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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 30 septembre 2021, n° 21/02691

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

PHOEBUS (SARL)

Défendeur :

SCI RIVOLI 15

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme MASSERON

Conseillers :

M. RONDEAU, Mme CHOPIN

TJI de Paris, du 17 août 2020,

17 août 2020

Exposé du litige

Par acte sous seing privé du 13 février 2019, la SCI Rivoli 15 a donné à bail commercial à la SARL Phoebus un local situé [...] pour y exploiter un restaurant.

Le 1er septembre 2019, la société Phoebus aurait cédé le bail à la SAS Société d'Exploitation des Restaurants Parisiens (SERP) sans le notifier à la société SCI Rivoli 15.

Le 10 janvier 2020, la société SCI Rivoli 15 a fait notifier à la société Phoebus un commandement de payer la somme de 11 755,94 euros au titre de l'arriéré locatif et de fournir l'attestation de garantie bancaire à première demande, prévue à l'article 8 du bail signé entre les parties.

Le 7 février 2020, les sociétés Phoebus et SERP ont assigné la société SCI Rivoli 15 devant le juge des référés. Elles lui ont demandé de :

- juger que la cause du commandement relative à l'arriéré locatif est sans objet ;

- juger que la clause de prise en charge de tous les frais de procédure par le locataire stipulée au bail est abusive et réputée non écrite ;

- juger que l'absence de fourniture de la garantie bancaire ne saurait entraîner la résiliation du bail ;

- subsidiairement accorder à la société Phoebus un délai pour fournir la dite garantie ;

- donner acte à la société Phoebus de ce qu'elle se reconnaît comme seule titulaire du bail ;

- donner acte à la société SERP de ce qu'elle renonce à tout droit sur le bail, se réservant éventuellement la possibilité de solliciter des dommages et intérêts pour le préjudice qui lui a été occasionné par l'attitude de la société SCI Rivoli 15 ;

- juger qu'aucun motif ne justifie la résiliation judiciaire du bail ;

- condamner la société SCI Rivoli 15 à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En défense, la société SCI Rivoli 15 a demandé au juge de :

à titre principal,

- constater l'inopposabilité de la cession de bail du 1er septembre 2019 au profit de la société SERP ;

- constater l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail au 10 février 2020 ;

- ordonner l'expulsion de la société Phoebus et celle de tout occupant de son chef, notamment la société SERP, des lieux loués avec le concours de la force publique et d`un serrurier si besoin est ;

- condamner la société Phoebus à lui payer la somme provisionnelle de 8 629,99 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au 8 janvier 2020 ;

- fixer l'indemnité d'occupation à compter de la résiliation du bail au montant du loyer, majoré de 20 %, outre le paiement des charges, jusqu'à libération effective des lieux ;

- dire que le dépôt de garantie lui restera acquis ;

à titre subsidiaire,

- prononcer la résiliation judiciaire du bail aux torts exclusifs de la société Phoebus, eu égard notamment à la réalisation de travaux non autorisés par la société SCI Rivoli 15 et la copropriété ;

- ordonner l'expulsion de la société Phoebus et celle de tout occupant de son chef, notamment la société SERP, des lieux loués avec le concours de la force publique et d'un serrurier si besoin est ;

- condamner la société Phoebus à lui payer la somme provisionnelle de 8 629,99 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au 8 janvier 2020 ;

- fixer l'indemnité d'occupation à compter de la résiliation du bail au montant du loyer, majoré de 20%, outre le paiement des charges, jusqu'à libération effective des lieux ;

- dire que le dépôt de garantie lui restera acquis ;

en toute hypothèse,

- condamner les sociétés Phoebus et SERP à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 17 août 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a :

- déclaré irrecevables les notes en délibéré produites par les parties ;

- enjoint à la société Phoebus de produire la garantie bancaire à première demande prévue par l'article 8 du bail commercial litigieux ;

- dit que la société Phoebus pourra s'acquitter de cette obligation à l'issue d'un délai de six mois passée la signification de la présente ordonnance ;

- ordonné la suspension des effets de la clause résolutoire pendant le cours de ce délai ;

- dit que, faute pour la société Phoebus de s'acquitter de son obligation, et huit jours après l'envoi d'une simple mise en demeure adressée par lettre recommandée avec avis de réception :

la clause résolutoire sera acquise ;

il sera procédé à l'expulsion immédiate de la société Phoebus et à celle de tout occupant de son chef avec l'assistance si nécessaire de la force publique des lieux loués [...] ;

en cas de besoin, les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la société Phoebus dans un lieu désigné par elle et à défaut, seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrit avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec

sommation à la société Phoebus d'avoir à les retirer dans un délai de quatre semaines à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques, sur autorisation du juge de l'exécution, ce conformément à ce que prévoient les dispositions du code des procédures civiles d'exécution ;

une indemnité provisionnelle égale au montant du loyer contractuel augmenté des charges sera mise à sa charge, en cas de maintien dans les lieux, jusqu'a libération effective des lieux par remise des clés ;

- condamné la société Phoebus à payer à la société SCI Rivoli 15 la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;

- rejeté les demandes plus amples ou contraires.

Sur le commandement de payer, le premier juge a estimé qu'il contenait des sommes relatives à des frais juridiques dont la mise à la charge de la société Phoebus se heurte à une contestation sérieuse. Sur la garantie bancaire, il a jugé qu'il était incontestable que la société Phoebus devait la produire mais lui a accordé un délai de six mois.

Par déclaration en date du 9 février 2021, la société Phoebus a fait appel de cette décision, critiquant l'ordonnance en toutes ses dispositions.

Par conclusions remises le 30 août 2021, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société SARL Phoebus demande à la cour, sur le fondement de l'article R. 145-23 du code de commerce et des articles 834 et 835 du code de procédure civile, de:

- dire la société Phoebus recevable et fondée en son appel ;

- en fonction de l'envoi de deux chèques encaissables immédiatement dans les délais prévus en substitution de garantie bancaire à première demande, dire qu'il n'y a pas lieu à acquisition de la clause résolutoire ;

- dire que la SCI Rivoli 15 devra restituer immédiatement les locaux afin de permettre à la société Phoebus de pouvoir enfin exercer normalement ses activités ;

à titre subsidiaire,

- dire qu'il échet d'accorder un délai de 6 mois pour fourniture de la garantie bancaire à partir de la réouverture des restaurants pour permettre à la société Phoebus de reconstituer sa trésorerie et d'inciter son banquier à lui fournir cette fameuse garantie ;

- confirmer pour le surplus ;

- statuer ce que de droit quant aux dépens.

La société Phoebus expose en substance les éléments suivants :

- la société Phoebus a connu d'importantes difficultés depuis la signature du bail ;

- elle a dû réaliser des travaux pour pouvoir ouvrir son restaurant qui ont débouché sur un litige avec la copropriété, actuellement pendant devant le tribunal judiciaire de Paris ;

- son gérant, M. A., âgé de 82 ans, est tombé malade ; son locataire gérant, la société Le Victor, n'a jamais payé ses loyers ;

- son restaurant a été fermé pendant plusieurs mois en raison de la crise sanitaire ;

- le 22 juillet 2021, le conseil de la société Phoebus a adressé officiellement au conseil de la SCI Rivoli 15 deux chèques encaissables immédiatement pour substituer la garantie bancaire ;

- à titre subsidiaire, la cour accordera un délai supplémentaire à la société Phoebus pour produire la garantie demandée en raison de la crise sanitaire.

Par conclusions remises le 31 août 2021, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société SCI Rivoli 15 demande à la cour de :

- débouter la société Phoebus de toutes ses demandes ;

- confirmer la décision entreprise ;

- condamner la société Phoebus au paiement à la société SCI Rivoli 15 d'une somme de 2.400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens au profit de Maître Bouzidi F. conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La société SCI Rivoli 15 expose en résumé ce qui suit :

- la société appelante reconnaît qu'elle n'est pas en mesure de fournir la garantie bancaire prévue par le bail ;

- il n'appartient pas au débiteur de remplacer la garantie bancaire contractuellement prévue par des chèques adressés au bailleur ;

- la société Phoebus a déjà bénéficié en fait de plus de 2 ans de délai pour produire cette garantie ;

- la cour refusera donc de lui accorder tout délai supplémentaire.

SUR CE LA COUR

L'expulsion d'un locataire commercial devenu occupant sans droit ni titre en vertu du jeu d'une clause résolutoire de plein droit peut être demandée au juge des référés du tribunal judiciaire en application des dispositions de l'article 835 du code de procédure civile dès lors que le maintien dans les lieux de cet occupant constitue un trouble manifestement illicite ou qu'à tout le moins l'obligation de libérer les lieux correspond dans cette hypothèse à une obligation non sérieusement contestable.

Il sera rappelé à cet égard :

- qu'un commandement de payer visant la clause résolutoire délivré pour une somme supérieure à la dette véritable reste valable pour la partie des sommes réclamées effectivement due ;

- qu'il n'appartient pas à la cour, statuant comme juge des référés, de prononcer la nullité d'un commandement de payer, sachant qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du magistrat des référés de prononcer une telle nullité ; que le juge des référés ne peut que déterminer si les éventuelles irrégularités, invoquées à l'encontre du commandement, sont susceptibles de constituer un moyen de contestation sérieuse l'empêchant de constater la résolution du bail.

En outre, aux termes des dispositions de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le président du tribunal peut, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, allouer une provision au créancier.

L'article 1343-5 du code civil précise que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Aux termes des dispositions de l'article L. 145-41 du code de commerce, les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

En l'espèce, dans le cadre du présent appel, la société appelante estime qu'il n'y a pas lieu de constater l'acquisition de la clause résolutoire, au regard de ce qu'elle fournit, en substitution de la garantie bancaire, des chèques et sollicite à tout le moins des délais pour fournir la dite garantie. La société intimée s'oppose à ces demandes, sollicitant la confirmation de l'ordonnance entreprise.

A cet égard, il sera relevé :

- que l'article 8 du contrat de bail signé entre les parties le 13 février 2019 stipule qu' à titre de garantie complémentaire, le preneur remettra au bailleur, dans un délai maximum de 45 jours à compter de la date de signature du bail, une attestation de garantie à première demande émanant d'une banque française, d'un montant égal à 31 500 euros ;

- que cet article précise que la production de cette garantie est un élément essentiel et déterminant du consentement du bailleur sans lequel il n'aurait pas contracté le présent bail, sa non-production dans le délai imparti constituant une cause de résolution du bail aux torts exclusifs du preneur ;

- que l'article 15 du bail indique qu'à défaut par le preneur d'exécuter une seule des charges et conditions du bail ou à défaut de paiement des sommes dues, le bail sera résilié de plein droit un mois après une mise en demeure d'exécuter ou après un commandement et/ou sommation de payer demeurés sans effet pendant ce délai ;

- que, le 10 janvier 2020, le bailleur fait signifier un commandement au preneur de payer des loyers commerciaux et de justifier de la souscription d'une garantie bancaire, dans le délai d'un mois ;

- que la SARL Phoebus n'a pas fourni l'attestation de garantie à première demande dans le délai prévu, de sorte que la cour ne peut que constater l'acquisition de la clause résolutoire ;

- que, contrairement à ce qu'indique l'appelante dans ses écritures, il ne peut être considéré que la fourniture de deux chèques, d'un montant correspondant à celui prévu pour la garantie bancaire, à la date très tardive du 22 juillet 2021, constituerait, par substitution, le respect des obligations mis à la charge de la SARL Phoebus aux termes de l'article 8 du contrat ;

- qu'en effet, nonobstant les difficultés rencontrées par la société, il lui appartenait de respecter les obligations du bail, bail qui exigeait sans ambiguïté ni interprétation possible la fourniture de la garantie bancaire, faute de quoi la clause résolutoire pouvait valablement être mise en jeu ;

- que la SCI Rivoli 15 observe valablement qu'il n'appartient pas à la SARL Phoebus de substituer d'office à la garantie bancaire un autre type de garantie, au demeurant non équivalent, ce sans aucun accord du bailleur ;

- qu'il y a donc bien lieu à constater l'acquisition de la clause résolutoire ;

- que la SARL Phoebus sollicite à titre subsidiaire des délais pour fournir la garantie bancaire ;

- que, cependant, alors qu'il s'agissait d'une obligation claire et précise résultant d'un bail signé le 13 février 2019, la SARL Phoebus s'est montrée dans l'incapacité, depuis maintenant plus de deux ans, de fournir la garantie bancaire prévue ;

- qu'ainsi, même si la SARL Phoebus fait état de difficultés à raison de l'âge du gérant, de travaux entrepris, d'un contrat de location-gérance non respecté ou encore de la crise du covid-19, il n'en demeure pas moins qu'elle n'a jamais respecté une des obligations essentielles prévue dès la conclusion du bail, de sorte qu'elle ne peut être considérée comme étant de bonne foi ;

- que les locaux, aux dires des parties, ont au demeurant déjà été restitués au bailleur ;

- que la demande de délais ne saurait donc prospérer.

Ainsi, au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu, dans les limites de l'appel, de confirmer l'ordonnance entreprise et de rejeter la nouvelle demande de délais formée par la SARL Phoebus.

Le sort des dépens et frais de première instance a été exactement réglé par le premier juge.

La SARL Phoebus devra indemniser la SCI Rivoli 15 des frais non répétibles exposés à hauteur d'appel et sera condamnée aux dépens d'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant dans les limites de l'appel,

Confirme l'ordonnance entreprise ;

Y ajoutant,

Rejette la demande de délais formée par la SARL Phoebus ;

Condamne la SARL Phoebus à verser à la SCI Rivoli 15 la somme de 2 400 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;

Condamne la SARL Phoebus aux dépens d'appel, avec application au profit de Me Bouzidi F. des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

La Greffière, La Présidente.