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Décisions

AFA, commission des sanctions, 7 juillet 2021, n° 19-2

AGENCE FRANÇAISE ANTICORRUPTION

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Courtial

Rapporteur :

M. Morellet-Steiner

AFA n° 19-2

6 juillet 2021

PROCEDURE

Procédure antérieure :

Le 25 septembre 2019, le directeur de l'Agence française anticorruption a saisi la présente commission, en application des dispositions du IV de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Il reprochait à la société 1. SA, d'une part, d'avoir méconnu, dans l'exercice de cartographie des risques qu'elle avait effectué, les exigences définies au 3° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016, d'autre part, de ne pas disposer d'un code de conduite satisfaisant aux exigences posées par les dispositions du 1° du II du même article et, enfin, de ne pas disposer des points de contrôle comptable spécifiques requis par les dispositions du 5° du II du même article de cette loi.

Par une décision du 7 février 2020, la commission des sanctions après avoir écarté le manquement aux exigences relatives à l'établissement d'une cartographie des risques découlant des dispositions du 3° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016 et jugé qu'il n'y avait, par suite, lieu de prononcer à raison de ce grief ni injonction, ni sanction pécuniaire, a retenu que les deux autres griefs de la saisine étaient fondés. Conformément aux pouvoirs de sanctions qui lui sont attribués de manière exclusive par le V de l'article de cette loi, la commission a, par suite, enjoint à la société I. SA de se conformer, dans des délais qu'elle a fixés, aux exigences posées par les 1° et 5° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016, en ce qui concerne, respectivement, le code de conduite et la mise en œuvre de points de contrôle comptables spécifiques.

Procédure devant la commission au titre de l'exécution des injonctions prononcées le 7 février 2020 :

Le 9 décembre 2020, la société I. SA a adressé à la commission un rapport dans lequel elle décrit les diligences qu'elle a mises en œuvre, assorti de pièces justificatives ; elle soutient qu'elle démontre avoir exécuté l'injonction prononcée par la commission à l'article 3 de sa décision du 7 février 2020.

Le 18 février 2021, l'Agence française anticorruption, à laquelle par décision du Président de la commission les productions de la société ont été soumises, a présenté des observations par lesquelles elle admet que la société s'est dotée d'un document, dénommé«  politique  anticorruption », dont le contenu correspond  aux exigences de la loi du 9 décembre 2016; elle observe, toutefois, que l'accessibilité de ce document impliquerait sa traduction dans les langues parlées dans le groupe.

Le 15 juin 2021, la société I. SA a produit de nouvelles observations, assorties de pièces justificatives, par lesquelles elle informe la commission que sa politique anticorruption a été traduite dans l'ensemble des vingt-trois langues de travail du groupe et qu'ont été apposées, sur chacun de ses 200 sites, des affiches rédigées dans l'ensemble  des langues parlées au sein de ce dernier et indiquant, notamment, les moyens d'accéder à la politique anticorruption en version papier et par voie numérique.

Ces ultimes productions ont été communiquées au Directeur de l'Agence française anticorruption qui y a répondu oralement au cours de l'audience du 25 juin 2021.

La commission des sanctions, comprenant M. Jean Courtial, Président, Mmes Isabelle Orsini et Paquita Morellet-Steiner ainsi que MM. Nicolas Maziau et Yves Medina, membres, M. Laurent Barnaud étant remplacé par Mme Doguet en qualité de secrétaire de séance lors des débats de la séance du 25 juin 2021, qui a eu lieu à huis clos par décision du Président prise le 18 juin 2021 surlefondement du II de l'article 5 du décret du 14 mars 2017 relatif à l'agence française anticorruption, après avoir entendu, au cours de ces derniers :

Mme Morellet-Steiner en son rapport;

Pour l'Agence française anticorruption, M. Charles Duchaine, directeur; Pour les personnes mises en cause :

Pour la société I. SA:

-  Mme B.-R., directrice juridique, membre du comité exécutif;

-  Mme B., directrice de la conformité ;

Les conseils de la société I. SA, Maîtres Guillaume Pellegrin et Anne Guilberteau, avocats au Barreau de Paris (Cabinet Bredin Prat SAS) ;

La parole ayant été donnée, en dernier lieu, à Maître Pellegrin;

prend la décision suivante :

MOTIFS DE LA DECISION

1.  Statuant sur la saisine du directeur de l'Agence française anticorruption du 25 septembre 2019, la commission des sanctions a, d'une part, à l'article 3 de sa décision du 7 février 2020, enjoint à la société 1. SA de mentionner, dans son code d'éthique, l'obligation d'élaborer un code de conduite résultant du 1° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016, d'y insérer un chapitre autonome structuré selon plusieurs rubriques correspondant aux différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d'influence, dotées de liens avec des éléments précis de son programme interne de lutte contre la corruption, de rendre aisément accessibles ces éléments de son programme interne pour l'ensemble de ses salariés, d'ici le 1er septembre 2020, et de démontrer, à la même échéance, que ce code de conduite a été annexé , dans les règlements intérieurs de ses entités françaises et, d'autre part, à l'article 4 de la même décision, de lui transmettre, d'ici le 31 mars 2021, toute preuve de ce qu'elle a complètement achevé la mise en conformité de ses procédures de contrôle comptable.

Sur le périmètre de la présente décision :

Aucune règle n'imposant à la commission des sanctions de statuer, par une décision unique, sur ces injonctions, assorties, au demeurant, d'échéances distinctes,  la présente décision ne statue que sur l'exécution de l'injonction relative au code de conduite, prononcée à l'article 3 de sa décision du 7 février 2020.

Sur l'exécution de l'injonction prononcée par l'article 3 de la décision n° 19-02 du 7 février 2020 de la commission des sanctions :

2.  Pour l'exécution de cette injonction, il incombait à la société I. SA, à l'échéance qui lui était fixée, de présenter à la Commission  des sanctions un rapport sur l'exécution de ses obligations de mise en conformité, assorti des pièces justificatives nécessaires à ses démonstrations.

3.  Le 9 décembre 2020, la société I. SA a adressé à la commission un rapport assorti de pièces justificatives qu'elle a complétés le 15 juin 2021.

4.   Cette injonction tend, tout d'abord, à ce que la société soit dotée d'un document répondant complètement aux exigences de contenu posées par le 1° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016, c'est-à-dire comportant des définitions et illustrations structurées en rubriques en lien avec les différents types de comportements à proscrire, identifiés dans la cartographie des risques.

5.  La société I. SA disposant, à l'instar d'autres entreprises d'envergure internationale, de plusieurs documents,  en particulier d'un code d'éthique et de conduite des affaires et d'une politique anti-corruption, susceptibles d'accueillir un code de conduite, l'injonction prononcée par la commission avait retenu que le code d'éthique pouvait être le vecteur adapté pour se conformer aux exigences de cette loi.

La commission des sanctions observe, à titre préliminaire, que la société I. SA a fait un autre choix consistant à introduire le code de conduite exigé par cette loi dans le document du groupe dénommé  « politique anticorruption ».  La commission estime que ce choix, justifié par le fait que le code d'éthique et de conduite des affaires, qui contient l'ensemble des valeurs et des engagements du groupe en matière de RSE, a une portée beaucoup plus large que la politique anticorruption, relève d'un choix de communication interne de l'entreprise qu'elle ne remet pas en cause, même si le fait de disposer d'emblée d'un document correspondant à la dénomination exacte de la loi du 9 décembre 2016 aurait sans doute été plus simple, plus clair et plus conforme à l'esprit du texte.

Il ressort de l'ensemble des documents communiqués à la commission que la société dispose d'un document dénommé« politique anticorruption », qui est présenté comme étant le code de conduite rendu obligatoire par la loi du 9 décembre 2016. Ce document décrit, de manière précise, concrète et claire, les actions et procédures internes de l'entreprise destinées à prévenir, à détecter et, le cas échéant, à sanctionner les faits de corruption et de trafic d'influence, en matière de recrutement, de nomination des dirigeants mandataires sociaux, de conflits d'intérêts, de pratiques de cadeaux, d'invitations ou de dons à des organismes de bienfaisance, de gestion des relations, notamment commerciales, avec les intermédiaires. Il renvoie au manuel de contrôle interne des procédures de paiement du groupe et informe de l'existence d'une procédure d'alerte interne (whistleblowing) présentant les garanties de confidentialité nécessaires. Selon les énonciations orales de la société lors de l'audience, un dispositif de mise à jour régulière de ce document en lien avec les évolutions de l'évaluation des risques a été mis en place. Le contenu de ce document répond ainsi aux exigences posées par le 1° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016 en matière de définitions et illustrations structurées en rubrique en lien avec les différents types de comportements à proscrire, identifiés lors de l'exercice d'évaluation des risques.

6.   La société justifie, en outre, avoir respecté l'obligation qui lui est faite par le même article de la loi du 9 décembre 2016, en annexant sa « politique anticorruption » ainsi amendée aux règlements intérieurs des établissements français du groupe.

7.  L'injonction décrite au paragraphe 1 tend ensuite à ce que ce code de conduite, quelle que soit sa dénomination, soit rendu aisément accessible à l'ensemble des salariés du groupe. Il en résulte, pour la société plusieurs obligations, notamment, tenant à ce que l'ensemble des collaborateurs du groupe puissent consulter, par tous moyens efficaces, ce document dans une traduction correspondant à leur langue de travail et soient, à cette fin, informés, dans les mêmes conditions, de son existence, mais aussi à ce que le code d'éthique et de conduite des affaires, dont la dénomination pourrait induire en erreur aussi bien les collaborateurs du groupe que ses partenaires à qui ce document est également destiné, précise lui-même, de manière claire, que la politique anticorruption constitue le code de conduite du groupe, au sens de la loi du 9 décembre 2016, et informe ses lecteurs des modalités de sa consultation.

Il ressort des documents transmis à la commission des sanctions que la société I. SA établit que le document intitulé « code d'éthique et de conduite des affaires » comporte un chapitre intitulé « Prévenir et détecter les faits de corruption » qui précise, de manière claire, que le groupe est doté d'un code de conduite en application de l'article 17  de la du 9 décembre 2016 et que ce code se dénomme«  politique anticorruption ». Ce même chapitre indique que cette politique anticorruption est consultable par tous les collaborateurs du groupe sur l'intranet qui leur est réservé (le Blue book) et qu'elle est traduite dans toutes les langues de travail. Dans le dernier état de ses productions, la société I. SA établit que sa« politique anticorruption » a été traduite dans les vingt¬ trois langues de travail dans lesquelles le code d'éthique et de conduite des affaires est lui-même traduit. Enfin, ce chapitre mentionne l'annexion de cette « politique anticorruption » aux règlements intérieurs des établissements français du groupe. La commission des sanctions estime que les diligences ainsi accomplies par la société sont de nature à permettre l'accessibilité de son code de conduite pour l'ensemble de ses salariés et collaborateurs.

La commission constate que l'ensemble des mesures analysées aux paragraphes 5, 6 et 7 ont permis à la société I. SA de satisfaire aux exigences posées par les dispositions du 1° du Il de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016.

Sur le respect de l'échéance fixée:

8.   La commission des sanctions retient, par ailleurs, qu'il y a lieu, dans l'appréciation qu'elle doit porter sur le respect des délais dont disposait la société I. pour se conformer à cette injonction, de tenir compte non seulement de ce que ces délais ont nécessairement bénéficié de la suspension générale, résultant de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, mais également des contraintes liées à l'état d'urgence sanitaire qui ont pesé sur cette société, comme sur l'ensemble des acteurs économiques, tout au long de l'année 2020.

9.   Il résulte de tout ce qui précède que la société I. SA doit, par suite, à la date où la commission des sanctions statue et sans que puisse lui être reproché un retard traduisant un mauvais vouloir, être regardée comme ayant exécuté l'injonction relative à son code de conduite.

10.   Il n'y a, dès lors, plus lieu pour la commission de prononcer d'injonction, ni de sanction pécuniaire ou de publication à l'encontre de la société I. à raison du grief dont elle a été saisie par le directeur de l'agence, tiré de ce que cette société ne disposait pas d'un code de conduite conforme aux dispositions du 1° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016.

La commission des sanctions, après en avoir délibéré en la même composition, la secrétaire de la séance s'étant retirée, par ces motifs,

DECIDE:

Article 1er : Il n'y a lieu de prononcer ni de nouvelle injonction, ni de sanction pécuniaire ou de publication à l'encontre de la société I. SA à raison du manquement aux dispositions du 1° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016.

Article 2: A une date qu'elle fixera, postérieurement à l'expiration des délais fixés à l'article 4 de sa décision du 7 février 2020, la commission des sanctions se prononcera sur la persistance du manquement aux dispositions du 5° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016, à la lumière des mesures prises, à cette date, par la société I. SA pour s'y conformer.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société I. SA et à son directeur général en exercice. Elle sera, en outre, communiquée au directeur de l'Agence française anticorruption.