CJUE, 6e ch., 3 mars 2022, n° C-634/20
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Question préjudicielle
PARTIES
Demandeur :
Sosiaali- ja terveysalan lupa- ja valvontavirasto
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
I. Ziemele
Vice-président :
L. Bay Larsen
Juge :
A. Kumin
Avocat général :
A. Rantos
1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 45 et 49 TFUE.
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure engagée par A au sujet de la décision du Sosiaali- ja terveysalan lupa- ja valvontavirasto (Office d’autorisation et de supervision en matière sociale et sanitaire, Finlande) (ci-après le « Valvira ») d’accorder à A le droit d’exercer en Finlande, pour une période de trois ans, la profession de médecin en tant que professionnel agréé, sous la direction et la supervision d’un médecin agréé et habilité à exercer cette profession de manière autonome.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3. L’article 1er de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (JO 2005, L 255, p. 22), telle que modifiée par la directive 2013/55/UE du Parlement européen et du Conseil, du 20 novembre 2013 (JO 2013, L 354, p. 132) (ci-après la « directive 2005/36 »), intitulé « Objet », prévoit :
« La présente directive établit les règles selon lesquelles un État membre qui subordonne l’accès à une profession réglementée ou son exercice, sur son territoire, à la possession de qualifications professionnelles déterminées (ci-après dénommé “État membre d’accueil”) reconnaît, pour l’accès à cette profession et son exercice, les qualifications professionnelles acquises dans un ou plusieurs autres États membres (ci-après dénommé(s) “État membre d’origine”) et qui permettent au titulaire desdites qualifications d’y exercer la même profession.
La présente directive établit également des règles concernant l’accès partiel à une profession réglementée et la reconnaissance des stages professionnels effectués dans un autre État membre. »
4. L’article 4 de cette directive, intitulé « Effets de la reconnaissance », dispose, à son paragraphe 1, que « [l]a reconnaissance des qualifications professionnelles par l’État membre d’accueil permet aux bénéficiaires d’accéder dans cet État membre à la même profession que celle pour laquelle il sont qualifiés dans l’État membre d’origine et de l’y exercer dans les mêmes conditions que les nationaux ».
5. L’article 10 de ladite directive, intitulé « Champ d’application » et relevant du chapitre I de celle-ci, relatif au régime général de reconnaissance des titres de formation, énonce, à son point b) :
« Le présent chapitre s’applique à toutes les professions qui ne sont pas couvertes par les chapitres II et III du présent titre, ainsi que dans les cas qui suivent, où le demandeur, pour un motif spécifique et exceptionnel, ne satisfait pas aux conditions prévues dans ces chapitres :
[...]
b). pour les médecins ayant une formation de base, les médecins spécialistes, les infirmiers responsables de soins généraux, les praticiens de l’art dentaire, les praticiens de l’art dentaire spécialistes, les vétérinaires, les sages-femmes, les pharmaciens et les architectes, lorsque le migrant ne remplit pas les conditions de pratique professionnelle effective et licite prévues aux articles 23, 27, 33, 37, 39, 43 et 49 ».
6. L’article 13 de la directive 2005/36, intitulé « Conditions de la reconnaissance », prévoit, à son paragraphe 1, premier alinéa :
« Lorsque, dans un État membre d’accueil, l’accès à une profession réglementée ou son exercice est subordonné à la possession de qualifications professionnelles déterminées, l’autorité compétente de cet État membre permet aux demandeurs d’accéder à cette profession et de l’exercer, dans les mêmes conditions que pour ses nationaux, s’ils possèdent une attestation de compétences ou un titre de formation visé à l’article 11 qui est requis par un autre État membre pour accéder à cette même profession sur son territoire ou l’y exercer. »
7. Figurant sous le titre III, chapitre III, de cette directive, ce dernier étant relatif à la « [r]econnaissance sur la base de la coordination des conditions minimales de formation », l’article 21 de ladite directive, intitulé « Principe de reconnaissance automatique » dispose, à son paragraphe 1 :
« Chaque État membre reconnaît les titres de formation de médecin, donnant accès aux activités professionnelles de médecin avec formation de base et de médecin spécialiste et les titres de formation d’infirmier responsable de soins généraux, de praticien de l’art dentaire, de praticien de l’art dentaire spécialiste, de vétérinaire, de pharmacien et d’architecte, visés respectivement à l’annexe V, points 5.1.1, 5.1.2, 5.2.2, 5.3.2, 5.3.3, 5.4.2, 5.6.2 et 5.7.1, qui sont conformes aux conditions minimales de formation visées respectivement aux articles 24, 25, 31, 34, 35, 38, 44 et 46, en leur donnant, en ce qui concerne l’accès aux activités professionnelles et leur exercice, le même effet sur son territoire qu’aux titres de formation qu’il délivre.
Ces titres de formation doivent être délivrés par les organismes compétents des États membres et accompagnés, le cas échéant, des attestations, visées respectivement à l’annexe V, points 5.1.1, 5.1.2, 5.2.2, 5.3.2, 5.3.3, 5.4.2, 5.6.2 et 5.7.1.
[...] »
8. L’annexe V, point 5.1.1, de la directive 2005/36, s’agissant des titres de formation médicale de base au Royaume-Uni, est ainsi libellé :
« Pays | Titre de formation | Organisme qui délivre le titre de formation | Certificat qui accompagne le titre de formation | Date de référence |
United Kingdom | Primary qualification | Competent examining body | Certificate of experience | 20 décembre 1976 » |
9. Aux termes de l’article 55 bis de cette directive, intitulé « Reconnaissance des stages professionnels » :
« 1.. Si l’accès à une profession réglementée dans l’État membre d’origine est subordonné à l’accomplissement d’un stage professionnel, l’autorité compétente de l’État membre d’origine reconnaît, lorsqu’elle examine une demande d’autorisation d’exercer la profession réglementée, les stages professionnels effectués dans un autre État membre sous réserve que le stage soit conforme aux lignes directrices publiées visées au paragraphe 2, et tient compte des stages professionnels effectués dans un pays tiers. Les États membres peuvent toutefois, dans leur législation nationale, fixer une limite raisonnable pour la durée de la partie du stage professionnel qui peut être effectuée à l’étranger.
2.. La reconnaissance du stage professionnel ne remplace aucune des exigences imposées pour la réussite d’un examen afin d’obtenir l’accès à la profession en question. Les autorités compétentes publient des lignes directrices relatives à l’organisation et à la reconnaissance des stages professionnels effectués dans un autre État membre ou dans un pays tiers, notamment en ce qui concerne le rôle du responsable du stage professionnel. »
Le droit finlandais
10. En vertu de l’article 6 bis, premier alinéa, du laki terveydenhuollon ammattihenkilöistä (559/1994, ammattihenkilölaki) [loi relative aux professionnels de santé (559/1994)], tel qu’il était en vigueur à la date pertinente dans le cadre du litige au principal, le Valvira accorde, sur demande et dans les conditions qu’il détermine, le droit d’exercer en Finlande la profession de médecin en tant que professionnel agréé à cet effet, sous la direction et la supervision d’un professionnel agréé et habilité à exercer cette profession de manière autonome, dans un établissement sanitaire, à une personne qui a entamé des études de médecine avant le 1er janvier 2012 dans un État de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen (EEE) dans lequel le droit d’exercer la profession de médecin est subordonné, après l’obtention du diplôme, à l’accomplissement d’un stage professionnel et qui y a obtenu le diplôme sanctionnant la formation médicale de base. Le droit d’exercer cette profession est accordé pour une période de trois ans.
11. Selon l’article 6 bis, deuxième alinéa, de la loi relative aux professionnels de santé (559/1994), lorsque le demandeur a exercé les activités de médecin pendant la durée prévue à l’article 6 bis, premier alinéa, de cette loi en se conformant aux conditions déterminées par le Valvira, celui-ci accorde au demandeur, sur demande, le droit d’exercer la profession de médecin en Finlande de manière autonome. Le Valvira peut, pour une raison justifiée, proroger la période de trois ans prévue audit article 6 bis, premier alinéa.
Le litige au principal et la question préjudicielle
12. A a entamé ses études de médecine au cours de l’année 2008 à l’université d’Édimbourg (Royaume-Uni). Le 6 juillet 2013, elle a obtenu un Bachelor of Medicine and Bachelor of Surgery, diplôme sanctionnant une formation médicale de base.
13. Le diplôme obtenu par A correspond au titre de formation visé, en ce qui concerne le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, à l’annexe V, point 5.1.1, de la directive 2005/36.
14. A disposait d’un droit restreint d’exercer la profession de médecin au Royaume‑Uni en vertu de son diplôme sanctionnant une formation médicale de base. Elle était inscrite au registre tenu par l’autorité du Royaume-Uni compétente en la matière, à savoir le General Medical Council (Ordre général des médecins), sous la rubrique « provisionally registered doctor with a licence to practise » (médecin inscrit provisoirement avec un agrément d’exercice). Elle était autorisée à travailler dans le cadre d’un programme postdiplôme.
15. Après avoir obtenu son diplôme sanctionnant une formation médicale de base, A est retournée en Finlande. Elle y a alors demandé auprès du Valvira, sur la base de son diplôme obtenu au Royaume-Uni, le droit d’exercer en Finlande la profession de médecin en tant que professionnel agréé. Toutefois, elle n’a pas produit le certificat (Certificate of experience) qui accompagne le titre de formation visé, en ce qui concerne le Royaume‑Uni, à l’annexe V, point 5.1.1, de la directive 2005/36, certificat qui conditionne, au Royaume‑Uni, le droit d’exercer pleinement la profession de médecin.
16. Dès lors que A ne disposait pas de ce certificat, le Valvira lui a proposé de poursuivre l’examen de sa demande d’agrément en tant que médecin au titre d’un agrément à durée déterminée. A y a consenti. Selon le Valvira, pour obtenir le droit d’exercer la profession de médecin de manière autonome en Finlande, A disposait de deux options. D’une part, elle pouvait effectuer, pendant une période de trois ans, un stage professionnel en Finlande conformément aux lignes directrices du Royaume-Uni et demander la reconnaissance de ce stage, en application de l’article 55 bis de la directive 2005/36, auprès de l’autorité compétente du Royaume-Uni, pour pouvoir demander, ensuite, en Finlande le droit d’exercer la profession de médecin sur le fondement du système de reconnaissance automatique prévu par cette directive. D’autre part, elle pouvait suivre, en Finlande, la formation spécifique en médecine générale pendant une période de trois ans. A a choisi la seconde option, laquelle ne conduit pas, dans les autres États de l’Union ou de l’EEE, à la reconnaissance automatique des qualifications professionnelles de médecin, au sens de la directive 2005/36.
17. Par décision du 3 novembre 2016, le Valvira a accordé à A le droit d’exercer en Finlande, pour une période de trois ans allant du 2 novembre 2016 au 2 novembre 2019, la profession de médecin en tant que professionnel agréé, sous la direction et la supervision d’un médecin agréé et habilité à exercer cette profession de manière autonome. A n’a été autorisée à exercer la profession de médecin au cours de cette période qu’à la condition qu’elle suive en Finlande la formation spécifique en médecine générale d’une durée de trois ans.
18. Par décision du 4 mai 2017, le Valvira a rejeté la réclamation introduite par A. Selon les motifs de cette décision, A s’est vu accorder le droit d’exercer la profession de médecin en vertu de l’article 6 bis de la loi relative aux professionnels de santé (559/1994) dans une situation dans laquelle elle ne disposait pas du certificat visé à l’annexe V, point 5.1.1, de la directive 2005/36.
19. Saisi d’un recours en annulation de ladite décision, le Helsingin hallinto-oikeus (tribunal administratif de Helsinki, Finlande) l’a, par décision du 5 décembre 2017, rejeté aux motifs que, premièrement, une reconnaissance automatique au titre de la directive 2005/36 n’était pas possible car A n’avait pas produit le certificat visé, en ce qui concerne le Royaume-Uni, à l’annexe V, point 5.1.1, de cette directive, deuxièmement, le régime général de reconnaissance des titres de formation n’était pas applicable non plus car A n’avait pas obtenu le diplôme sanctionnant une formation médicale de base avant la date de référence définie audit point 5.1.1, à savoir le 20 décembre 1976, et, troisièmement, A ne pourrait bénéficier dans un autre État membre de l’Union d’un droit qui soit plus avantageux que celui accordé dans l’État membre d’origine. Dès lors, le Valvira aurait été fondé à accorder à A un droit restreint d’exercer la profession de médecin, sous la direction et la supervision d’un autre médecin agréé qui soit habilité à exercer cette profession de manière autonome.
20. Devant le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, Finlande), A soutient que l’examen de sa demande de reconnaissance du diplôme sanctionnant une formation médicale de base obtenu dans un autre État membre doit s’effectuer, dans le cas dans lequel les conditions de reconnaissance automatique ne seraient pas remplies, en application des dispositions du régime général de reconnaissance prévu par la directive 2005/36. À cet égard, le Valvira aurait dû procéder à une comparaison individuelle du diplôme sanctionnant la formation médicale de base qu’elle a obtenue au Royaume-Uni avec le diplôme finlandais sanctionnant une telle formation. En effet, le droit de l’Union s’opposerait à ce que l’octroi d’un droit autonome d’exercer la profession soit subordonné à une période supervisée de trois ans, si l’existence de différences essentielles non compensées par rapport aux exigences nationales n’est pas démontrée.
21. Le 1er novembre 2019, A s’est vu accorder par le Valvira le droit d’exercer en Finlande la profession de médecin de manière autonome en tant que professionnel agréé. A ne s’est pas pour autant désistée de son pourvoi devant le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême).
22. Cette juridiction considère que le Valvira n’était pas tenu, au titre de la directive 2005/36, de procéder à une comparaison des diplômes sanctionnant la formation médicale de base tels que délivrés en Finlande et au Royaume Uni, A n’ayant pas rempli les conditions prévues par le système de reconnaissance automatique applicable à la profession de médecin ni celles prévues par le régime général de reconnaissance des qualifications professionnelles. Le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) se demande, toutefois, si une telle obligation peut découler des articles 45 et 49 TFUE.
23. Dans ces conditions, le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 45 ou l’article 49 TFUE – compte tenu du principe de proportionnalité – doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que l’autorité compétente de l’État membre d’accueil accorde à une personne, sur la base de la législation nationale, un droit d’exercer la profession de médecin qui soit limité à une période de trois ans et qui soit subordonné à la condition que l’intéressé se soumette dans l’exercice de ses fonctions à la direction et à la supervision d’un médecin agréé et à la condition qu’il suive avec succès, au cours de la même période, la formation spécifique en médecine générale d’une durée de trois ans, pour pouvoir obtenir le droit d’exercer la profession de médecin de manière autonome dans l’État membre d’accueil, compte tenu de ce que :
a). l’intéressé a suivi dans l’État membre d’origine une formation médicale de base mais n’a pas produit, lors de sa demande de reconnaissance de ses qualifications professionnelles dans l’État membre d’accueil, de certificat attestant l’accomplissement d’un stage professionnel d’une durée d’un an requis par l’État membre d’origine comme condition supplémentaire des qualifications professionnelles ;
b). l’intéressé s’est vu offrir dans l’État membre d’accueil, au regard de l’article 55 bis de la directive 2005/36, comme option prioritaire qu’il a refusée, la possibilité de suivre dans l’État membre d’accueil pendant une période de trois ans un stage professionnel conforme aux lignes directrices de l’État membre d’origine et de demander la reconnaissance de ce stage auprès de l’autorité compétente de l’État membre d’origine pour pouvoir présenter ensuite dans l’État membre d’accueil, en application du système de reconnaissance automatique au sens de ladite directive, une nouvelle demande d’autorisation d’exercer la profession de médecin ;
c). l’objectif de la réglementation nationale de l’État membre d’accueil est d’améliorer la sécurité des patients et la qualité des services de santé en veillant à ce que les professionnels de santé aient la formation requise par la pratique professionnelle, d’autres compétences professionnelles suffisantes et d’autres compétences que la pratique professionnelle exige ? »
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
24. Ainsi qu’il est exposé au point 21 du présent arrêt, A, bien qu’ayant, entre-temps, été autorisée à exercer en Finlande la profession de médecin de manière autonome, ne s’est pas désistée de son pourvoi devant le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême), qui estime que la solution du litige nécessite qu’il soit répondu à une question portant sur l’interprétation du droit de l’Union.
25. Saisie d’une demande d’éclaircissements à cet égard, la juridiction de renvoi a précisé que, selon une jurisprudence nationale constante, un pourvoi n’est pas rejeté pour cause d’irrecevabilité au motif que, dans une affaire, il n’est plus possible, en raison de l’écoulement du temps ou pour une autre raison, d’annuler une décision d’une autorité après que l’illégalité de cette décision a été constatée. La juridiction de renvoi a indiqué, à titre d’exemple, que, si, dans une affaire, l’autorisation demandée a été obtenue, le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) statuera sur les moyens de pourvoi et se prononcera ainsi sur l’éventuelle illégalité de la décision initiale ainsi que sur celle du hallinto‑oikeus (tribunal administratif). La juridiction de renvoi a indiqué, en outre, que, en vertu du droit national de la responsabilité délictuelle, la condamnation à des dommages et intérêts en raison de l’illégalité d’une décision d’une autorité exige que l’illégalité ait d’abord été constatée séparément par une décision définitive.
26. À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher [voir arrêt du 6 juin 2013, MA e.a., C‑648/11, EU:C:2013:367, point 36, ainsi que ordonnance du 1er septembre 2021, OKR (Renvoi préjudiciel d’un clerc de notaire), C‑387/20, EU:C:2021:751, point 20 et jurisprudence citée].
27. Les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 6 juin 2013, MA e.a., C‑648/11, EU:C:2013:367, point 37 ainsi que jurisprudence citée).
28. En l’occurrence, il importe de relever que la juridiction de renvoi a précisé, notamment, que, en vertu du droit national de la responsabilité délictuelle, la condamnation à des dommages et intérêts en raison de l’illégalité d’une décision d’une autorité exige que l’illégalité ait d’abord été constatée séparément par une décision définitive.
29. Or, dans la mesure où une action en dommages et intérêts de A ne serait susceptible de prospérer qu’à la condition que l’illégalité de la décision administrative, qui constitue le fondement d’une telle action, ait d’abord été constatée séparément par une décision de justice définitive, dont la teneur dépendra de la réponse à la question préjudicielle, cette dernière demeure, en tout état de cause, pertinente pour la sauvegarde, le cas échéant, des droits de A à l’égard de l’autorité nationale ayant adopté ladite décision administrative.
30. Par conséquent, la demande de décision préjudicielle est recevable.
Remarque liminaire
31. Il convient de relever que les faits pertinents dans la présente affaire ont eu lieu lorsque le droit de l’Union continuait de s’appliquer au Royaume-Uni. Dès lors, les articles 45 et 49 TFUE ainsi que la directive 2005/36 sont susceptibles de trouver à s’appliquer en l’occurrence.
Sur la question préjudicielle
32. Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 45 et 49 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que l’autorité compétente de l’État membre d’accueil accorde à une personne, sur le fondement de la législation nationale, un droit d’exercer la profession de médecin qui soit limité à une période de trois ans et subordonné à la double condition, d’une part, que l’intéressé se soumette dans l’exercice de ses fonctions à la direction et à la supervision d’un médecin agréé, et, d’autre part, qu’il suive avec succès, au cours de la même période, la formation spécifique en médecine générale d’une durée de trois ans, pour pouvoir obtenir le droit d’exercer la profession de médecin de manière autonome dans l’État membre d’accueil, compte tenu de ce que l’intéressé, qui a suivi dans l’État membre d’origine une formation médicale de base, est titulaire du titre de formation, en ce qui concerne le Royaume-Uni, visé à l’annexe V, point 5.1.1, de la directive 2005/36, mais non pas du certificat qui y est visé, attestant l’accomplissement d’un stage professionnel d’une durée d’un an requis par l’État membre d’origine comme condition supplémentaire des qualifications professionnelles.
33. À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 21, paragraphe 1, de la directive 2005/36, chaque État membre reconnaît les titres de formation de médecin, donnant accès aux activités professionnelles de médecin avec formation de base, visés à l’annexe V, point 5.1.1, de cette directive, en leur donnant, en ce qui concerne l’accès aux activités professionnelles et à leur exercice, le même effet sur son territoire qu’aux titres de formation qu’il délivre.
34. En outre, la Cour a déjà précisé que, en ce qui concerne l’objectif de la directive 2005/36, il ressort des articles 1er et 4 de celle-ci que l’objet essentiel de la reconnaissance mutuelle est de permettre au titulaire d’une qualification professionnelle lui ouvrant l’accès à une profession réglementée dans son État membre d’origine d’accéder, dans l’État membre d’accueil, à la même profession que celle pour laquelle il est qualifié dans l’État membre d’origine et de l’y exercer dans les mêmes conditions que les nationaux (arrêt du 8 juillet 2021, Lietuvos Respublikos sveikatos apsaugos ministerija, C‑166/20, EU:C:2021:554, point 25).
35. Il est constant que la requérante au principal ne disposant pas du certificat (Certificate of experience) visé à l’annexe V, point 5.1.1, de la directive 2005/36, elle n’est pas habilitée à exercer pleinement au Royaume-Uni la profession réglementée de médecin avec formation de base et elle ne saurait, dès lors, bénéficier du régime de reconnaissance automatique prévu à l’article 21 de cette directive. En effet, l’application de ce régime suppose que le demandeur dispose d’une formation le qualifiant dans l’État membre d’origine pour y exercer une telle profession (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2021, Lietuvos Respublikos sveikatos apsaugos ministerija, C‑166/20, EU:C:2021:554, points 26 et 27).
36. Quant à l’article 10 de la directive 2005/36, qui définit le champ d’application du régime général de reconnaissance des titres de formation prévu au chapitre I du titre III de cette directive, il ne saurait, en vertu de son point b), imposer à l’État membre d’accueil, à moins de contrevenir à l’objectif de ladite directive tel que rappelé au point 34 du présent arrêt, qu’il examine les titres de formation détenus par un demandeur ne possédant pas les qualifications nécessaires à l’exercice de la profession de médecin ayant une formation de base dans son État membre d’origine (voir, par analogie, arrêt du 8 juillet 2021, Lietuvos Respublikos sveikatos apsaugos ministerija, C‑166/20, EU:C:2021:554, point 28 et jurisprudence citée).
37. Il découle, toutefois, de la jurisprudence de la Cour que les directives relatives à la reconnaissance mutuelle des diplômes, et notamment la directive 2005/36, n’ont pas pour but et ne sauraient avoir pour effet de rendre plus difficile la reconnaissance des diplômes, des certificats et d’autres titres dans les situations non couvertes par elles (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2021, Lietuvos Respublikos sveikatos apsaugos ministerija, C‑166/20, EU:C:2021:554, points 36 et 37).
38. Ainsi, dans une situation qui n’entre pas dans le champ d’application de la directive 2005/36, mais qui relève de l’article 45 TFUE ou de l’article 49 TFUE, les autorités d’un État membre, saisies par un ressortissant de l’Union d’une demande d’autorisation d’exercer une profession dont l’accès est, selon la législation nationale, subordonnée à la possession d’un diplôme ou d’une qualification professionnelle, ou encore à des périodes d’expérience pratique, sont tenues de prendre en considération l’ensemble des diplômes, des certificats et d’autres titres, ainsi que l’expérience pertinente de l’intéressé, en procédant à une comparaison entre, d’une part, les compétences attestées par ces titres et cette expérience et, d’autre part, les connaissances et les qualifications exigées par la législation nationale (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2021, Lietuvos Respublikos sveikatos apsaugos ministerija, C‑166/20, EU:C:2021:554, points 34 et 38).
39. En l’occurrence, il importe de rappeler que A, dont il ressort du dossier national qu’elle est une ressortissante finlandaise, se prévaut, en Finlande, d’un diplôme universitaire qu’elle a obtenu dans un autre État membre.
40. À cet égard, la Cour a jugé que la libre circulation des personnes ne serait pas pleinement réalisée si les États membres pouvaient refuser le bénéfice des articles 45 et 49 TFUE à ceux de leurs ressortissants qui ont fait usage des facilités prévues par le droit de l’Union et qui ont acquis, à la faveur de celles‑ci, des qualifications professionnelles dans un État membre autre que celui dont ils possèdent la nationalité. Cette considération s’applique également lorsqu’un ressortissant d’un État membre a séjourné et obtenu dans un autre État membre une qualification universitaire dont il entend se prévaloir dans l’État membre dont il possède la nationalité (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2015, Brouillard, C‑298/14, EU:C:2015:652, points 27 à 29).
41. Il s’ensuit que, dans une situation telle que celle au principal, qui n’entre pas dans le champ d’application de la directive 2005/36, mais qui relève de l’article 45 TFUE ou de l’article 49 TFUE, l’État membre d’accueil concerné doit respecter ses obligations en matière de reconnaissance des qualifications professionnelles, telles que rappelées au point 38 du présent arrêt.
42. Cette procédure d’examen comparatif doit permettre aux autorités de l’État membre d’accueil de vérifier objectivement si le diplôme étranger atteste, dans le chef de son titulaire, de connaissances et de qualifications, sinon identiques, du moins équivalentes à celles attestées par le diplôme national. Cette appréciation de l’équivalence du diplôme étranger doit être faite exclusivement en tenant compte du degré des connaissances et des qualifications que ce diplôme permet de présumer, compte tenu de la nature et de la durée des études et de la formation pratique qui s’y rapporte, dans le chef du titulaire (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2015, Brouillard, C‑298/14, EU:C:2015:652, point 55 et jurisprudence citée).
43. Si cet examen comparatif des diplômes aboutit à la constatation que les connaissances et les qualifications attestées par le diplôme étranger correspondent à celles exigées par les dispositions nationales, l’État membre est tenu d’admettre que ce diplôme remplit les conditions posées par celles-ci (arrêt du 6 octobre 2015, Brouillard, C‑298/14, EU:C:2015:652, point 57 et jurisprudence citée).
44. En revanche, si ledit examen comparatif fait apparaître des différences substantielles entre la formation suivie par le demandeur et la formation requise dans l’État membre d’accueil, les autorités compétentes peuvent fixer des mesures de compensation pour combler ces différences (arrêt du 8 juillet 2021, Lietuvos Respublikos sveikatos apsaugos ministerija, C‑166/20, EU:C:2021:554, point 41 et jurisprudence citée).
45. Toutefois, les mesures prises dans le champ d’application du droit de l’Union doivent se conformer aux principes généraux de ce droit, notamment au principe de proportionnalité. Ainsi, des mesures de compensation doivent être limitées aux cas dans lesquels celles-ci s’avèrent proportionnées au but recherché (voir, en ce sens, arrêt du 2 décembre 2010, Vandorou e.a., C‑422/09, C‑425/09 et C‑426/09, EU:C:2010:732, point 65).
46. Avant d’imposer des mesures de compensation visant à couvrir des différences existant entre les formations dispensées dans l’État membre d’origine et celles dispensées dans l’État membre d’accueil d’un demandeur, il incombe aux autorités nationales compétentes d’apprécier si les connaissances acquises par un demandeur peuvent valoir afin d’établir la possession des connaissances exigées par ce dernier État (voir, en ce sens, arrêt du 2 décembre 2010, Vandorou e.a., C‑422/09, C‑425/09 et C‑426/09, EU:C:2010:732, point 67).
47. Or, une législation nationale qui impose de manière générale et indifférenciée les mêmes mesures compensatoires à tous les titulaires d’un diplôme sanctionnant la formation médicale de base obtenu, notamment, dans un État membre de l’Union dans lequel le droit d’exercer la profession de médecin est subordonné, après l’obtention dudit diplôme, à l’accomplissement d’un stage professionnel, n’apparaît pas comme étant en accord ni avec l’exigence d’une comparaison effective entre, d’une part, les compétences attestées par le ou les titres de l’intéressé et, d’autre part, les connaissances et les qualifications requises par la législation de l’État membre d’accueil, ni avec le principe de proportionnalité.
48. Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que les articles 45 et 49 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que l’autorité compétente de l’État membre d’accueil accorde à une personne, sur le fondement de la législation nationale, un droit d’exercer la profession de médecin qui soit limité à une période de trois ans et subordonné à la double condition, d’une part, que l’intéressé se soumette dans l’exercice de ses fonctions à la direction et à la supervision d’un médecin agréé, et, d’autre part, qu’il suive avec succès, au cours de la même période, la formation spécifique en médecine générale d’une durée de trois ans, pour pouvoir obtenir le droit d’exercer la profession de médecin de manière autonome dans l’État membre d’accueil, compte tenu de ce que l’intéressé, qui a suivi dans l’État membre d’origine une formation médicale de base, est titulaire du titre de formation, en ce qui concerne le Royaume-Uni, visé à l’annexe V, point 5.1.1, de la directive 2005/36, mais non pas du certificat qui y est visé, attestant l’accomplissement d’un stage professionnel d’une durée d’un an requis par l’État membre d’origine comme condition supplémentaire des qualifications professionnelles.
Sur les dépens
49. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :
Les articles 45 et 49 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que l’autorité compétente de l’État membre d’accueil accorde à une personne, sur le fondement de la législation nationale, un droit d’exercer la profession de médecin qui soit limité à une période de trois ans et subordonné à la double condition, d’une part, que l’intéressé se soumette dans l’exercice de ses fonctions à la direction et à la supervision d’un médecin agréé, et, d’autre part, qu’il suive avec succès, au cours de la même période, la formation spécifique en médecine générale d’une durée de trois ans, pour pouvoir obtenir le droit d’exercer la profession de médecin de manière autonome dans l’État membre d’accueil, compte tenu de ce que l’intéressé, qui a suivi dans l’État membre d’origine une formation médicale de base, est titulaire du titre de formation, en ce qui concerne le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, visé à l’annexe V, point 5.1.1, de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, telle que modifiée par la directive 2013/55/UE du Parlement européen et du Conseil, du 20 novembre 2013, mais non pas du certificat qui y est visé, attestant l’accomplissement d’un stage professionnel d’une durée d’un an requis par l’État membre d’origine comme condition supplémentaire des qualifications professionnelles.