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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 30 juin 2010, n° 09/00207

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

CREDIT DU NORD (SA)

Défendeur :

SCI HEGUERA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme GABORIAU

Conseillers :

Mme IMBAUD-CONTENT, Mme DEGRELLE-CROISSANT

Avoué :

SCP RIBAUT

Avocats :

Me LASSALE, SELAFA HAVRE TRONCHET

TGI de Paris, du 30 oct. 2008, n° 08/001…

30 octobre 2008

PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La Cour statue sur l'appel interjeté par la société CRÉDIT DU NORD à l'encontre du jugement rendu le 30/10/2008 par le tribunal de grande instance de PARIS qui a:

- validé le commandement délivré le 12/11/2007 par la SCI HEGUERA à la société CRÉDIT DU NORD,

- constaté que la SCI HEGUERA ne sollicitait pas la constatation de la clause résolutoire insérée au bail et visée eu commandement en cause,

- dit que la société CRÉDIT DU NORD ne pouvait proposer à clientèle dans les lieux loués sis [...] des produits d'assurances qui ne seraient pas liés directement à une opération bancaire,

- ordonné à la société CRÉDIT DU NORD de cesser, dans le mois de la signification du jugement, toute publicité concernant des opérations d'assurances autres que directement liées aux opérations bancaires,

- dit que toute constatation d'infraction à cette disposition serait assortie d'une astreinte de 5000€ par infraction constatée et que le tribunal se réservait de liquider l'astreinte,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société CRÉDIT DU NORD aux entiers dépens et au paiement d'une somme de 7000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les faits et la procédure peuvent être résumés ainsi qu'il suit :

La société CRÉDIT DU NORD est locataire, selon bail en renouvellement à effet du 30/9/2006, de locaux situés [...] appartenant à la SCI HEGUERA et dont le prix a été judiciairement fixé par jugement du 19/6/2008 ;

A l'occasion de la procédure en fixation du loyer du bail renouvelé, il est apparu que se trouvaient dans les locaux loués, à disposition de la clientèle, des plaquettes EUROFIL proposant des contrats d'assurance multi-risques habitation ;

La bailleresse a, en date du 12/11/2007, fait délivrer à la locataire une sommation d'avoir à faire cesser cette activité par elle estimée non conforme à la destination prévue au bail suite à quoi elle a, en date du 21/12/2007, saisi le tribunal de grande instance de PARIS aux fins de voir constater la non conformité au bail de l'activité litigieuse ;

La locataire s'est opposée aux demandes en estimant que l'activité en cause était une activité incluse à celle d'agence bancaire autorisée au bail et a formé demande reconventionnelle aux fins de voir dire nulle la sommation en estimant que celle-ci avait été délivrée de mauvaise foi ;

C'est dans ces conditions que le jugement déféré a été rendu ;

La société CRÉDIT DU NORD, appelante, demande à la Cour :

- d'infirmer le jugement déféré,

- à titre principal, de dire nulle la sommation litigieuse du 12/11/2007comme délivrée de mauvaise foi,

- à titre subsidiaire, de dire que l'activité reprochée est, en raison de l'évolution des usages dans la profession bancaire, une activité incluse à celle d'agence bancaire comme service corollaire proposée à la clientèle de l'agence et qui, dans les cas où elle ne concerne pas les clients de l'agence dont s'agit, n'est pas une activité exercée dans les lieux loués comme consistant uniquement en une remise passive sans activité matérielle ou intellectuelle et, comme telle, non interdite au regard de la destination contractuelle,

- à titre plus subsidiaire et au cas où l'activité litigieuse serait considérée comme constitutive d'une infraction au bail, de dire que la constatation d'une infraction à cet égard ne pourra se faire que dans les vitrines et lieu d'accueil du public et de réduire l'astreinte à la somme de 2000€ par infraction éventuellement constatée,

-en cas de rejet de l'appel, de limiter l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile; à la somme de 4000€ et, dans le cas d'admission au fond de l'appel, d'accorder à la concluante une somme de même montant à ce titre et de condamner, alors, la SCI HEGUERA aux dépens ;

La SCI HEGUERA intimée, demande, pour sa part, à la Cour :

- de confirmer le jugement déféré et de débouter la société CRÉDIT DU NORD de ses demandes,

- de condamner celle-ci au paiement d'une somme de 10 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens y compris les honoraires de l'expertise;

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR LE BIEN FONDÉ DE L'APPEL,

sur la nullité de la sommation litigieuse.

Considérant qu'il ne saurait être retenu que la sommation du 12/11/2007 ait été délivrée de mauvaise au motif que sa délivrance aurait pour seule origine la déception de la bailleresse de ne pouvoir obtenir le montant, à sa convenance, du loyer du bail renouvelé qu'elle majorait pour activité dont le caractère connexe par elle avancé était douteux et sa volonté de faire pression sur la locataire en vue de la voir accepter le loyer par elle souhaité ;

Considérant, en effet, que la bailleresse, qui, d'après le courrier, même, adressé pour le compte de la locataire à son mandataire, la société SOFIGEST, le 13/11/2007 immédiatement après la sommation, relevait auprès de l'expert le caractère connexe de l'activité concernée par la plaquette EUROFIL et qui, dés avant l'expertise, réclamait un loyer plus élevé que celui retenu par l'expert et dont il avait fait part aux parties le 2/10/2007 après visite des lieux le 14/6/2007 en présence de celles-ci, se contentait d'observer, suite à cette indication et selon le courrier précité, qu'à tout le moins le loyer indiqué méritait une majoration de 25% compte tenu de l'exercice de l'activité d'assurance non autorisée au bail soulignant ainsi, avant tout, le caractère irrégulier de l'activité en cause sans faire de cette activité par elle invoquée à la marge un élément essentiel de son estimation du loyer à fixer ;

Que ceci excluant toute volonté de pression de sa part et aucune mauvaise foi ne pouvant résulter du visa fait au commandement de la clause résolutoire insérée au bail dés lors que la non conformité au contrat de l'activité litigieuse pouvait lui apparaître sujette à discussion, l'appel de ce chef sera déclaré infondé ;

sur le point de savoir si la plaquette EUROFIL proposant des contrats d'assurance multi-risques habitation est ou non une activité incluse à celle d'agence de banque.

Considérant qu'il sera ici rappelé que les lieux sont, selon la destination prévue au bail à usage 'de commerce d'agence bancaire sans pouvoir servir à un autre usage ;

Considérant que l'activité d'agence bancaire ainsi autorisée au bail consiste à gérer les dépôts, collecter l'épargne des clients, accorder des prêts, offrir des services financiers (gestion d'actifs et de titres) ;

Que toutefois, depuis une loi de 1984, les banques ont été autorisées à présenter des produits d'assurance (ce qu'elles ont fait principalement dans le domaine de l'assurance-vie en corrélation avec l'épargne) en se voyant contraintes, depuis 2006, de se soumettre, pour ce faire, au statut de courtier, leur rôle dans la distribution des produits d'assurance continuant à être celui d'intermédiaire en assurance consistant à trouver le produit d'assurance le plus adapté à la demande spécifique de leur clientèle et à présenter ce produit à celle-ci ;

Que cette évolution qui s'inscrit dans le but général poursuivi par la réglementation, notamment européenne, d'ouvrir l'accès de tous aux activités réglementées en vue d'égaliser les conditions de compétition entre les diverses formes de distribution et de renforcer ainsi la protection du consommateur, les a conduit à élargir la distribution des produits d'assurance (initialement limitée, comme susdit, aux assurances-vie) au domaine de l'assurance-dommages ;

Considérant que la distribution de produits d'assurance par les banques ainsi consacrée par la loi et généralisé dans l'ensemble des banques fait de cette activité, en fonction de l'évolution des usages dans la profession, une activité accessoire à l'activité de banque classique ;

Considérant, au vu de ce qui précède, que la plaquette EUROFIL, objet de la sommation du 12/11/2007et proposant la souscription d'un contrat d'assurance multirisque-habitation indépendamment de tout contrat de prêt qui serait souscrit auprès de l'agence par sa clientèle relève d'une activité incluse à celle autorisée au bail et n'est, dés lors, constitutive d'aucune infraction au contrat ;

Considérant que le jugement déféré qui a retenu le caractère irrégulier de l'activité par rapport à celle autorisée au bail sera donc infirmé en ses dispositions de ce chef et en ses dispositions subséquentes sur la cessation de cette activité et le constat des éventuelles infractions ;

SUR LES DEMANDES DES PARTIES AU TITRE DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET SUR LES DÉPENS,

Considérant que la SCI HEGUERA qui devra supporter la charge des dépens ne saurait solliciter indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Considérant, concernant la demande du même chef de la société CRÉDIT DU NORD, qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais par elle exposés, une somme de 1000€ lui étant allouée à ce titre;

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant en dernier ressort,

I-Confirme le jugement déféré en ses dispositions portant rejet de la demande de nullité de la sommation du 12/11/2007 et écartant la mauvaise foi dans la délivrance de celle-ci,

II-L'infirmant en ses autres dispositions et statuant à nouveau à cet égard,

Dit que la présentation de la plaquette EUROFIL litigieuse s'inscrit dans une activité de présentation soit d'intermédiaire en assurance conforme à l'évolution des usages dans la profession bancaire et constitutive, partant, d'une activité accessoire à l'activité de banque,

Déboute, en conséquence, la SCI HEGUERA de sa demande tendant à voir dire irrégulière la proposition par la société CRÉDIT DU NORD (via la plaquette en cause afférente à une assurance multi-risques habitation) de produits d'assurance et de ses demandes subséquentes en cessation de toute publicité de produits d'assurance et aux modalités de constat des éventuelles infractions à cet égard,

III-Condamne la SCI HEGUERA à payer à la société CRÉDIT DU NORD la somme de 1000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

IV-Déboute la SCI HEGUERA de sa demande du même chef à l'encontre de la société CRÉDIT DU NORD ,

V-Condamne la SCI HEGUERA aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction, pour les dépens d'appel, au profit de la SCPRIBAUT.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

Décision(s) antérieure(s)

Tribunal de Grande Instance PARIS 30 Octobre 2008 08/00160.