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Décisions

CA Pau, 2e ch. sect. 1, 14 janvier 2008, n° 06/00953

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

France Telecom (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Larque

Conseiller :

M. Tribot Laspiere

Avoué :

SCP de Ginestet, Duale et Ligney

Avocats :

Me Le Heuzey, Me Fabre

CA Pau n° 06/00953

13 janvier 2008

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par jugement du 03 juillet 2002, le jugement du tribunal de commerce de Dax a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société GELADOUR, dont l'activité s'exerçait à travers une dizaine d'établissements secondaires sur la France, et a désigné Me LIVOLSI en qualité d'administrateur avec une mission d'assistance.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 12 juillet 2002, la société FRANCE TELECOM a mis en demeure l'administrateur d'opter sur la poursuite ou la non poursuite des contrats d'abonnements téléphoniques en cours, en application de l'article L. 621-28 du Code de commerce.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 09 août 2002, l'administrateur a demandé la poursuite des contrats 'pendant toute la période d'activité autorisée par le tribunal dans le cadre du redressement judiciaire'.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 11 octobre 2002, l'administrateur a demandé la résiliation de 3 lignes et le maintien des autres.

Par jugement du 13 novembre 2002, le tribunal de commerce a arrêté un plan de redressement par voie de cession partielle de certains sites, désigné Me LIVOLSI en qualité de commissaire à l'exécution du plan et a autorisé la poursuite d'activité des quatre derniers sites non compris dans le plan.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 18 décembre 2002, l'administrateur a informé la société FRANCE TELECOM de la résiliation d'un certain nombre de contrats non repris par le cessionnaire, du transfert des autres et a demandé le maintien des lignes nécessaires à la poursuite d'activité dans les quatre derniers sites.

Par jugement du 29 janvier 2003, le tribunal de commerce a ordonné la cessation d'activité des derniers sites.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 04 avril 2003, l'administrateur a avisé la société FRANCE TELECOM que les lignes de ces sites 'cessaient leurs effets à compter du 1er février 2003.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 03 avril 2003, réitérée le 21 mai et le 13 novembre 2003, la société FRANCE TELECOM a mis en demeure Me LIVOLSI, commissaire à l'exécution du plan, de payer la somme de 8.504,28 euros au titre des factures impayées émises depuis le mois d'octobre 2002 jusqu'au mois de février 2003.

Ne recevant aucun paiement et estimant que l'administrateur avait engagé sa responsabilité en exigeant la poursuite des contrats sans s'assurer que l'entreprise disposait de la trésorerie suffisante, la société FRANCE TELECOM a fait assigner Me LIVOLSI par devant le tribunal de grande instance de Bayonne.

Par jugement en date du 16 janvier 2006, auquel il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample des faits, de la procédure suivie en première instance,

comme des moyens et prétentions initiaux des parties, le tribunal de grande instance de Bayonne, considérant qu'aucune faute n'était établie, a débouté la société FRANCE TELECOM de ses demandes et l'a condamnée à payer à Me LIVOLSI la somme de 1.100 euros sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile et aux dépens.

La société FRANCE TELECOM a relevé appel de ce jugement, par déclaration reçue au greffe de la Cour le 09 mars 2006, dans des conditions de forme et de délais qui ne sont pas contestées et à l'égard desquelles les seuls éléments portés à la connaissance de la Cour ne font pas ressortir qu'elles seraient contraires à l'ordre public.

Par conclusions déposées le 05 décembre 2006, la société FRANCE TELECOM a demandé à la Cour de :

- infirmer le jugement entrepris,

- dire et juger que Me LIVOLSI a engagé sa responsabilité personnelle du fait du non paiement des factures dues en application des articles L 621-28 et suivants du Code de commerce,

- condamner Me LIVOLSI à lui payer la somme de 8.504,28 euros avec intérêts au taux légal à compter du 17 novembre 2003 et subsidiairement à compter du jour de l'assignation,

- condamner Me LIVOLSI aux dépens et au paiement d'une somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

La société FRANCE TELECOM fait valoir que :

- Me LIVOLSI, qui refuse de communiquer les documents prévisionnels sur la base desquels il aurait dû fonder son appréciation, a doublement agi fautivement en exigeant la poursuite des contrats sans s'assurer que l'entreprise disposerait de la trésorerie suffisante et en ne les résiliant pas dès que le paiement des prestations n'a plus été assuré,

- si le souci de préserver l'entreprise justifie la poursuite des contrats, ce motif est impropre à dégager l'administrateur de sa responsabilité vis-à-vis de son cocontractant,

- elle n'avait pas le droit d'interrompre spontanément ses prestations,

- le fournisseur qui doit exécuter le contrat n'a pas d'obligation d'alerte à l'égard de l'administrateur, surtout lorsque ce dernier a reçu une mission complète d'assistance dans tous les actes de gestion.

Par conclusions déposées le 30 janvier 2007, Me LIVOLSI a demandé à la Cour de confirmer le jugement entrepris et, y ajoutant, de condamner la société FRANCE TELECOM aux dépens et au paiement d'une indemnité complémentaire de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Me LIVOLSI objecte que :

- la société FRANCE TELECOM échoue dans la démonstration d'une faute et d'un lien de causalité entre les fautes alléguées et le préjudice invoqué,

- lors de l'exercice de l'option il disposait des fonds nécessaires et les factures ont été payées au cours de la période d'observation alors que la première facture impayée arrivait à échéance au 18/11/2002, soit postérieurement au jugement arrêtant le plan de cession,

- le maintien des lignes téléphoniques était indispensable à la poursuite d'activité,

- il n'a cessé d'agir avec diligence et prudence conformément aux décisions prises par le tribunal,

- la société FRANCE TELECOM n'a tenu aucun compte de sa demande de l'avertir directement de toutes difficultés dans l'exécution des contrats exprimée dans sa lettre du 09 août 2002 et qu'il n'a été informé des impayés que par lettre du 03 avril 2003, alors qu'il n'était plus en mesure d'intervenir auprès de l'entreprise,

- la société FRANCE TELECOM n'a pas usé de la faculté de résilier les contrats lorsqu'elle a constaté les premiers impayés,

- la société FRANCE TELECOM a imaginé exercer un recours direct à son encontre sans même avoir fait établir sa créance alléguée à l'encontre de la société GELADOUR,

- les dommages-intérêts alloués en réparation d'un préjudice ne sont pas assujettis à la TVA.

Le ministère public a visé le dossier de la procédure le 30 mars 2006 en indiquant s'en rapporter à justice.

L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance du 20 mars 2007.

MOTIFS DE LA DÉCISION

S'il résulte des dispositions de l'article L. 621-28 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005, que l'administrateur chargé d'une mission d'assistance dans les actes de gestion du débiteur doit s'assurer au moment de sa demande de poursuite d'un contrat en cours et en cas de contrat à exécution successive avant chaque terme que l'entreprise disposera des fonds nécessaires pour régler son cocontractant, la responsabilité de l'administrateur, tenu d'une obligation de moyens, n'est pas engagée au seul constat que le débiteur n'a pas payé les dettes échues s'il n'est pas démontré par le cocontractant que l'administrateur a exercé son option alors que la situation de l'entreprise était irrémédiablement compromise ou incompatible avec l'exécution de ses obligations ou qu'il a été induit en erreur par des assurances imprudemment données ;

En l'espèce, dès l'ouverture du redressement judiciaire de la société GELADOUR, employant alors 193 salariés répartis sur une dizaine de sites d'exploitation et réalisant un chiffre d'affaires de plus de 1,870 millions d'euros, de nombreuses possibilités de redressement de l'entreprise par voie de cession se sont présentées à l'administrateur qui, à la date limite du dépôt des offres de reprise fixée au 9 septembre 2002, avait reçu 5 offres de reprise totale ou partielle exposées et analysées dans son rapport déposé le 15 octobre 2002 avec un souci de célérité à la mesure des enjeux économiques permettant au tribunal de commerce d'examiner les projets à une audience tenue le 30 octobre 2002 alors que la période d'observation expirait le 3 janvier 2003 ;

Il n'est pas contestable que le maintien des lignes téléphoniques était indispensable à la poursuite de l'activité commerciale de la société GELADOUR durant la période d'observation et concourait à la sauvegarde de ses capacités de production en vue de l'élaboration d'un projet de redressement par voie de cession ;

Le 9 août 2002, lors de la demande de Me LIVOLSI de maintien des abonnements téléphoniques dans les divers sites, outre d'évidentes perspectives de redressement, la société GELADOUR avait honoré les factures échues postérieurement au jugement d'ouverture et, dans sa réponse, l'administrateur avait pris soin d'inviter la société FRANCE TELECOM à l'informer de toute difficulté pouvant intervenir dans l'exécution des contrats, excluant par la même toute garantie d'un paiement certain ;

Loin de mettre à sa charge une 'obligation d'alerte indue', cette information éclairait la société FRANCE TELECOM sur la conduite à tenir en cas d'impayé afin de permettre à l'administrateur d'intervenir auprès du débiteur seul tenu d'honorer les factures ;

Par conséquent ni lors de l'option initiale ni lors de sa réitération le 11 octobre, alors qu'aucun impayé n'était constaté et que d'importantes offres de reprise moyennant des prix de cession dont la société FRANCE TELECOM ne prétend pas qu'ils ne permettaient pas d'envisager le règlement des créanciers bénéficiaires du droit de paiement prioritaire de l'article L. 621-32 du Code de commerce après le règlement des avances à titre superprivilégiés du FNGS, l'administrateur n'a commis aucune faute d'imprudence à l'égard de la société FRANCE TELECOM qui avait également un intérêt propre à la survie de l'entreprise dans le cadre d'un plan de cession emportant transfert de certains abonnements téléphoniques dont elle aurait perdu le bénéfice en cas de liquidation judiciaire ;

Il est constant que par jugement du 13 novembre 2002, a été arrêté un plan de cession partielle des activités de la société GELADOUR ;

Ce plan de cession partielle n'a pas affecté l'existence juridique de la société GELADOUR en raison de la poursuite de son activité sur quatre autres sites et, par ailleurs, cette société restait tenue de payer les factures de la société FRANCE TELECOM jusqu'au transfert de propriété résultant de la signature des actes de cession tandis que les abonnements non transférés avec les sites cédés étaient résiliés dès le prononcé du jugement ;

La première facture impayée, en date du 14 octobre 2002, était payable jusqu'au 18 novembre 2002 et la seconde en date du 13 novembre 2002 était payable jusqu'au 18 décembre 2002 ;

Or, la société FRANCE TELECOM ne justifie d'aucune relance auprès de la société GELADOUR et n'a pas mis Me LIVOLSI en mesure d'intervenir auprès du débiteur pour obtenir le paiement des factures impayées alors même qu'aucun élément ne démontre que la société débitrice ne disposait pas de la trésorerie nécessaire ;

En outre, contrairement à ce qu'elle soutient, la société FRANCE TELECOM aurait pu se prévaloir de la résiliation des abonnements pour défaut de paiement aux termes convenus, ce qu'elle n'a pas fait ;

Eu égard au contexte économique et juridique exclusif de toute faute dans l'exercice de l'option et de sa réitération du 11 octobre 2002 et à la passivité de la société FRANCE TELECOM, aucune faute ne peut être reprochée à Me LIVOLSI en relation avec le non paiement des factures émises le 14 octobre 2002 (3.442,51 euros) et le 13 novembre 2002 (3.444,70 euros) ;

Non informé d'incidents de paiement et alors qu'un plan de cession partielle venait d'être arrêté moyennant le prix de 607.000 euros outre le prix du stock à déterminer sur lequel les créanciers postérieurs avaient vocation à être payés par priorité tandis que des repreneurs restaient intéressés par les derniers sites, l'administrateur, en cohérence avec la situation économique de l'entreprise a pu, sans commettre de faute, demander le maintien des dernières lignes téléphoniques utiles à la poursuite d'activité ;

Force est encore de constater que la société FRANCE TELECOM ne justifie d'aucune démarche auprès de la société GELADOUR, dont l'activité a été très rapidement arrêtée par jugement du 29 janvier 2003 après que Me LIVOLSI avait informé le tribunal du refus par les salariés des propositions du candidat repreneur ;

Par conséquent, Me LIVOLSI, seulement informé des impayés en avril 2003, ne saurait être responsable du non paiement des factures émises les 17 décembre 2002 (932,20 euros), 21 janvier 2003 (325,42 euros) et 11 février 2003 (359,45 euros) ;

En définitive, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la société FRANCE TELECOM de ses demandes et condamné la société FRANCE TELECOM aux dépens ;

La société FRANCE TELECOM sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à Me LIVOLSI une indemnité de 2 000 euros pour l'ensemble de la procédure de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il débouté la société FRANCE TELECOM de ses demandes et sur les dépens,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société FRANCE TELECOM aux dépens d'appel,

CONDAMNE la société FRANCE TELECOM à payer à Me LIVOLSI une indemnité globale de 2.000 euros (DEUX MILLE EUROS) sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile,

AUTORISE la SCP LONGIN, avoués, à procéder au recouvrement direct des dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.