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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 10 mars 2022, n° 20/01042

ROUEN

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

HOME MEDICAL SERVICE (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme FOUCHER-GROS

Conseillers :

Mme PROIX, M. URBANO

TGI du Havre, du 26 déc. 2019, n° 17/005…

26 décembre 2019

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :

M. L. et Mme B. épouse L. hébergeaient la mère de M. L., Mme L. épouse C., qui dormait au rez-de-chaussée de leur maison située [...].

Dans la nuit du 7 au 8 avril 2015, un incendie s'est déclenché dans la chambre de Mme L. épouse C. qui est décédée.

Des expertises amiables ont envisagé le départ d'incendie au niveau du lit médicalisé de la défunte.

Alléguant que ce lit avait été fabriqué par la SAS Home Médical Service. M. L. et Mme B. épouse L. ont assigné, par actes des 2 et 6 mars 2017, la SAS Home Médical Service, Mme L. épouse F., la fille de la défunte, et la SA Garantie Mutuelle des Fonctionnaires, assureur de Mme C., devant le tribunal de grande instance du Havre.

Par jugement du 26 décembre 2019, le tribunal de grande instance du Havre a :

- déclaré la SAS Home Médical Service responsable du préjudice subi par Mme L. épouse C., représentée par ses ayant droits M. L. et Mme L. épouse F. ainsi que les préjudices subis à titre personnel par M. L., Mme B. épouse L., représentée par M. L. en qualité d'ayant droit de son épouse décédée et Mme L. épouse F. en application de l'article 13 86-1 ancien du code civil ;

En conséquence,

- condamné la SAS Home Médical Service à payer à M. L. et Mme L. épouse F., en leur qualité d'ayants droit de Mme L. épouse C., la somme de 70 000,00 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des souffrances endurées ;

- condamné la SAS Home Médical Service à payer à M. L., en son nom personnel et en sa qualité d'ayant droit de Mme B. épouse L. la somme de 36 000 euros en réparation du préjudice d'affection ;

- condamné la SAS Home Médical Service à payer à M. L., en son nom personnel et en sa qualité d'ayant droit de Mme B. épouse L. la somme de 2 000 euros au titre du préjudice de jouissance ;

- condamné la SAS Home Médical Service à payer à Mme L. épouse F. la somme de 15 000 euros au titre du préjudice d'affection ;

-condamné la SAS Home Médical Service à payer à Mme L. épouse F. la somme de 167 euros au titre de la franchise contractuelle ;

- condamné la SAS Home Médical Service à payer à la société Garantie Mutuelle des Fonctionnaires la somme de 95 633,31 euros au titre de la subrogation ;

- dit que les sommes allouées ci-dessus porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la présente décision ;

- rejeté la demande d'indemnisation du préjudice moral distinct et du préjudice matériel correspondant aux frais d'obsèques de M. L. ;

- rejeté la demande d'indemnisation du préjudice matériel distinct de Mme L. épouse F. ;

- débouté la SAS Home Médical Service de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné la SAS Home Médical Service à payer à M. L. la somme de 2 000,00 euros application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la SAS Home Médical Service à payer à Mme L. épouse F. et la société Garantie Mutuelle des Fonctionnaires la somme de 2.000,00 euros application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la SAS Home Médical Service aux entiers dépens et autorise la société V. & Associés, avocat et la SCP Emo H. & Associés, avocat à recouvrer directement ceux dont elles justifieront avoir fait l'avance sans recevoir provision en application de l'article 699 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement pour la moitié de la somme totale des condamnations de la SAS Home Médical Service, à l'exception du chef de dispositif portant sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

La SAS Home Médical Service a interjeté appel ce jugement par déclaration du 2 mars 2020.

EXPOSE DES MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Vu les conclusions du 29 mai 2020 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et arguments de la SAS Home Médical Service qui demande à la cour de:

- recevoir la SAS Home Médical Service en son appel et l'en dire bien fondée ;

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de grande instance du Havre ;

- débouter Mme L. épouse F., la SA Garantie Mutuelle des Fonctionnaires, Madame B. épouse L. et M. L. de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

-c ondamner solidairement Mme L. épouse F., la SA Garantie Mutuelle des Fonctionnaires, Mme B. épouse L. et M. L. au paiement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'entière procédure.

La société Home Médical Service soutient que :

* on ne peut engager la responsabilité d'un fabricant pour un produit qui n'est pas identifié et dont il     n'est pas démontré qu'il l'a bien fabriqué.

* elle n'était pas présente à l'expertise amiable réalisée en septembre 2015, et n'est pas engagée        par la présence de son assureur à cette expertise.

* elle n'est pas fabricante du boîtier de transformateur, qui a équipé le lit de Mme L. ;

* la cause du sinistre est incertaine.

Vu les conclusions du 27 août 2020 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et arguments de Madame Martine L. épouse F. et la société Garantie Mutuelle des Fonctionnaires qui demandent à la cour de:

recevant la SAS Home Médical Service en son appel,

- l'en débouter ;

- confirmer le jugement du 26 décembre 2019 en toutes ses dispositions ;

- condamner la SAS Home Médical Service au paiement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens dont distraction au profit de la société V. & Associés sur son affirmation légale d'en avoir consenti l'avance.

* il est démontré que le lit avait été fabriqué par la société Home Médical Service ;

* le moyen tiré de l'absence de précision sur la chaîne contractuelle est inopérant dès lors que l'article 1386-1 ancien du code civil précise que le producteur engage sa responsabilité même en l'absence de contrat avec la victime.

* les deux expertises amiables étaient contradictoires puisque la société Home Médical Service y était représentée par l'expert désigné par sa compagnie d'assurances ;

* c'est au producteur qu'il appartient de rapporter la preuve d'interventions extérieures sur le produit ;

* la responsabilité éventuelle du fabricant du boitier de transformateur ne fait pas obstacle à la responsabilité de la société Home Médical Service à l'égard de la victime ;

Vu les conclusions du 24 août 2020 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et arguments de M. L., agissant en son nom personnel et en tant qu'ayant droit de sa défunte mère Mme L. épouse C. et de sa défunte épouse Mme B. épouse L. qui demande à la cour de:

- dire et juger l'appel incident de M. L. recevable et bien fondé ;

- confirmer le jugement du tribunal de grande instance du Havre en ce qu'il a dit et jugé que la SAS Home Médical Service est entièrement responsable et de plein droit des dommages causés par la défectuosité de son matériel ;

- infirmer partiellement le jugement du tribunal de grande instance du Havre au titre de l'évaluation des préjudices ;

- condamner la SAS Home Médical Service à payer à M. L., en qualité d'ayant droit de sa défunte mère la somme de 100.000 euros à titre de réparation des souffrances endurées par Mme L. épouse C. ;

- condamner la SAS Home Médical Service à payer à M. L., en qualité d'ayant droit de sa défunte épouse la somme de 50 000 euros à titre de réparation du préjudice moral subi par Mme B. épouse L. ;

- condamner la SAS Home Médical Service à payer à M. L. la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral lié aux circonstances du décès de sa mère;

- condamner la SAS Home Médical Service à payer à M. L. la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice d'affection lié à la perte de sa mère ;

- condamner la SAS Home Médical Service à payer à M. L. la somme de 4 280,58 euros au titre des frais d'obsèques ;

- condamner la SAS Home Médical Service à payer à M. L. la somme de 12 000 euros en réparation du trouble de jouissance ;

- condamner la SAS Home Médical Service à payer à M. L. la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SAS Home Médical Service aux entiers dépens, dont distraction au bénéfice de la SCP Emo Avocats, société d'avocats inscrits aux Barreaux de Rouen et du Havre.

Monsieur Roger L. reprend les moyens développés par Madame Martine L. et sa société GMF. Il soutient en outre que :

* en sa qualité d'ayant droit de la défunte, il est fondé à sollicité, eu égard aux souffrances de la   victime, une indemnité de 100 000 €.

* le décès de Mme L. a traumatisé Mme B. qui s'en occupait quotidiennement ;

* il a lui même été traumatisé par les circonstance de ce décès ;

* il a assumé les frais d'obsèques ;

* il a subi un préjudice de jouissance pendant les travaux de réfection de la maison.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la responsabilité de la société Home Médical Service :

Aux termes de l'article 1386-1 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016: «« Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime. »

« Les dispositions du présent titre s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même. »

« Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. »

Aux termes de l'article 1386-8 du même code dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016: « En cas de dommage causé par le défaut d'un produit incorporé dans un autre, le producteur de la partie composante et celui qui a réalisé l'incorporation sont solidairement responsables. »

A la demande de la compagnie GMF, une expertise a été réalisée par le cabinet Elex. Les opérations d'expertise ont été diligentées les 8 et 15 avril, 21 mai et 29 juillet 2015, Les opérations des 21 mai et 29 juillet se sont déroulées en présence de :

- Monsieur et Madame L.

- Monsieur N., pharmacien et propriétaire des appareillages et son assureur,

« -Madame G., cabinet Equad, désigné par Allianz, assureur de la société HMS Vilgo, fabricant du lit médicalisé. »

Lors de la réunion du 21 mai 2015, il a été déterminé que « Le lit médicalisé a été mis à disposition de Mme C. Marie par la Pharmacie du Carrousel le 18 septembre 2013 (...)Ce lit a été acheté à la société Orcifarm, le 9 novembre 2009. Il a été fabriqué par la société HMS Vilgo ».

A l'issue de ses observations sur les lieux, le cabinet Elex a conclu provisoirement « nos investigations nous ont donc amenés à découvrir, après avoir éliminé les différents éléments, que cet incendie a eu un départ de feu sur le dessous du lit et ayant pour origine la lampe halogène ou le moteur du lit médicalisé (')

La probabilité d'un geste malheureux de Madame C. Marie, pour allumer la lampe située sur la table de nuit, la faisant ainsi chuter, peut être retenue.

Il n'en reste pas moins que l'hypothèse d'un départ de feu sur le moteur ou le circuit électrique du lit ne peut être totalement exclue, mais dans le cas présent et du fait de l'âge du lit (2009), seule une expertise judiciaire permettrait de lever ce doute . »

A la demande de M. et Mme L., le cabinet Elex a demandé un rapport d'expertise à la société CNPP, spécialisée dans la prévention et la maitrise des risques. Cette demande a donné lieu à la réunion sur site du 29 juillet 2015, en présence des personnes désignées plus haut et de la société CNPP. Cette société a rendu un rapport le 24 septembre 2015, après analyse en laboratoire des équipements électriques.

Il ressort des observations de la société CNPP que la zone de départ de l'incendie peut être déterminée au niveau de l'emplacement du lit médicalisé.

Après une analyse minutieuse de cette zone, l'analyse des prélèvements des débris d'incendie, des restes de la lampe halogène, des équipements électriques du lit médicalisé, la société CNPP est parvenue aux conclusions suivantes :

Concernant la lampe halogène « les constats nous amènent à penser que le feu est extérieur à cet équipement ». Et sur les équipements électriques du lit médicalisé « Les constatations sur site et les analyses des prélèvements en laboratoire nous amènent à déterminer un départ de feux en partie basse du lit médicalisé, au niveau de l'emplacement du boîtier du transformateur, suite à une anomalie interne sur la carte électronique. » La société CNPP décrit ensuite comment le feu s'est propagé.

Le cabinet Elex, après réception de ce rapport, en a reproduit les conclusions dans son procès verbal de constatations relatives aux causes et circonstances et à l'évaluation des dommages.

La société Home Médical Service convient en page 5 de ses écritures qu'elle était représentée aux opérations d'expertise par sa compagnie d'assurances. Cette représentation a pour conséquence que les rapports d'expertise sont contradictoires à son égard et peuvent lui être opposés. Il a été déterminé en présence de son représentant que la société HMS Vilgo était le fabricant du lit médicalisé.

Il ressort de la facture d'achat du 18 juin 2009 qu'un lit «HMS Oxy Panneau bois » a été acquis par la Pharmacie du Carrousel, et de la lettre du 21 juillet 2016 de la société Dero Courtage au conseil de M. L. que la société HMS Vilgo, a son siège social à la même adresse que la société Home Médical Service. Ainsi, c'est vainement que la société Home Médical Service met en doute que le sigle « HMS Vilgo » correspond à son identification. D'autant moins qu'elle n'a jamais remis en cause cette identité au cours des opérations d'expertise.

Il ressort ainsi des opérations d'expertise des indices précis, graves et concordants que le lit a été fabriqué par la société Home Médical Service et qu'il est à l'origine du sinistre, peu important, à cet égard que l'élément de la carte électronique du boîtier susceptible d'avoir créé la surcharge qui a fait déclencher les fusibles n'ait pas pu être identifié.

La société Home Médical Service ne peut utilement se prévaloir de l'absence d'éléments sur la chaine de contrats qui ont amené le lit médicalisé jusqu'à la victime dès lors que l'article 1386-1 précité prévoit que la responsabilité du producteur est engagée même en l'absence de lien contractuel avec la victime.

Elle ne peut davantage être exonérée de sa responsabilité au motif qu'elle n'est pas le fabricant du boitier de transformateur dès lors que ce transformateur était incorporé au lit médicalisé, et que l'article 1386-8 précité prévoit en ce cas la responsabilité solidaire des différents fabricants.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Home Médical Service.

Sur les préjudices:

La responsabilité de la société Home Médical Service étant engagée, elle doit indemniser l'intégralité du préjudice qui résulte de la défectuosité de son produit.

Sur les souffrances endurées par la défunte :

Au regard de l'importance des souffrances de Mme L. épouse C., décédée dans l'incendie de son lit, c'est par une juste appréciation que le jugement entrepris a alloué une indemnité de 70 000 € aux ayants droit. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le préjudice moral d'affection des époux L. :

Par des motifs pertinents que la cour adopte, le tribunal a réparé ce préjudice à hauteur de 18 000 € à chacun des époux L.. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur le préjudice moral de M. L. lié aux circonstances du décès de sa mère :

Monsieur L. qui est intervenu personnellement pour tenter d'éteindre l'incendie et n'a pu que découvrir le corps sans vie de sa mère, a subi un préjudice moral personnel distinct de celui qui résulte de la perte d'un être cher. Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté ce chef de demande. Ce préjudice sera réparé par une indemnité de 30 000 €.

Sur les frais d'obsèques :

Monsieur L. verse aux débats la facture de la société Pompes Funèbres Générales pour un montant TTC de 4 280,58 € dont 500 € pris en charge par la MNH du Loiret sous réserve d'acceptation par cet organisme. M. L. affirme sans en justifier qu'il n'y a pas eu de prise en charge. Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté M. L. de ce chef de demande et la société Home Médical Service sera condamnée à lui verser la somme 3 780,58 € ( 4 280,58 € - 500 €).

Sur le préjudice de jouissance :

Par des motifs pertinents que la cour adopte, le premier juge a alloué une indemnité de 2 000 € au titre du préjudice de jouissance subi par les époux L. du fait de la destruction partielle de leur habitation par l'incendie. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire ;

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a :

- rejeté la demande d'indemnisation du préjudice moral distinct du préjudice d'affection de Monsieur L. et du préjudice matériel correspondant aux frais d'obsèques de M. L. ;

Statuant à nouveau :

Condamne la société Home Médical Service à payer à Monsieur L. :

* la somme de 30 000 € au titre de son préjudice moral lié aux circonstance du décès de Mme L. épouse C. ;

* la somme de 3 780,58 € au titre des frais d'obsèques ;

Confirme le jugement entrepris pour le surplus de ses dispositions ;

Y ajoutant ;

Condamne la société Home Médical Service aux dépens en cause d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamne la société Home Médical Service à payer au titre de leurs frais irrépétibles en cause d'appel :

* la somme de 2 000 € à M. L. ;

* la somme totale de 2 000 € à Mme L. épouse F. et la société GMF.