CA Bordeaux, 2e ch., 31 mars 2010, n° 08/03619
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Me Bougon
Conseillers :
M. Legras, Mme Larsabal
Avoués :
SCP FOURNIER, SCP TOUTON-PINEAU & FIGEROU
Avocats :
Me SZEWCZYK, Me GRAVELIER
Par acte authentique du 30 juin 1970 monsieur Y aux droits duquel viennent les époux X, donnait à bail à usage commercial pour une durée de neuf ans à monsieur C D un immeuble sis à Lesparre (33) aux fins d’exploitation exclusive d’un commerce de bar tabac et habitation personnelle du preneur. Le bail était régulièrement renouvelé, pour la dernière fois par acte notarié des 13 juin et 21 juillet 2003 à effet du 18 juin 2003.
Fin 2005 les bailleurs ayant été informés que leur locataire exploitait une activité de vente de journaux lui adressaient le 7 décembre 2005 une lettre recommandée avec accusé de réception le mettant en demeure de la faire cesser comme contraire aux prévisions du bail. Ils faisaient constater l’infraction par huissier le 9 décembre 2005 puis, par acte du 25 août 2006, ils faisaient assigner monsieur C D devant le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins de voir constater son manquement à ses obligations contractuelles, prononcer la résiliation du bail, voir le preneur quitter les lieux dans les huit jours de la signification de la décision ou à défaut de voir ordonner son expulsion et le voir condamner à leur payer une indemnité d’occupation égale au montant du loyer et charges à compter de la résiliation et jusqu’à son départ effectif des lieux.
Par jugement du 15 mai 2008 le tribunal a :
dit que les travaux sur l’immeuble donné à bail à monsieur C D et consistant dans la mise aux normes au regard des réglementations en vigueur sur les zones d’exposition au plomb, l’état parasitaire et les locaux décents, les menuiseries, la porte de garage, la plomberie et l’installation électrique sont à la charge du bailleur ;
avant dire droit sur leur étendue exacte et leur coût: ordonné une expertise confiée à monsieur A ;
débouté les époux X de leur demande de résiliation de bail ;
sursis à statuer sur le reste des demandes et renvoyé l’examen de l’affaire à une audience ultérieure ;
condamné les époux X à une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile de 1 000€.
Monsieur B X et madame F G épouse X ont interjeté appel de ce jugement le 24 juin 2008. Ils ont conclu récapitulativement le 30 septembre 2009 à la réformation en reprenant leurs demandes de première instance et ils demandent 2.000e sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Monsieur C D, intimé et appelant incident, a conclu récapitulativement le 27 août 2009 à la confirmation intégrale du jugement et demande la condamnation des appelants à lui payer 20.000€ de dommages-intérêts ainsi que 5 000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
M O T I F S E T D E C I S I O N
Sur la déspécialisation :
Attendu qu’un locataire titulaire d’un bail soumis au statut des baux commerciaux dispose du droit d’adjoindre à l’activité prévue au bail des activités connexes ou complémentaires et il est dans ce cas dispensé de demander au bailleur une autorisation mais a seulement l’obligation de l’avertir de son intention par acte extra-judiciaire en précisant les activités dont l’exercice est envisagé afin de lui permettre de contester le cas échéant la relation de connexité ou de complémentarité avec l’activité principale prévue au bail ;
que toute clause contraire du bail serait nulle et qu’en l’espèce le bail prévoit bien la possibilité d’adjoindre des activités connexes ou complémentaires ;
attendu que l’appréciation par le juge du caractère connexe ou complémentaire des activités nouvelles est souveraine, l’article L. 145-47 du code de commerce lui imposant seulement de se prononcer notamment en fonction des usages commerciaux ;
que c’est en considération de l’évolution des usages commerciaux que les premiers juges se sont prononcés par des motifs que la cour fait siens ;
attendu que la vente de timbres fiscaux, cartes téléphoniques et piles étant imposée par l’administration aux débitants de tabac cette activité ne peut être incriminée ;
qu’en ce qui concerne la vente de journaux, limitée dans les faits au journal local 'Sud-Ouest', et la vente de confiseries fantaisie il a pu également être justement fait référence à la notion d’identité de clientèle dès lors qu’il s’agit bien d’un service à la clientèle du bar-tabac que le commerçant a en l’espèce cherché à rendre en adjoignant ces activités très marginales à son activité principale, cette notion étant en lien direct avec l’évolution des usages commerciaux ;
que la référence faite par les appelants à l’absence d’impact sur le plan économique de ces activités sur celles du bar et du bureau de tabac fondée sur l’étude de l’évolution dans le temps des commissions de tabac et de presse ou encore du chiffre des achats de boissons ou de confiseries est sans pertinence au regard de la notion globale de service à la clientèle et de leur caractère marginal en termes de chiffre d’affaires ;
attendu que tant que la notification n’est pas faite au bailleur le locataire demeure tenu par les clauses du bail et se trouve en infraction s’il exerce le nouveau commerce avant d’y avoir procédé et à fortiori s’il le poursuit malgré l’opposition du bailleur ;
qu’il est constant que monsieur C D n’a jamais notifié l’adjonction de ses nouvelles activités au bailleur et qu’il ne les a pas suspendues après notification par le bailleur de son opposition ;
attendu que la sanction de cette violation de ses obligations contractuelles par le bailleur peut consister dans la résiliation du bail, cependant la résolution judiciaire du bail est soumise à l’appréciation des juges qui peuvent estimer que le manquement du locataire ne revêt pas un caractère de gravité suffisant pour entraîner une telle conséquence ;
que telle a été l’analyse des premiers juges qui peut être approuvée en considération notamment du caractère tout à fait marginal des adjonctions réalisées ;
que les autres griefs tenant au non paiement à leur échéance de deux termes de loyer et à la justification de l’assurance des locaux ayant été abandonnés en cause d’appel le jugement ayant rejeté la demande de résiliation du bail sera confirmé ;
Sur les travaux à la charge des bailleurs :
Attendu que l’absence d’information des bailleurs par le preneur sur l’état de dégradation des locaux loués ne peut être prétendue dès lors que de la seule lecture de l’acte d’achat du 9 avril 2004 de l’immeuble donné à bail qui faisait état :
au chapitre 'lutte contre le saturnisme’ d’un risque d’accessibilité de l’immeuble au plomb ;
au chapitre 'ermites’ d’indices de dégradations dues aux termites ;
au chapitre logement décent’ de la non correspondance des biens vendus avec la notion de décence telle que définie par la loi du 6 juillet 1989 obligeant le bailleur à remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté des éléments le rendant conforme à l’usage d’habitation ;
il s’évince que les époux X étaient dès ce moment parfaitement informés de l’état de l’immeuble et déclaraient d’ailleurs vouloir faire leur affaire personnelle des mesures à prendre pour remédier aux risques cités et pour la mise en conformité des locaux ;
que les courriers qui leur ont été adressés par le locataire les 1er mars, 8 juillet et 6 octobre 2005 venaient en précision de leur connaissance et n’ont pas été suivis d’effet ;
attendu que les bailleurs, qui se sont bornés à faire effectuer des travaux de reprise de la toiture et de traitement de la charpente fin 2004 et courant 2005, ont manqué à leur obligation légale d’entretien de l’immeuble en laissant subsister les dégradations intérieures dues notamment à l’état de la toiture ainsi que l’installation électrique hors normes , les éléments de chauffage vétustes ou le sanitaire très dégradé ou un escalier intérieur en voie d’effondrement que décrit un constat d’huissier dressé le 2 octobre 2008 ;
qu’ils se croient autorisés à s’exempter des obligations découlant de l’article 6 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 de remise au locataire d’un logement décent en relevant que la partie habitation est déclarée par le locataire comme résidence secondaire, faisant abstraction de ce que l’état de cette habitation ne permet précisément pas son usage comme résidence principale ;
attendu que le recours à l’expertise pour la détermination du coût et de l’étendue exacte des travaux à réaliser n’est pas davantage utilement contesté et le jugement sera là encore confirmé ;
attendu qu’il ressort du constat du 2 octobre 2008 que l’intimé loue depuis 2004 aux époux X des locaux d’habitation totalement inhabitables et pour lesquels le qualificatif d’indécent s’applique parfaitement et il en est résulté un préjudice de jouissance justifiant qu’il soit fait droit à hauteur de 10 000€ à sa demande en dommages-intérêts ;
qu’il sera d’autre part fait droit à sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur de 2 500€.
P A R C E S M O T I F S
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement et DEBOUTE monsieur B X et madame F G épouse X de toutes leurs demandes,
Y AJOUTANT: CONDAMNE monsieur B X et madame F G épouse X à payer à monsieur C D la somme de 10 000€ à titre de dommages-intérêts,
CONDAMNE les mêmes à payer à monsieur C D la somme de 2 500€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Les CONDAMNE aux dépens d’appel dont distraction au profit de la Scp d’avoués Touton-Pineau et Figerou.
Le présent arrêt a été signé par monsieur Jean-François Bougon, président, et par madame Véronique Saige, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.