Cass. crim., 7 septembre 2021, n° 19-87.040
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
M. Barbier
Avocat général :
M. Desportes
Avocats :
SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Sevaux et Mathonnet, SCP Spinosi
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. La société Lafarge SA (la société Lafarge), de droit français, dont le siège social se trouve à [Localité 3], a fait construire une cimenterie près de [Localité 1] (Syrie), pour un coût de plusieurs centaines de millions d'euros, qui a été mise en service en 2010. Cette cimenterie est détenue et était exploitée par une de ses sous-filiales, dénommée Lafarge Cement Syria (la société LCS), de droit syrien, détenue à plus de 98 % par la société mère.
3. Entre 2012 et 2015, le territoire sur lequel se trouve la cimenterie a fait l'objet de combats et d'occupations par différents groupes armés, dont l'organisation dite Etat islamique (EI).
4. Pendant cette période, les salariés syriens de la société LCS ont poursuivi leur travail, permettant le fonctionnement de l'usine, tandis que l'encadrement de nationalité étrangère a été évacué en Egypte dès 2012, d'où il continuait d'organiser l'activité de la cimenterie. Logés à [Localité 2] par leur employeur, les salariés syriens ont été exposés à différents risques, notamment d'extorsion et d'enlèvement par différents groupes armés, dont l'EI.
5. Concomitamment, la société LCS a versé des sommes d'argent, par l'intermédiaire de diverses personnes, à différentes factions armées qui ont successivement contrôlé la région et étaient en mesure de compromettre l'activité de la cimenterie.
6. Celle-ci a été évacuée en urgence au cours du mois de septembre 2014, peu avant que l'EI ne s'en empare.
7. Le 15 novembre 2016, les associations Sherpa et European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR), ainsi que onze employés syriens de la société LCS, ont porté plainte et se sont constitués partie civile auprès du juge d'instruction des chefs, notamment, de financement d'entreprise terroriste, de complicité de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, d'exploitation abusive du travail d'autrui et de mise en danger de la vie d'autrui.
8. Le ministère public, le 9 juin 2017, a requis le juge d'instruction d'informer sur les faits notamment de financement d'entreprise terroriste, de soumission de plusieurs personnes à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine et de mise en danger de la vie d'autrui.
9. L'association Life for Paris s'est constituée partie civile le 4 janvier 2018.
10. Sur réquisitions conformes du ministère public du 27 juin 2018, la société Lafarge a été mise en examen le 28 juin 2018 des chefs, notamment, de complicité de crimes contre l'humanité, financement d'entreprise terroriste, mise en danger de la vie d'autrui.
11. Par requête en date du 11 janvier 2019, ladite société a contesté la recevabilité des plaintes avec constitution de partie civile des associations Sherpa, ECCHR et Life for Paris.
12. Par ordonnance du 11 février 2019, le juge d'instruction a rejeté la demande tendant à voir déclarer la plainte incidente de l'association Life for Paris irrecevable et a ordonné un sursis à statuer pour le surplus.
13. La société Lafarge a interjeté appel de cette décision.
14. Les associations Sherpa et ECCHR ont formé un pourvoi (n° 19-87.031) contre l'arrêt n° 5 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 24 octobre 2019, qui a infirmé l'ordonnance du juge d'instruction du 18 avril 2018 déclarant recevables leurs constitutions de partie civile.
15. L'association Life for Paris a formé un pourvoi (n° 19-87.036) contre l'arrêt n° 4 de la chambre de l'instruction, en date du 24 octobre 2019, qui a infirmé l'ordonnance du juge d'instruction du 29 janvier 2018 déclarant recevable sa constitution de partie civile.
Examen de la recevabilité du pourvoi en ce qu'il est formé par l'association Sherpa
16. Par un arrêt de ce jour (Crim., 7 septembre 2021, pourvoi n° 19-87.031), la Cour de cassation a déclaré irrecevable le pourvoi en tant que formé par l'association Sherpa, sa constitution de partie civile ayant été à bon droit jugée irrecevable.
17. Il s'ensuit que le pourvoi en tant qu'il est formé par cette association est irrecevable.
Examen du moyen en ce qu'il est présenté pour l'association ECCHR
Enoncé du moyen
18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré sans objet l'appel de la société Lafarge à l'encontre de l'ordonnance du 11 février 2019 à raison de l'arrêt n° 5 intervenu le même jour, 24 octobre 2019, ayant infirmé l'ordonnance du 18 avril 2018 et déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des associations Sherpa et ECCHR, rejeté la demande desdites associations tendant à l'infirmation de cette ordonnance et à voir constater la recevabilité de leurs constitutions de partie civile, alors « que la cassation à intervenir de l'arrêt n° 5 du 24 octobre 2019 ayant déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des associations Sherpa et ECCHR, objet du pourvoi n° 19-87.031, entraînera, par voie de conséquence, celle de l'arrêt attaqué qui se trouvera alors dépourvu de toute base légale. »
Réponse de la Cour
19. Pour déclarer l'appel de la société Lafarge sans objet, l'arrêt énonce que par deux arrêts distincts rendus le 24 octobre 2019, la chambre de l'instruction, infirmant les ordonnances du juge d'instruction en date du 18 avril 2018 et du 29 janvier 2018, a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des associations Sherpa, ECCHR et Life for Paris.
20. Par un autre arrêt de ce jour (Crim., 7 septembre 2021, pourvoi n° 19-87.036), la Cour de cassation a déclaré irrecevable le pourvoi formé par l'association Life for Paris.
21. Par le premier arrêt susvisé (Crim., 7 septembre 2021, pourvoi n° 19-87.031), la Cour de cassation a déclaré recevable la constitution de partie civile de l'association ECCHR sur le fondement de l'article 2-4 du code de procédure pénale et, en ce qui la concerne, a cassé sans renvoi l'arrêt n° 5 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris du 24 octobre 2019.
22. Il en résulte que le présent pourvoi est recevable et bien fondé en ce qui concerne cette association.
23. La cassation est par conséquent encourue en ce qui concerne la recevabilité de la constitution de partie civile de l'association ECCHR.
Portée et conséquence de la cassation
24. N'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, la cassation aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DÉCLARE IRRECEVABLE le pourvoi en ce qu'il est formé par l'association Sherpa ;
CASSE ET ANNULE, mais en ses seules dispositions concernant l'association European Center for Constitutional and Human Rights, l'arrêt susvisé n° 7 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 24 octobre 2019 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.