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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 2 mars 2022, n° 21/01545

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Auto Ritz (SARL)

Défendeur :

Automobiles Citroën (SA), PSA Retail France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignières

T. com. Paris, du 25 sept. 2015 ; T. com…

25 septembre 2015

FAITS ET PROCEDURE

La société Automobiles Citroën assure la construction et la commercialisation des véhicules automobiles et des services de la marque Citroën. La société PSA Retail France SA (anciennement dénommée Société Commerciale Citroën ci-après "la société SCC ") est filiale à 100 % de la société Automobiles Citroën et a pour activité la commercialisation des véhicules automobiles et des services de la marque Citroën. (Ci-après "les sociétés Citroën").

La société Auto-Ritz SA a été concessionnaire Citroën dans le 13ème arrondissement de Paris depuis 1973, en vertu de plusieurs contrats de distribution exclusive successifs.

Par lettre du 19 juin 2002, la société Automobiles Citroën est entrée en contact avec la société Auto-Ritz, afin de négocier la reprise de son fonds de commerce. Toutefois, aucun accord n'est ressorti de cette négociation.

A la suite de l'entrée en vigueur du Règlement n° 1400/2002 du 31 juillet 2002, la société Auto-Ritz a conclu avec la société Automobiles Citroën trois contrats à durée déterminée entrés en vigueur le 1 er octobre 2003 et à échéance au 30 septembre 2008 :

- Deux contrats de distribution sélective à la fois qualitative et quantitative portant sur la vente de véhicules neufs et la vente de pièces de rechange.

- Un contrat de distribution sélective purement qualitative de réparateur agréé Citroën portant sur les prestations de services après-vente (réparation et entretien des véhicules de la marque).

La société Auto-Ritz ne respectant plus les critères de sélection d'appartenance au réseau Citroën, par courrier du 28 juin 2005, Automobiles Citroën a annoncé à la société Auto-Ritz que ses contrats de concession Citroën de véhicules neufs et pièces de rechange seraient résiliés « de plein droit et immédiatement, à vos torts et griefs » au 31 décembre 2005 si elle n'était pas en mesure, à cette date, de se conformer aux critères financiers et si elle n'engageait pas les investissements nécessaires avant le 31 octobre 2005 pour obtenir sa certification ISO.

Le 3 février 2006, la société Auto-Ritz a conclu un accord de rupture anticipée de son bail moyennant une indemnité d'éviction et a cessé son activité au printemps 2006, la société Automobiles Citroën consentant à la société Auto-Ritz une prolongation de son contrat jusqu'au 30 avril 2006, par courrier du 22 décembre 2005 : « Nous vous indiquons que de manière tout à fait exceptionnelle, nous sommes disposés, alors même que vous ne remplissez pas le critère susmentionné (critère de sélection relatif au fonds de roulement), à prolonger jusqu'à l'arrêt d'activité de votre entreprise, soit jusqu'au 30 avril 2006 au plus tard, la poursuite de vos contrats conclus avec Citroën. »

En raison du refus des sociétés Automobiles Citroën et Commerciale Citroën de poursuivre les contrats de travail des salariés de la société Auto-Ritz, diverses procédures judiciaires ont été engagées donnant gain de cause à cette dernière, qui s'est vue remboursée des indemnités de rupture dont elle avait fait l'avance à ses salariés jusqu'à ce que la cour d'appel de Paris condamne la société SCC pour violation de l'obligation légale de reprise des salariés.

Estimant alors que les sociétés Automobiles Citroën et Commerciale Citroën étaient directement responsables de la dégradation de sa propre situation commerciale et financière entre 2002 et 2006 notamment par des faits de concurrence déloyale, la société Auto-Ritz a obtenu, par ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce de Paris du 22 octobre 2010, l'autorisation de se procurer, par l'intermédiaire d'un huissier de justice, une copie des documents d'analyses de marges (BRAMS et TAMS) portant sur les exercices 2002 à 2006. Ces documents ont été placés sous séquestre.

Le 8 février 2011, la société Auto-Ritz a assigné en référé, sur le fondement du même texte, la société Automobiles Citroën et la société Commerciale Citroën devant le même président de tribunal de commerce pour voir ordonner la mainlevée du séquestre des documents recueillis et conservés par l'huissier de justice conformément à l'ordonnance du 22 octobre 2010.

La mainlevée a été ordonnée par un arrêt de la cour d'appel du 16 novembre 2011.

Le 25 juin 2014, la société Auto-Ritz a assigné la société Automobiles Citroën et la société Commerciale Citroën devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de les voir condamner solidairement à lui payer :

Au visa des articles 1134 et 1382 du code civil, L. 420-1 et L. 442-6, I, 2°et 3° du code de commerce.

- La somme de 9 141 000 euros à titre de dommages-intérêts sur le fondement de la concurrence déloyale.

- La somme de 4 745 538 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie, qui dans les dernières écritures pour rupture brutale et abusive de ses contrats de distributeur et de réparateur Citroën et correspondant à 20 mois de marge brute moyenne dégagée au cours des trois derniers exercices contractuels.

Par jugement du 28 septembre 2015, le tribunal de commerce a jugé que les demandes de la société Auto-Ritz n'étaient pas prescrites et a fixé un calendrier de procédure en vue de l'instruction au fond de l'affaire.

Par jugement du 29 février 2016, le tribunal de commerce de Paris a :

- Rejeté la demande de sursis à statuer ;

- N'a pas donné suite à la demande de rejet de la pièce n° 22 de la SA Auto Ritz ;

- Mis la société SAS Société Commerciale Citroën hors de cause ;

- Condamné la SA Automobile Citroën à payer à titre de dommages et intérêts à la SA Auto Ritz la somme de 4.700.000 euros ;

- Ordonné l'exécution provisoire dans la limite de 2.000.000 euros sauf constitution de garantie pour le surplus ;

- Condamné la SA Automobiles Citroën à payer à la SA Auto Ritz la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Dit les parties mal fondées pour leurs demandes plus amples ou autres, et les en déboute ;

- Condamne la partie SA Automobiles Citroën aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 177, 36 euros dont 29, 12 euros de TVA.

Les deux sociétés Auto-Ritz et Citroën ont interjeté appel de ces deux jugements, la société PSA Retail intervenant volontairement aux droits de la société Commerciale Citroën.

Par un arrêt du 10 avril 2019, la cour d'appel de Paris a :

Infirmé le jugement entrepris,

Déclaré prescrite l'action de la société Auto-Ritz.

Débouté la société Auto-Ritz de toutes ses demandes.

Condamné la société Auto-Ritz aux dépens de première instance et d'appel.

Condamné la société Auto-Ritz à payer au sociétés Automobiles Citroën et SCC la somme de 20'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Auto-Ritz s'est pourvue en cassation contre cet arrêt.

Par arrêt du 14 janvier 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a :

Cassé et annulé en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamné la société Automobiles Citroën et la société PSA aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par la société Automobiles Citroën et la société PSA Retail et les a condamnés à payer à la société Auto-Ritz la somme globale de 3 000 euros ;

La société Auto-Ritz a saisi la cour d'appel de Paris le 20 janvier 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 22 novembre 2021, la société Auto-Ritz demande à la cour de :

Dire et juger les sociétés AUTOMOBILES CITROËN et PSA RETAIL France SAS venant aux droits de la SOCIETE COMMERCIALE CITROËN mal fondées en leurs prétentions.

Les débouter de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions.

Vu l'article 2241 du Code civil,

Confirmer dans l'intégralité de ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 28 septembre 2015 relatif à l'absence de prescription de l'action engagée par la société AUTO RITZ contre les sociétés AUTOMOBILES CITROËN et SOCIETE COMMERCIALE CITROËN.

Vu les articles 1134 alinéas 1 et 3 et 1382 du Code Civil,

Confirmer partiellement le jugement au fond du 29 février 2016 en ce qu'il a :

- Jugé que la société AUTOMOBILES CITROËN avait engagé sa responsabilité au préjudice de la société AUTO-RITZ.

- Condamné la société AUTOMOBILES CITROËN à réparer partiellement le préjudice subi par la société AUTO-RITZ en lui payant la somme de 4.700.000 € de dommages et intérêts et celle de 25.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'infirmer pour le surplus de ses dispositions.

Statuant à nouveau,

Dire et juger que la société AUTOMOBILE CITROËN a très lourdement engagé sa responsabilité contractuelle au préjudice de la société AUTO-RITZ :

1. En ayant feint d'engager de mauvaise foi un simulacre de pourparlers tendant à laisser croire à la société AUTO-RITZ qu'elle souhaitait négocier le rachat de son fonds de commerce pour le compte de la SOCIETE COMMERCIALE CITROËN, alors qu'avant même d'initier ces faux pourparlers par courrier du 19 juin 2002, elle avait négocié la prise à bail des locaux de l'ancienne concession Piguet par contrats régularisés dès le 3 juin 2002, à des conditions financières incompatibles avec le rachat de la concession d'AUTO-RITZ.

2. En imputant finalement l'échec de ces pourparlers à la société AUTO-RITZ.

3. En provoquant sa cessation d'activité :

3.1. En créant une situation concurrentielle déséquilibrée consécutivement à l'implantation du point de vente de SCC sur Paris-Italie à compter du mois de juillet 2002.

3.2. En finançant de façon discriminatoire et inéquitable une stratégie tendant à augmenter significativement entre 2002 et 2005 les pertes nettes d'exploitation des points de vente de sa filiale SCC les plus proches et les plus directement concurrents de la société AUTO-RITZ, à savoir SCC Paris Sud-Ouest, SCC Paris-Italie et SCC Paris Rive Gauche.

3.3. En s'abstenant, pour compenser ce déséquilibre, d'octroyer à la société AUTO-RITZ des aides équivalentes afin de la faire bénéficier des mêmes conditions d'exécution de ses contrats que celles accordées à sa filiale.

3.4. En dégradant ainsi très fortement la situation commerciale et financière de la société AUTO-RITZ.

3.5. En se prévalant de cette situation qu'elle avait pourtant délibérément provoquée pour reprocher à son concessionnaire de ne plus respecter les critères de sélectivité financiers requis pour continuer à appartenir à ses réseaux sélectifs, et de ne plus pouvoir financer sa certification ISO dans le but de mettre brutalement un terme aux contrats qui la liaient à la société AUTO-RITZ depuis 33 ans tout en ne lui octroyant qu'un répit de 4 mois.

4. En s'abstenant d'indemniser AUTO-RITZ des préjudices qu'elle lui avait indûment causés et en incitant sa filiale SCC accroître encore les difficultés de son ancien concessionnaire par le non-respect des dispositions d'ordre public édictées à l'article L. 1224-1 du code du travail.

Dire et juger que la SOCIETE COMMERCIALE CITROËN a engagé sa responsabilité délictuelle conjointe et solidaire avec la société AUTOMOBILES CITROËN en concourant au dommage ainsi causé à la société AUTO-RITZ en lui livrant une concurrence déloyale qui lui a occasionné de lourdes pertes et l'a contrainte à cesser son exploitation.

En conséquence, et pour les causes sus énoncées,

Ajoutant au jugement déféré,

Condamner solidairement les sociétés AUTOMOBILES CITROËN et PSA RETAIL France SAS venant aux droits de SOCIETE COMMERCIALE CITROËN à payer à titre de dommages-intérêts complémentaires à la société AUTO-RITZ la somme de 2.600.000 €, au titre de son préjudice d'exploitation subi entre 2003 et 2005 afin de porter celui-ci à la somme de 7.300.000 € retenue par le Tribunal avant la déduction injustifiée de la somme de 2.600.000 € correspondant à l'indemnité de rupture anticipée de bail perçue de son bailleur par AUTO-RITZ, déduction à laquelle il a à tort procédé pour les causes sus-énoncées.

Condamner en outre la société AUTOMOBILES CITROËN à payer à AUTO-RITZ 4.528.075 € correspondant à 50 % de 29 mois de marge brute en réparation du dommage consécutif à la rupture abusive et brutale de ses contrats de distributeur et de réparateur CITROËN, en référence à la marge brute moyenne dégagée au cours des trois derniers exercices contractuels non perturbés (1999, 2001) à titre de dommages et intérêts complémentaires.

Condamner solidairement les sociétés AUTOMOBILES CITROËN et PSA RETAIL France SAS qui ont évalué leurs propres frais irrépétibles à ce même montant, au paiement d'une somme de 50.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner les appelantes au paiement des entiers frais et dépens d'instance et d'appel.

Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 25 novembre 2021, les sociétés Automobiles Citroën et SCC demandent à la Cour de :

Dire les sociétés AUTOMOBILES CITROEN et COMMERCIALE CITROEN, recevables et bien fondées en leurs conclusions.

Infirmer les jugements rendu par le Tribunal de Commerce de Paris les 28 septembre 2015 et 29 février 2016.

Vu les articles 2224 et suivants du code civil, 26-1 de la loi 2008-561, L. 110-4 du Code de Commerce, et 389 du code de procédure civile.

Dire prescrites, toutes les demandes de la société AUTO RITZ non virtuellement liées à la demande en référé afin de levée de séquestre, comme n'ayant pas pour but l'indemnisation des préjudices occasionnés par l'exercice d'une prétendue concurrence déloyale de la société COMMERCIALE CITROEN.

Juger notamment la prescription du droit d'action de la société AUTO RITZ à l'encontre des sociétés AUTOMOBILES CITROEN et COMMERCIALE CITROEN :

- Depuis le 18 juin 2013 s'agissant des demandes fondées sur une prétendue brusque rupture des relations commerciales entre les parties.

- Et depuis le 18 juin 2013 s'agissant des demandes fondées sur un prétendu simulacre de pourparlers de rachat du fonds de commerce de la société AUTO RITZ et la rupture anticipée abusive du contrat.

Subsidiairement, et en tout état de cause,

Infirmer le jugement rendu le 29 février 2016 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a condamné la société AUTOMOBILES CITROEN au paiement de la somme de 4 700 000 euros à titre de dommages intérêts sur le fondement de l'ancien 1134 al 3 du Code Civil, outre 25 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Débouter la société AUTO RITZ de toutes ses demandes fins et conclusions,

Condamner la société AUTO RITZ à payer à la société AUTOMOBILES CITROEN et à la société COMMERCIALE CITROEN la somme de 100 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction, pour ceux-là concernant, au profit de Maître Patricia H. SELARL 2H AVOCATS et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par les sociétés Automobiles Citroën et PSA Retail France.

Par acte délivré le 25 juin 2014, la société Auto-Ritz a assigné la société Automobiles Citroën et la société SCC, aux droits de laquelle vient la société PSA Retail France, devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de les voir condamner solidairement à l'indemniser de préjudices fondés sur des faits de concurrence déloyale et d'une rupture brutale et abusive des contrats de distributeur et de réparateur.

Les sociétés Citroën ont opposé la prescription de l'action depuis le 18 juin 2013, en tant que fondée sur la rupture des relations commerciales, et depuis le 7 septembre 2013, en tant que fondée sur les faits de concurrence déloyale.

Pour casser l'arrêt de la Cour de céans ayant retenu la prescription de l'action, la Cour de cassation a jugé que la demande en référé, à fin de mainlevée du séquestre de documents recueillis par un huissier de justice en vertu d'une ordonnance sur requête rendue sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, qui tend, comme la demande au fond, à obtenir l'indemnisation du préjudice, interrompt le délai de prescription de l'action au fond, celle-ci étant virtuellement comprise dans l'action visant à l'obtention de la mesure in futurum.

Les sociétés Citroën font valoir que les demandes fondées sur la brusque rupture de l'article L. 442-6-1,5° du code de commerce et celles fondées sur l'attitude fautive dans la conduite des pourparlers de rachat du fonds et la prétendue rupture anticipée abusive du contrat demeurent prescrites, en ce qu'elles ne sont pas virtuellement comprises dans la demande en référé afin de mainlevée de séquestre.

Toutefois, la demande en référé à fin de mainlevée du séquestre de documents recueillis par l'huissier de justice dans les locaux de la société Automobiles Citroën et de la société SCC par ordonnance sur requête rendue sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, tendait, comme les demandes au fond à obtenir la réparation de préjudices liés à la mauvaise foi de la société Automobile Citroën dans l'exécution et la rupture des contrats la liant à la société Auto Ritz et à la situation de concurrence déloyale pouvant être ainsi créée entre son concessionnaire et sa filiale SCC.

Aussi, s'agissant des demandes relatives à la rupture brutale des relations, le point de départ de la prescription en responsabilité délictuelle est au jour où les relations commerciales ont pris fin, soit le 1er avril 2006. S'agissant d'une prescription non acquise le 18 juin 2008, date d'entrée en vigueur de la réforme de la prescription en matière civile, le nouveau délai de prescription quinquennale courrait jusqu'au 18 juin 2013, délai interrompu par l'assignation en mainlevée de séquestre du 8 février 2011 jusqu'à l'arrêt du 16 novembre 2016, en sorte que l'action introduite le 25 juin 2014 n'est pas prescrite. Il en est de même pour les demandes relatives à la concurrence déloyale notamment fondée sur une attitude fautive pendant les pourparlers et la rupture anticipé des contrats.

Dès lors, l'action au fond au soutien de laquelle ont été introduites les différentes demandes de la société Auto Ritz n'est pas prescrite.

Sur les manquements invoqués par la société Auto-Ritz à l'égard des sociétés Automobiles Citroën et PSA Retail France venant aux droits de la société SCC.

La société Auto-Ritz prétend, à l'appui d'un rapport et notes d'expertises de MM. B. et J., que pour finaliser son plan de réorganisation de la représentation de sa marque sur Paris, désormais confiée exclusivement à sa filiale SCC, la société Automobiles Citroën a provoqué le départ anticipé de son dernier concessionnaire indépendant et reproche à cet effet :

*En premier lieu, à la société Automobiles Citroën d'avoir engagé de mauvaise foi avec la société Auto-Ritz un simulacre de pourparlers de reprise de son fonds de commerce pour lui en imputer l'échec.

*En deuxième lieu, aux sociétés Automobiles Citroën et SCC d'avoir placé la société Auto-Ritz dans un contexte tant contractuel que concurrentiel déséquilibré et inéquitable qui, après avoir dégradé sa situation commerciale et financière l'a empêchée de continuer à satisfaire aux critères financiers d'appartenance au réseau Citroën, situation dont Automobiles Citroën n'a pas hésité à se prévaloir pour lui imposer de façon abusive la cessation anticipée de ses contrats à effet du 30 avril 2006. La société Auto-Ritz fait notamment valoir au titre d'une exécution inéquitable et déloyale des relations contractuelles entre 2002 et 2005, l'ouverture de SCC Paris-Italie et l'augmentation par Automobiles Citroën des moyens financiers et commerciaux de SCC entre 2002 et 2005, à savoir :

- Le refinancement par Automobiles Citroën de l'exploitation lourdement déficitaire de SCC.

- L'augmentation des pertes d'exploitation des points de vente de SCC les plus directement concurrents d'Auto-Ritz entre 2002 et 2005.

- Des moyens d'exploitation hors normes en termes de frais de structure.

- L'octroi par Automobiles Citroën aux points de vente de sa filiale SCC d'aides commerciales supérieures à celles accordées à Auto-Ritz pour favoriser son activité VN.

- Le subventionnement de la perte VO par la société Automobile Citroën et Felix F..

*En troisième lieu, pour la société SCC, une fois le départ d'Auto-Ritz acquis, d'avoir réduit soudainement et significativement en 2006 son exploitation déficitaire, confirmant le lien de causalité entre les lourdes pertes enregistrées entre 2002 et 2005 par les trois points de vente de SCC les plus directement concurrents d'Auto-Ritz et la concurrence inéquitable qu'ils lui ont livrée pour la faire disparaître.

Les sociétés Automobiles Citroën et PSA Retail France répliquent, à l'appui d'un rapport et notes d'expertises de M. L., qu'elles n'ont commis aucune faute ou acte de concurrence déloyale, et font notamment valoir à cet effet que :

- L'examen du niveau de marge brute des activités de vente de véhicules neufs (VN), véhicules d'occasion (VO), pièces de rechange (PR) et de service après-vente (APV) des succursales parisiennes exploitées par la société SCC ( Paris Sud-Ouest, Paris Rive Gauche et Paris Italie) met en évidence qu'aucune de ces activités n'était en réalité exercée avec une marge brute d'activité négative, et qu'aucun moyen conduisant à une distorsion de concurrence au détriment de la société Auto-Ritz n'était accordée à ces succursales.

- Ce n'étaient pas les conditions d'exploitation commerciales des différentes activités des succursales parisiennes de la SCC qui avaient pesé sur le niveau des marges nettes, mais le poids de charges de structure très élevées au regard de volumes de vente faibles, sachant que la société Auto-Ritz bénéficiait d'une situation très favorable s'acquittant d'un loyer inférieur de plus de moitié à celui du marché.

- La réouverture du point de vente Paris Italie, en janvier 2003 (et non en juillet 2002), n'avait pas eu d'impact significatif sur l'activité de la société Auto-Ritz.

- Le niveau des résultats des activités de la société SCC sur la période considérée, n'était pas uniquement lié à son activité de distribution et de réparation automobile, et procédait non seulement des autres activités qu'elle exerce, mais également des choix organisationnels, juridiques et capitalistiques qu'elle avait pu faire au cours de son existence.

- La société Auto-Ritz souffrait d'un sous-investissement chronique et avait laissé son point de vente se dégrader et que sa situation financière était obérée depuis 1998.

Sur ce,

Préalablement, la Cour observe que sur le territoire national, la commercialisation des véhicules de la marque Citroën est assurée non seulement par la société SCC, devenue PSA Retail France, qui exploite en direct des succursales, mais également par des concessionnaires indépendants, dont la société Auto-Ritz agréée par la société Automobiles Citroën en 1973 pour commercialiser et assurer le service après-vente des véhicules de la marque Citroën dans le quartier des Gobelins (Paris 13ème). Jusqu'en 2000, les territoires limitrophes du territoire dédié à Auto-Ritz, étaient occupés à l'ouest par la succursale SCC Paris Ouest et à l'est par le concessionnaire indépendant Piguet. Ce dernier a cessé son activité en juin 2000 qui a été reprise à compter du 1er janvier 2003 par une succursale Paris Italie de la société SCC.

La Cour observe également, que dès l'année 2002, la société Auto-Ritz était informée du projet immobilier concernant ces locaux d'exploitation en entreprenant une estimation d'indemnité d'éviction par M. M. le 30 avril 2002 et a consenti par acte notarié en avril 2004 à la résiliation conditionnelle de ses baux. Dans le même temps, en avril 2003 la société Auto-Ritz a obtenu le renouvellement de ses contrats de distribution auprès de Citroën pour une durée de 5 ans. Par courrier du 6 décembre 2005, la société Auto-Ritz écrit en ces termes au groupe PSA : « Nous faisons suite aux différents entretiens informels que nous avons eus au sujet de la fermeture de notre entreprise, la société Citroën Gobelins, située [...]. Comme nous avons pu l'évoquer, la société que nous gérons est installée dans des locaux qui ne nous appartiennent pas. Notre propriétaire ayant décidé de récupérer les locaux, pour le 1er avril 2006 prochain, nous nous devons de quitter ceux-ci. Compte tenu de l'âge des dirigeants de l'entreprise, et de la situation économique de celle-ci, il ne nous apparaît pas envisageable de poursuivre l'exploitation dans d'autres locaux. Par ailleurs, toute recherche d'acquéreur est également inenvisageable d'un point de vue strictement économique. Dans ces conditions, nous allons être amenés, comme nous vous l'avons exposé de cesser purement et simplement toute activité, et donc de procéder à la fermeture définitive de l'entreprise (...) ». Il est ainsi noté dans l'analyse des résultats de la société Auto- Ritz entre 2003 et 2005, que celle-ci a cessé l'essentiel de ses achats en matière première au cours du second semestre 2005 et a procédé à une opération de déstockage en 2005 (Bilan Auto-Ritz pièces 10.3 et 10.4, rapport Lispki page 57).

Les manquements allégués de la société Auto-Ritz sont principalement fondés sur l'analyse par les experts B. et J. (pièce n° 22 et note pièce 27 -Auto-Ritz) des documents établis par la société SCC et obtenus en référé, suivants :

- Les brochures des résultats et analyses mensuels des succursales (document dit "BRAMS").

- Les tableaux d'analyse de marges (document dit TAM) qui présentent les résultats financiers par strate, le territoire national étant réparti en 3 strates (province, Paris et le National qui regroupe les deux).

Les sociétés intimées ont également produit un rapport d'analyse de ces documents et de critiques des conclusions des experts B. et J. par l'expert L. (pièces n° 55 et n° 61).

De la lecture de ces pièces et des analyses techniques produites par chacune des parties, la Cour relève les éléments suivants :

Les documents BRAMS et TAMS regroupent un ensemble de tableaux de bord établis à partir de différents indicateurs, mois par mois et de façon cumulée depuis le début de l'année, sur les performances commerciales des succursales de la SCC avec comparaison de l'année précédente et un budget. Ces documents ne sont effectivement pas des documents de comptabilité analytique, mais des outils de pilotage pour mesurer la performance commerciale et financière des succursales, en sorte qu'il convient de bien préciser ce que recoupent les différents indicateurs pour en faire une comparaison utile avec la propre activité de la société Auto-Ritz notamment sur la période de 2000 à 2005.

Il ressort des analyses des experts B. et J. que la comparaison de l'évolution d'activité entre la société Auto-Ritz d'une part et les succursales SCC directement concurrentes d'autre part (Paris Sud-Ouest, dont les résultats ont été scindés en deux et comptabilisés pour partie sur Paris Rive gauche à compter de 2003, et Paris Italie à compter de 2002/2003) s'est principalement focalisée sur :

- L'activité commerciale de vente de véhicules neufs (VN).

- Les niveaux de marge.

- Les opérations de refinancement.

La comparaison d'activité sur la vente de véhicule neufs (VN) :

Comme le soutiennent à juste titre les sociétés Citroën, l'année 2006 ne peut être utilement intégrée dans le panel de comparaison dès lors que la société Auto-Ritz a arrêté son activité en avril 2006.

La Cour relève les éléments suivants :

Source : synthèse des tableaux A - L. / 4a et 4b B. et J.

   Livraison VN

Succursales

2001

2002

2003

2004

2005

SCC Paris Sud Ouest

2263

2333

722

745

745

SCC Paris Rive Gauche

-

-

1070

1067

970

SCC Paris Italie

-

-

1017

1066

1055

Total

2263

2333

2809

2878

2770

variation en %

 

3,09 %

20,40 %

2,46 %

-3,75 %

Source : tableau n° 7 B.

Livraisons VN

2001

2002

2003

2004

2005

Auto-Ritz VHL Livrés

dont :


1690

 

1240

1528

1414

1189

- ventes grosses flottes (VGF)

1183

893

1124

1144

1003

-particuliers

507

347

404

270

186

% VGF / Livraison Auto-Ritz70,0 %72 %73,6 %80,9 %84,4 %

Source : tableau B - L.

Livraison VN

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

Livraison VN à Auto-Ritz

753

973

1196

1690

1112

1377

1414

1189

variation en %

 

29,2 %

22,9 %

41,3 %

- 34,2 %

23,8 %

2,7 %

- 15,9 %

S'il est constant qu'entre 2001 et 2005, comme le fait observer la société Auto-Ritz, la vente de VN a progressé de 22,40 % pour les SCC Sud Paris (de 2263 à 2770) alors qu'elle a baissé de 42 % pour Auto-Ritz (1690 à 1189), il y a lieu cependant de relever que :

- L'activité de vente de véhicules neufs de la société Auto-Ritz ne s'est pas réduite de manière significative entre 2000 et 2005.

- La société Auto-Ritz a enregistré en 2003, après l'ouverture de la succursale de Paris Italie, un niveau d'activité supérieur de plus de 10 % de l'année 2000, année de fermeture de la concession Piguet, sachant que le niveau d'activité à partir de 2003 se retrouve à un niveau comparable si ce n'est supérieur à celui que connaissait la société Auto-Ritz pendant l'exploitation de la concession Piguet.

- La société Auto-Ritz a bénéficié en 2001 d'un appel d'air lié à la vacance du territoire précédemment exploité par la concession Piguet en enregistrant une croissance de 41 % par rapport à 2000.

- La baisse d'activité en 2005 de la société Auto-Ritz peut s'expliquer par la fermeture programmée de l'entreprise début 2006.

- Depuis 1999, une part significative des ventes de la société Auto-Ritz l'a été auprès d'une clientèle de professionnels (VGF), de 70 % à 80 %, laquelle est moins sensible à une problématique de zone de chalandise comme la vente de véhicules aux particuliers.

- Chacun des points de vente SCC pris individuellement vend de 20 % à 40 % moins de véhicules neufs que la société Auto-Ritz.

Autrement dit, contrairement à ce qui est avancé par la société Auto-Ritz, la fermeture puis la réouverture au 1er janvier 2003 du point de vente Paris Italie n'a pas eu pour effet d'entraîner une baisse significative d'activité pour la société Auto-Ritz, si ce n'est une activité variable depuis 1999.

La comparaison des marges,

Il ressort clairement des documents BRAMS/TAM que les indicateurs relatifs aux marges sont de deux ordres et correspondent aux valeurs suivantes :

- La marge brute d'activité (MBA) qui correspond à la marge brute d'exploitation ou marge commerciale (chiffre d'affaires diminué des coûts directs, soit les coûts d'achat), de laquelle est déduit les frais de commercialisation, les frais de distribution et les coûts salariaux directs des différents intervenants liés à l'activité.

- La marge nette : la marge brute d'activité (MBA) de laquelle sont déduits les frais de structure, dont les loyers.

* Sur la comparaison de la marge brute d'activité (MBA),

Il ressort des explications des parties, que la MBA telle que décrite ci-dessus est un indicateur pertinent pour juger de la rentabilité économique des activités d'un point de vente (ventes VN, ventes VO, PR et après-vente) dans la mesure où elle consiste à mettre en regard les revenus générés par chacune de ses activités et ce qu'il en coûte directement à l'entreprise pour les générer.

A partir des analyses des experts et des explications des parties, sachant que les données d'activité de la société Auto-Ritz ne sont disponibles que pour les années 2001 à 2003, la Cour constate :

S'agissant de la MBA activité VN :

Source tableaux G-1 à G-3 Lipsky

MBA activité VN (€/VN)

2001

2002

2003

Auto-Ritz

321

236

249

SCC Paris

276

319

276

S'agissant de la MBA activité VO

Source tableaux H-1 à H-3L.

MBA activité VO (€/Vo)

2001

2002

2003

Auto-Ritz

552

719

600

SCC Paris

11

- 77

- 45

 

S'agissant de la MBA activité VN+VO :

Source tableau I L.

MBA VN+VO (€/VN)

2001

2002

2003

2004

2005

Auto-Ritz

397

367

323

-

-

SCC Sud Ouest

444

278

104

119

136

SCC Rive gauche

-

217

217

258

155

SCC Paris Italie

-

-

346

456

522

Il ressort de ces informations que la rentabilité des points de vente analysée à travers la marge brute d'activité met en évidence que :

- Aucune des succursales Paris Sud-Ouest, Paris Rive Gauche et Paris Italie n'exerce une activité VN+VO avec une marge brute d'activité négative (il en est de même pour les activités PR et service-après-vente - tableau D L).

- La marge brute d'activité VN de la société Auto-Ritz est comparable à celle SCC Strate Paris sur les années 2001 à 2003, seules disponibles en information.

- La marge brute d'activité VO des sociétés Auto-Ritz et SCC Paris n'est en revanche pas comparable, celle de SCC Paris est négative, il est toutefois noté que la MBA VO de Paris-Italie sur les années 2003 à 2005 est positive (pièce n° 42 Citroën – 341 €/VO en 2003, 375 €/VO en 2004 et 456 €/VO en 2005).

Par ailleurs, il résulte des explications des experts dans leur note respective que dans une concession automobile, les activités de véhicules neufs, vente de véhicule d'occasion, de pièces de rechanges et le service après-vente sont interdépendantes. L'absence de remise sur la vente d'un véhicule neuf peut avoir pour contrepartie une reprise d'un véhicule d'occasion "sur côté" et inversement, une remise importante sur un véhicule neuf peut correspondre à une reprise "sous cotée" du véhicule d'occasion de l'acheteur VN ou l'octroi gracieux d'accessoires. Autrement dit, l'activité VO est indissociable de l'activité VN suivant les différentes stratégies commerciales adoptées, en sorte que la comparaison pertinente doit se faire au niveau de la marge VN+VO.

Ensuite, les experts B. et J. ont analysé l'évolution des composantes de la MBA VN à partir des états TAM strate Paris pour constater que :

- Les remises clients véhicules neufs particuliers et utilitaires sont comprises entre 11,1 % en 2001 et 12,2 % en 2006, soit une moyenne annuelle de 11,6 % du chiffre d'affaires clients.

- La marge concessionnaire est comprise entre 20,1 % en 2001 et 23 % en 2006, soit une moyenne sur la période de 22 % et d'en déduire une très grande stabilité de ces coûts sur cette période et apparemment aucune influence liée à la création de Paris-Italie tant au niveau des remises accordées aux clients qu'au niveau de marge dite "marge concessionnaire".

De plus, il ressort des tableaux G-1 à G-5 L. que sur la période 2001-2003, il n'y a pas de différence significative entre les agrégats de gestion de la société Auto-Ritz et ceux de la strate Paris de la SCC, et plus particulièrement il est constaté que :

- Le niveau de marge brute d'activité dégagé par les activités VN et VO de la succursale de Paris-Italie et de la société Auto-Ritz sont similaires en 2003, respectivement à 346 euros et 323 euros par véhicule neuf vendu.

- S'agissant de la participation commerciale, les sociétés Citroën relèvent sans être utilement contredites par la société Auto-Ritz que l'indicateur pertinent de comparaison est celui du coût de la négociation (différence entre la remise faite au client et la participation commerciale du constructeur).

- Soit l'effort commercial net accordé par le concessionnaire aux clients sur ses marges et qu'à cet égard le coût de négociation de la SCC strate Paris est inférieur à celui de la société Auto-Ritz de 2001 à 2003, et que celui de la succursale de Paris-Italie est inférieur à celui constaté sur les strates Paris et Nationale.

- S'agissant des ristournes des organismes financiers, les sociétés Citroën soulignent sans être utilement contredites par la société Auto-Ritz, qu'il existe certes une différence de montant des ristournes accordées par les organismes financiers à la SCC Paris et à Auto-Ritz mais il n'est pas précisé par cette dernière si elle travaille avec les mêmes organismes que les succursales et que la forte proportion de vente à flottes d'entreprises et à loueur techniques, finançant eux-mêmes leurs parc de véhicules, est l'une des causes principales de l'écart de rémunération en euros à la VN vendue.

Il ressort principalement de ces éléments des conditions d'exploitation bénéficiaires des activités VN+VO des succursales de la SCC directement concurrentes de la société Auto-Ritz ainsi qu'une politique commerciale stable et l'absence d'influence significative de la réouverture du point de vente Paris-Italie sur l'activité de la société Auto-Ritz. Aussi, les analyses des documents BRAMS/ TAMS ne mettent pas en évidence, contrairement à ce qui est avancé par la société Auto-Ritz, une politique d'exploitation commerciale « prédatrice lourdement déficitaire » de la part des sociétés Citroën, ni d'inégalité de traitement en termes d'aides et de primes commerciales de nature à procurer un avantage concurrentiel patent des succursales SCC sur Auto-Ritz.

* Sur la comparaison de la marge nette,

Malgré une confusion opérée dans le rapport B. et J., la marge nette comme indicateur dans les états BRAMS/TAM correspond comme indiqué ci-dessus, à la MBA déduction faite des frais de structure dont les loyers.

Il n'est pas contesté par les parties que les frais de structure sur la période 2001 à 2005 sont logiquement plus importants sur la strate Paris que la province et que les trois points de vente du Sud Paris (Paris Sud-Ouest, Paris Rive Gauche et Paris Italie) ont des frais de structure compris entre 7,4 % et 13,02 % du chiffre d'affaires, soit une moyenne de 10,87 % sur la période, chiffre qui chute à 6,8 % du chiffre d'affaires en 2006.

S'agissant de la marge nette, il est relevé les éléments suivants :

Source tableau 11 a et b et 15- B. et J.

marge nette € toutes activités à la VN

2001

2002

2003

2004

2005

2006

SCC National

45

- 43

- 172

- 168

- 197

- 155

Strate Province

101

4

- 60

- 29

- 90

- 119

Strate Paris

- 106

- 168

- 428

- 508

- 465

- 246

moyenne Sud Paris SCC

- 587

- 961

- 2559

- 2036

- 2070

- 774

Auto-Ritz

832

237

242

- 156

- 805

- 815

Certes, la marge nette est plus significativement négative concernant les succursales Sud Paris.

Les sociétés Citroën expliquent toutefois, sans être utilement contredites par la société Auto-Ritz qu'il existe une corrélation importante entre le poids des charges de structure et le niveau des marges nettes négatives dégagées par certaines succursales. Ainsi, il est constaté à partir de 2003 une augmentation des frais de structure sur Paris Sud-Ouest en raison du fait que ces derniers sont rapportés au chiffre d'affaires plus faible en raison de l'ouverture de Paris Italie et Paris Rive Gauche en 2003. Les frais de structure inhérents à la présence d'un point de vente, notamment les coûts immobiliers, se sont ainsi trouvés rapportés à un chiffre d'affaires par point de vente plus faible, ce qui a mécaniquement fait augmenter significativement leur poids relatif.

Il est en outre démontré par les sociétés Citroën que la société Auto-Ritz s'acquittait d'un loyer inférieur de plus de la moitié à celui du marché et que si elle avait eu à supporter des charges immobilières équivalentes à celles supportées par les succursales SCC Paris Sud, elle aurait, comme ces dernières, après imputation des coûts de structure à sa marge brute d'activité, enregistré des marges nettes négatives dès 2003.

Pour l'année 2006, les sociétés Citroën justifient l'amélioration des chiffres en raison d'une modification de la méthode d'établissement des documents BRAMS (pièce 62), à savoir qu'il avait été décidé par la SCC à partir de cette année, de modifier les règles internes de calcul du coût immobilier et d'imputer à chaque succursale sur le périmètre parisien une charge de loyer normative en lieu et place du coût réel pour arriver à une comparaison plus pertinente du résultats d'activité des points de vente (pièce n° 62) et ce dans le cadre de choix des indicateurs pour le pilotage commercial.

Autrement dit, il n'est pas utilement contesté par la société Auto-Ritz, que les marges nettes négatives des succursales SCC directement concurrentes s'expliquent par les frais de structure et en particulier les loyers parisiens, et pas nécessairement par des conditions d'exploitation commerciale déficitaires. Autrement dit, ces analyses ne mettent pas en évidence, comme le soutient la société Auto-Ritz, de moyens d'exploitation "hors norme" en termes de frais de structure.

Sur les opérations de refinancement,

Sur ce point la société Auto-Ritz, après avoir fait le constat d'un montant "colossal" du soutien financier de la société SCC par la société Automobile Citroën notamment par recapitalisation et apports en compte courant, prétend qu'entre 2003 et 2005 la société SCC a délibérément augmenté ses pertes principalement sur Paris et relève que ce sont les trois points de vente les plus proches et les plus directement concurrents de la société Auto-Ritz qui ont enregistré la plus forte augmentation en France de leurs pertes nettes d'exploitation, celles-ci connaissant un redressement spectaculaire à compter de 2006 après le départ de la société Auto-Ritz.

Cependant, les sociétés Citroën démontrent à partir des tableaux K-1 à K-4 du rapport Lispki, sans être utilement contredites par la société Auto-Ritz que :

- La société SCC comptait au 1er janvier 2002, trois branches d'activités distinctes : une activité de distribution et réparation automobile (dont les succursales en cause), une activité de vente "export" et une activité spécifique de vente de véhicules d'occasion.

- Les apports en compte-courant dans la SCC par la société Automobiles Citroën à hauteur de 498,2 millions d'euros sur la période 2002 à 2006 sont effectivement venus compenser les pertes de la SCC à hauteur de 343,6 millions d'euros.

- Moins d'un quart des 260 millions de pertes enregistrées par la SCC de 2002 à 2005 provient de l'exploitation déficitaire de ses succursales soit 62,6 millions.

- 76 % des marges nettes enregistrées par les succursales proviennent effectivement des performances enregistrées par la strate Paris, et 31 % de ces marges nettes sont enregistrées par les succursales Paris Sud-Ouest, Paris Rive Gauche et Paris Italie.

Il en ressort que contrairement aux affirmations de la société Auto-Ritz, le niveau des résultats des activités de la société SCC, et en particulier de ses pertes, ne sont pas principalement liées aux activités des trois succursales directement concurrentes de la société Auto-Ritz mais à une stratégie commerciale et financière plus globale comprenant la mission de cultiver l'image de la marque Citroen en maintenant une représentation dans les emplacements les moins rentables tels qu'en centre-ville et sur Paris par rapport à ses concurrents français et étrangers.

Il résulte de l'ensemble de ces constatations que l'analyse des documents BRAMS/TAM et des pièces comptables des sociétés Auto-Ritz et SCC ne mettent pas en évidence une stratégie commerciale et financière visant un "dopage financier" et "une politique discriminatoire" de la part des sociétés Citroën délibérément destinée à fausser le jeu de la concurrence avec la société Auto-Ritz pour conduire à un effet "dévastateur" et son éviction.

Au contraire, il a été constaté que la société Auto-Ritz avait anticipé sa fermeture à la suite du projet immobilier concernant ses locaux commerciaux dès avril 2002 en faisant évaluer une indemnité d'éviction (pièce Citroën n° 44), et qu'à cette époque des pourparlers ont été engagés entre les parties (courriers des 19 juin et 3 juillet 2002) pour l'éventuel rachat du fonds de commerce sans que la société Automobiles Citroën ait été informée du projet de reprise des locaux commerciaux (courrier Citroën du 15 décembre 2003 pièce n° 30). Loin de démontrer un simulacre de pourparlers de la part de la société Automobiles Citroën, il est au contraire établi que celle-ci a octroyé de nouveaux contrats de distribution le 28 avril 2003 pour 5 ans et a régulièrement reporté les exigences contractuelles qualitatives notamment ISO et de fonds de roulement à l'égard de celle-ci (courrier du 15 décembre 2003 précité, et courriers des 28 juin 2005, 18 octobre 2005 et 22 décembre 2005 pièces Auto-Ritz n° 11 à 13). Alors qu'en 1998/1999, la société Auto-Ritz qui était dans une situation financière délicate a sollicité l'aide financière de son concédant (courrier du 29 mars 1999 - pièce n° 38 Citroën), une telle demande n'a pas été formulée sur la période 2002 à 2005 et il est établi que le 14 avril 2004 la société Auto-Ritz a consenti par acte notarié à la résiliation conditionnelle des baux commerciaux.

Aussi, il ne résulte ni de ces circonstances, ni des termes du courrier du 6 décembre 2005 de la société Auto-Ritz annonçant l'arrêt de son activité pour avril 2006 à la date de reprise des baux de l'existence d'un "calvaire commercial et financier" imposé par les sociétés Citroën depuis 2002 et que la société Automobiles Citroën aurait provoqué la brusque rupture des contrats de distribution en exigeant de la société Auto-Ritz le respect des critères financiers de sélection et certification.

Dès lors la société Auto-Ritz échoue à démontrer des faits d'exécution de mauvaise foi des contrats de distribution, de concurrence déloyale ou de rupture brutale ou abusive des contrats de la part des sociétés Citroën de nature à engager leur responsabilité contractuelle ou délictuelle.

En conséquence, la société Auto-Ritz sera déboutée de l'ensemble de ses demandes de dommages-intérêts formulées à l'encontre des sociétés Automobiles Citroën et PSA Retail France. Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Automobiles Citroën aux dépens de première instance et à payer à la société Auto-Ritz la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Auto-Ritz, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Auto-Ritz sera condamnée à payer aux sociétés Automobiles Citroën et PSA Retail France la somme globale de 45 000 euros.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement entrepris du 29 février 2016 en ce qu'il a :

- Condamné la société AUTOMOBILES CITROËN à payer à titre de dommages-intérêts à la société AUTO-RITZ la somme de 4 700 000 euros.

- Condamné la société AUTOMOBILES CITROËN aux dépens et à payer la somme de 25 000 euros à la société AUTO-RITZ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DÉBOUTE la société AUTO-RITZ de l'ensemble de ses demandes.

CONDAMNE la société AUTO-RITZ aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés selon la procédure de l'article 699 du code de procédure civile.

CONDAMNE la société AUTO-RITZ à payer aux sociétés AUTOMOBILES CITROËN et PSA RETAIL FRANCE, venant aux droits de la SOCIETE COMMERCIALE CITROËN, la somme globale de 45 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

REJETTE toute autre demande.