuit pros, abandonnant toute idée de propriété de cette marque et qu'il s'était engagé définitivement à la faire mettre au nom de celle ci à titre gratuit. Ils soutiennent qu'à supposer qu'il existe bien une convention non approuvée entre lui et la société pour la cession de ladite marque, cette convention est contraire aux engagements pris officiellement par M. D et est donc totalement infondée et contraire à l'intérêt social en sorte que M. D devra être condamné à réparer le préjudice subi de ce fait par la société. Ils ajoutent que l'engagement écrit de M. D résultant de son mail ou de celui de son conseil constitue un engagement unilatéral ferme et non équivoque au sens des dispositions des articles 1100-1 et suivants du code civil, ce que le tribunal a parfaitement jugé en considérant que ces engagements fermes antérieurs l'emportaient sur les actions postérieures et la convention de cession antidatée créée pour les besoins de la cause.
S'agissant de la question de la TVA dont ils soulignent qu'elle est soulevée pour la première fois en cause d'appel, MM. H et C précisent que cet assujettissement à la TVA est récent et résulte d'un redressement fiscal et que M. D ne démontre pas que la TVA a bien été acquittée par lui et récupérée par la société.
L'article L. 223-19 du code de commerce dispose que : « Le gérant ou, s'il en existe un, le commissaire aux comptes, présente à l'assemblée ou joint aux documents communiqués aux associés en cas de consultation écrite, un rapport sur les conventions intervenues directement ou par personnes interposées entre la société et l'un de ses gérants ou associés. L'assemblée statue sur ce rapport. Le gérant ou l'associé intéressé ne peut prendre part au vote et ses parts ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité. (...).
Les conventions non approuvées produisent néanmoins leurs effets, à charge pour le gérant, et, s'il y a lieu, pour l'associé contractant, de supporter individuellement ou solidairement, selon les cas, les conséquences du contrat préjudiciables à la société.
Les dispositions du présent article s'étendent aux conventions passées avec une société dont un associé indéfiniment responsable, gérant, administrateur, directeur général, membre du directoire ou membre du conseil de surveillance, est simultanément gérant ou associé de la société à responsabilité limitée.
Dans son rapport spécial sur les conventions réglementées concernant l'exercice clos le 31 décembre 2014, le commissaire aux comptes de la société Groupe gratuit pros a relevé au titre des nouvelles conventions qu'une avance de 310 000 euros avait été faite par la société pour l'acquisition de la marque Zepros appartenant à M. D au titre d'une promesse de cession de marque. Le procès verbal des délibérations de l'assemblée générale du 30 octobre 2015 montre que l'assemblée générale a rejeté ladite convention.
Le rapport spécial pour l'exercice clos au 31 décembre 2015 mentionne qu'une avance de 737 500 euros a également été faite par la société Groupe gratuit pros à M. D pour l'acquisition de la marque.
Dans son rapport sur les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2016, le commissaire aux comptes de la société Groupe gratuit pros indique : « les versements précédemment comptabilisés en avance fournisseurs sur la cession de licence de la marque Zepros par M. D à votre société ont été reclassés en Immobilisation incorporelle en cours pour 1 196 500 euros. Une promesse de cession de licence de marque non datée a été signée par M. D agissant en qualité de promettant et de bénéficiaire pour le compte de la société Groupe gratuit pros. Cette promesse n'a fait l'objet d'aucune formalité d'enregistrement ».
Effectivement, la promesse de cession de marque moyennant un prix de 1 770 000 euros versée aux débats par M. D et la société Groupe gratuit pros, signée par celui ci tant en qualité de cédant qu'en qualité de représentant légal de la société Groupe gratuit pros, acquéreur, n'est pas datée et n'a donc pas date certaine.
Or, il résulte d'un mail adressé le 16 octobre 2012 par M. D à maître Dumont, conseil de la société Groupe gratuit pros, et d'un mail officiel de ce conseil adressé au conseil de M. H en date du 17 octobre 2012 que M. D a reconnu que le dépôt de la marque Zepros qu'il a effectué en son nom l'avait été pour le compte de la société Groupe gratuit pros, qu'elle devait « être affectée directement à Groupe Gratuit Pros et que la société Groupe gratuit pros devra simplement prendre en charge les frais que j'ai engagés (6 000 euros HT) ».
Dans ces conditions, c'est vainement que les appelants tentent de justifier les paiements opérés par la société Groupe gratuit pros en faveur de M. D au titre de la cession de la marque par un acte portant réalisation définitive de la cession de la marque Zepros au profit de la société Groupe gratuit pros signé par lui même en qualité de cédant et en qualité de représentant légal de la société Groupe gratuit pros, en date du 29 décembre 2017, soit postérieurement à la lettre de mise en demeure adressée le 27 septembre 2017 par MM. H et C à M. D de restituer à la société la somme de 1 196 500 euros, étant observé que l'acte dont il s'agit n'a pas été approuvé par l'assemblée générale du 29 septembre 2017 et que le transfert de propriété de la marque n'a été enregistré à l'INPI que le 16 mai 2018.
Il résulte de ce qui précède que la cession de la marque dans de telles circonstances a été nécessairement préjudiciable à la société puisqu'elle a dû en supporter le coût alors que M. D s'était engagé à effectuer son transfert gratuitement au profit de la société Groupe gratuit pros, peu important que celle ci ait vu son chiffre d'affaires et ses résultats augmenter de manière significative à partir de 2012.
La marque a été cédée moyennant le paiement de la somme de 1 770 000 euros intégralement réglé par la société Groupe gratuit pros. M. Paulic et la société Groupe gratuit pros ne justifient aucunement que le prix de cession a été assujetti à la TVA en sorte que seul le montant des frais supportés par M. D, conformément à l'échange de mails évoqué ci dessus, doit être déduit de la somme allouée à la société Groupe gratuit pros. La décision doit donc être confirmée en ce qu'elle a condamné M. D à payer à la société Groupe gratuit pros la somme de 1 764 000 euros mais infirmé en ce qui concerne le point de départ des intérêts qu'il convient de faire courir, comme le permet l'article 1231-7 du code civil, à compter du 27 septembre 2017, date de la mise en demeure, sur la somme de 1 196 500 euros et à compter du 11 avril 2018, date de la demande formulée par MM. H et C dans leurs conclusions déposées devant le tribunal, sur le surplus.
sur la demande au titre des rémunérations de M. D pour l'année 2015
M. D et la société Groupe gratuit pros font valoir l'un et l'autre en termes identiques que les rémunérations perçues par M. D au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2015 l'ont été en vertu de décisions régulièrement prises par l'assemblée générale ordinaire annuelle tenue le 23 décembre 2016 et ayant approuvé les comptes de l'exercice 2015 et que les minoritaires ne caractérisent pas un abus de majorité commis par M. E B relèvent que seuls les minoritaires se sont opposés en assemblée générale au versement de cette rémunération au gérant de la société, sans jamais proposer de montant alternatif ni chiffrer ce qu'ils auraient alors considéré comme proportionné et précisent que la rémunération annuelle de M. D en 2015 s'est élevé à 99 098 euros tandis que celles de MM. H et C s'élevaient respectivement à 120 000 et 170 000 euros en 2012.
Sur le fondement de l'abus de majorité, MM. H et C soutiennent que M. D a perçu depuis de nombreuses années des rémunérations déraisonnablement élevées, sans commune mesure avec les capacités financières de la société qui s'est lourdement endettée pour supporter lesdites rémunérations, et ce au détriment de l'intérêt social et de l'intérêt des associés minoritaires ainsi privés non seulement d'éventuels dividendes mais également d'une meilleure valorisation de leurs parts sociales. Ils soutiennent que si à compter de l'année 2015 la rémunération de M. D est revenue à des niveaux plus normaux, quoique toujours élevés, c'est uniquement parce qu'il a préféré prélever de très importantes et totalement indues « avances sur cession de marque » de plusieurs centaines de milliers d'euros chaque année, non approuvées par les associés et dissimulées pendant longtemps. Ils indiquent que les rémunérations de M. D ont fait l'objet de votes à l'occasion desquels celui ci, largement majoritaire, imposait sa décision malgré leur opposition régulière. Ils estiment que M. D, en faisant voter des rémunérations indues a commis au détriment de la société et de ses associés un abus de majorité qu'il convient de sanctionner. Ils s'estiment en conséquence fondés à solliciter l'annulation de la sixième résolution de l'assemblée générale du 23 décembre 2016 à l'occasion de laquelle M. D, abusant de sa majorité, s'est voté seul sa rémunération en sus des « avances sur cession de marque ».
Il y a abus de majorité lorsque la décision de l'assemblée a été prise contrairement à l'intérêt social et dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment des membres de la minorité.
En l'espèce, l'assemblée générale tenue le 23 décembre 2016 a approuvé la rémunération annuelle allouée à M. D en sa qualité de gérant de la société au cours de l'exercice 2015 qui s'est élevée à 99 098 euros, assortie de la prise en charge par la société de la somme de 242 509 euros au titre des cotisations obligatoires et facultatives outre le remboursement des frais et charges de représentation à hauteur de 36 253 euros.
MM. H et C qui admettent eux mêmes que cette rémunération est revenue à un niveau normal ne démontrent pas que cette délibération a été adoptée contrairement à l'intérêt social dès lors que les avances sur cession de marque ne peuvent plus être prises en considération compte tenu de la condamnation de M. D à les rembourser à la société Groupe gratuit pros prononcée par le tribunal confirmée par le présent arrêt ; en outre, le chiffre d'affaires et les résultats de la société Groupe gratuit pros permettaient d'octroyer à son gérant une telle rémunération, étant observé que la rémunération mensuelle brute de M. H au jour de son licenciement s'élevait à 9 353 euros et celle de M. C à 16 830 euros, ce qui résulte des décisions les concernant des juridictions prud'homales. MM. H et C ne démontrent pas ainsi que les conditions de l'abus de majorité rappelées ci dessus sont réunies.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
2) sur les demandes de M. D et de la société Groupe gratuit pros
sur les demandes au titre d'un abus de minorité
M. D et la société Groupe gratuit pros, chacun par des conclusions distinctes mais en des termes identiques, après avoir rappelé la définition de l'abus de minorité et la jurisprudence y afférente, font valoir que MM. H et C en s'opposant systématiquement aux décisions proposées dans leur seul intérêt personnel afin de monnayer à un prix avantageux leur sortie de la société, au détriment de l'intérêt social et des autres associés de la société, commettent de toute évidence un abus de minorité. Puis, ils expliquent les résolutions auxquelles MM. H et C se sont opposés lors de l'assemblée générale du 29 septembre 2017 : transformation de la société en société par actions simplifiée et mise en place d'une procédure de recherche de financement, par le biais de rentrée d'investisseurs via une augmentation de capital, d'un montant de 500 000 euros à 1 000 000 euros, précisant que les rapports communiqués aux associés ont mis en évidence la nécessité de développer et de moderniser l'activité et l'image de la société, laquelle subissait une baisse de ses marchés d'origine dans un secteur d'activité ultra concurrentiel et en pleine mutation. Ils soutiennent que le changement de comportement de MM. H et C, associés respectivement depuis 2005 et 2010, a débuté entre 2012 et 2013, soit lorsque ces derniers ont décidé de constituer ensemble une société directement concurrente de la société Groupe gratuit pros allant jusqu'à reproduire strictement l'objet social des statuts de cette dernière. Ils répètent que MM. H et C s'opposent de manière systématique à toutes les décisions proposées en assemblée générale, en ce compris celles qui n'ont absolument aucune incidence sur leurs droits d'associés, comme l'agrément de la cession des parts sociales appartenant à M. A, associé sortant, devant intervenir au profit de M. D ; qu'ils se sont encore opposés à la transformation de la société en SAS, au projet de fusion par voie d'absorption de la société Tokster par la société Groupe gratuit pros lors de l'assemblée générale du 31 décembre 2018 ainsi qu'à l'augmentation du capital par incorporation du bénéfice. Ils font valoir que ce rejet systématique de toutes les résolutions proposées aux assemblées générales ne répond à aucune logique de protection de la société ni de leurs intérêts de minoritaires prétendument « défavorisés ». Ils estiment que cette opposition systématique qui a entraîné l'impossibilité pour l'assemblée générale extraordinaire de la société de prendre toutes les décisions indispensables à son développement et à sa continuité (augmentation de capital et transformation), est constitutive d'un abus de minorité.
M. D prétend en conséquence être fondé à demander réparation du préjudice personnel qu'il a subi, faisant valoir en outre qu'au cours de l'année 2020 alors que la pandémie de la Covid-19 a plongé le marché de la publicité dans une crise grave, avec un marché à -35 %, il n'y a eu aucune pause dans cette stratégie de harcèlement puisqu'il a reçu, à son domicile ou au siège de la société, plus de dix actes d'huissiers.
La société Groupe gratuit pros soutient que le préjudice qu'elle a subi est manifeste dans la mesure où le développement économique qui lui était indispensable pour sa survie à moyen terme se trouve retardé du seul fait des votes négatifs et de l'attitude nuisible de ses associés minoritaires empêchant la rentrée d'investisseurs à son capital.
MM. H et C, après avoir rappelé que le droit d'exercer une minorité de blocage est un droit légitime et nécessaire pour les associés minoritaires, soutiennent que M. D est lui même en grande partie responsable des problèmes de financement de la société, pour avoir perçu indûment de très importantes sommes au détriment de la société Groupe gratuit pros et pillé volontairement la société au profit de sa nouvelle structure, la société Tockster. Ils prétendent que M. D agit non pas dans l'intérêt de la société, mais dans son intérêt personnel propre afin d'avoir les mains libres, que les besoins de financement articulés ne sont pas vitaux pour la société et peuvent être satisfaits par d'autres moyens, à commencer par le remboursement des sommes indûment perçues par M. D, que la diminution du chiffre d'affaires mise en avant n'est que la conséquence du transfert illicite de l'activité de la société Groupe gratuit pros vers la société concurrente Tockster, appartenant majoritairement à M. E B prétendent avoir exercé leur droit de blocage pour éviter d'être totalement écartés de toute possibilité d'action au sein de la société Groupe gratuit pros, dont la gestion anormale les alerte depuis plusieurs années et sur laquelle ils ne cessent de réclamer des comptes à M. D, en vain, ajoutant qu'il refuse plus généralement toute contestation de son pouvoir et toute demande de justification de ses décisions.
Puis, rappelant que pour être caractérisé, il faut que l'abus de minorité soit constitutif d'une rupture d'égalité entre les associés et qu'il s'agisse d'une décision vitale pour la société, ils relèvent qu'aucune des pièces produites au dossier ne témoigne de ce que cette augmentation de capital prévue était vitale pour la société et que d'ailleurs la société est toujours in bonis. Ils critiquent les attestations produites par M. E.
Ils ajoutent que la justice a déjà balayé la prétendue intention de nuire que leur impute M. D et affirment qu'ils sont en réalité les seuls défenseurs de l'intérêt social face à un dirigeant qui considère la société et ses actifs comme ses biens propres et en fait un usage dans son seul intérêt personnel.
Enfin, ils contestent le principe des préjudices allégués par M. D et la société Groupe gratuit pros.
Il appartient à la société ou aux actionnaires majoritaires qui agissent sur le fondement de l'abus de minorité de prouver d'une part, que l'attitude de l'associé ayant usé de sa minorité de blocage est contraire à l'intérêt général de la société en interdisant la réalisation d'une opération essentielle pour celle-ci et d'autre part, que cette attitude est fondée sur l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l'ensemble des autres associés.
En l'espèce, il est constant que MM. H et C qui détiennent respectivement 25 % et 2 % des parts de la société Groupe gratuit pros, soit une minorité de blocage pour les décisions extraordinaires prévues à l'article 19 des statuts, se sont opposés lors de l'assemblée générale ordinaire et extraordinaire du 29 septembre 2017 à la transformation de la société en société par actions simplifiée. Ils ont de nouveau voté contre cette transformation lors de l'assemblée générale du 4 octobre 2019. M. D et la société Groupe gratuit pros ne peuvent cependant utilement soutenir que la transformation de la société en SAS était indispensable pour permettre à celle-ci de trouver des investisseurs en se prévalant du rapport du commissaire aux comptes qui a refusé de certifier les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2016 notamment au motif « de l'impossibilité de procéder à des augmentations de capital permettant une rentrée de trésorerie significative nécessaire au développement de l'activité' alors que, comme le soulignent justement MM. H et C, M. D a perçu des sommes importantes au détriment de la société en se faisant verser des 'avances sur cession de marque' en contradiction avec son propre engagement et que le besoin de trésorerie avait été évalué, selon le rapport Z que M. D et la société Groupe gratuit pros produisent eux-mêmes, entre 600 et 750 K€. Ces derniers échouent ainsi à démontrer que l'opération à laquelle MM. H et C se sont opposés était essentielle à l'entreprise.
Par ailleurs, il résulte du compte rendu de la réunion des délégués du personnel du 4 mars 2014 que M. D entendait diriger la société en décidant seul de tout puisqu'il a déclaré au cours de cette réunion: « je dirige la société Groupe gratuit pros et je dirige d'autres entreprises. Je fais ce que je veux de mes fonds » ; il n'a pas respecté l'obligation légale de nomination d'un commissaire aux comptes et a été condamné pénalement pour ces faits ; il a également été condamné pour abus de biens sociaux au préjudice de la société Groupe gratuit pros notamment en ce qui concerne le projet Tokster.
Dans ces conditions, l'attitude de MM. H et C ne peut être considérée comme contraire à l'intérêt général de la société, ce d'autant que la société a finalement été transformée en société anonyme à la suite d'une décision de l'assemblée générale de juillet 2020, les conditions légales étant réunies puisque les capitaux propres de la société au 31 décembre 2019 étaient supérieurs à 750 000 euros en sorte qu'il n'est justifié d'aucun préjudice pour la société Groupe gratuit pros pas plus que pour M. D à titre personnel.
Par conséquent la cour approuve la décision des premiers juges qui ont estimé que l'abus de minorité n'était pas caractérisé et ont débouté M. D et la société Groupe gratuit pros de leurs demandes à ce titre.
sur la demande au titre de manquements contractuels et d'actes de concurrence déloyale
Après avoir rappelé que la violation d'une clause de non concurrence engage la responsabilité contractuelle de son auteur, et que l'action en concurrence déloyale est fondée sur la responsabilité délictuelle, M. D et la société Groupe gratuit pros font valoir que MM. H et C étaient jusqu'au 15 juillet 2018 liés par une clause de non concurrence à l'égard de la société Groupe gratuit pros aux termes du pacte d'associés et qu'en dépit de leurs engagements contractuels, ils ont constitué ensemble en date du 13 octobre 2014, la société S&B group, dont l'activité portait directement concurrence à la société Groupe gratuit pros et dont l'objet social était strictement et littéralement identique, allant jusqu'à utiliser les mêmes prestataires que ceux de cette dernière (fichiers fournisseurs, imprimeur...) et se livrant ainsi à des actes de concurrence déloyale et de parasitisme à l'encontre de la société Groupe gratuit pros. Ils s'estiment en conséquence chacun fondés à demander la condamnation de MM. H et C à une indemnité globale de 50 000 euros au titre des manquements contractuels, puis des agissements parasitaires et de concurrence déloyale à leur encontre.
MM. H et C rappellent que la notion de concurrence déloyale d'origine prétorienne et doctrinale vise à réprimer les agissements déloyaux des acteurs économiques, se manifestant principalement par des moyens de confusion, de dénigrement, de désorganisation interne d'une entreprise rivale, de désorganisation d'un marché donné ou de parasitisme.
Ils estiment qu'aucun de leur agissement ne peut relever des qualifications de concurrence déloyale ou de parasitisme économique. Ils expliquent qu'il n'y a, depuis la fondation de la société S&B group, aucune concurrence effective entre cette société et la société Groupe gratuit pros puisque cette dernière œuvre exclusivement dans le secteur professionnel (entre professionnels ou « BtoB »), là où la société S&B group oeuvrait à destination des consommateurs (en « BtoC »), en sorte qu'elle n'étaient pas sur le même marché ; qu'il n'a jamais été question au sein de la société Groupe gratuit pros de créer un journal destiné aux seniors ; que les annonceurs et clients de la société S&B group n'avaient aucun lien avec ceux de la société Groupe gratuit pros et que les cibles de la société S&B group n'avaient aucun lien avec celles de la société Groupe gratuit pros. Ils relèvent que M. D ne tente même pas de démontrer l'existence des trois éléments de la responsabilité délictuelle : une faute, un préjudice et un lien de causalité entre les deux.
Les parties ne font que reprendre devant la cour leurs prétentions et leurs moyens de première instance.
En l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties ; il convient en conséquence de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a débouté M. D et la société Groupe gratuit pros de leur demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS, la cour statuant par arrêt contradictoire, dans les limites des appels,
Confirme le jugement sauf en ce qui concerne le point de départ de la condamnation prononcée à l'encontre de M. D,
Statuant de nouveau de ce chef,
Dit que la condamnation de M. D à payer à MM. H et C la somme de 1 764 000 euros porte intérêts au taux légal à compter du 27 septembre 2017 sur la somme de 1 196 500 euros et à compter du 11 avril 2018 sur le surplus,
Y ajoutant,
Déclare recevables les demandes reconventionnelles formées par MM. H et C à l'encontre de la société Groupe gratuit pros tendant à la condamnation de M. D à payer à la société Groupe gratuit pros la somme de 1 770 000 euros en remboursement des sommes versées par celle ci au titre de l'acquisition de la marque Zepros et celles relatives aux rémunérations perçues par M. D tendant à obtenir sa condamnation à rembourser à la société Groupe gratuit pros les rémunérations perçues en 2015,
Déclare irrecevables les demandes de MM. H et C relatives aux actes de concurrence déloyale et fautes de gestion au préjudice de la société Groupe gratuit pros tendant à obtenir la condamnation de M. D à indemniser celle ci des préjudices subis en ce compris la demande d'expertise,
Condamne M. D aux dépens de la procédure d'appel,
Condamne M. D à payer à MM. H et C la somme de 15 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Sophie VALAY BRIERE, Présidente et par Madame Sabine NOLIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.