CA Paris, Pôle 5, 16 octobre 2013, n° 2011/04219
PARIS
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
LE MARCHÉ BIRON (SA), REGNER INVEST (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rajbaut
Conseillers :
Mme Chokron, Mme Gaber
Avocats :
Me FLAURAUD, Me BERNABE, Me TURIN AVRIL, Me HAAS
SUR CE, LA COUR :
Considérant qu’il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures, précédemment visées, des parties ;
Qu’il suffit de rappeler que la société LE MARCHE BIRON, succédant à la société LES BROCANTEURS DE SAINT-OUEN constituée en 1925 par les brocanteurs du marché aux puces situé rue Biron dans la commune de Saint-Ouen, a déposé le 4 octobre 2006 la marque dénominative MARCHE BIRON n° 3554309 en classes 35, 36 39 et 42 et exploite les sites Internet www.marchebiron.fr et www.marchebiron.com ;
Qu’elle est titulaire, sur le terrain maraîcher, d’un bail commercial en date du 21 janvier 1957, renouvelé Le 10 juillet 1975 et en dernier lieu le 27 juillet 1993, et un conflit l’oppose aujourd’hui à son bailleur (l’indivision Henri M Daniel S Bertrade H) qui lui a signifié le 3 février 2009 un congé avec refus de renouvellement et dénégation du droit au statut des baux commerciaux pour non-exploitation d’un fonds de commerce ;
Qu’ayant découvert que l’indivision bailleresse avait déposé le 24 janvier 2008, respectivement sous les n° 3551208 et 3551210, les marques semi-figuratives B Le Marché de la rue Biron et B Les Allées de Biron dans les classes 35, 36, 38 et 39, elle a, dans ces circonstances, fait assigner les trois co-indivisaires, suivant acte du 8 juillet 2009, en nullité des marques précitées pour dépôt frauduleux et pour atteinte à ses droits antérieurs de marque, de dénomination sociale, de nom commercial et d’enseigne sur le signe MARCHE BIRO ainsi qu’en responsabilité civile au fondement de l’article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle ;
Que le tribunal, par le jugement dont appel, a rejeté le moyen soulevé par les défendeurs, tiré de la nullité de la marque opposée MARCHE BIRON pour défaut de caractère distinctif, déclaré nulles en application des dispositions de l’article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle, les deux marques semi-figuratives attaquées, ajouté que ces marques portaient en outre atteinte à la dénomination sociale et aux noms de domaines www.marchebiron.fr et www.marchebiron.com, (enregistrés respectivement en 2002 et 2003), de la société demanderesse, débouté de la demande fondée sur l’article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle faute de preuve de la renommée alléguée, condamné in solidum les trois co-indivisaires à verser à la société LE MARCHE BIRON une indemnité de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Que devant la cour, les parties reprennent, pour l’essentiel, leurs prétentions telles que soutenues en première instance ;
Sur la demande en nullité de la marque MARCHE BIRON,
Considérant que les appelants maintiennent que la marque opposée MARCHE BIRON n° 3554309 est dépourvue de caractère distin ctif au sens des dispositions de l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle en ce qu’elle décrit un lieu géographique et constitue la désignation nécessaire et usuelle des services proposés par les antiquaires qui exercent leur activité dans ce lieu géographique ;
Considérant qu’il résulte de la définition de la marque telle qu’elle est posée à l’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle et interprétée à la lumière de l’article 2 de la Directive 89/104 CEE du Conseil de l’Union européenne, que la fonction essentielle de la marque est de garantir aux consommateurs ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer, sans confusion possible, ce produit ou service de ceux qui ont une autre provenance ;
Considérant que selon les dispositions de l’article L. 711-2 du même Code, le caractère distinctif d’un signe de nature à constituer une marque s’apprécie à l’égard des produits ou services désignés et, sont dépourvus de caractère distinctif et sont, par voie de conséquence, inaptes à assurer la fonction essentielle de la marque :
a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ;
b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation de service ;
c) (…) ;
Considérant qu’il s’infère de ces éléments que le caractère distinctif de la marque doit être examiné à la date du dépôt, au regard des produits et services couverts par le dépôt ;
Considérant, en l’espèce, que la marque MARCHE BIRON a été déposée le 4 octobre 2006 pour désigner en classes 35, 36, 39 et 42 des services d’organisation d’expositions à buts commerciaux et publicitaires, d'estimation d’antiquités, d'entreposage de marchandises d’occasion, de location et sous-location de stands, de remises de garage ou de place de stationnement et d'authentification d’oeuvres d’art ;
Considérant que si le mot BIRON constitue le nom de la rue où est implanté l’un des marchés aux puces de la ville de Saint-Ouen, il ne désigne pas une caractéristique des services prestés sur ce lieu et ne constitue pas notamment une indication de la provenance géographique de ces services ;
Que force est en effet de rappeler qu’il y a indication de provenance quand s’est établi dans l’esprit du public un lien entre le lieu de fabrication du produit ou de la prestation de service et des caractéristiques du produit ou service et qu’en conséquence, l’indication de provenance ne doit pas être confondue avec le lieu de fabrication du produit ou de la prestation de service ;
Qu’il s’ensuit que le nom d’une rue, quand bien même s’agirait-il du lieu de fabrication du produit ou de prestation du service peut être adopté à titre de marque dès lors qu’il revêt un caractère arbitraire, et par là-même distinctif, au regard du produit ou service concerné ;
Qu’à cet égard le tribunal a pertinemment cité à titre d’exemple de marques désignant respectivement le lieu de prestation des services et le lieu de fabrication des produits, les marques GALERIE LAFAYETTE et VERRERIE DE BIOT ;
Considérant que l’expression MARCHE BIRON ne constituant pas la désignation nécessaire, générique ou usuelle, des services visés au dépôt de la marque ni la description d’une caractéristique de ces services, est pourvue à la date du dépôt du caractère distinctif qui lui permet d’assurer valablement la fonction de marque ;
Qu’ainsi, la demande en nullité pour défaut de caractère distinctif a été à juste titre rejetée par le tribunal ;
Considérant que pour conclure encore à la nullité de la marque, les appelants invoquent le caractère frauduleux de l’enregistrement en ce qu’il vise à faire barrage à l’utilisation par les tiers de l’expression MARCHE BIRON, nécessaire pour désigner le marché qui se situe précisément dans la rue Biron ;
Mais considérant qu’il ressort des pièces de la procédure que la société LES BROCANTEURS DE SAINT-OUEN utilisait dès les années 1930 le terme BIRON pour le logo publicitaire ICI BIRON, ainsi que l’expression MARCHE BIRON à titre d’enseigne et de nom commercial, avant de l’adopter pour dénomination sociale par délibération de l’assemblée générale extraordinaire du 16 juin 1985 ;
Considérant, au surplus, que le dépôt de la marque pour désigner des services, précédemment cités, des classes 35, 36, 39 et 42, ne fait pas obstacle à l’utilisation par les tiers du signe MARCHE BIRON pour désigner le marché aux puces de la rue Biron à Saint-Ouen ;
Considérant que les appelants se gardent au demeurant de préciser, et en toute hypothèse de prouver, tant l’intention malveillante de la société intimée, que les intérêts auxquels cette dernière aurait voulu nuire ;
Considérant que le dépôt frauduleux n’étant pas davantage établi, c’est à raison que le tribunal a retenu la validité de la marque opposée MARCHE BIRON ;
Sur les demandes en nullité des marques semi-figuratives B Le Marché de la rue Biron et B Les Allées de Biron;
Considérant qu’il n’est pas contesté que ces marques ont été déposées le 24 janvier 2008 dans les classes 35, 36, 38 et 39 pour des services identiques à tout le moins similaires à ceux couverts par la marque dénominative MARCHE BIRON déposée le 4 octobre 2006 ;
Considérant que pour demander qu’elles soient déclarées nulles, la société intimée se prévaut, au fondement des dispositions de l’article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle, de ses droits antérieurs de marque, de dénomination sociale, d’enseigne et de nom commercial ;
Considérant qu’en vertu de l’article précité du Code de la propriété intellectuelle, ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment:
a) A une marque antérieure enregistrée ou notoirement connue au sens de l’article 6 bis de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle;
b) à une dénomination ou raison sociale, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public;
c) à un nom commercial ou à une enseigne connus sur l’ensemble du territoire national, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public ; (….) ;
Considérant qu’il échet d’examiner en premier lieu l’atteinte à un droit antérieur de marque, étant précisé que pour être déclarée nulle la marque seconde doit constituer la contrefaçon de la marque antérieure ;
Considérant que les marques semi-figuratives querellées B Le Marché de la rue Biron et B Les Allées de Biron, se présentent en couleur et comportent en attaque de signe l’élément figuratif constitué de la lettre B stylisée ;
Considérant que les appelants soutiennent, pour nier la contrefaçon, que l’élément figuratif situé en tête de signe est doté au plan visuel d’une force attractive qui lui confère une place dominante et qui écarte tout risque de confusion avec la marque dénominative antérieure ;
Considérant qu’il convient en effet de rechercher en l’espèce, en application des dispositions de l’article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, s’il existe entre les signes de comparaison, qui ne sont pas identiques, un risque de confusion ;
Considérant que le risque de confusion est déterminé au terme d’une appréciation globale, tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce et notamment du degré de similitude entre les signes comparé au degré de similitude entre les produits désignés ;
Que cette appréciation globale doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive et conceptuelle, être fondée sur l’impression d’ensemble produite par les marques en cause, au regard des éléments distinctifs et dominants de celles-ci ;
Considérant qu’il suit de ces observations que la similitude visuelle ne constitue pas l’unique élément d’appréciation du risque de confusion et qu’il convient de tenir compte de la similitude au plan auditif et au plan conceptuel ;
Or considérant que le vocable BIRON est commun aux signes en cause, en outre, sa position en chute de signe dans chacun de ces signes lui confère, au plan auditif, une place dominante ;
Considérant qu’au plan conceptuel, le terme BIRON constitue au sein des marques en cause l’unique élément parfaitement arbitraire et par là-même distinctif au regard des services couverts ;
Considérant enfin que même au plan visuel, les marques en cause donnent à voir, pareillement en chute de signe, l’élément BIRON ;
Considérant qu’il s’infère du degré élevé de similitude entre les signes, au plan visuel, auditif et conceptuel combiné au degré élevé de similitude entre les services, que le consommateur d’attention moyenne, normalement informé et raisonnablement avisé de la catégorie des services concernés, serait fondé à confondre les signes en cause ou à les associer en regardant le signe second comme une déclinaison de la marque première, et, partant, à regarder les services désignés par ces signes comme provenant d’une même entreprise ou d’entreprises économiquement liées ;
Or considérant que la fonction essentielle de la marque est de garantir aux consommateurs ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer, sans confusion possible, ce produit ou service de ceux qui ont une autre provenance ;
Considérant qu’il suit de ces développements que dès lors qu’elles portent atteinte à la marque antérieure MARCHE BIRON, dans sa fonction essentielle, les deux marques semi-figuratives attaquées sont entachées de nullité et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a prononcé leur annulation ;
Considérant que les marques contestées portent en outre atteinte aux droits antérieurs de dénomination sociale, nom commercial et enseigne de la société LE MARCHE BIRON ;
Sur la demande fondée sur l’article L.713-5 du Code de la propriété intellectuelle,
Considérant que la société intimée poursuit au fondement de l’article précité la responsabilité civile des appelants pour avoir déposé des marques portant atteinte à la marque notoirement connue MARCHE BIRON ;
Mais considérant qu’il appartient à la société demanderesse de rapporter la preuve de la connaissance de la marque auprès d’une partie significative du public concerné par les produits ou services qu’elle est destinée à distinguer ;
Que la preuve de la notoriété de la marque peut être rapportée par tous moyens, tel, mais non exclusivement, un sondage d’opinion, le juge se déterminant en tenant compte de l’ensemble des éléments soumis à son appréciation sans se référer à un critère arrêté mais à une variété de critères incluant la part de marché occupée par la marque, la durée de son usage, l’intensité de son exploitation, l’importance des investissements consacrés à sa promotion ;
Or considérant que s’il est versé aux débats une attestation d’expert-comptable portant sur les investissements réalisés dans les sept dernières années en matière promotionnelle, outre des factures pour des dépenses de communication de 2009 ainsi que des publicités datant des années 30, ces éléments ne suffisent pas, en l’absence de toute information sur la part de marché, sur la durée et l’intensité d’usage de la marque, à justifier du caractère notoirement connu de la marque ;
Que c’est dès lors à bon droit que le tribunal a rejeté la demande formée de ce chef et le jugement sera confirmé sur ce point ;
Sur la demande en nullité des noms de domaine réservés par les appelants,
Considérant que la société intimée demande pour la première fois en cause d’appel que soit prononcée la nullité des noms de domaine 'marchebiron.net', 'marchebiron.com', 'marchebiron.org', réservés par M. M le 28 octobre 2010 ;
Or considérant que le nom de domaine ne constitue pas un titre de propriété industrielle susceptible d’être frappé de nullité, mais peut justifier une demande fondée sur l’article 1382 qui n’est pas formée en l’espèce ;
Sur les autres demandes,
Considérant que l’équité ne commande pas de faire droit aux demandes formées au titre des frais irrépétibles d’appel ;
PAR CES MOTIFS :
Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Y ajoutant, Déboute la société LE MARCHE BIRON de sa demande en nullité de noms de domaine,
Condamne les appelants, in solidum, aux dépens de la procédure d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile . »