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Décisions

Cass. com., 11 octobre 1994, n° 92-17.860

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bezard

Rapporteur :

M. Grimaldi

Avocat général :

Mme Piniot

Avocats :

Me Grimaldi, SCP Lesourd et Baudin

Riom, 3e ch. civ. et com., du 10 juin 19…

10 juin 1992

Attendu, selon l'arrêt confirmatif des chefs attaqués (Riom, 10 juin 1992), que la société Estager, concessionnaire à Clermont-Ferrand des marques Austin Rover depuis juillet 1960, a conclu, le 12 décembre 1985, un contrat de concession à durée indéterminée avec la société Rover France ; que M. Will, directeur financier de la société Estager, devenu le président du conseil d'administration de celle-ci en 1981, a démissionné de ses fonctions en juillet 1989 en vue d'acquérir la branche automobile du fonds de commerce de la société Estager et reprendre la concession des véhicules Land et Range-Rover ;

qu'à cette fin, il a constitué la société Auto 26 ; qu'en mars 1990, la société Rover France a confié la concession des véhicules Land et Range-Rover à un tiers ; que la société Auto 26, estimant fautive la rupture des pourparlers, a assigné la société Rover France en paiement de dommages-intérêts ;

Sur le moyen unique, pris en ses trois premières branches :

Attendu que la société Rover France reproche à l'arrêt d'avoir accueilli cette demande, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la rupture de pourparlers ne peut être cause de responsabilité qu'en cas de mauvaise foi de celui qui a mis fin aux pourparlers après avoir fait croire à son partenaire qu'il allait conclure le contrat sans avoir l'intention sérieuse de contracter ; que, pour retenir la responsabilité de la société Rover France, la cour d'appel s'est bornée à relever des faits établissant que M. Will a pris seul l'initiative de sa candidature comme concessionnaire, par une lettre du 23 novembre 1989, sans que le contrat de concessionnaire de la société Estager n'ait été dénoncé, que M. Will a remis un dossier de candidature le 6 décembre 1989 que la société Rover France a examiné avec une prudence se comprenant après deux années de résultats décevants, que la société Rover France a continué pendant ce temps ses relations d'affaires avec la société Estager, jusqu'à la résililation de la concession le 5 février 1990, et qu'elle a écarté la candidature de M. Will en mars 1990 ; qu'en statuant de la sorte, sans caractériser aucun fait positif démontrant que la société Rover France aurait réellement laissé croire à la société Auto 26 qu'elle conclurait un contrat de concession avec elle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; alors, d'autre part, que le silence ne vaut pas acceptation d'un fait juridique ; qu'en énonçant que lorsqu'il n'existe pas au dossier une réponse de la société Rover France à une lettre de la société Auto 26, mais que leurs relations ont néanmoins continué, la société Auto 26 est en droit de conclure que la société Rover France opinait quant au contenu de la lettre, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1315 du Code civil ; et alors, enfin, qu'en déduisant de la lettre de la société Estager, informant ses clients de la cession de son fonds de commerce à la société Auto 26 depuis le 1er décembre 1989, que la société Estager avait pris langue avec la société Rover France pour dénoncer le contrat du 12 décembre 1985 et que la société Rover France avait laissé sérieusement croire à tout le monde que M. Will allait devenir le nouveau concessionnaire, lorsque cette lettre n'émane pas de la société Rover France et ne peut dès lors traduire une quelconque intention de celle-ci, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, qu'après avoir relevé, par motifs adoptés, que la société Rover France avait été, en septembre 1989, informée par son inspecteur commercial chargé du secteur concédé, M. X..., des intentions de M. Will et qu'"à partir de cette date, des pourparlers, tendant à transformer le contrat liant la société Rover France à la société Estager au profit de la société Auto 26, se sont poursuivis entre M. Will, représentant de la société Auto 26, et M. X... pour la société Rover France", l'arrêt, en retenant, par motifs propres et adoptés, que "M. X... a émis diverses exigences, toutes satisfaites par la société Auto 26", puis "a visité, avec M. Will, un réseau de professionnels pouvant devenir ses agents", et que la société Rover France a "exigé et déterminé" une caution bancaire de 1 500 000 francs que M. Will a fournie, la cour d'appel a caractérisé des faits positifs émanant de la société Rover France ;

Attendu, d'autre part, qu'après avoir analysé la nature et l'ancienneté des relations entre M. Will et la société Rover France jusqu'en juillet 1989, ainsi que la poursuite de ces relations postérieurement à cette date, l'arrêt estime souverainement que, dans ce contexte, le défaut de réponse de la société Rover France à une lettre de la société Auto 26 avait pu être interprété par cette dernière comme une acceptation du contenu de cette lettre ;

Attendu, enfin, qu'ayant relevé que les parties en pourparlers étaient, d'un côté, la société Auto 26, représentée par M. Will, et, d'un autre côté, la société Rover France, la cour d'appel a attribué à la lettre de la société Estager, non pas la valeur d'une pièce contractuelle, mais celle d'un élément de fait dont elle a souverainement apprécié la portée ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses trois branches ;

Et sur les deux dernières branches du moyen :

Attendu que la société Rover France fait encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen, d'une part, que, dans ses conclusions d'appel, la société Rover France avait fait valoir qu'on ignore de quelles commandes portant prétendument le cachet de la société Auto 26 il s'agit, faute de précision ; qu'en ne répondant pas à ces conclusions et en ne précisant pas l'exacte référence des "commandes de véhicules neufs" qui auraient été passées par la société Auto 26, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, d'autre part, que, selon les propres constatations de l'arrêt, la société Estager a accepté de servir d'intermédiaire entre les sociétés Rover France et Auto 26 pendant l'étude de la candidature de la société Auto 26, à laquelle la société Estager avait vendu son fonds de commerce à compter du 1er décembre 1989, sans l'agrément de la société Rover France ; qu'en retenant, dès lors, de prétendues commandes de véhicules neufs et des demandes d'intervention en garantie adressées à la société Rover France sous le cachet de la société Auto 26, que la société Rover France n'aurait jamais protesté contre cette prise prématurée de qualité de concessionnaire, lorsqu'il est acquis que les facturations étaient établies au nom de la société Estager et réglées par celle-ci, et que la société Estager était seule en relations d'affaires avec la société Rover France, la cour d'appel n'a pas déduit les conséquences de ses propres constatations, en violation de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt relève qu'à partir de décembre 1989, plusieurs commandes de véhicules et plusieurs demandes d'interventions en garantie ont été adressées directement à la société Rover France, sous le cachet de la société Auto 26 et la mention très évidente, en haut, à droite :

"Nom du concessionnaire :

Auto 26", et que la société Rover France, loin de protester contre cette prise de qualité de concessionnaire, a, au contraire, satisfait les commandes ; que, par ces motifs, qui s'appuient sur des pièces régulièrement produites devant elle et qu'elle n'était pas tenue d'analyser plus en détail, la cour d'appel a satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu, d'autre part, que, loin de dire que la société Estager était seule en relations d'affaires avec la société Rover France, l'arrêt, non seulement relève l'existence de commandes passées directement à la société Rover France par la société Auto 26, mais encore, par motifs propres et adoptés, retient que la société Rover France avait "incité M. Will à certaines dépenses", "sans lui dire qu'elle envisageait des pourparlers avec une autre société" ; que la cour d'appel retient encore, par une décision motivée, qu'il existait une "harmonie parfaite" entre la société Estager, qui devait céder son contrat, la société Auto 26, qui devait le reprendre, et la société Rover France, aucun des trois "n'ayant le moindre doute sur l'heureuse issue des pourparlers en cours" ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.