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Décisions

CA Paris, 25 avril 2007, n° 2003/11619

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Comité interprofessionnel du vin de Champagne, Institut national des appellations d'origine

Défendeur :

Lavysh

TGI Paris, du 23 nov. 2005

23 novembre 2005

Vu l’appel interjeté par l’Institut National des Appellations d’Origine – INAO – et le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne dit CIVC du jugement rendu le 23 novembre 2005 par le tribunal de grande instance de Paris qui a :

- donné acte à l’INAO de son intervention volontaire,

- déclaré irrecevables les demandes du CIVC et de l’INAO relativement aux marques « RUSSIAN CHAMPAGNE » et « SOVIET CHAMPAGNE »,

- déclaré régulières et licites les marques « GOLD COLLECTION CHAMPAGNE » et « NADEZHDA CHAMPAGNE » au regard des dispositions des articles L. 115-5 du Code de la consommation et des articles L. 711-3 et L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle,

- débouté le CIVC et l’INAO de leurs demandes en nullité des marques « GOLD COLLECTION CHAMPAGNE » et « NADEZHDA CHAMPAGNE »,

- déclaré mal fondées les demandes du CIVC et de l’INAO à l’encontre de Sergey LAVYSH relatives aux marques « SHAPANSKOE », « SOVETSKOE SHAMPANSKOE » et « COBETCKOE SHAMPANSKOE » et les en a déboutés,

- condamné le CIVC et l’INAO à payer à Sergey LAVYSH la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ; Vu les dernières écritures signifiées le 22 février 2007 par lesquelles l’Institut National de l’Origine et de la Qualité dit INAO, venant aux droits de l’Institut National des Appellations d’Origine, et le CIVC poursuivant l’infirmation du jugement entrepris, demandent à la Cour de :

- dire recevables leurs demandes à l’encontre de Sergey LAVYSH pour l’usage des dénominations « SOVIET CHAMPAGNE » et « RUSSIAN CHAMPAGNE »,

- dire ces dénominations déceptives à l’égard des produits pour lesquels leur usage a été revendiqué,

- faire interdiction à Sergey LAVYSH de poursuivre cet usage à l’avenir, sous astreinte de 15.000 euros par infraction constatée à compter de la signification de l’arrêt à intervenir,

- en application des dispositions des articles L. 711-4 et L. 711-3 du Code de la propriété intellectuelle, et du règlement CE N° 1493/99 du 17 mai 1999, prononcer la nullité des marques « GOLD COLLECTION CHAMPAGNE » N° 03.32.02.537, « NADEZHDA CHAMPAGNE » N° 03.32.02.529, « SHAPANSKOE » N° 03.32.02.528, « SOVETSKOE SHAMPANSKOE » N° 03.32.02.530 et " COBETCKOE ?AM?AHCKOE " N° 03.32.02.533,

- en application des dispositions de l’article L. 643-1 nouveau du Code rural, auquel renvoie le nouvel article L. 115-6 du Code de la consommation, faire interdiction à Sergey LAVYSH d’utiliser les dénominations comportant les dites marques pour désigner des produits similaires ou différents du vin de Champagne, sous astreinte de 15.000 euros par infraction constatée à compter de la signification de l’arrêt à intervenir,

- dire que cette interdiction d’usage concernera également la désignation du vin de Champagne constituant la traduction en russe du nom Champagne,

- dire que la Cour se réservera la liquidation de l’astreinte prononcée,

- condamner Sergey LAVYSH à réparer le préjudice qui leur a été causé par l’allocation à chacun d’eux de la somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts,

- ordonner la publication de l’arrêt à intervenir dans six journaux ou revues aux frais de Sergey LAVYSH, sans que le coût de chacune des insertions ne soit inférieur à 10.000 euros HT, au besoin à titre de dommages-intérêts complémentaires,

— condamner Sergey LAVYSH à leur verser la somme de 35.000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ; Vu les ultimes conclusions signifiées le 9 mars 2007 aux termes desquelles Sergey LAVYSH prie la Cour de confirmer le jugement déféré et, y ajoutant, de condamner le CIVC et l’INAO à lui payer la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 15.000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Considérant que Sergey LAVYSH a déposé à l’INPI, le 3 janvier 2003, en classe 33, les marques suivantes :

- les marques dénominatives « GOLD COLLECTION CHAMPAGNE » N° 03.32.02.537, « NADEZHDA CHAMPAGNE » N° 03.32.02.529, « RUSSIAN CHAMPAGNE » N° 03.32.02.534 et « SOVIET CHAMPAGNE » N° 03.32.02.532, pour désigner les « vins de Champagne à savoir bénéficiant de l’appellation d’origine contrôlée Champagne »,

- les marques dénominatives « SHAPANSKOE » N° 03.32.02.528, « SOVETSKOE SHAMPANSKOE » N° 03.32.02.530 et " COBETCKOE ?AM?AHCKOE « N° 03.32.02.533, désignant les » boissons alcooliques (à l’exception des bières), vins digestifs, liqueurs, spiritueux » ;

Que le directeur de l’INPI a refusé, le 30 juin 2003, l’enregistrement des marques « RUSSIAN CHAMPAGNE » N° 03.32.02.534 et « SOVIET CHAMPAGNE » N° 03.32.02.532 ;

Que se prévalant de l’appellation d’origine « CHAMPAGNE », le CIVC et l’INAO ont assigné Sergey LAVISH aux fins de voir prononcer l’annulation de ces marques sur le fondement des articles L. 711-4-d), L. 711-3-b) et L. 711-3-c) du Code de la propriété intellectuelle ;

Considérant que Sergey LAVISH ne conteste ni la qualité à agir de l’INAO pour défendre les appellations d’origine, ni la capacité et l’intérêt à agir du CIVC pour la défense de l’intérêt collectif des membres des groupements de base qu’il représente, en l’espèce, pour la défense de l’appellation d’origine Champagne qui identifie les vins produits, élaborés et commercialisés par ceux-ci ;

I – Sur la recevabilité des demandes formées à l’encontre des marques « RUSSIAN CHAMPAGNE » et « SOVIET CHAMPAGNE »

 Considérant que, par décision du 30 juin 2003, le directeur de l’INPI a refusé l’enregistrement de ces deux signes, au visa de l’article L. 711-3-b) et c) du Code de la propriété intellectuelle, en relevant que l’utilisation des expressions « SOVIET CHAMPAGNE » et « RUSSIAN CHAMPAGNE » ne saurait être adoptée comme marque dès lors qu’elles sont légalement interdites et de nature à tromper le public pour les produits revendiqués, des vins de Champagne ;

Considérant que Sergey LAVISH soulève l’irrecevabilité des demandes formées par les appelants à l’encontre de ces deux signes, pour défaut d’intérêt à agir, au motif qu’il a renoncé à les exploiter ; Mais considérant que le simple dépôt d’une marque, en dehors de toute apposition sur un produit, constitue un acte d’usage, réprimé par l’article L. 713-2-a) du Code de la propriété intellectuelle ; Considérant, en l’espèce, que si la demande d’enregistrement a été refusée avant que la présente instance ne soit engagée, il n’en demeure pas moins que le dépôt de ces deux marques caractérisant un usage de celles-ci, l’action de l’INAO et du CIVC est recevable ;

Considérant que les expressions « SOVIET CHAMPAGNE » et « RUSSIAN CHAMPAGNE » sont de nature à tromper le public sur la nature, la qualité et la provenance géographique des produits désignés en lui laissant accroire qu’il existe à côté de l’appellation d’origine « Champagne », d’autres appellations bénéficiant à des vins issus d’un autre terroir mais bénéficiant néanmoins des qualités et caractéristiques spécifiques liées à un même savoir-faire ; Que ces marques présentent donc un caractère déceptif au sens de l’article L. 711-3-c) du Code de la propriété intellectuelle de sorte que leur dépôt était illicite ;

II – Sur les marques dénominatives « SHAPANSKOE » N° 03.32.02.528, « SOVETSKOE SHAMPANSKOE » N° 03.32.02.530 et " COBETCKOE ?AM?AHCKOE " N° 03.32.02.533

Considérant qu’aux termes de l’article L. 643-1 du Code rural, le nom qui constitue l’appellation d’origine ou toute autre mention l’évoquant ne peuvent être employés pour aucun produit similaire, sans préjudice des dispositions législatives et réglementaires en vigueur le 6 juillet 1990. Ils ne peuvent être employés pour aucun établissement et aucun autre produit ou service, lorsque cette utilisation est susceptible de détourner ou d’affaiblir la notoriété de l’appellation ; Que ce texte interdit l’usage de la dénomination qui constitue l’appellation d’origine ou son évocation pour des produits similaires, sans qu’il y ait lieu de rechercher s’il existe un risque de confusion entre les produits ; Qu’aux termes de l’article 23 des accords ADPIC, chaque membre prévoira les moyens juridiques qui permettent aux parties intéressées d’empêcher l’utilisation d’une indication géographique identifiant des vins pour des vins qui ne sont pas originaires du lieu indiqué par l’indication géographique en question… même dans les cas où la véritable origine du produit est indiquée ou dans ceux où l’indication est employée en traduction… ;

Considérant, en l’espèce, que les signes incriminés ont été déposés pour les boissons alcoolisées, vins, digestifs, liqueurs et spiritueux, produits similaires aux vins de champagne bénéficiant de l’appellation d’origine Champagne ; Qu’il ressort des traductions certifiées produites aux débats par les appelants, dont la teneur n’est pas contestée, que :

- le terme composant la première marque signifie « Champagne »,

- la deuxième marque, déposée en caractères latins, signifie « Champagne soviétique »,

- la troisième marque, déposée en caractères cyrilliques, a la même signification ; Que les marques en cause sont donc exclusivement composées du nom constituant l’appellation d’origine et de l’indication d’une provenance étrangère à celle identifiant les produits qui en bénéficient ; qu’il importe peu que le consommateur n’en perçoit pas spontanément le sens littéral dès lors que l’existence d’un risque de confusion n’est pas requis ;

Considérant que l’utilisation de l’appellation d’origine sous forme de traduction ou de translittération, pour des produits similaires, contrevient donc aux dispositions de l’article L. 643-1 du Code rural, qui doit être appliqué en conformité avec l’article 23 des accords ADPIC qui prévoit d’empêcher l’usage de l’indication d’origine, même employée en traduction qu’en outre, les dénominations en cause, reprises sous la forme traduite et translittérée de l’appellation d’origine, sont susceptibles par leur consonance de l’évoquer, en induisant un simple rattachement à celle-ci, et ainsi de détourner ou d’affaiblir sa notoriété ; Que l’enregistrement des trois marques sus-visées doit donc être annulé en application de l’article L. 711-3-b) du Code de la propriété intellectuelle qui prohibe l’adoption comme marque de signes dont l’utilisation est légalement interdite ;

III – Sur les marques dénominatives « GOLD COLLECTION CHAMPAGNE » N° 03.32.02.537, « NADEZHDA CHAMPAGNE » N° 03.32.02.529

Considérant que ces deux signes désignent des « vins de champagne à savoir bénéficiant de l’appellation d’origine contrôlée Champagne » ; Considérant que, comme le reconnaissent l’INAO et le CICV dans leurs dernières écritures, l’article L. 641-3 du Code rural qui définit les conditions d’un usage fautif du nom constituant l’appellation d’origine, ne vise pas l’usage de ce nom pour le produit en bénéficiant ; qu’il ne peut donc recevoir application en l’espèce ;

Considérant que les appelants font valoir que le signe constitué en tout ou partie du nom « Champagne » est contraire à l’ordre public, au sens de l’article L. 711-3-b) du Code de la propriété intellectuelle, dès lors que du fait de cet enregistrement, il fait l’objet d’une appropriation incompatible avec les règles d’ordre public qui régissent et protègent les appellations d’origine ;

Mais considérant que si les marques dénominatives en cause sont composées du nom « Champagne », qui en constitue indéniablement l’élément essentiel, l’expression « GOLD COLLECTION », d’une part, le terme « NADEZHDA », d’autre part, qui lui sont adjoints, revêtent un caractère arbitraire, de sorte que l’ensemble ainsi formé est parfaitement distinctif pour désigner des vins de champagne ; Que les appelants sont mal fondés à reprocher à Sergey LAVISH une appropriation frauduleuse incompatible avec les règles d’ordre public qui régissent les appellations d’origine dès lors que le monopole d’exploitation que la marque confère à son titulaire ne s’exerce que sur le signe pris dans son ensemble et non sur l’un de ses éléments isolément ; Que le fait que Sergey LAVISH a déposé les marques avant même d’avoir exercé une activité liée au vin de Champagne est inopérant pour apprécier leur validité, seule la sanction de la déchéance pour défaut d’usage de ces marques étant susceptible de lui être opposée ; Que l’intimé observe à juste titre que l’INAO et le CIVC pourront toujours faire valoir leurs droits si ces marques n’étaient pas utilisées pour désigner du vin de Champagne bénéficiant de l’appellation d’origine ; Considérant que, devant la Cour, les appelants n’invoquent pas les dispositions de l’article L. 711-4-d) du Code de la propriété intellectuelle de sorte qu’ils sont réputés y avoir renoncé ;

Qu’il s’ensuit que l’enregistrement de ces deux marques ne portent pas en soi atteinte à l’appellation d’origine « Champagne » ;

IV – Sur les mesures réparatrices

Considérant qu’afin de mettre un terme au trouble résultant pour les appelants de l’enregistrement des marques dénominatives « SHAPANSKOE » N° 03.32.02.528, « SOVETSKOE SHAMPANSKOE » N° 03.32.02.530 et " COBETCKOE ?AM?AHCKOE « N° 03.32.02.533 et de prévenir un éventuel usage de celles-ci ainsi que des dénominations » SOVIET CHAMPAGNE « et » RUSSIAN CHAMPAGNE ", il sera fait droit à la mesure d’interdiction selon les modalités prévues au dispositif de l’arrêt ;

Considérant que l’atteinte portée au renom et au pouvoir attractif de l’appellation d’origine « Champagne » par le dépôt et l’enregistrement de ces signes ainsi que par le dépôt des dénominations « SOVIET CHAMPAGNE » et « RUSSIAN CHAMPAGNE » justifie que soit allouée à l’INAO et au CIVC chacun une indemnité de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts ; Qu’il sera fait droit à la demande de publication, mesure que justifie la nature des faits incriminés, selon les modalités précisées au dispositif ;

V – Sur les autres demandes

Considérant que la solution du litige commande de rejeter la demande de dommages- intérêts pour procédure abusive formée par Sergey LAVISH ; Que les dispositions de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à l’INAO et au CIVC, la somme de 15.000 euros devant leur être allouée à ce titre ; Que le sens de l’arrêt conduit à débouter Sergey LAVISH de la demande formée sur ce même fondement ; PAR CES MOTIFS Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a débouté l’INAO et le CIVC de leur demande en nullité des marques « GOLD COLLECTION CHAMPAGNE » et « NADEZHDA CHAMPAGNE », Le réformant pour le surplus, Déclare recevables et bien fondées les demandes formées par l’INAO et le CIVC à l’encontre de Sergey LAVISH pour l’usage des marques « SOVIET CHAMPAGNE » et « RUSSIAN CHAMPAGNE », Dit que ces dénominations revêtent un caractère déceptif à l’égard des produits désignés au dépôt, Prononce la nullité des marques dénominatives « SHAMPANSKOE » N° 03.32.02.528, « SOVETSKOE SHAMPANSKOE » N° 03.32.02.530 et " COBETCKOE ?AM?AHCKOE « N° 03.32.02.533, sur le fondement de l’article L. 711-3-b) du Code de la propriété intellectuelle, Fait interdiction à Sergey LAVISH de faire usage des dénominations » SHAPANSKOE « , » SOVETSKOE SHAMPANSKOE « , » COBETCKOE ?AM?AHCKOE « , pour désigner les produits visés au dépôt, sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée, à compter de la signification du présent arrêt, En tant que de besoin, fait interdiction à Sergey LAVISH de faire usage des dénominations » SOVIET CHAMPAGNE « et » RUSSIAN CHAMPAGNE ", pour désigner du vin de Champagne bénéficiant de l’appellation d’origine et des produits similaires, sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt, Se réserve le pouvoir de liquidation de l’astreinte, Condamne Sergey LAVISH à payer à l’INAO et au CIVC chacun la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts pour atteinte à l’appellation d’origine « Champagne », Autorise l’INAO et le CIVC à publier le dispositif du présent arrêt, en entier ou par extraits, dans trois journaux ou revues de leur choix, aux frais de Sergey LAVISH, sans que le coût de chaque insertion n’excède la somme de 3.500 euros HT, Rejette le surplus des demandes, Condamne Sergey LAVISH à verser à l’INAO et au CIVC la somme de 15.000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne Sergey LAVISH aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du nouveau Code de procédure civile.