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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 18 novembre 2021, n° 21/01661

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Total SE (SA)

Défendeur :

Commune de Bize-Minervois, Commune de Correns, Est Ensemble, Commune de Grenoble, Commune de La Possession, Commune de Mouans-Sartoux, Commune de Nanterre, Commune de Sevran, Commune de Vitry-Le-François, Notre Affaire à Tous (Association), Région Centre Val de Loire, Commune de Bayonne, Commune de Bègles, France Nature Environnement (Association), Eco-Maires (Association), Commune d'Arcueil, Sherpa (Association), ZEA (Association), Commune de Champneuville

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guillaume

Conseillers :

Mme Le Bras, Mme Igelman

Avocats :

Me Lissarrague, Me Chemla, Me Lazerges, Me Teriitehau, Me Cambiaire

CA Versailles n° 21/01661

17 novembre 2021

EXPOSE DU LITIGE

La loi n°2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, a créé l’article L. 225-102-4 du code de commerce instaurant l’obligation d’élaborer, publier et mettre en oeuvre un plan de vigilance destiné à prévenir les risques d’atteintes graves aux droits humains et aux libertés fondamentales, à la santé et à la sécurité des personnes ainsi qu’à l’environnement, pouvant résulter de ses activités et de celles des sociétés qu’elle contrôle et de ses sous-traitants ou fournisseurs habituels.

La société anonyme Total devenue Total Energies SE (la société Total Energies), première entreprise française en termes de bénéfices cumulés sur dix ans, avec un chiffre d’affaires de près de 210 milliards de dollars en 2018 et plus de 104 000 salariés, est la société de tête, cotée sur le marché Euronext Paris, d’un groupe de 1 191 sociétés, au 31 décembre 2018. C’est un acteur majeur de l’énergie, présent sur cinq continents et dans plus de 130 pays.

Les activités du groupe couvrent l’exploration et la production de pétrole et de gaz, le raffinage, la pétrochimie, la production d’électricité et la distribution d’énergie sous diverses formes, dont les produits pétroliers et l’électricité, jusqu’au client final.

La société Total Energies ayant publié le 15 mars 2018 son premier 'plan de vigilance’ intégré dans son document de référence 2017, quatorze collectivités territoriales et cinq associations françaises ont le 22 octobre 2018 par lettre de leur conseil, dénoncé ses insuffisances. En retour, par lettre du 14 janvier 2019, la SE Total Energies a affirmé que son premier 'plan de vigilance’ est conforme aux objectifs de la loi du 27 mars 2017.

Puis le 20 mars 2019, la société a publié un second plan de vigilance 2018 intégré au document de référence 2018.

Par la suite, après plusieurs échanges de lettres ou rencontres, par lettre recommandée avec accusé de réception de leur conseil datée du 19 juin 2019, les collectivités territoriales d’Arcueil, Bayonne, Bègles, Bize-Minervois, Correns, Champneuville, Grande-Synthe, Grenoble, la Possession, Mouans-Sartoux, Nanterre, Sevran et Vitry-Le-X, l’établissement public territorial Est Ensemble et les associations Notre Affaire à tous, Sherpa, Zéa et Eco-Maires ont mis en demeure la société TotalEnergies de respecter les obligations édictées par l’article L. 225-102-4 I du code de commerce en publiant dans un délai de trois mois un nouveau plan de vigilance conforme aux exigences légales.

C’est dans ces circonstances que, par acte d’huissier de justice délivré le 28 janvier 2020, les associations Notre Affaire à tous, Sherpa, Zéa, Eco-Maires et France Nature Environnement, les communes d’Arcueil, Bayonne,Bègles, Bize-Minervois, Correns, […], la Possession, Mouans-Sartoux, Nanterre, Sevran et Vitry-Le-X, l’établissement public territorial Est Ensemble et la région Centre ' Val de Loire ont fait assigner la SE Total devant le tribunal judiciaire de Nanterre sur le fondement des articles L. 225-102-4 du code de commerce et 1252 du code civil.

Saisi en incident in liminelitis le 19 octobre 2020 par la société Total Energies et par ses dernières conclusions déposées le 13 janvier 2021, par ordonnance contradictoire rendue le 11 février 2021, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre a :

- rejeté l’exception d’incompétence matérielle opposée par la SE Total Energies,

- rejeté la demande de la SE TotalEnergies en application de l’article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SE Total Energies à payer à l’association Notre Affaire à tous, l’association Sherpa, l’association Zéa, l’association Eco-Maires, l’association France Nature Environnement, la commune d’Arcueil, la commune de Bayonne, la commune de Bègles, la commune de Bize-Minervois, la commune de Correns, la commune de Champneuville, l’établissement public territorial Est Ensemble, la commune de Grenoble, la commune de la Possession, la commune de Mouans-Sartoux, la commune de Nanterre, la commune de Sevran, la commune de Vitry-Le-X et la région Centre ' Val de Loire la somme globale de 6 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, à charge pour elles de se répartir ce montant à parts égales,

- réservé à l’examen du litige au fond par le tribunal, les demandes des parties au titre des dépens,

- dit que conformément aux articles 780 et 781 du code de procédure civile, l’affaire et les parties sont renvoyées à l’audience de mise en état du 11 mars 2021 à 10 heures pour conclusions au fond de la SE Total Energies et fixation d’une date prévisible de clôture et de plaidoiries.

Par déclaration reçue au greffe le 11 mars 2021, la société Total Energies a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l’exception de ce qu’elle a réservé à l’examen du litige au fond par le tribunal, les demandes des parties au titre des dépens.

Autorisée par ordonnance rendue le 30 mars 2021, à sa demande sur la date et sans observation contraire sur le RPVA des intimés, la société Total Energies a fait assigner les demandeurs à l’instance initiale pour l’audience fixée au 29 septembre 2021 à 14 heures.

Copie de l’assignation a été déposée au greffe le 14 mai 2021.

Dans ses dernières conclusions déposées le 29 septembre 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société TotalEnergies SE demande à la cour, au visa des articles L. 225-102-4 et L. 721-3 du code de commerce, 1252 du code civil, 83 à 89, 696, 699 et 700 du code de procédure civile, de :

- infirmer l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre le 11 février 2021 en ce qu’elle :

- a rejeté l’exception d’incompétence matérielle qu’elle a opposée ;

- a rejeté sa demande en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

- l’a condamnée à payer à l’association Notre Affaire à tous, l’association Sherpa, l’association Zéa, l’association Eco-Maires, l’association France Nature Environnement, la commune d’Arcueil, la commune de Bayonne, la commune de Bègles, la commune de Bize-Minervois, la commune de Correns, la commune de Champneuville, l’établissement public territorial Est Ensemble, la commune de Grenoble, la commune de la Possession, la commune de Mouans-Sartoux, la commune de Nanterre, la commune de Sevran, la commune de Vitry-Le-X et la région Centre Val de Loire la somme globale de 6 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, à charge pour elles de se répartir ce montant à parts égales ;

statuant à nouveau,

- déclarer le tribunal judiciaire de Nanterre matériellement incompétent ;

en conséquence,

- renvoyer l’affaire devant le tribunal de commerce de Nanterre ;

- condamner les intimés (à l’exception de la commune de Champneuville) à lui payer solidairement la somme de 30 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance, dont recouvrement direct au profit de la Selarl Lexavoué Paris-Versailles.

Dans leurs dernières conclusions déposées le 28 septembre 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, les associations Notre Affaire à tous, Sherpa, Zéa, Eco-maires (Association Nationale des Maires et des Elus Locaux pour l’Environnement et le Développement durable) et France Nature Environnement, les communes d’Arcueil, Bayonne, Bègles, Bize-Minervois, Correns, Grenoble, la Possession, Mouans-Sartoux, Nanterre, Sevran et Vitry-Le-X, l’établissement EST Ensemble, et la région Centre Val-de-Loire demandent à la cour, au visa des articles 1er et 2 de la Charte de l’environnement, L. 225-102-4, L. 225-102-5 et L. 721-3 du code de commerce, 1240, 1246 et 1252 du code civil, L. 211-3 et suivants et L. 211-20 du code de l’organisation judiciaire, 696, 699, 700 et 789 du code de procédure civile, de :

- les déclarer recevables et bien fondés en leurs conclusions ;

y faisant droit,

- confirmer l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre le 11 février 2021 ;

en conséquence,

- rejeter l’exception d’incompétence matérielle du tribunal judiciaire soulevée par la société Total Energies SE ;

- déclarer compétent le tribunal judiciaire de Nanterre pour statuer sur l’entier litige ;

- débouter la société TotalEnergies de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société TotalEnergies à leur payer au principal la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance, dont recouvrement direct au profit de Maîtres Y Z et X A, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La commune de Champneuville, à qui la déclaration d’appel et les conclusions ont été signifiées à étude, le 14 avril 2021, n’a pas constitué avocat.

Le 4 octobre 2021, il a été demandé aux parties de produire en cours de délibéré une copie de la lettre de mise en demeure adressée à la société Total le 19 juin 2019. Cette lettre a été transmise par le RPVA au greffe par les intimés le même jour.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1 – Sur la compétence

Les dispositions litigieuses de l’article L. 225-102-4 du code de commerce issu de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, sont les suivantes :

I – Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger, établit et met en oeuvre de manière effective un plan de vigilance.

Les filiales ou sociétés contrôlées qui dépassent les seuils mentionnés au premier alinéa sont réputées satisfaire aux obligations prévues au présent article dès lors que la société qui les contrôle, au sens de l’article L. 233-3, établit et met en oeuvre un plan de vigilance relatif à l’activité de la société et de l’ensemble des filiales ou sociétés qu’elle contrôle.

Le plan comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle au sens du II de l’article L. 233-16, directement ou indirectement, ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation.

Le plan a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société, le cas échéant dans le cadre d’initiatives pluripartites au sein de filières ou à l’échelle territoriale.

Il comprend les mesures suivantes :

1° Une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation ;

2° Des procédures d’évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, au regard de la cartographie des risques ;

3° Des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ;

4° Un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence ou à la réalisation des risques, établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société ;

5° Un dispositif de suivi des mesures mises en oeuvre et d’évaluation de leur efficacité.

Le plan de vigilance et le compte rendu de sa mise en oeuvre effective sont rendus publics et inclus dans le rapport de gestion mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 225-100. Un décret en Conseil d’Etat peut compléter les mesures de vigilance prévues aux 1° à 5° du présent article. Il peut préciser les modalités d’élaboration et de mise en oeuvre du plan de vigilance, le cas échéant dans le cadre d’initiatives pluripartites au sein de filières ou à l’échelle territoriale.

II – Lorsqu’une société mise en demeure de respecter les obligations prévues au I n’y satisfait pas dans un délai de trois mois à compter de la mise en demeure, la juridiction compétente peut, à la demande de toute personne justifiant d’un intérêt à agir, lui enjoindre, le cas échéant sous astreinte, de les respecter.

Il est précisé à titre préliminaire, que l’action qui vise à corriger les éventuels manquements du Plan de vigilance se distingue de celle qui vise à obtenir la réparation du préjudice qui en résulte prévue par l’article L. 225-102-5 du même code. La question de la compétence se pose de façon singulière pour chacun de ces deux textes.

Il est ensuite relevé, que c’est à bon droit que la société Total Energies considère qu’un projet de loi, non encore voté par le Parlement, lui est inopposable ; les questions posées seront donc tranchées en l’état actuel du droit positif.

Il convient encore d’observer que les intimés sur le fondement des articles 1240, 1246 et 1252 du code civil, demandent aussi dans leur acte introductif d’instance, au tribunal judiciaire, de :

« condamner la société Total Energies à publier et mettre en oeuvre au titre de son obligation de prévention des dommages écologiques résultant de ses activités les actions adaptées de réduction de ses émissions directes et indirectes en ligne avec l’Accord de Paris, afin de limiter le réchauffement du climat « nettement en dessous de 2 °C », notamment :

A titre principal,

S’aligner sur une trajectoire de réduction d’émissions de GES directes et indirectes (scope 1, 2 et 3) compatible avec une limitation du réchauffement à 1,5 °C sans dépassement pour atteindre la neutralité carbone en 2050, ce qui suppose de :

Aligner ses activités sur la trajectoire de réduction des émissions GES dite « P1 » telle que définie en 2018 par le GIEC, en ce qu’il s’agit, en l’état des connaissances scientifiques et technologiques actuelles, de la seule trajectoire qui permette avec un degré de probabilité acceptable de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C sans dépassement ;

Fixer des objectifs intermédiaires de réduction de l’intensité carbone de ses produits en ligne avec cette trajectoire.

Réduire sa production de gaz de -25% en 2030 et -74% en 2050 (par rapport à 2010) ;

Réduire sa production de pétrole de -37% en 2030 et -87% en 2050 (par rapport à 2010) ;

Mettre en oeuvre une cessation immédiate de la recherche et de l’exploitation de nouveaux gisements d’hydrocarbures ;

A titre subsidiaire :

De fixer des objectifs ayant pour but de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète à 1,5 °C afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050.

Couvrir l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre (GES), tant celles de ses opérations que celles de ses produits (Scopes 1, 2 et 3) sur le moyen et le long terme.

S’appuyer sur des indicateurs quantitatifs tels que des indicateurs d’intensité en GES (émission de GES par unité d’énergie) ou autres indicateurs quantitatifs adaptés, pour aligner ses objectifs sur une trajectoire compatible avec un réchauffement planétaire de 1,5 °C.

En tout état de cause :

S’aligner une trajectoire de réduction des émissions directes et indirectes compatible avec l’objectif de l’Accord de Paris ;

Réduire au minimum ses émissions nettes de 40% en 2040 (par rapport à 2019) avec une réduction annuelle de 1,8% ;

Réduire sa production d’hydrocarbure de 35% en 2040 (par rapport à 2019) avec une réduction annuelle de 1,7%.

Réduire au minimum ses émissions nettes de 40% en 2040 (par rapport à 2019) avec une réduction annuelle de 1,8% ;

Mettre un terme à l’exploration et la sollicitation de nouveaux permis de recherches d’hydrocarbures ;

Mettre en oeuvre une cessation progressive, d’ici 2040, de la recherche et de l’exploitation des gisements d’hydrocarbures en s’engageant à laisser 80 % des réserves connues dans le sous-sol conformément à l’objectif défini par la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 dite « Hulot », et que ces demandes figurent déjà dans le dispositif de cette assignation, mais articulées sur le fondement de l’article L. 225-102-4 du code de commerce.

Il sera retenu que si le juge de première instance est saisi de ces prétentions qualifiées de complémentaires par les demandeurs fondées sur les articles 1240, 1246 et 1252 du code civil, celles-ci ne revêtent cependant même au regard de cette appellation, aucun caractère de subsidiarité par rapport à celles fondées sur les dispositions du code de commerce.

S’agissant d’un fondement juridique indépendant, susceptible d’emporter la compétence du tribunal judiciaire, l’incidence de ces demandes 'complémentaires’ sur la compétence sera dès lors examinée en priorité, logiquement puisque le tribunal judiciaire est d’ores et déjà saisi, qu’il est la juridiction de droit commun et que la compétence du tribunal de commerce qui serait fondée sur l’article L. 721-3 2° et 3° du code de commerce n’est au contraire qu’une compétence dérogatoire.

Sur cette question, seront d’abord présentés les moyens développés par les parties :

- Selon la société Total Energies le tribunal judiciaire n’est pas compétent pour examiner les demandes formées sur le fondement des articles 1240, 1246 et 1252 du code civil. Elle sollicite l’infirmation de l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre le 11 février 2021 en ce qu’elle a rejeté l’exception d’incompétence matérielle qu’elle a opposée, estimant que seul le tribunal de commerce est compétent.

Elle soutient d’abord que ces demandes déjà présentées sur le fondement de l’article L. 225-102-4 du code de commerce (sauf celle visant à l’identification des risques), n’ont aucune autonomie par rapport à ces dernières.

Selon l’appelante, les intimés n’entendent alléguer un préjudice écologique qu’après s’être volontairement inscrits dans la procédure précontentieuse prévue par le texte du code de commerce rappelé ci-dessus et de façon 'opportuniste’ par rapport au choix de la compétence.

Elle prétend que le fondement de ces demandes est lui-même identique, à savoir les insuffisances du Plan de vigilance et qu’elle sont en conséquence, inutiles.

La société Total Energie indique que l’article R. 211-4 du code de l’organisation judiciaire devenu l’article R. 211-3-26 du même code n’édicte aucune règle de compétence matérielle et qu’il n’en résulte qu’une possibilité de concentration de la compétence territoriale dans le but de rationnaliser la gestion de ces contentieux. Elle estime que l’article L. 211-20 du même code n’est pas davantage pertinent, s’agissant également d’une concentration territoriale (et pas matérielle) des compétences, soulignant qu’aucune exclusivité à cet égard n’est expressément prévue.

Elle entend faire valoir en conséquence, que le tribunal de commerce est compétent pour connaître du préjudice écologique puisqu’il est compétent pour mettre fin à ce trouble manifestement illicite qui résulterait des imperfections du Plan de vigilance dont elle rappelle, qu’il présente un lien direct avec la gestion de la société commerciale puisqu’il s’agit d’infléchir son modèle économique pour les 30 prochaines années par la prise en compte des enjeux environnementaux, et plus généralement de modifier la façon dont celle-ci poursuit son objet social.

Elle revendique une compétence exclusive du tribunal de commerce quant aux demandes principales fondées sur le devoir de vigilance, évoquant à la toute fin de ses conclusions une possibilité de disjonction de la procédure entre d’une part le tribunal de commerce, d’autre part le tribunal judiciaire.

- Les associations et les collectivités locales sollicitent au contraire la confirmation de l’ordonnance querellée. Elles affirment notamment, que les demandes complémentaires qu’elles forment sur le fondement des articles 1240, 1246 et 1252 du code civil justifient la compétence du tribunal judiciaire.

Elles soutiennent qu’il s’agit d’un fondement autonome et distinct de celui des demandes fondées sur les dispositions du code de commerce.

Elles précisent que leurs demandes formulées notamment au visa de l’article 1252 du code civil visent à la mise en œuvre de mesures propres à prévenir ou à faire cesser un dommage, c’est-à-dire en l’espèce les risques d’atteintes graves à l’environnement découlant d’un réchauffement incontrôlé du climat, et qu’elles sont différentes de celles ayant trait au Plan de vigilance recommandées par l’article L. 225-102-4 du code de commerce qui visent en plus, à publier un plan conforme à la loi et à enjoindre à la société TotalEnergies d’identifier les risques découlant de ses activités.

Elles prétendent que ces demandes sont identiques aux demandes principales en matière d’actions de réduction des émissions de gaz à effet de serre car celles-ci sont les seules propres à prévenir les risques de dommages graves à l’environnement découlant d’un réchauffement au-delà du seuil de 1,5°C.

Selon les intimées, il existe une compétence de principe du tribunal judiciaire pour connaître des actions civiles en prévention ou en cessation de l’illicite contre des sociétés commerciales qui relèvent nécessairement du champ de la responsabilité civile, qui trouve naturellement application en matière de responsabilité environnementale.

Elles rappellent l’existence des articles L. 211-4 et R. 211-4 du code de l’organisation judiciaire. Elle prétendent que ces dispositions reprises par l’article L. 211-20 du même code, attribuent une compétence exclusive à certains tribunaux judiciaires en matière de préjudice écologique. Elles indiquent que si le décret n°2021-867 du 29 juin 2021 a abrogé l’alinéa 5° de ce texte, toutefois, l’article 4 du décret n°2021-286 du 16 mars 2021 limite les effets de cette abrogation aux litiges introduits postérieurement au 1er avril 2021.

Elles soutiennent en réponse à l’appelante, qu’il s’agit bien d’une règle de compétence matérielle qui confère une « compétence exclusive » (article L. 211-4 du code de l’organisation judiciaire) aux seuls tribunaux judiciaires. Elles ajoutent que dans un second temps, le législateur est venu confirmer la compétence matérielle et pas seulement géographique, de tribunaux judiciaires spécialement désignés pour connaître de l’action prévue à l’article 1252 du code civil avec le nouvel article L. 211-20 du code de l’organisation judiciaire placé dans la section 1 relative à la « compétence matérielle » du Titre 1er relatif au « Tribunal judiciaire » et non dans la section 2 relative à la « compétence territoriale ».

Elles s’opposent à toute scission du litige en raison d’un risque de contrariété de décisions.

Elles prétendent enfin que l’existence d’une connexité entre les demandes principales et les demandes complémentaires et l’indivisibilité de ces demandes, emportent la compétence du tribunal judiciaire.

Sur ce,

Il est démontré que les intimées arguent d’un préjudice écologique, pour justifier leur demande d’injonction qui serait donnée à la société TotalEnergies. En page 43 de leur assignation, figure en effet un point 2.4 intitulé : 'à titre complémentaire sur l’obligation de prévention des dommages écologiques'. En page 45, elles indiquent 'afin de prévenir la survenance de graves dommages écologiques consécutifs d’un réchauffement au-delà du seuil de 1,5 °C le tribunal prescrira à Total SA les mesures visant à ce qu’il réduise ses émissions dans une trajectoire en ligne avec l’Accord de Paris.'

L’article L. 211-4 du code de l’organisation judiciaire prévoit que :

« Le tribunal judiciaire a compétence exclusive dans les matières déterminées par les lois et règlements ».

L’article R. 211-4 du code de l’organisation judiciaire prévoyait que :

« I. - En matière civile, les tribunaux judiciaires spécialement désignés sur le fondement de l’article L. 211-9-3 connaissent seuls, dans l’ensemble du département ou, dans les conditions prévues au III de l’article L. 211-9-3, dans deux départements, de l’une ou plusieurs des compétences suivantes : (')

5° Des actions relatives au préjudice écologique fondées sur les articles 1246 à 1252 du code civil ; (...) ».

L’article L. 211-20 du code de l’organisation judiciaire prévoit désormais que :

« Dans le ressort de chaque cour d’appel, un tribunal judiciaire spécialement désigné connaît :

« 1° Des actions relatives au préjudice écologique fondées sur les articles 1246 à 1252 du code civil ;

« 2° Des actions en responsabilité civile prévues par le code de l’environnement ;

« 3° Des actions en responsabilité civile fondées sur les régimes spéciaux de responsabilité applicables en matière environnementale résultant de règlements européens, de conventions internationales et des lois prises pour l’application de ces conventions. »

Effectivement, cette disposition figure dans la sous-section 2 (compétence particulière à certains tribunaux judiciaires) de la section 1 relative à la « compétence matérielle » du Titre 1er relatif au « Tribunal judiciaire ».

Il résulte de ce texte, une volonté du législateur de confier les actions relatives au préjudice écologique aux seuls tribunaux judiciaires spécialement désignés.

S’agissant d’une loi de procédure, elle est applicable aux affaires en cours.

Il n’y a pas lieu d’en subordonner l’application à l’analyse des faits générateurs de ce préjudice écologique allégué, seul ce dernier étant déterminant de la compétence, peu important le lien qui pourrait être établi entre le Plan de vigilance et la gestion de la société commerciale.

Il n’y a pas davantage lieu de prononcer une disjonction qui ferait naître un risque de contrariété de décisions.

En l’espèce, aux termes du décret n° 2021-286 du 16 mars 2021 désignant les pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement en application des articles 706-2-3 du code de procédure pénale et L. 211-20 du code de l’organisation judiciaire (…), le tribunal judiciaire de Nanterre est compétent sur le ressort de cette cour, de sorte que l’ordonnance querellée qui a retenu sa compétence sera simplement confirmée.

2 – Sur les demandes accessoires

L’ordonnance sera également confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, la société TotalEnergies devra en outre supporter les dépens d’appel avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande, et ne saurait prétendre à l’allocation de frais irrépétibles.

Il est inéquitable de laisser aux intimés la charge des frais irrépétibles exposés en cause d’appel. L’appelante sera en conséquence condamnée à leur verser ensemble la somme de 12 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt rendu par défaut et en dernier ressort,

CONFIRME l’ordonnance rendue le 11 février 2021,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société TotalEnergies à payer aux associations Notre Affaire à tous, Sherpa, Zéa, Eco-maires (Association Nationale des Maires et des Elus Locaux pour l’Environnement et le Développement durable) et France Nature Environnement, aux communes d’Arcueil, Bayonne, Bègles, Bize-Minervois, Correns, Grenoble, la Possession, Mouans-Sartoux, Nanterre, Sevran et Vitry-Le-X, à l’établissement EST Ensemble et à la région Centre Val-de-Loire la somme de 12 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, à charge pour elles de se répartir ce montant à parts égales,

REJETTE toute autre demande,

DIT que la société TotalEnergies supportera la charge des dépens d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile par les avocats qui en ont fait la demande.