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Décisions

AFA, commission des sanctions, 4 juillet 2019, n° 19-01

AGENCE FRANÇAISE ANTICORRUPTION

AFA n° 19-01

3 juillet 2019

Le 13 mars 2019, le directeur de l’Agence française anticorruption a, sur le fondement des dispositions du IV de l’article 17 de la loi n° 2016-1691 du 9 mai 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la   modernisation de la vie économique et du 2° du I de l’article 5 du décret n° 2017-329 du 14 mars 2017 relatif à l’Agence française anticorruption, saisi la commission des sanctions de manquements imputés à la société S SAS et émis l’avis qu’il y avait lieu d’enjoindre à cette société, personne morale, et à sa représentante, Mme C, d’adapter les procédures de conformité internes destinées à la prévention des faits de corruption et de trafic d’influence avant la fin de l’année 2019 et de prononcer, en cas de non-respect de l’injonction, des sanctions pécuniaires à l’encontre de ces deux personnes.

FAITS ET PROCEDURE 

L‘avis de contrôle de S SAS et de l’ensemble du groupe, ci-après S, a été signé par le directeur de l’Agence le 17 octobre 2017 ; le contrôle sur pièces, puis sur place, s’est déroulé du 18 octobre au 15 décembre 2017.

Communiqué le 6 juillet 2018 à S, le rapport d’enquête a fait l’objet d’une réponse documentée de S le 10 septembre 2018.

Après avoir pris en compte les nouveaux éléments d’information figurant dans cette réponse, le directeur de l’Agence a notifié ses griefs le 13 mars 2019.

La commission des sanctions a été saisie par le directeur de l’Agence le même jour. La lettre de saisine précise que le contrôle de l’Agence a conduit à relever l’existence de huit manquements et qu’à la suite de l’examen des éléments fournis par S à l’appui de sa réponse du 10 septembre 2018, cinq manquements subsistent.

Il est fait grief à S et à sa présidente : 
 
- De ne pas s’être dotées d’une cartographie des risques de corruption et de trafic d’influence conforme à l’article 17 de la loi du 9 décembre 2016 ; 

- De ne pas s’être dotées d’un code de conduite répondant aux exigences de l’article 17 de cette loi ; 

- De ne pas s’être dotées d’une procédure d’évaluation des tiers en application de l’article 17 de cette loi ; 

- De ne pas avoir, conformément aux dispositions de cet article, intégré dans ses procédures de contrôle comptable des points de contrôle permettant de s’assurer que ses livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d’influence ; 

- De ne pas avoir mis en place un dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en oeuvre en application du même article 17 de la loi.

Compte tenu du nombre et de la nature de ces griefs et de l’appartenance de S à un secteur particulièrement exposé aux risques de corruption, le directeur de l’Agence propose :

- D’enjoindre à S et à sa présidente d’adapter les procédures de conformité internes destinées à la prévention et à la détection des faits de corruption et de trafic d’influence avant la fin de l’année 2019 ;

- Et, en cas de non-respect de cette injonction de mise en conformité à l’échéance fixée, de prononcer une sanction pécuniaire à l’encontre tant de la personne morale S que de sa présidente Mme C d’un montant respectif de 1 million d’euros et de 200 000  euros. 

Plus précisément, dans ses écritures de saisine et dans le mémoire qu’il a produit le 14 juin  2019 en réplique à celui présenté par S mentionné plus bas :

- Sur le grief relatif à la cartographie des risques de corruption, le directeur de l’Agence indique, dans sa lettre de notification des griefs, après avoir « pris en considération les travaux menés par S, les différentes évolutions mises en oeuvre en 2018, les documents transmis relatifs à la diffusion de la cartographie et son engagement d’une mise à jour annuelle à compter de 2019 ainsi que l’étude des pièces transmises », « la méthodologie d’identification des risques retenue qui s’appuie sur des scénarios génériques de corruption sur le fondement desquels les filiales étrangères sont appelées à identifier leur propre exposition, ne permet pas d’assurer que S soit en mesure de réaliser une analyse fine des vulnérabilités existantes sur la totalité de ses processus, en France comme dans les pays où elle est implantée » ; 

- Sur le grief relatif au code de conduite, le directeur de l’Agence, après avoir indiqué qu’il prenait en compte les observations et réponses de S, notamment l’intégration du code dans les différents règlements intérieurs des sociétés du Groupe, estime néanmoins que le manquement « semble persister » au motif que « les illustrations retenues sont génériques et sans lien avec les risques spécifiques que seule une cartographie réalisée selon une méthodologie pertinente aurait permis de révéler » ; 

- Sur le grief relatif aux procédures d’évaluation des tiers, le directeur de l’Agence, après examen des réponses de la société, considère que les exigences de la loi ne sont pas respectées. En effet, si S semble avoir développé postérieurement au contrôle, une procédure d’évaluation de tous ses tiers, les éléments transmis indiquent que le déploiement de celle-ci ne semble pas encore effectif en septembre 2018- Sur le grief relatif aux procédures de contrôle comptable, les contrôleurs de l’Agence ont indiqué avoir constaté, d’une part, que sont bien prévus dans le manuel Groupe du contrôle interne, dit document MP 50, des contrôles comptables des opérations de vérification qui font l’objet de développements particuliers mais ces contrôles ne leur paraissent pas spécifiques au risque de corruption. La remise tardive des documents ne leur a pas permis de s’assurer de « l’effectivité et de l’efficacité» de ces contrôles. 

D’autre part, le système informatisé comptable autorise des possibilités de modification manuelle malveillantes des données comptables. Le directeur de l’Agence, s’il a bien pris en compte les nouvelles informations fournies par S depuis la fin du contrôle, note cependant que la mise à jour du manuel de contrôle interne n’a pas été justifiée par l’envoi du document correspondant et que rien n’assure, « le manquement relatif à la cartographie des risques subsistant », que les 19 points de contrôle établis par S et ses deux commissaires aux comptes soient pertinents. 

- Sur le grief relatif au dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en oeuvre le directeur de l’Agence, après examen des réponses de S, a maintenu le grief de manquement aux dispositions de l’article 17-II, 8°, formulé par ses enquêteurs au motif que S ne disposerait pas d’un véritable contrôle de niveau 2, que l’indépendance du directeur de l’audit quand il doit contrôler le directeur financier auquel il est rattaché n’est pas mentionnée dans la Charte de l’audit, que les nouvelles dispositions de contrôle introduites dans le manuel de contrôle interne ne concernent que les nouveaux points de contrôle comptable mis en place pour prévenir la corruption mais dont il a précisément mis en cause la pertinence et que le nouveau manuel de contrôle du groupe « semble décorrélé » des plans d’action établis à partir de la cartographie des risques.

La société S et Mme C ont présenté les 24 mai, 19, 20 et 24 juin 2019 des observations.

Elles demandent à la commission des sanctions de : 

- Déclarer nulle la procédure de contrôle sur pièces et sur place effectuée par l’Agence française anticorruption du 18 octobre au 15 décembre 2017 et dire en conséquence qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs énoncés par le directeur de l’Agence dans sa lettre de saisine du 13 mars 2019;

- Déclarer nulle la saisine de la commission des sanctions ;

- Dire, sur le fond, qu’il n’y a pas lieu de prononcer de sanction à l’encontre de la société S et de Mme C et, en tout état de cause, qu’il n’y a pas lieu de prononcer de sanction à l’encontre de Mme C. 

Elles soutiennent que : 

En premier lieu, la procédure de contrôle est entachée de nullité aux motifs que : 

- Les contrôleurs de l’Agence ont commis un détournement de procédure en sollicitant et en utilisant dans le cadre du contrôle diligenté sur le fondement de la loi du 9 mai 2016 des documents et informations à des fins, notamment de recherche d’indices de pratiques restrictives de concurrence et de fraude fiscale, autres que celles prévues par cette loi ;

- Les contrôleurs de l’Agence ont, en violation des dispositions des articles 4 et 17 de la loi du 9 mai 2016 et de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que des principes de non-rétroactivité, de légalité et de loyauté, méconnu le champ d’application temporel de leur pouvoir de contrôle en sollicitant et en utilisant dans le cadre du contrôle des documents et des informations portant sur des périodes antérieures au 1er juin 2017 pour étayer les observations et manquements mentionnés dans le rapport de  contrôle ; 

- Les contrôleurs de l’Agence ont, en violation des dispositions des articles 4 et 17 de la loi du 9 mai 2016 et des principes de légalité des délits et des peines et de loyauté, méconnu le champ d’application matériel de leur pouvoir de contrôle en requérant des renseignements et documents sans lien avec les procédures et mesures mentionnées à l’article 17 de la loi du 9 mai 2016 ; 

- Les contrôleurs de l’Agence se sont abstenus, en violation des principes de loyauté dans l’administration de la preuve et d’égalité des armes, d’établir des procès-verbaux des entretiens qu’ils ont eu avec des collaborateurs de la société S et des tiers, entretiens dont ils ont néanmoins, en violation des mêmes principes, fait état dans le rapport de contrôle, y compris des entretiens avec des personnes ne parlant pas français en l’absence de toute traduction professionnelle de nature à garantir la sincérité et la retranscription des propos tenus ainsi que le respect de la 
confidentialité de ces propos ; 

- Les contrôleurs de l’Agence ont invoqué, pour formuler des observations et asseoir des constats de manquements dans le rapport de contrôle, sur les « Recommandations » qui n’ont été publiées au Journal officiel que postérieurement à la fin du contrôle et sont en outre dépourvues de valeur contraignante, en violation des principes de légalité, de non-rétroactivité et d’égalité ; 

- L’absence de publication du questionnaire et de la liste des pièces à fournir dans le cadre des contrôles économiques à la date du contrôle constitue une rupture d’égalité caractérisée au détriment de la société S et de Mme C ; 

- Deux personnes qui ne sont mentionnées ni dans la lettre de mission du 10 octobre 2017 ni dans l’avis de contrôle du 17 octobre 2017 ont néanmoins participé au contrôle et à l’établissement du rapport de contrôle, entachant ainsi le contrôle de nullité ; 

- Les contrôleurs de l’Agence ont formulé des demandes et questions à des fins d’enquête ne relevant pas de la loi du 9 décembre 2016, en réalité pénales, en méconnaissance du droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de l’obligation de loyauté. 

En deuxième lieu, la saisine de la commission des sanctions est entachée de nullité au motif que les divergences entre le rapport de contrôle, la lettre de notification des griefs du 13 mars 2019 et l’avis du directeur de l’Agence dans la lettre de saisine de la Commission au sujet des manquements imputés à la société S, créent une confusion de nature à porter une atteinte irrémédiable au bon exercice des droits de la défense des personnes mises en cause.

En troisième lieu, aucun des manquements au titre des procédures et mesures visées dans la notification des griefs ne peut être retenu dès lors que : 

- S’agissant de la cartographie des risques de corruption, S a fait appel dès le mois de décembre 2016 à un prestataire de renom pour qu’il l’aide à établir une cartographie de risques répondant aux impératifs de la loi selon une méthodologie qu’elle estime particulièrement robuste et qui lui a permis d’identifier 17 risques majeurs de corruption, lesquels ont été côtés, et de hiérarchiser les 44 pays dans lesquels elle intervient en pays à risque modéré, moyen ou fort. Quant au déploiement de la cartographie, finalisée fin mai 2018 avec 182 plans d’action, celle-ci a été diffusée en décembre 2018 à l’ensemble des filiales du groupe. Enfin, la première année de mise à jour la cartographie ne pouvait être que 2019.

- S’agissant du code de conduite, S s’est dotée en décembre 2017 d’une charte de gouvernance qui inclut un code de conduite et un guide de conformité. Ces documents comportent des illustrations de comportements illicites. Tout au long de l’année 2018, elle les a soumis aux comités d’entreprise de ses filiales. Le code de conduite a été traduit en 19 langues et diffusé dans les 44 pays où elle est implantée. Il est fait observer que la loi du 9 décembre 2016 ne prévoit pas le niveau de détail que doivent présenter les illustrations de même qu’elle n’impose pas leur mise à jour.

- S’agissant des procédures d’évaluation des tiers, après avoir souligné la difficulté de l’exercice puisqu’il concerne plus de 600 000 clients et 200 000 fournisseurs dans le monde, S expose, sur la base de documents, que le déploiement du dispositif d’évaluation des clients est effectif depuis sa diffusion officielle en juillet 2018. Elle affirme disposer aujourd’hui de procédures d’évaluation des clients, de diligences raisonnables relatives aux fournisseurs, de procédures d’encadrement des intermédiaires et de procédures d’évaluation des acquisitions de sociétés. Un plan directeur a été diffusé en juillet 2018 pour aider les filiales dans l’adaptation de ces procédures aux spécificités locales. En février 2019, le nouveau manuel de contrôle interne comportant 22 mesures de contrôle des tiers a été diffusé à tout le groupe.

- S’agissant des procédures comptables, S fait état d’améliorations du dispositif de contrôle comptable auxquelles elle a procédé. Des points de contrôle spécifiques à la corruption ont été introduits et le manuel de contrôle interne MP50 a été mis à jour en conséquence. La campagne d’évaluation du contrôle interne a intégré en 2018 ces nouveaux points de contrôle. La lettre de mission des commissaires aux comptes a été modifiée par l’adjonction à leur mission de 19 nouveaux points de contrôle.

- S’agissant du dispositif de contrôle du dispositif de prévention de la corruption, S précise que le manuel de contrôle interne a été mis à jour dès juin 2018 et qu’une campagne d’évaluation du dispositif de contrôle interne a été lancée dans toutes les filiales. Elle ajoute avoir fourni des informations sur les programmes d’audit pays arrêtés pour 2018 et 2019 démontrant sa volonté de mieux maîtriser le risque corruption. La direction de l’audit a été rattachée directement au directeur général au début de 2019. Il est fait aussi observer que la loi Sapin n’impose nullement la mise en place de contrôles qualifiés de N1, N2 et N3 mais mentionne simplement l’obligation de mettre en place un dispositif de contrôle et d’évaluation des mesures mises en œuvre.

La commission des sanctions, composée de M. Jean Courtial, président, de Mmes Anne Froment-Meurice et Geneviève Bregeon et de MM. Jacques Buisson et Yves Medina, membres, M. Laurent Barnaud étant secrétaire de la séance lors des débats de la séance publique du 25 juin 2019, et après avoir entendu au cours de ces derniers :

M. Medina en son rapport ;

Pour l’Agence française anticorruption :

- M. Charles Duchaine, directeur ;

- M. Salvator Erba, sous-directeur du contrôle ;

- M Julien Laumain, expert en conformité à la sous-direction du contrôle.

- Pour les personnes mises en cause :

Pour la société S :

- Mme C, président directeur général ;

- M. Ca, secrétaire général ;

- M. B, vice-président risques et assurance ;

- M. M, vice-président, directeur contrôle de gestion et consolidation groupe, coordonnateur contrôle interne.

Les conseils de S :

- Maître Jonathan Mattout, avocat au barreau de Paris, cabinet Herbert Smith Freehills;

- Maître Raphaël Coeurquetin, avocat au barreau de Paris, cabinet Herbert Smith Freehills.

Le conseil de Mme C :

- Maître Fabrice Dubest, avocat au barreau de Paris, cabinet Dubest et Dartevelle associés.

La parole ayant été donnée en dernier lieu à Maître Jonathan Mattout et à Mme C pour les personnes mises en cause.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la procédure

Sur la régularité de la saisine de la commission des sanctions

1. En vertu des dispositions de l’article 5 du décret n° 2017-329 du 14 mars 2017 relatif à l’Agence française anticorruption pris pour l’application de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, lorsque le directeur de l’Agence décide, en cas de manquement constaté à l’obligation, à la charge des personnes mentionnées au I de l’article 17 de cette loi, de prendre des mesures destinées à prévenir et à détecter la commission, en France et à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence, de saisir la commission des sanctions, il lui transmet, aux termes du 2° du I de cet article 5 : « le rapport de contrôle, les observations, le cas échéant, de la personne concernée et formule un avis concernant la nature, et, le cas échéant, le quantum et les modalités, de la sanction qui lui semble appropriée. Le directeur notifie les griefs à la personne mise en cause par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ». Aux termes du II de ce même article : « Le président de la commission informe la personne mise en cause, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, qu’elle peut se faire assister par le conseil de son choix. Il lui communique, selon les mêmes modalités, l’avis du directeur mentionné au I du présent article et l’invite à présenter ses observations dans un délai de deux mois à compter de l’avis de réception. A l’expiration de ce délai, le président de la commission convoque, selon les mêmes modalités, la personne mise en cause à une audience… ».

2. Il résulte de ces dispositions que la commission des sanctions n’est saisie que des manquements imputés à la personne mise en cause qui sont énoncés dans la lettre de saisine et qui sont ceux sur la constatation desquels le directeur de l’Agence formule l’avis concernant la nature et, le cas échéant, le quantum et les modalités de la sanction qui lui semble appropriée. C’est cet avis, et les griefs sur lequel il repose, que le président de la commission communique à la personne mise en cause en l’invitant à présenter ses observations.

3. Dans la présente affaire, le président de la commission a adressé à Mme C, représentante de la société S, une lettre en date du 22 mars 2019, dont il a été accusé réception le 25 mars 2019, invitant sa destinataire à produire des observations sur les cinq griefs préalablement notifiés à celle-ci par le directeur et l’avis de celui-ci relatif à une sanction reproduit en annexe de cette lettre. D’une part, la circonstance que trois des huit manquements qui avaient été relevés dans le rapport de contrôle n’ont été repris ni dans la notification des griefs ni dans la saisine de la commission des sanctions signifie de manière évidente que le directeur de l’Agence a abandonné les griefs correspondants, la lettre de saisine de la commission des sanctions précisant au demeurant que « l’examen des éléments fournis par S à l’appui de ses observations écrites adressées à l’Agence le 10 septembre 2018, permet de considérer que certains manquements sont, à ce jour, susceptibles de persister » ; d’autre part, si la constatation des cinq manquements retenus est formulée de manière prudente, les griefs sont mentionnés de façon suffisamment claire pour ne laisser aucun doute sur leur contenu et leur portée et permettre à la personne mise en cause de présenter utilement des observations.

4. Il résulte de ce qui précède que Mme C et la société S ne sont pas fondées à soutenir que la saisine de la commission des sanctions est entachée de nullité.

Sur la régularité du contrôle

5. En vertu des dispositions de l’article 4 de la loi mentionnée ci-dessus du 9 décembre 2016, dans le cadre des contrôles du respect, par les personnes mentionnées au I de l’article 17 de la même loi, de leurs obligations de mettre en œuvre les mesures et procédures mentionnées au II de l’article 17, les contrôleurs de l’Agence « peuvent être habilités, par décret en Conseil d’Etat, à se faire communiquer par les représentants de l’entité contrôlée tout document professionnel, quel qu’en soit le support, ou toute information utile. Le cas échéant, ils peuvent en faire une copie. / Ils peuvent procéder sur place à toute vérification de l’exactitude des informations fournies. Ils peuvent s’entretenir, dans des conditions assurant la confidentialité de leurs échanges, avec toute personne dont le concours leur paraît nécessaire. / (…) Est puni de 30 000 euros d’amende le fait de prendre toute mesure destinée à faire échec à l’établissement de leurs rapports ».

6. Les contrôles doivent permettre à l’Agence d’apprécier, ainsi qu’il est écrit à l’article 3 de la loi du 9 décembre 2016, « la qualité du dispositif de prévention et de détection du dispositif de prévention et de détection de la corruption mis en place au sein des entités contrôlées » par les personnes mentionnées au I de l’article 17.

7. Il est, en premier lieu, soutenu que les contrôleurs de l’Agence ont commis un détournement de procédure en sollicitant des documents et informations, dans le cadre du contrôle de la société S, à des fins étrangères à celles assignées à ce contrôle par les dispositions législatives précitées, notamment la recherche d’indices de pratiques restrictives de concurrence et de fraude fiscale. Dans la même logique, mais selon une formulation un peu différente, il est en outre soutenu que les contrôleurs de l’Agence auraient méconnu le champ d’application matériel de leur pouvoir de contrôle en requérant des renseignements et documents sans lien avec les procédures et mesures mentionnées à l’article 17 de la loi du 9 décembre 2016 et formulé des demandes et questions à des fins d’enquête pénale, en méconnaissance du droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de l’obligation de loyauté.

8. D’une part, les détournements invoqués se rapportent à des procédures en matière pénale, fiscale ou de pratiques restrictives de concurrence dont la commission des sanctions de l’Agence française anticorruption n’est pas compétente pour connaître. D’autre part, c’est, le cas échéant, au juge du délit d’entrave qu’il appartiendrait de statuer sur la licéité du refus de produire des documents ou de fournir des informations sollicités par les contrôleurs de l’Agence, la commission des sanctions pouvant toutefois être amenée à se prononcer sur l’utilité de ces documents ou informations pour l’appréciation de la qualité du dispositif de détection et de prévention de la corruption dans le cadre de l’examen au fond des faits et des pièces sur lesquels l’Agence s’appuie pour établir les manquements qu’elle invoque.

9. En deuxième lieu, les manquements susceptibles de donner lieu à l’application de sanctions sont ceux afférents à une situation existante à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 2016 et qui perdure jusqu’à à la date à laquelle la commission des sanctions statue. Ainsi, pour établir l’existence de ces manquements et la formulation des griefs correspondants, le directeur de l’Agence ne peut se fonder que sur des faits de nature à démontrer le non-respect de la mise en œuvre des mesures et procédures mentionnées au II de l’article 17 de cette loi depuis l’entrée en vigueur de cette loi. Toutefois, afin d’apprécier pleinement la qualité du dispositif de prévention et de détection de la corruption mis en œuvre au sein des entités contrôlées comme le prévoit la loi, les contrôleurs de l’Agence peuvent, sans méconnaître de dispositions législatives, le principe de non-rétroactivité de la loi ou d’autres principes, solliciter des documents et renseignements se rapportant à une période antérieure à la date d’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 2016 dès lors que ces documents et renseignements sont « utiles », ainsi qu’il est dit à l’article 4 de cette loi, notamment par ce qu’ils sont de nature à permettre d’appréhender concrètement l’exposition de l’entité contrôlée aux risques de corruption et de trafic d’influence eu égard à la façon dont l’entité contrôlée a fait face dans le passé à l’exposition à ces risques.

10. En troisième lieu, il résulte de l’instruction que les griefs notifiés par le directeur de l’Agence et dont il a saisi la commission des sanctions sont fondés sur des manquements au respect de la mise en œuvre des mesures et procédures mentionnées au II de l’article 17 de la loi du 9 décembre 2016. Dès lors, l’argumentation tirée de ce que le rapport de contrôle ferait de nombreuses références à la méconnaissance d’éléments tirés des « Recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme », publiées au Journal officiel de la République française le 22 décembre 2017, postérieurement à la fin du contrôle, ne peut être utilement invoquée. C’est dans le cadre de l’examen au fond qu’il y aura lieu pour la commission des sanctions d’apprécier si les griefs notifiés dont elle a été saisie sont fondés sur des manquements à des obligations légales.

11. Il ne peut être en outre utilement soutenu que le contrôle serait entaché d’irrégularité du fait de l’absence, à la date du contrôle, de publication d’un questionnaire et d’une liste des pièces à fournir élaborés par l’Agence dès lors que si ces instruments peuvent faciliter, en pratique, les opérations de contrôles, ils ne sont pas prévus par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur. Leur absence à la date du contrôle ne saurait par elle-même vicier la procédure de contrôle.

12. En quatrième lieu, la circonstance que le compte rendu des entretiens que les contrôleurs de l’Agence ont eu avec des collaborateurs et dirigeants de la société S ou des tiers n’a pas été formalisé par l’établissement de procès-verbaux ne saurait, par elle-même, vicier la procédure de contrôle dès lors que les dispositions législatives et règlementaires applicables n’imposent pas l’établissement de procès-verbaux. L’absence de formalisation des entretiens, de même que d’éventuels errements dans l’interprétariat d’entretiens avec des personnes ne parlant pas le français qui sont invoqués par les personnes mises en cause, seraient susceptibles, en revanche, à supposer les faits invoqués avérés et pertinents, d’affecter l’administration de la preuve du non-respect de la mise en œuvre des mesures et procédures mentionnées au II de l’article 17 de la loi du 9 décembre 2016. Mais cela ne peut être apprécié qu’au cas par cas dans le cadre de l’examen au fond de l’affaire.

13. S’il est allégué par ailleurs que la façon de recueillir les propos de collaborateurs ne parlant pas le français n’aurait pas garanti le respect de la confidentialité des entretiens, cette allégation n’est pas assortie d’éléments précis et concrets de nature à en assurer le bien-fondé.

14. En cinquième lieu, s’il eut été préférable que la lettre du directeur de l’Agence en date du 30 novembre 2017 informant la société S que les deux agents supplémentaires, dont cette lettre mentionne les noms, participeraient au contrôle sur place du 11 au 15 décembre 2017, indiquât expressément qu’elle modifie la lettre de mission du 10 octobre 2017 en élargissant ainsi l’effectif de l’équipe de contrôle, cette omission, dont il n’est pas démontré et d’ailleurs pas même allégué qu’elle ait induit en erreur la société S sur les agents participant au contrôle, n’a pu, dans les circonstances de l’espèce, porter atteinte aux droits de la défense.

Sur la présence du directeur de l’Agence lors de l’audience

15. Aux termes de l’article 2 de la loi du 9 décembre 2016, le directeur de l’Agence « ne peut être membre de la commission des sanctions ni assister à ses séances ». Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux qui ont précédé l’adoption de la loi, que le directeur de l’Agence ne peut assister aux séances lors desquelles la commission des sanctions exerce les compétences de décision qui lui sont conférées, qu’il s’agisse de ses délibérés ou, notamment, de celles par lesquelles elle adopte ou modifie son règlement intérieur. En revanche, elles n’ont pas pour objet et ne sauraient, à la lumière des dispositions constitutionnelles et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatives au droit à un procès équitable, avoir pour effet d’interdire au directeur d’assister ou de se faire représenter es qualité de partie aux audiences que la commission des sanctions tient, conformément aux dispositions de l’article 5 du décret du 14 mars 2017, en vue de statuer sur les affaires dont elle est saisie. Celle-ci a entendu au cours de l’audience publique tant, d’un côté, le directeur de l’Agence et certains de ses collaborateurs, que, de l’autre côté, Mme C personnellement, trois de ses proches collaborateurs de la société S et trois avocats représentant la société, personne morale, et sa dirigeante mise en cause. Elle a délibéré hors la présence de toute personne autre que ses cinq membres dont les noms figurent plus haut. L’assistance du directeur de l’Agence à l’audience publique n’a porté atteinte ni à l’indépendance de la commission des sanctions à l’égard de toutes les parties, ni à son impartialité, ni au caractère contradictoire de la procédure et aux droits de la défense.

Sur le fond

16. Aux termes du II de l’article 17 de la loi du 9 décembre 2017, les personnes mentionnées au I, au nombre desquelles figure la présidente de la société S, « mettent en œuvre les mesures et procédures suivantes :

1° Un code de conduite définissant et illustrant les différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence. Ce code de conduite est intégré au règlement intérieur de l’entreprise et fait l’objet, à ce titre, de la procédure de consultation des représentants du personnel prévue à l’article L.1321-4 du code du travail ;

3° Une cartographie des risques prenant la forme d’une documentation régulièrement actualisée et destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d’exposition de la société à des sollicitations externes aux fins de corruption, en fonction notamment des secteurs d’activité et des zones géographiques dans lesquels la société exerce son activité ;

4° Des procédures d’évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires au regard de la cartographie des risques ;

5° Des procédures de contrôles comptables, internes ou externes destinées à s’assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d’influence. Ces contrôles peuvent être réalisés soit par les services de contrôle comptable et financier propres à la société, soit en ayant recours à un auditeur externe à l’occasion de l’accomplissement des audits de certification des comptes prévus à l’article L- 823-9 du code de commerce ;

8° Un dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre».

17. Il incombe au directeur de l’Agence qui propose l’application de mesures revêtant un caractère de sanction de constater le manquement qu’il invoque. Lorsque l’exercice de ses pouvoirs de contrôle lui ont permis de réunir des éléments rendant vraisemblable un manquement aux obligations, énumérées par les dispositions citées ci-dessus du II de l’article 17, d’une personne à laquelle ces obligations s’imposent, il appartient à celle-ci, spontanément ou en réponse aux sollicitations de l’Agence, d’apporter les éléments dont elle est seule à disposer permettant de déterminer si elle s’acquitte des obligations qui sont les siennes et qui sont de nature à mettre l’Agence à même, à l’issue de ses contrôles, comme il est dit au dernier alinéa du 3° de l’article 3, d’apprécier « la qualité du dispositif de prévention et de détection du dispositif de prévention et de détection de la corruption mis en place au sein des entités contrôlées ». Si la personne mise en cause, dont l’obligation implique qu’elle s’assure elle-même de la pertinence, de la qualité et de l’effectivité des procédures et mesures qu’elle doit mettre en place, n’apporte pas d’éléments suffisants à cet égard, le directeur de l’Agence est réputé apporter la preuve du manquement.

18. Dans l’hypothèse où la personne mise en cause a suivi à cet égard, en tout point, la méthode préconisée par l’Agence elle-même dans ses Recommandations mentionnées ci- dessus, elle doit être regardée comme apportant des éléments suffisants, sauf à l’Agence à démontrer qu’elle n’a pas, en réalité, suivi les Recommandations. Dans l’hypothèse où la personne mise en cause n’a pas suivi cette méthode, ou ne l’a suivie qu’en partie, comme elle a en a le droit dès lors que les Recommandations ne constituent qu’un référentiel dont l’usage n’est en rien obligatoire, il lui incombe de démontrer la pertinence, la qualité et l’effectivité du dispositif de détection et de prévention de la corruption en justifiant de la validité de la méthode qu’elle a librement choisie et suivie.

Sur le grief relatif à la cartographie des risques de corruption

19. L’Agence soutient que : « la méthodologie d’identification des risques retenue qui s’appuie sur des scénarios génériques de corruption sur le fondement desquels les filiales étrangères sont appelées à identifier leur propre exposition, ne permet pas d’assurer que la société soit en mesure de réaliser une analyse fine des vulnérabilités existantes sur la totalité de ses processus, en France comme dans les pays où elle est implantée ». Pour l’Agence, la société S ne pourrait satisfaire à son obligation légale de se doter d’une cartographie des risques de corruption qu’en : « s’appuyant sur une méthodologie susceptible d’identifier tous les processus à risques en France comme à l’étranger, permettant un passage des risques bruts aux risques nets et s’accompagnant de plans d’action adaptés ». C’est l’objet de l’injonction que le directeur de l’Agence est d’avis que la commission des sanctions devrait prononcer.

20. Il résulte de l’instruction que, pour justifier de la validité de sa méthodologie, la société S a fait appel dès le mois de décembre 2016, soit un an avant le contrôle, à un prestataire externe pour qu’il l’aide à construire une cartographie des risques répondant aux impératifs de la loi. La méthodologie adoptée a consisté à établir une cartographie-pilote à partir de la situation de la société en France et à la suite d’ateliers de travail et d’entretiens avec des responsables, à définir 42 scénarios de risque qui ont mis au jour 11 risques majeurs, ces risques faisant l’objet d’une cotation en fonction de leur occurrence et de leur impact sur l’entreprise. Dans une deuxième phase, cette cartographie pilote a été testée sur les filiales chinoises, américaines et brésiliennes pour permettre une adaptation aux spécificités locales et cette démarche a fait apparaître, à la suite de la consultation de 139 responsables, 6 nouveaux risques dont la cotation pour la France n’a pas été jugée nécessaire mais qui ont été ajoutés aux 11 premiers risques portant ainsi à 17 le nombre de risques identifiés par le groupe dans le domaine de la corruption. C’est l’ensemble de ces risques, avérés puis réduits en tenant compte des mesures existantes visant à les maîtriser, qui a constitué à partir du mois de mai 2018, la « cartographie-groupe » dont la synthèse, complétée par des plans d’action, a été adoptée par le comité d’audit de la société, un des trois comités spécialisés de son conseil d’orientation, en septembre 2018 avant sa diffusion en décembre 2018 à tout le groupe. Il est indiqué dans la documentation que la cotation des risques qui, de bruts, deviennent nets compte tenu de la définition de plans d’action, a été complétée par une hiérarchisation des risques en 3 catégories - acceptable/moyen/élevé - et un classement des 44 pays où le groupe est présent en pays à risque modéré, moyen ou fort.

21. S’agissant du déploiement de la cartographie sur l’ensemble des filiales du groupe, il résulte de l’instruction, notamment des documents produits par S en appui du mémoire du 24 mai 2019, que la cartographie a été finalisée à la fin du premier semestre 2018, après que les dirigeants pays se sont prononcés sur sa validité en février 2018, chaque « directeur pays » étant invité à valider et compléter une synthèse (« Synthetic Risk Mapping Group »). En septembre 2018 cette synthèse validée, complétée et accompagnée des plans d’action visant à maîtriser les risques identifiés, a été présentée au comité d’audit de la société. En décembre 2018, elle a été diffusée officiellement au « management group » et aux directions pays du groupe.

22. S’agissant des plans d’action qui visent à réduire l’exposition aux risques de corruption, S produit des documents attestant de l’existence de 182 plans, dont 29 pour la France. Elle a indiqué qu’ils sont suivis localement ainsi qu’au niveau central par sa direction des risques ; leur existence n’est pas remise en cause par l’Agence. Il résulte de l’instruction que ces 182 plans d’action ont été mis en place progressivement et que leur taux de réalisation qui était de 68 % en septembre 2018 serait de 75% en juin 2019.

23. Il résulte de l’instruction, notamment des informations données dans le mémoire de la société S du 24 mai 2019 et réitérées à l’audience, qui ne sont pas sérieusement contredites, que les 17 risques ont bien été côtés.

24.S’agissant de l’exigence légale d’actualisation régulière de la cartographie, la société S fait valoir que si la première année de mise à jour ne pouvait être que 2019, elle serait néanmoins en train d’engager une 5ème phase de cette mise à jour.

25. Si l’Agence critique le caractère « générique » des scénarios de risque, la méthode d’identification de ces risques, l’absence de prise en compte du risque de trafic d’influence, que le 3° du II de l’article 17 ne mentionne au demeurant pas en tant que tel, le classement jugé contestable des pays en fonction de leur exposition à la corruption et le caractère inachevé du déploiement de ce dispositif, il résulte de l’instruction que ces critiques ne sont pas fondées, à la date à laquelle la commission des sanctions statue et eu égard aux éléments produits par S, notamment depuis la saisine, sur des éléments suffisamment précis et probants pour remettre en cause la validité de la démarche adoptée par S et la construction de sa cartographie des risques de corruption.

26. Au vu de des réalisations énumérées plus haut, notamment de celles qui sont intervenues depuis la fin du contrôle, durant l’année 2018 et du premier semestre de 2019 au cours d’un long processus d’amélioration progressive et de mise au point de sa cartographie des risques de corruption, S qui, comme il a été dit ci-dessus, n’était pas tenue de suivre la méthodologie préconisée dans les Recommandations éditées par l’Agence, au demeurant postérieurement au contrôle, doit être regardée comme justifiant de la pertinence, de la qualité et de l’effectivité au niveau du groupe S de la cartographie qu’il lui incombe de mettre en place.

27. Il résulte de tout ce qui précède que les faits et critiques sur lesquels le directeur de l’Agence s’appuie pour qualifier le manquement de ne pas avoir établi une cartographie des risques de corruption conforme aux prescriptions légales ne sont pas suffisants pour permettre à la commission des sanctions de constater un tel manquement.

Sur le grief relatif au code de conduite

28. Le directeur de l’Agence, qui ne conteste pas que S ait soumis son code de conduite à l’ensemble des comités d’entreprise de ses filiales françaises durant l’année 2018 et au cours du premier semestre de 2019 ni qu’elle ait procédé à une large diffusion, au sein de ses filiales étrangères présentes dans 44 pays de ce document, traduit en 19 langues, maintient néanmoins son constat de l’insuffisance des illustrations fournies, illustrations qui seraient sans lien avec les risques propres à la société que seule une cartographie des risques réalisée selon une méthodologie pertinente aurait pu révéler.

29. Il résulte de l’instruction ainsi que des précisions apportées à l’audience que la société s’est appliquée à prescrire, en décembre 2017, dans un ensemble de documents interdépendants, constitué d’une charte de gouvernance, d’un code de conduite et d’un guide de conformité, les comportements attendus de ses collaborateurs en indiquant, notamment dans le guide de conformité, les prescriptions visant à prohiber la corruption, le trafic d’influence, l’octroi abusif de cadeaux ou d’avantages divers, les paiements de facilitation, les conflits d’intérêts ainsi que les règles à observer en matière de concurrence loyale et de procédures comptables.

30. Il ressort également des documents produits comme des déclarations faites à l’audience que S est en train de compléter ce dispositif par l’établissement de nouvelles préconisations écrites portant sur le risque de cybersécurité, l’inclusion sociale propice à éviter des atteintes à la probité, les questions d’embargo-pays et que plusieurs de ses filiales ont déjà décliné, dans des codes spécifiques tenant compte des spécificités locales, les prescriptions globales du groupe tandis que d’autres ont publié des instructions précises sur les règles à suivre en matière de cadeaux et d’avantages.

31. Au vu de ces réalisations et de l’effort réel engagé par S pour déployer les préconisations comportementales attendues, le manquement relatif au code de conduite invoqué par le directeur de l’Agence n’est pas constaté par la commission des sanctions.

Sur le grief relatif à la procédure d’évaluation des tiers

32. Le directeur de l’Agence estime dans sa lettre de saisine du 13 mars 2019 que le manquement persiste au motif que « si S semble avoir développé, postérieurement au contrôle de l’Agence, une procédure d’évaluation de tous ses tiers, les éléments transmis indiquent que le déploiement de celle-ci ne semble pas encore effectif à la date de communication des observations écrites », soit le 10 septembre 2018.

33. Il ressort de l’instruction des documents produits par S comme des déclarations faites à l’audience et non démenties que S, qui déclare avoir 600 000 clients et 200 000 fournisseurs, s’est bien dotée de procédures et d’outils différenciés concernant ses principaux clients ou fournisseurs à risque, de règles d’encadrement de ses relations avec les intermédiaires et a mis en place un dispositif spécifique, décrit dans le manuel « S acquisition book », pour réaliser des diligence raisonnables en cas d’acquisition de sociétés. L’existence de ce dispositif et de ces procédures ne semble plus au demeurant contestée par l’Agence.

34. Il a également été précisé dans les écritures de S du 24 mai 2019 et confirmé à l’audience sans être démenti qu’en juillet 2018 S a diffusé à ses filiales le Plan Directeur Groupe leur permettant de mettre effectivement en place et d’adapter les processus de gestion des clients, fournisseurs et intermédiaires, ces procédures ayant vocation à prévenir également les risques de corruption. A ce jour, selon le directeur des risques, l’évaluation des tiers aurait été réalisée dans environ 30 des 44 pays.

35. Il résulte de ce qui précède que les faits et critiques sur lesquels le directeur s’appuie ne permettent pas de conduire la commission des sanctions à constater un manquement de défaut d’établissement de procédures d’évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires, conformes aux prescriptions légales.

Sur le grief relatif aux procédures de contrôle comptable

36. L’Agence reproche à S de n’avoir documenté dans sa réponse du 10 septembre 2018 ni la mise à jour du manuel de contrôle interne ni les différentes mesures de contrôle comptable déployées. Elle remet en cause également la pertinence et l’efficacité des nouveaux contrôles comptables spécifiques diligentés par les commissaires aux comptes de la société S au motif qu’ils s’appuieraient sur une cartographie des risques qu’elle conteste. Elle a également dans ses observations en réplique mis en doute la réalisation par eux de ces nouveaux contrôles.

37. Il ressort des documents produits par la société S le 24 mai 2019 que le manuel de contrôle interne, dit MP50, a bien fait l’objet en 2018 et en 2019 d’une actualisation significative visant à intégrer une vingtaine de nouvelles procédures de contrôle spécifiques à l’identification et à la prévention du risque de corruption. De même a été établie la prise en compte de ces nouveaux points de contrôle dans la campagne d’évaluation conduite en 2018 par la direction du contrôle interne.

38. Il résulte de tout cela que S dispose désormais de procédures de contrôle comptable, à la fois internes et externes, qui concourent effectivement à la prévention des risques de corruption décrits dans sa cartographie des risques et qu’en conséquence le manquement invoqué n’est pas établi.

Sur le grief relatif au dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre

39. L’Agence, après avoir contesté l’existence à la date de son contrôle d’un dispositif d’évaluation interne des mesures mise en œuvre ne soutient dans ses observations du 19 juin 2019 que la critique de l’absence d’un dispositif spécifiquement applicable aux mesures et procédures imposées par le II de l’article 17 de la loi du 9 décembre 2016.

40. Il ressort des documents produits en septembre 2018 et en mai 2019 par S que celle-ci dispose d’un contrôle dit de niveau 2, constitué notamment par une direction de la conformité groupe et une direction du contrôle interne groupe, toutes deux s’appuyant sur un réseau de correspondants locaux et en charge de s’assurer notamment de la bonne application des procédures décrites dans le manuel de contrôle interne et du suivi des actions d’amélioration des processus de prévention.

41. Tenant compte en cela de la critique formulée par le directeur de l’Agence, la direction de l’audit de S, dont l’indépendance est affirmée dans la charte de gouvernance, a été rattachée en janvier 2019 à la direction générale du groupe afin de conforter cette indépendance.

42. Ainsi que l’établissent les documents produits, les campagnes d’évaluation du dispositif de contrôle interne lancées en 2018 et 2019 intègrent l’évaluation des points de contrôle spécifiques aux risques de corruption qui ont été identifiés par S.

43. Il résulte de ce qui précède que les faits et critiques sur lesquels s’appuie le directeur de l’Agence pour invoquer un manquement de défaut « d’un dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre » conforme à la prescription légale ne permettent pas d’établir ce manquement.

44. Il résulte de tout ce qui précède que dès lors que, à la date à laquelle elle statue, aucun des manquements invoqués par le directeur de l’Agence pour proposer le prononcé d’une injonction n’a été constaté par la commission des sanctions, il n’y a pas lieu, pour elle, de prononcer d’injonction ni de sanction pécuniaire.

Par ces motifs la commission des sanctions, après en avoir délibéré en la même composition, le secrétaire s’étant retiré,

DECIDE :

Article 1er : Il n’y a pas lieu de prononcer d’injonction ni de sanction pécuniaire à l’égard de la société S SAS et Mme C.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société S SAS et à Mme C. Elle sera communiquée au directeur de l’Agence française anticorruption.