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Décisions

CA Metz, 1re ch., 8 février 2000, n° 97/033717

METZ

Arrêt

Infirmation

CA Metz n° 97/033717

7 février 2000

Le 3 octobre 1990, la Ville de FORBACH a fait l'acquisition d'un immeuble sis à FORBACH 101 rue Nationale et appartenant à la CPAM.

 

Par acte notarié du 25 août 1994 portant le titre “d'échange“, la Commune de FORBACH a cédé cet immeuble aux époux LANG pour un prix de 1 030 000 francs, avec jouissance au jour de la libération de l'immeuble par la CPAM.

 

Il convient de préciser qu'en contrepartie de l'immeuble litigieux, les époux LANG ont cédé à la Ville de FORBACH deux terrains d'une valeur de 142 500 francs, s'engageant en outre à payer une soulte de 887 500 francs, moitié lors de l'entrée en jouissance effective par la libération des lieux par la CPAM, moitié à la date anniversaire de l'entrée en jouissance.

 

Par délibération du 19 avril 1996, la Commune de FORBACH a décidé d'engager une action en rescision pour lésion des 7/12 et selon assignation délivrée le 13 mai 1996 aux époux LANG, elle a demandé au Tribunal de Grande Instance de SARREGUEMINES de prononcer la rescision de la vente, et avant dire droit d'ordonner une expertise conformément aux dispositions des articles 1678 et suivants du Code Civil en faisant valoir qu'il résultait d'une estimation réalisée le 12 juillet 1995 par le Cabinet ROUX que la valeur de l'immeuble était de 3 100 000 francs et que le prix de vente était donc inférieur aux cinq douzièmes de cette valeur.

 

Les défendeurs ont conclu à l'irrecevabilité de la demande en soutenant notamment que la rescision pour cause de lésion n'avait pas lieu dans le contrat d'échange.

 

Subsidiairement, ils ont conclu au mal fondé de la demande en faisant valoir que le bien vendu avait été évalué par le service des domaines, que cette estimation était opposable aux tiers et que l'expertise du Cabinet ROUX était dépourvue de toute pertinence.

 

Ils ont sollicité la condamnation de la Ville de FORBACH, outre aux dépens, à leur payer une indemnité de 40 000 francs pour procédure abusive et calomnieuse et de 10 000 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

 

Suivant jugement en date du 19 août 1997 le Tribunal de Grande Instance de SARREGUEMINES a déclaré l'action recevable.

 

Au fond, il a sursis à statuer et a ordonné une expertise confiée à trois experts conformément aux dispositions de l'article 1678 du Code Civil.

 

Pour statuer ainsi, le Tribunal énonce que la Ville de FORBACH demeure recevable, nonobstant la délibération du 12 juillet 1994, à exercer les actions de droit commun offertes à tout vendeur, et notamment l'action en rescision pour lésion ;

 

Que si, suivant l'article 1706 du Code Civil, la rescision pour lésion, n'a pas lieu dans le contrat d'échange, encore faut-il qu'il s'agisse véritablement d'un échange ;

 

Qu'en l'espèce, la disposition des biens litigieux concernés par l'acte du 25 août 1994, manifestée par une soulte égale à près de sept fois la valeur du bien acquis par la Ville de FORBACH, exclut, nonobstant les termes employés dans l'acte la qualification d'échange, de sorte que le contrat doit être requalifié en vente.

 

Sur la recevabilité de la demande, le Tribunal relève que la demanderesse produit un rapport d'expertise privée dressé par Monsieur FABIAN, du Cabinet ROUX-HERR de STRASBOURG, qui fait état d'une valeur de l'immeuble cédé aux époux LANG d'une valeur de 3 100 000 francs ;

 

Que ce rapport, certes non contradictoire, constitue un élément suffisamment sérieux et grave aux sens de l'article 1677 du Code Civil.

 

Les époux LANG ont interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 21 octobre 1997.

Ils demandent à la Cour de :

  • infirmer le jugement ;
  • dire irrecevable l’action en rescision ;
  • condamner la Ville de FORBACH à leur payer les sommes de :
    • 60 000 francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
    • 20 000 francs sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, outre les dépens des deux instances.

La Ville de FORBACH conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation des appelants au paiement de 10 000 francs sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

 

SUR CE

 

Vu les conclusions des appelants du 18 février 1998 et du 5 mars 1999 ;

 

Vu les conclusions de l'intimée du 6 janvier 1999 et du 1er juin 1999 ;

 

Attendu qu'il est constant que suivant acte authentique en date du 25 août 1994 et intitulé “Echange“ la Ville de FORBACH a cédé aux époux LANG un bien immobilier d'une surface de 4,14 ares comprenant un immeuble bâti, cadastré section 11 n° 226-101 rue Nationale à FORBACH d'une valeur de 1 030 000 francs ;

 

Que les époux LANG ont réciproquement cédé à la Ville de FORBACH un terrain non bâti sis à FORBACH Avenue St Rémy cadastré :

  • section 11 n° 206 0,24 ares sol,
  • section 11 n° 208 2,48 ares sol,

d'une valeur de 142 500 francs ; que les époux LANG ont été redevables à la Ville de FORBACH d'une soulte de 887 500 francs ;

 

Qu'il convient de relever au vu du plan annexé à l'estimation du Cabinet ROUX-HERR que ces biens sont très proches les uns des autres, l'Avenue St-Rémy étant située dans le prolongement de la rue Nationale ;

 

Attendu que l'échange n'implique pas que les biens échangés soient d'égale valeur ;

 

Attendu spécialement que nonobstant le montant important de la soulte, il ne ressort d'aucun élément extrinsèque ou intrinsèque à l'acte du 25 août 1994 que celle-ci a constitué l'objet principal du contrat ni que les parties ont entendu procéder à une vente éventuellement déguisée pour éviter la mise en concurrence ou exclure la rescision ;

 

Que la profession des époux LANG ne saurait constituer une quelconque présomption en ce sens ;

 

Que l'intention clairement affirmée de la Ville de FORBACH, dont il convient de rappeler qu'elle a la qualité de co-contractante des époux LANG et non celle de tiers à la convention litigieuse, de procéder à un échange résulte non seulement des stipulations de celle-ci, mais également de la délibération prise par le conseil municipal lors de sa séance du 12 juillet 1994 et rédigée en ces termes :

 

“Monsieur Bernard LANG, de l'Agence n° 1 à FORBACH, a fait part de son intention d'acquérir l'actuel bâtiment de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie situé 101, rue Nationale, propriété communale selon acte notarié n° 4034 du 4 octobre 1990 et estimé à 1 030 000 francs TTC suivant rapports d'évaluation des Domaines des 12 février 1988 et 15 février 1990.

La Ville serait disposée à lui céder cet immeuble sous forme d'échange, par l'achat d'un terrain nu et libre de 2,72 ares lui appartenant pour l'avoir acquis dernièrement, et dont la valeur vénale est de 142 500 francs TTC.

 

La soulte à payer par Monsieur LANG serait donc de 887 500 francs TTC ; quant aux modalités de cet échange, elles seraient les suivantes :

 

  • passation de l'acte notarié avant le 31 décembre 1994,
  • transfert de propriété à la signature de l'acte, aux mêmes conditions que l'acte initial d'échange Ville/CPAM du 4 octobre 1990,
  • entrée en jouissance lors de la libération des lieux par la CPAM, courant 1996,
  • paiement du prix :
    • 50 % lors de l'entrée en jouissance,
    • 50 % à la date anniversaire de l'entrée en jouissance.

Les Services Fiscaux Départementaux ont été consultés sur les conditions financières de cet échange.

Le Conseil Municipal décide

  • de réaliser l'échange d'immeubles ci-dessus, aux conditions définies ;

-  d'autoriser le Maire, ou en cas d'empêchement, Monsieur Aloyse BOTZ, Adjoint au Maire, à signer l'acte notarié.“

Qu'il résulte de ce document que l'initiative de l'échange est venue non des époux LANG mais de la Ville de FORBACH elle-même ;

 

Que dans ces conditions, il n'y a pas lieu, sauf à la dénaturer et à passer outre la libre volonté des parties, telle qu'exprimée au moment où elles ont contracté, de requalifier de vente la convention d'échange dont s'agit ;

Qu'en conséquence, il convient d'infirmer le jugement querellé et de déclarer irrecevable la demande de la Ville de FORBACH ;

Attendu que la procédure ne peut être qualifiée d'abusive et ouvrir droit à l'allocation de dommages et intérêts au profit des époux LANG ;

Attendu que la Ville de FORBACH, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel outre le paiement aux époux LANG de la somme de 12 000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; qu'elle ne peut prétendre à une allocation au titre des frais irrépétibles.

Par ces motifs :

La COUR,

Statuant publiquement et contradictoirement ;

Infirme le jugement querellé et statuant à nouveau :

Déclare irrecevable la demande de la Ville de FORBACH ;

Condamne la Ville de FORBACH à payer aux époux LANG la somme de 12 000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Condamne la Ville de FORBACH aux dépens de première instance et d'appel ;

Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires.