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Décisions

CJUE, 5e ch., 3 mars 2022, n° C-421/20

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Acacia Srl

Défendeur :

Bayerische Motoren Werke AG

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

E. Regan

Juges :

K. Lenaerts, C. Lycourgos, I. Jarukaitis, M. Ilešič

Avocat général :

M. Szpunar

Avocats :

Me $Hackbarth, Me Schmidt

CJUE n° C-421/20

2 mars 2022

1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1), ainsi que de l’article 8, paragraphe 2, du règlement (CE) no 864/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II ») (JO 2007, L 199, p. 40).

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Acacia Srl à Bayerische Motoren Werke AG (ci‑après « BMW ») au sujet d’une prétendue contrefaçon d’un dessin ou modèle communautaire dont BMW est titulaire.

 Le cadre juridique

 Le règlement no 6/2002

3. L’article 19 du règlement no 6/2002, intitulé « Droits conférés par le dessin ou modèle communautaire », énonce, à son paragraphe 1 :

« Le dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l’utiliser et d’interdire à tout tiers de l’utiliser sans son consentement. Par utilisation au sens de la présente disposition, on entend en particulier la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation ou l’utilisation d’un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins. »

4. L’article 80 de ce règlement, intitulé « Tribunaux des dessins ou modèles communautaires », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les États membres désignent sur leurs territoires un nombre aussi limité que possible de juridictions nationales de première et deuxième instance (tribunaux des dessins ou modèles communautaires), chargées de remplir les fonctions qui leur sont attribuées par le présent règlement. »

5. L’article 81 dudit règlement, intitulé « Compétence en matière de contrefaçon et de nullité », prévoit :

« Les tribunaux des dessins ou modèles communautaires ont compétence exclusive :

a). pour les actions en contrefaçon et – si la législation nationale les admet – en menace de contrefaçon d’un dessin ou modèle communautaire ;

b). pour les actions en constatation de non-contrefaçon, si la législation nationale les admet ;

c). pour les actions en nullité d’un dessin ou modèle communautaire non enregistré ;

d). pour les demandes reconventionnelles en nullité d’un dessin ou modèle communautaire présentées dans le cadre des actions visées au point a). »

6. L’article 82 du même règlement, intitulé « Compétence internationale », dispose :

« 1.. Sous réserve des dispositions du présent règlement [...], les procédures résultant des actions et demandes visées à l’article 81 sont portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur a son domicile ou, si celui-ci n’est pas domicilié dans l’un des États membres, de tout État membre sur le territoire duquel il a un établissement.

2.. Si le défendeur n’a ni son domicile ni un établissement sur le territoire d’un État membre, ces procédures sont portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le demandeur a son domicile ou, si ce dernier n’est pas domicilié dans l’un des États membres, de tout État membre sur le territoire duquel il a un établissement.

3.. Si ni le défendeur ni le demandeur ne sont ainsi domiciliés ou n’ont un tel établissement, ces procédures sont portées devant les tribunaux de l’État membre dans lequel l’Office [de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle] a son siège.

[...]

5.. Les procédures résultant des actions et demandes visées à l’article 81, points a) et d), peuvent également être portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le fait de contrefaçon a été commis ou menace d’être commis. »

7. Aux termes de l’article 83 du règlement no 6/2002, intitulé « Étendue de la compétence en matière de contrefaçon » :

« 1.. Un tribunal des dessins ou modèles communautaires dont la compétence est fondée sur l’article 82, paragraphes 1, 2, 3 ou 4, est compétent pour statuer sur les faits de contrefaçon commis ou menaçant d’être commis sur le territoire de tout État membre.

2.. Un tribunal des dessins ou modèles communautaires dont la compétence est fondée sur l’article 82, paragraphe 5, est compétent uniquement pour statuer sur les faits de contrefaçon commis ou menaçant d’être commis sur le territoire de l’État membre dans lequel est situé ce tribunal. »

8. L’article 88 de ce règlement, intitulé « Droit applicable », énonce :

« 1.. Les tribunaux des dessins ou modèles communautaires appliquent les dispositions du présent règlement.

2.. Pour toutes les questions qui n’entrent pas dans le champ d’application du présent règlement, le tribunal des dessins ou modèles communautaires applique son droit national, y compris son droit international privé.

3.. À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, le tribunal des dessins ou modèles communautaires applique les règles de procédure applicables au même type de procédures relatives à un enregistrement de dessin ou modèle dans l’État membre sur le territoire duquel ce tribunal est situé. »

9. L’article 89 dudit règlement, intitulé « Sanctions de l’action en contrefaçon », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Lorsque, dans une action en contrefaçon ou en menace de contrefaçon, un tribunal des dessins ou modèles communautaires constate que le défendeur a contrefait ou menacé de contrefaire un dessin ou modèle communautaire, il rend, sauf s’il y a des raisons particulières de ne pas agir de la sorte, les ordonnances suivantes :

a). une ordonnance interdisant au défendeur de poursuivre les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon ;

b). une ordonnance de saisie des produits de contrefaçon ;

c). une ordonnance de saisie des matériaux et instruments ayant principalement servi à la création ou à la fabrication des marchandises de contrefaçon, si leur propriétaire connaissait le but de l’utilisation de ces matériaux ou instruments ou si ce but était flagrant dans les circonstances considérées ;

d). toute ordonnance infligeant d’autres sanctions indiquées dans le cas d’espèce et prévues par la loi, y compris le droit international privé, de l’État membre dans lequel les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon ont été commis. »

10. L’article 110 du même règlement, intitulé « Disposition transitoire », énonce, à son paragraphe 1 :

« Jusqu’à la date d’entrée en vigueur des modifications apportées au présent règlement, sur proposition de la Commission [européenne] à ce sujet, une protection au titre de dessin ou modèle communautaire n’existe pas à l’égard d’un dessin ou modèle qui constitue une pièce d’un produit complexe qui est utilisée au sens de l’article 19, paragraphe 1, dans le but de permettre la réparation de ce produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale. »

 Le règlement no 864/2007

11. Aux termes des considérants 14, 16, 17, 19 et 26 du règlement no 864/2007 :

« (14). L’exigence de sécurité juridique et la nécessité de rendre la justice en fonction de cas individuels sont des éléments essentiels d’un espace de justice. Le présent règlement prévoit que les facteurs de rattachement les plus appropriés permettent d’atteindre ces objectifs. [...]

[...]

(16). Le recours à des règles uniformes devrait améliorer la prévisibilité des décisions de justice et assurer un équilibre raisonnable entre les intérêts de la personne dont la responsabilité est invoquée et ceux de la personne lésée. Le rattachement au pays du lieu où le dommage direct est survenu (“lex loci damni”) crée un juste équilibre entre les intérêts de la personne dont la responsabilité est invoquée et ceux de la personne lésée et correspond également à la conception moderne du droit de la responsabilité civile et au développement des systèmes de responsabilité objective.

(17). Il convient de déterminer la loi applicable en fonction du lieu où le dommage survient, indépendamment du ou des pays où pourraient survenir des conséquences indirectes. [...]

[...]

(19). Il convient de prévoir des règles spécifiques pour les faits dommageables pour lesquels la règle générale ne permet pas de trouver un équilibre raisonnable entre les intérêts en présence.

[...]

(26). En ce qui concerne les atteintes aux droits de propriété intellectuelle, il convient de préserver le principe “lex loci protectionis”, qui est universellement reconnu. Aux fins du présent règlement, l’expression “droits de propriété intellectuelle” devrait être interprétée comme visant notamment le droit d’auteur, les droits voisins, le droit sui generis pour la protection des bases de données ainsi que les droits de propriété industrielle. »

12. L’article 4 de ce règlement, intitulé « Règle générale », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent. »

13. L’article 8 dudit règlement, intitulé « Atteinte aux droits de propriété intellectuelle », dispose :

« 1.. La loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle est celle du pays pour lequel la protection est revendiquée.

2.. En cas d’obligation non contractuelle résultant d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle communautaire à caractère unitaire, la loi applicable à toute question qui n’est pas régie par l’instrument communautaire pertinent est la loi du pays dans lequel il a été porté atteinte à ce droit.

[...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

14. Acacia est une société de droit italien qui produit, en Italie, des jantes pour véhicules automobiles et les distribue dans plusieurs États membres.

15. Estimant que la distribution, par Acacia, de certaines jantes en Allemagne constitue une contrefaçon d’un dessin ou modèle communautaire enregistré dont elle est titulaire, BMW a introduit une action en contrefaçon devant un tribunal des dessins ou modèles communautaires désigné par la République fédérale d’Allemagne. Ce tribunal s’est déclaré compétent en vertu de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002. En sa qualité de défenderesse, Acacia a fait valoir que les jantes en cause sont couvertes par l’article 110 de ce règlement et qu’il y a, par conséquent, absence de contrefaçon.

16. Ledit tribunal a jugé qu’Acacia avait commis les actes de contrefaçon allégués par BMW, a ordonné la cessation de la contrefaçon et a, en se référant à l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 864/2007, appliqué le droit allemand aux demandes dites « annexes » de BMW tendant à l’octroi de dommages et intérêts, à la fourniture de renseignements, à la fourniture de documents, à la reddition de comptes et à la remise des produits de contrefaçon en vue de leur destruction. Sur le fondement des règles contenues dans ce droit national, ces demandes ont, pour l’essentiel, été accueillies.

17. Acacia a interjeté appel devant la juridiction de renvoi. Elle conteste l’existence d’une contrefaçon et estime, par ailleurs, que la loi applicable aux demandes annexes de BMW est le droit italien.

18. La juridiction de renvoi constate que la compétence des tribunaux des dessins ou modèles communautaires désignés par la République fédérale d’Allemagne découle, en l’occurrence, de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002 et qu’Acacia a commis les actes de contrefaçon allégués par BMW.

19. Elle nourrit, en revanche, des doutes sur le point de savoir quel droit national s’applique aux demandes annexes de BMW. Elle observe que l’issue du litige dépendra dans une certaine mesure de cette question, les règles du droit allemand sur la fourniture de documents et sur la reddition de comptes étant différentes de celles du droit italien.

20. Cette juridiction considère qu’il pourrait découler de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 864/2007, tel qu’interprété par la Cour dans l’arrêt du 27 septembre 2017, Nintendo (C‑24/16 et C‑25/16, EU:C:2017:724), que le droit italien s’applique en l’occurrence. Elle constate, à cet égard, que le fait générateur du dommage se situe en Italie, les produits litigieux ayant été livrés en Allemagne à partir de cet autre État membre.

21. Cela étant, les produits de contrefaçon en cause au principal auraient été vendus en Allemagne et auraient, à cette fin, fait l’objet de publicités en ligne adressées aux consommateurs se trouvant sur le territoire de cet État membre.

22. Dans ces conditions, l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1). En cas de contrefaçon d’un dessin ou modèle communautaire, le juge de la contrefaçon ayant compétence internationale au titre du lieu de commission du fait de contrefaçon en vertu de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002 peut-il appliquer la loi nationale de l’État membre de son siège (la lex fori) à des demandes annexes visant le territoire de cet État membre ?

2). En cas de réponse négative à la première question : pour déterminer la loi applicable aux demandes annexes en vertu de l’article 8, paragraphe 2, du règlement [no 864/2007], le “lieu de commission de l’acte de contrefaçon initial”, au sens de l’arrêt du 27 septembre 2017, Nintendo (C‑24/16 et C‑25/16, EU:C:2017:724), peut-il également se situer dans l’État membre dans lequel se trouvent des consommateurs auxquels s’adresse une publicité en ligne et sont mis sur le marché des objets portant atteinte aux droits conférés par le dessin ou modèle communautaire, au sens de l’article 19 du règlement no 6/2002, lorsque l’action introduite dans cet État membre vise uniquement la proposition à la vente et la mise sur le marché des produits en cause, y compris dans le cas où les offres sur Internet à l’origine de la proposition à la vente et de la mise sur le marché ont été formulées dans un autre État membre ? »

 Sur la demande de réouverture de la phase orale de la procédure

23. Par acte déposé au greffe de la Cour le 19 novembre 2021, BMW a déposé des observations sur les conclusions de M. l’avocat général. Interrogée par le greffe sur la portée de ces observations, BMW a expliqué que celles-ci visent la réouverture de la phase orale de la procédure, en application de l’article 83 du règlement de procédure de la Cour.

24. En vertu de cette disposition de son règlement de procédure, la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée, ou lorsqu’une partie a soumis, après la clôture de cette phase, un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision de la Cour, ou encore lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties ou les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

25. En l’occurrence, BMW affirme, d’une part, que M. l’avocat général n’a pas suffisamment tenu compte de certains éléments factuels exposés dans les observations écrites et orales présentées à la Cour, et, d’autre part, que les conclusions de celui-ci comportent une analyse erronée du cas de figure spécifique dans lequel le titulaire d’un dessin un modèle communautaire souhaiterait se prévaloir de ses droits dans le cadre d’une procédure en référé.

26. À cet égard, M. l’avocat général aurait accordé une attention excessive à l’article 90, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. BMW souhaite, à ce sujet, répondre à l’opinion de M. l’avocat général, qu’elle estime erronée.

27. Or, il importe de rappeler que la teneur des conclusions de l’avocat général ne saurait constituer en tant que telle un fait nouveau justifiant la réouverture de la phase orale de la procédure, sans quoi il serait loisible aux parties, au moyen de l’invocation d’un tel fait, de répondre auxdites conclusions. Or, les conclusions de l’avocat général ne peuvent être débattues par les parties. La Cour a ainsi eu l’occasion de souligner que, conformément à l’article 252 TFUE, le rôle de l’avocat général consiste à présenter publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice de l’Union européenne, requièrent son intervention, en vue de l’assister dans l’accomplissement de sa mission qui est d’assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités. En vertu de l’article 20, quatrième alinéa, de ce statut et de l’article 82, paragraphe 2, du règlement de procédure, les conclusions de l’avocat général mettent fin à la phase orale de la procédure. Se situant en dehors du débat entre les parties, les conclusions ouvrent la phase du délibéré de la Cour (arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 21 et jurisprudence citée).

28. En l’occurrence, la Cour constate, l’avocat général entendu, que les éléments avancés par BMW ne révèlent aucun fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision qu’elle est appelée à rendre dans la présente affaire et que cette dernière ne doit pas être tranchée sur la base d’un argument qui n’aurait pas été débattu entre les parties ou les intéressés. Enfin, la Cour disposant, au terme des phases écrite et orale de la procédure, de tous les éléments nécessaires, elle est suffisamment éclairée pour statuer. Partant, il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure.

 Sur les questions préjudicielles

29. Conformément à une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour, instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêt du 15 juillet 2021, The Department for Communities in Northern Ireland, C‑709/20, EU:C:2021:602, point 61 et jurisprudence citée).

30. Le présent renvoi préjudiciel porte sur la détermination du droit applicable, dans le cas d’une action en contrefaçon introduite en vertu de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002, aux demandes annexes de cette action par lesquelles le requérant sollicite, en dehors du champ d’application des dispositions matérielles du régime de dessin ou modèle communautaire établi par ce règlement, qu’il soit ordonné au contrefacteur de payer des dommages et intérêts, de présenter des renseignements, des documents et des comptes, et de remettre les produits de contrefaçon en vue de leur destruction.

31. Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, les demandes tendant à l’indemnisation du préjudice résultant des activités de l’auteur de la contrefaçon d’un dessin ou modèle communautaire et à l’obtention, aux fins de déterminer ce préjudice, de renseignements sur ces activités relèvent de la règle énoncée à l’article 88, paragraphe 2, du règlement no 6/2002. Aux termes de cette disposition, le tribunal des dessins ou modèles communautaires saisi de telles demandes portant sur des questions qui n’entrent pas dans le champ d’application de ce règlement applique son droit national, y compris son droit international privé (voir, en ce sens, arrêt du 13 février 2014, H. Gautzsch Großhandel, C‑479/12, EU:C:2014:75, points 53 et 54).

32. La demande visant à la destruction des produits de contrefaçon relève, quant à elle, de la règle contenue à l’article 89, paragraphe 1, sous d), dudit règlement, qui prévoit, s’agissant des sanctions non précisées par ce dernier, l’application de « la loi, y compris le droit international privé, de l’État membre dans lequel les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon ont été commis ». En effet, la destruction de ces produits fait partie des « autres sanctions » qui peuvent être « indiquées dans le cas d’espèce », au sens de cette disposition (voir, en ce sens, arrêt du 13 février 2014, H. Gautzsch Großhandel, C‑479/12, EU:C:2014:75, point 52).

33. L’interrogation de la juridiction de renvoi revient à solliciter une interprétation de l’article 88, paragraphe 2, et de l’article 89, paragraphe 1, sous d), du règlement no 6/2002 aux fins de connaître la portée de ces dispositions dans l’hypothèse où l’action en contrefaçon porte sur des faits commis ou menaçant d’être commis sur le territoire d’un seul État membre.

34. Dès lors, par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, cette juridiction demande, en substance, si l’article 88, paragraphe 2, et l’article 89, paragraphe 1, sous d), du règlement no 6/2002 doivent être interprétés en ce sens que les tribunaux des dessins ou modèles communautaires saisis d’une action en contrefaçon en vertu de l’article 82, paragraphe 5, de ce règlement, visant des actes de contrefaçon commis ou menaçant d’être commis sur le territoire d’un seul État membre, doivent examiner les demandes annexes de cette action, tendant à l’octroi de dommages et intérêts, à la présentation de renseignements, de documents et de comptes, ainsi qu’à la remise des produits de contrefaçon en vue de leur destruction, sur le fondement du droit de l’État membre dans lequel ces tribunaux sont situés.

35. À cet égard, il importe de rappeler d’emblée que, conformément à l’article 83, paragraphe 2, du règlement no 6/2002, un tribunal des dessins ou modèles communautaires saisi en vertu de l’article 82, paragraphe 5, de ce règlement est compétent uniquement pour statuer sur les faits de contrefaçon commis ou menaçant d’être commis sur le territoire de l’État membre dans lequel est situé ce tribunal.

36. Cet article 82, paragraphe 5, prévoit ainsi un for alternatif de compétence juridictionnelle qui vise à permettre au titulaire d’un dessin ou modèle communautaire d’introduire une ou plusieurs actions ciblées portant, chacune, spécifiquement sur les actes de contrefaçon commis ou menaçant d’être commis sur le territoire d’un seul État membre (voir, par analogie, arrêt du 5 septembre 2019, AMS Neve e.a., C‑172/18, EU:C:2019:674, points 42 et 63).

37. En l’occurrence, l’action en contrefaçon introduite en Allemagne porte sur la distribution, dans cet État membre, de certains produits d’Acacia. Ainsi qu’il découle des éléments soumis à la Cour, les faits de contrefaçon reprochés à cette entreprise consistent, d’une part, en l’offre à la vente de ces produits par des publicités en ligne adressées aux consommateurs se trouvant en Allemagne, et, d’autre part, en la mise sur le marché desdits produits en Allemagne.

38. De tels actes peuvent, en effet, être visés par une action en contrefaçon qui cible, conformément à l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002, le territoire d’un seul État membre. Le fait que le défendeur a pris les décisions et les mesures en vue de ces actes dans un autre État membre ne fait pas obstacle à l’introduction d’une telle action (voir, par analogie, arrêt du 5 septembre 2019, AMS Neve e.a., C‑172/18, EU:C:2019:674, point 65).

39. Dès lors que, dans ce cas de figure, le tribunal des dessins ou modèles communautaires saisi ne statue que sur les actes commis ou menaçant d’être commis par le défendeur sur le territoire de l’État membre dans lequel est situé ce tribunal, c’est, conformément à l’article 89, paragraphe 1, sous d), du règlement no 6/2002, dont l’applicabilité aux demandes visant à la destruction des produits de contrefaçon a été rappelée au point 32 du présent arrêt, le droit de cet État membre qui s’applique aux fins d’examiner le bien-fondé d’une telle demande.

40. Par ailleurs, conformément à l’article 88, paragraphe 2, de ce règlement, le droit de l’État membre dont relève ledit tribunal s’applique également aux demandes tendant à l’octroi de dommages et intérêts et à la présentation de renseignements, de documents et de comptes. De telles demandes ne visent pas l’infliction de « sanctions », au sens de l’article 89 dudit règlement, mais relèvent, ainsi qu’il a été rappelé au point 31 du présent arrêt, des « questions » qui n’entrent pas dans le champ d’application du même règlement, au sens de cet article 88, paragraphe 2.

41. L’article 88, paragraphe 2, et l’article 89, paragraphe 1, sous d), du règlement no 6/2002 précisent que, dans la mesure où le droit de l’État membre en cause comporte des règles de droit international privé, celles-ci font partie intégrante du droit applicable, au sens de ces articles.

42. Parmi ces règles de droit international privé figurent celles énoncées dans le règlement no 864/2007, et notamment l’article 8, paragraphe 2, de celui-ci. Ainsi, il convient d’interpréter les dispositions visées au point 33 du présent arrêt en combinaison avec cet article 8, paragraphe 2.

43. Aux termes de cette dernière disposition, en cas d’obligation non contractuelle résultant d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle de l’Union à caractère unitaire, la loi applicable à toute question qui n’est pas régie par l’instrument de l’Union pertinent est « la loi du pays dans lequel il a été porté atteinte à ce droit ».

44. Cette règle ne saurait, dans un cas où la contrefaçon ou la menace de contrefaçon pouvant être examinée se situe sur le territoire d’un seul État membre, être comprise comme visant l’applicabilité du droit d’un autre État membre ou de celui d’un pays tiers. La loi applicable étant, en vertu de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 864/2007, celle qui est en vigueur sur le lieu d’une telle atteinte, cette loi coïncide, dans le cas d’une action en contrefaçon introduite en vertu de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002 et portant, dès lors, sur des faits de contrefaçon commis ou menaçant d’être commis sur le territoire d’un seul État membre, avec le droit de cet État membre.

45. S’il ne saurait être exclu qu’il ait également été porté atteinte au dessin ou modèle communautaire en cause dans d’autres États membres ou dans des pays tiers, toujours est-il que ces éventuelles atteintes ne font pas l’objet du litige introduit en vertu de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002. Les objectifs de sécurité juridique et de prévisibilité, mis en exergue aux considérants 14 et 16 du règlement no 864/2007, seraient méconnus si les termes « pays dans lequel il a été porté atteinte » au dessin ou modèle communautaire invoqué étaient interprétés comme désignant un pays dans lequel ont eu lieu des faits de contrefaçon qui ne font pas l’objet du litige en cause.

46. L’interprétation des termes « loi du pays dans lequel il a été porté atteinte [au droit en cause] », au sens de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 864/2007, comme désignant la loi du pays sur le seul territoire duquel le requérant invoque, à l’appui de son action en contrefaçon introduite en vertu de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002, le dessin ou modèle communautaire en cause permet, par ailleurs, de préserver le principe « lex loci protectionis », qui revêt, ainsi qu’il ressort du considérant 26 du règlement no 864/2007, une importance particulière dans le domaine de la propriété intellectuelle.

47. Il importe, à cet égard, de distinguer l’hypothèse en cause dans l’affaire au principal de celle examinée dans l’arrêt du 27 septembre 2017, Nintendo (C‑24/16 et C‑25/16, EU:C:2017:724), qui était, ainsi que la Cour l’a relevé, en substance, au point 103 de cet arrêt, caractérisée par le fait qu’étaient reprochés à un même défendeur, dans le cadre d’une même action en justice, des actes de contrefaçon commis dans différents États membres.

48. L’interprétation fournie par la Cour dans ledit arrêt, selon laquelle, dans de telles circonstances, les termes « loi du pays dans lequel il a été porté atteinte [au droit en cause] », au sens de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 864/2007, désignent la loi du pays dans lequel l’acte de contrefaçon initial a été commis (arrêt du 27 septembre 2017, Nintendo, C‑24/16 et C‑25/16, EU:C:2017:724, point 111), permet de garantir l’applicabilité d’une seule loi à l’ensemble des demandes annexes d’une action en contrefaçon qui est introduite en vertu de l’article 82, paragraphe 1, 2, 3 ou 4, du règlement no 6/2002, une telle action permettant, conformément à l’article 83, paragraphe 1, de ce règlement, au tribunal saisi de se prononcer sur des faits commis sur le territoire de tout État membre.

49. Or, cette interprétation ne saurait être transposée au cas où le titulaire d’un dessin ou modèle communautaire introduit non pas une action en vertu de cet article 82, paragraphe 1, 2, 3 ou 4, mais choisit d’introduire une ou plusieurs actions ciblées, visant chacune des actes de contrefaçon commis ou menaçant d’être commis sur le territoire d’un seul État membre, en vertu du paragraphe 5 dudit article. Dans ce dernier cas, il ne saurait être exigé du tribunal saisi qu’il vérifie s’il existe, sur le territoire d’un État membre autre que celui sur lequel porte l’action, un acte de contrefaçon initial et qu’il se fonde sur cet acte pour appliquer la loi de cet autre État membre, alors même que tant ledit acte que le territoire dudit État membre ne sont pas concernés par le litige en cause.

50. Il convient encore d’ajouter que le titulaire du dessin ou modèle communautaire ne saurait, par rapport aux mêmes faits de contrefaçon, cumuler des actions fondées sur le paragraphe 5 de l’article 82 du règlement no 6/2002 et sur les autres paragraphes de cet article (voir, par analogie, arrêt du 5 septembre 2019, AMS Neve e.a., C‑172/18, EU:C:2019:674, points 40 et 41). Il ne risque, dès lors, pas d’y avoir de situation où des demandes annexes d’une action en contrefaçon ayant le même objet seraient examinées dans le cadre de plusieurs procédures sur le fondement de différentes lois.

51. Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 88, paragraphe 2, et l’article 89, paragraphe 1, sous d), du règlement no 6/2002, ainsi que l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 864/2007, doivent être interprétés en ce sens que les tribunaux des dessins ou modèles communautaires saisis d’une action en contrefaçon en vertu de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002, visant des actes de contrefaçon commis ou menaçant d’être commis sur le territoire d’un seul État membre, doivent examiner les demandes annexes de cette action, tendant à l’octroi de dommages et intérêts, à la présentation de renseignements, de documents et de comptes, ainsi qu’à la remise des produits de contrefaçon en vue de leur destruction, sur le fondement du droit de l’État membre sur le territoire duquel les actes portant prétendument atteinte au dessin ou modèle communautaire invoqué ont été commis ou menacent d’être commis, ce qui coïncide, dans les circonstances d’une action introduite en vertu dudit article 82, paragraphe 5, avec le droit de l’État membre dans lequel ces tribunaux sont situés.

 Sur les dépens

52. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

L’article 88, paragraphe 2, et l’article 89, paragraphe 1, sous d), du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires, ainsi que l’article 8, paragraphe 2, du règlement (CE) no 864/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II »), doivent être interprétés en ce sens que les tribunaux des dessins ou modèles communautaires saisis d’une action en contrefaçon en vertu de l’article 82, paragraphe 5, du règlement no 6/2002, visant des actes de contrefaçon commis ou menaçant d’être commis sur le territoire d’un seul État membre, doivent examiner les demandes annexes de cette action, tendant à l’octroi de dommages et intérêts, à la présentation de renseignements, de documents et de comptes, ainsi qu’à la remise des produits de contrefaçon en vue de leur destruction, sur le fondement du droit de l’État membre sur le territoire duquel les actes portant prétendument atteinte au dessin ou modèle communautaire invoqué ont été commis ou menacent d’être commis, ce qui coïncide, dans les circonstances d’une action introduite en vertu dudit article 82, paragraphe 5, avec le droit de l’État membre dans lequel ces tribunaux sont situés.