CJUE, gr. ch., 8 mars 2022, n° C-205/20
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Question préjudicielle
PARTIES
Demandeur :
Landesverwaltungsgericht Steiermark
Défendeur :
Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lenaerts
Vice-président :
M. Bay Larsen (rapporteur)
Présidents de chambre :
Mme Prechal, Regan, Rodin, Jarukaitis, Mme Ziemele
Juges :
Bonichot, Von Danwitz, Safjan, Piçarra, Mme Rossi, Kumin, Wahl
Avocat général :
M. Bobek
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 20 de la directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, relative à l’exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services et modifiant le règlement (UE) no 1024/2012 concernant la coopération administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur (« règlement IMI ») (JO 2014, L. 159, p. 11).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant NE à la Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (autorité administrative du district de Hartberg-Fürstenfeld, Autriche) au sujet de l’amende qui lui a été infligée par cette dernière pour diverses violations de dispositions autrichiennes en matière de droit du travail.
Le cadre juridique
La directive 2014/67
3 L’article 20 de la directive 2014/67 prévoit :
« Les États membres établissent le régime de sanctions applicable en cas d’infraction aux dispositions nationales adoptées en vertu de la présente directive et prennent toutes les mesures nécessaires pour que lesdites dispositions soient appliquées et respectées. Les sanctions ainsi prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. Les États membres notifient ces dispositions à la Commission au plus tard le 18 juin 2016. Ils notifient à la Commission sans délai toute modification ultérieure de celles-ci. »
Le droit autrichien
4 L’article 52, paragraphes 1 et 2, du Verwaltungsgerichtsverfahrensgesetz (loi sur la procédure du contentieux administratif, BGBl. I, 33/2013), dans sa version applicable au litige au principal, est libellé comme suit :
« 1. Dans tout jugement du tribunal administratif confirmant une décision sanctionnant une infraction administrative, le tribunal fixe une contribution aux dépens qui devra être acquittée par l’auteur de l’infraction sanctionnée.
2. Cette contribution est fixée, en matière de procédure de recours, à 20 % de la sanction prononcée, sans toutefois pouvoir être inférieure à dix euros ; lorsque la sanction consiste en une peine privative de liberté, une journée de privation de liberté équivaut, aux fins du calcul des dépens, à un montant de 100 euros. [...] »
5 L’article 26, paragraphe 1, du Lohn- und Sozialdumping-Bekämpfungsgesetz (loi de lutte contre le dumping salarial et social, BGBl. I, 44/2016), dans sa version applicable à l’affaire au principal (ci-après le « LSD-BG »), énonce :
« Quiconque, en tant qu’employeur ou entreprise de mise à disposition de main-d’œuvre au sens de l’article 19, paragraphe 1 :
1. Ne procède pas à la déclaration requise, notamment des modifications postérieures des données (déclaration de modification) en violation de l’article 19, ou n’y procède pas à temps ou de manière complète ou
[...]
3. Ne tient pas à disposition les documents nécessaires en violation de l’article 21, paragraphe 1 ou paragraphe 2, ou ne les met pas immédiatement à disposition des autorités fiscales [...] sous forme électronique, commet une infraction administrative passible d’une amende prononcée par l’autorité administrative de district d’un montant de 1 000 à 10 000 euros par travailleur concerné et, en cas de récidive, de 2 000 à 20 000 euros. »
6 L’article 27, paragraphe 1, du LSD-BG dispose :
« Quiconque ne transmet pas les documents nécessaires, en violation de l’article 12, paragraphe 1, point 3, commet une infraction administrative passible d’une amende prononcée par l’autorité administrative de district de 500 à 5 000 euros par travailleur concerné, et, en cas de récidive, de 1 000 à 10 000 euros. [...] »
7 L’article 28 du LSD-BG est libellé comme suit :
« Quiconque en tant que
1. Employeur ne tient pas à disposition les documents relatifs aux salaires en violation de l’article 22, paragraphe 1 ou paragraphe 1 bis, [...]
[...]
Commet une infraction administrative passible d’une amende prononcée par l’autorité administrative de district d’un montant de 1 000 à 10 000 euros par travailleur concerné, et, en cas de récidive, de 2 000 à 20 000 euros, et, lorsque plus de trois travailleurs sont concernés, d’un montant de 2 000 à 20 000 euros par travailleur concerné, et, en cas de récidive, de 4 000 à 50 000. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
8 CONVOI s. r. o., société établie en Slovaquie, a détaché des travailleurs salariés auprès de Niedec Global Appliance Austria GmbH, établie à Fürstenfeld (Autriche).
9 Sur la base de constats opérés lors d’un contrôle effectué le 24 janvier 2018, l’autorité administrative du district de Hartberg-Fürstenfeld a, par décision du 14 juin 2018, infligé une amende d’un montant de 54 000 euros à NE, en sa qualité de représentant de CONVOI, en raison du non-respect de plusieurs obligations prévues par le LSD-BG relatives, notamment, à la déclaration de détachement auprès de l’autorité nationale compétente ainsi qu’à la conservation de la documentation salariale.
10 NE a introduit un recours contre cette décision devant la juridiction de renvoi, le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie, Autriche).
11 Par décision du 9 octobre 2018, cette juridiction a adressé à la Cour une demande de décision préjudicielle portant sur la conformité au droit de l’Union et, en particulier, au principe de proportionnalité de sanctions telles que celles prévues par la réglementation nationale en cause au principal.
12 Dans son ordonnance du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C 645/18, non publiée, EU:C:2019:1108), la Cour a jugé que l’article 20 de la directive 2014/67 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale prévoyant, en cas de non-respect d’obligations en matière de droit du travail relatives à la déclaration de travailleurs et à la conservation de documents salariaux, l’imposition d’amendes d’un montant élevé :
– Qui ne peuvent être inférieures à un montant prédéfini ;
– Qui sont imposées de manière cumulative pour chaque travailleur concerné et sans plafond, et
– Auxquelles s’ajoute une contribution aux frais de procédure à hauteur de 20 % de leur montant en cas de rejet du recours introduit à l’encontre de la décision les imposant.
13 La juridiction de renvoi relève que, à la suite de cette ordonnance, le législateur national n’a pas modifié la réglementation en cause au principal et, compte tenu notamment des considérations exposées dans l’arrêt du 4 octobre 2018, Link Logistik N&N (C 384/17, EU:C:2018:810), ainsi que de l’existence de divergences entre les juridictions autrichiennes concernant la manière dont la jurisprudence de la Cour en la matière doit être appliquée, s’interroge sur le point de savoir si et, le cas échéant, dans quelle mesure cette réglementation peut être écartée.
14 En particulier, elle considère que les conséquences qu’elle devrait tirer de ladite ordonnance pourraient la conduire soit à écarter les éléments de ladite réglementation qui font obstacle à l’imposition de sanctions proportionnées, soit à s’abstenir d’appliquer, dans son ensemble, le régime de sanctions prévu par la même réglementation.
15 Dans ce contexte, le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’exigence de proportionnalité des sanctions inscrite à l’article 20 de la directive [2014/67], telle qu’interprétée dans [les ordonnances du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C 645/18, non publiée, EU:C:2019:1108), et du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C 140/19, C 141/19 et C 492/19 à C 494/19, non publiée, EU:C:2019:1103)], est-elle une disposition de la directive directement applicable ?
2) Dans l’hypothèse où il serait répondu à la première question par la négative :
L’interprétation conforme au droit de l’Union du droit des États membres permet-elle et requiert-elle, en l’absence de nouvelles dispositions adoptées en droit interne, que les juridictions et les autorités administratives des États membres complètent les infractions de droit interne applicables dans la présente affaire par les critères de proportionnalité établis par la Cour de justice de l’Union européenne dans les ordonnances [du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C 645/18, non publiée, EU:C:2019:1108), et du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C 140/19, C 141/19 et C 492/19 à C 494/19, non publiée, EU:C:2019:1103)] ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
16 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 20 de la directive 2014/67, en ce qu’il exige que les sanctions qu’il prévoit soient proportionnées, est doté d’effet direct et peut ainsi être invoqué par les particuliers devant les juridictions nationales à l’encontre d’un État membre qui en a fait une transposition incorrecte.
17 Il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que, dans tous les cas où les dispositions d’une directive apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer devant les juridictions nationales à l’encontre de l’État soit lorsque celui-ci s’est abstenu de transposer dans les délais la directive en droit national, soit lorsqu’il en a fait une transposition incorrecte (arrêt du 6 novembre 2018, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, C 684/16, EU:C:2018:874, point 63 et jurisprudence citée).
18 La Cour a précisé qu’une disposition du droit de l’Union est, d’une part, inconditionnelle lorsqu’elle énonce une obligation qui n’est assortie d’aucune condition ni subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte soit des institutions de l’Union, soit des États membres et, d’autre part, suffisamment précise pour être invoquée par un justiciable et appliquée par le juge lorsqu’elle énonce une obligation dans des termes non équivoques (arrêt du 14 janvier 2021, RTS infra et Aannemingsbedrijf Norré-Behaegel, C 387/19, EU:C:2021:13, point 46 ainsi que jurisprudence citée).
19 La Cour a en outre jugé que, même si une directive laisse aux États membres une certaine marge d’appréciation lorsqu’ils adoptent les modalités de sa mise en œuvre, une disposition de cette directive peut être considérée comme ayant un caractère inconditionnel et précis dès lors qu’elle met à la charge des États membres, dans des termes non équivoques, une obligation de résultat précise et qui n’est assortie d’aucune condition quant à l’application de la règle qu’elle énonce (arrêt du 14 janvier 2021, RTS infra et Aannemingsbedrijf Norré-Behaegel, C 387/19, EU:C:2021:13, point 47 ainsi que jurisprudence citée).
20 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi considère, au regard de l’ordonnance du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C 645/18, non publiée, EU:C:2019:1108), que, en adoptant la réglementation nationale applicable au litige au principal, le législateur autrichien n’a pas transposé correctement l’exigence de proportionnalité des sanctions prévue à l’article 20 de la directive 2014/67.
21 Cette disposition prévoit que les États membres établissent le régime de sanctions applicable en cas d’infraction aux dispositions nationales adoptées en vertu de cette directive et précise que les sanctions ainsi prévues doivent être, notamment, proportionnées.
22 Il importe de relever, en premier lieu, que l’exigence de proportionnalité des sanctions prévue à ladite disposition présente un caractère inconditionnel.
23 En effet, d’une part, le libellé de l’article 20 de la directive 2014/67 énonce cette exigence en des termes absolus.
24 D’autre part, l’interdiction d’adopter des sanctions disproportionnées, qui est la conséquence de ladite exigence, ne nécessite l’intervention d’aucun acte des institutions de l’Union et cette disposition ne confère aucunement aux États membres la faculté de conditionner ou de restreindre la portée de cette interdiction (voir, par analogie, arrêt du 15 avril 2008, Impact, C 268/06, EU:C:2008:223, point 62).
25 La circonstance que l’article 20 de cette directive doive faire l’objet d’une transposition n’est pas de nature à remettre en cause le caractère inconditionnel de l’exigence de proportionnalité des sanctions prévue à cet article.
26 Force est encore d’ajouter, à cet égard, qu’une interprétation selon laquelle la nécessité de transposition de l’exigence de proportionnalité des sanctions prévue à l’article 20 de ladite directive est de nature à lui ôter son caractère inconditionnel reviendrait à empêcher les particuliers concernés d’invoquer, le cas échéant, l’interdiction d’adopter des sanctions disproportionnées imposée par cette exigence. Or, il serait incompatible avec le caractère contraignant que l’article 288 TFUE reconnaît à la directive d’exclure, par principe, qu’une telle interdiction puisse être invoquée par les personnes concernées (voir, en ce sens, arrêt du 26 juin 2019, Craeynest e.a., C 723/17, EU:C:2019:533, point 32 ainsi que jurisprudence citée).
27 En ce qui concerne, en second lieu, le point de savoir si l’article 20 de la directive 2014/67 présente un caractère suffisamment précis, en ce qu’il prévoit l’exigence de proportionnalité des sanctions, il y a lieu de constater que, si cette disposition laisse aux États membres une certaine marge d’appréciation pour définir le régime de sanctions applicable en cas d’infraction aux dispositions nationales adoptées en vertu de cette directive, une telle marge d’appréciation trouve ses limites dans l’interdiction énoncée de manière générale et dans des termes dépourvus d’équivoque par ladite disposition de prévoir des sanctions disproportionnées.
28 Ainsi, une telle exigence de proportionnalité des sanctions doit, en tout état de cause, être mise en œuvre par les États membres en vertu de l’article 20 de ladite directive et la circonstance qu’ils disposent, dans ce cadre, d’une marge d’appréciation n’exclut pas, en soi, qu’un contrôle juridictionnel puisse être effectué afin de vérifier si l’État membre concerné a outrepassé les limites fixées à cette marge d’appréciation lorsqu’il a transposé cette disposition (voir, par analogie, arrêts du 24 octobre 1996, Kraaijeveld e.a., C 72/95, EU:C:1996:404, point 59, ainsi que du 26 juin 2019, Craeynest e.a., C 723/17, EU:C:2019:533, point 45).
29 Il ressort de ces considérations que, contrairement à ce qui a été jugé au point 56 de l’arrêt du 4 octobre 2018, Link Logistik N&N (C 384/17, EU:C:2018:810), l’exigence de proportionnalité des sanctions prévue à l’article 20 de la même directive est inconditionnelle et suffisamment précise pour pouvoir être invoquée par un particulier et appliquée par les autorités administratives et les juridictions nationales.
30 En particulier, lorsqu’un État membre dépasse son pouvoir d’appréciation en adoptant une réglementation nationale prévoyant des sanctions disproportionnées en cas d’infraction aux dispositions nationales adoptées en vertu de la directive 2014/67, la personne concernée doit pouvoir invoquer directement l’exigence de proportionnalité des sanctions énoncée à l’article 20 de cette directive contre une telle réglementation (voir, par analogie, arrêts du 28 juin 2007, JP Morgan Fleming Claverhouse Investment Trust et The Association of Investment Trust Companies, C 363/05, EU:C:2007:391, point 61, ainsi que du 28 novembre 2013, MDDP, C 319/12, EU:C:2013:778, point 51).
31 Au demeurant, il convient de rappeler que le respect du principe de proportionnalité, qui constitue un principe général du droit de l’Union, s’impose aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre ce droit, y compris en l’absence d’harmonisation de la législation de l’Union dans le domaine des sanctions applicables [voir, en ce sens, arrêts du 26 avril 2017, Farkas, C 564/15, EU:C:2017:302, point 59, et du 27 janvier 2022, Commission/Espagne (Obligation d’information en matière fiscale), C 788/19, EU:C:2022:55, point 48]. Lorsque, dans le cadre d’une telle mise en œuvre, les États membres adoptent des sanctions plus particulièrement de nature pénale, ils doivent respecter l’article 49, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), aux termes duquel l’intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l’infraction. Or, ce principe de proportionnalité, que l’article 20 de la directive 2014/67 ne fait que rappeler, revêt un caractère impératif.
32 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 20 de la directive 2014/67, en ce qu’il exige que les sanctions qu’il prévoit soient proportionnées, est doté d’effet direct et peut ainsi être invoqué par les particuliers devant les juridictions nationales à l’encontre d’un État membre qui en a fait une transposition incorrecte.
Sur la seconde question,
33 À titre liminaire, il convient de relever que, si la seconde question est formellement posée en cas de réponse négative à la première question, il ressort de la décision de renvoi que, par sa seconde question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, de manière générale, si, dans l’hypothèse où il lui serait impossible de procéder à une interprétation de la réglementation nationale en cause au principal conforme à l’exigence de proportionnalité des sanctions prévue à l’article 20 de la directive 2014/67, il lui incomberait de laisser cette réglementation inappliquée dans son ensemble ou si elle pourrait la compléter de sorte à imposer des sanctions proportionnées.
34 Il y a donc lieu de considérer que, par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe de primauté du droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il impose aux autorités nationales l’obligation de laisser inappliquée, dans son ensemble, une réglementation nationale contraire à l’exigence de proportionnalité des sanctions prévue à l’article 20 de la directive 2014/67 ou s’il implique que ces autorités nationales écartent l’application d’une telle réglementation dans la seule mesure nécessaire pour permettre l’infliction de sanctions proportionnées.
35 À cet égard, il convient de rappeler que, afin de garantir l’effectivité de l’ensemble des dispositions du droit de l’Union, le principe de primauté impose, notamment, aux juridictions nationales d’interpréter, dans toute la mesure du possible, leur droit interne de manière conforme au droit de l’Union (arrêt du 24 juin 2019, Popławski, C 573/17, EU:C:2019:530, point 57).
36 L’obligation d’interprétation conforme du droit national connaît toutefois certaines limites et ne peut notamment pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national (arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C 882/19, EU:C:2021:800, point 72 et jurisprudence citée).
37 Il convient également de rappeler que le principe de primauté impose au juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union l’obligation, à défaut de pouvoir procéder à une interprétation de la réglementation nationale conforme aux exigences de droit de l’Union, d’assurer le plein effet des exigences de ce droit dans le litige dont il est saisi en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute réglementation ou pratique nationale, même postérieure, qui est contraire à une disposition du droit de l’Union qui est d’effet direct, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de cette réglementation ou pratique nationale par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel (voir, en ce sens, arrêts du 24 juin 2019, Popławski, C 573/17, EU:C:2019:530, points 58 et 61, ainsi que du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C 357/19, C 379/19, C 547/19, C 811/19 et C 840/19, EU:C:2021:1034, point 252).
38 Ainsi qu’il découle de l’examen de la première question, l’exigence de proportionnalité des sanctions prévue à l’article 20 de la directive 2014/67 remplit les conditions requises pour produire un effet direct.
39 Partant, dans l’hypothèse où cette exigence est invoquée par un particulier devant un juge national à l’encontre d’un État membre qui en a fait une transposition incorrecte, il incombe à ce juge d’en assurer la pleine efficacité et, à défaut de pouvoir procéder à une interprétation de la réglementation nationale conforme à cette exigence, d’écarter, de sa propre autorité, les dispositions nationales qui apparaîtraient incompatibles avec celle-ci.
40 En l’occurrence, il ressort des points 32 à 41 de l’ordonnance du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C 645/18, non publiée, EU:C:2019:1108), que, si une réglementation nationale telle que celle en cause au principal est appropriée pour la réalisation des objectifs légitimes poursuivis, elle va au-delà des limites de ce qui est nécessaire pour la réalisation de ces objectifs en raison de la combinaison de ses différentes caractéristiques, en particulier le cumul sans plafond d’amendes qui ne peuvent être inférieures à un montant prédéfini.
41 Il importe toutefois de rappeler que, prises isolément, de telles caractéristiques ne méconnaissent pas nécessairement cette exigence. Ainsi, la Cour a jugé, au point 35 de cette ordonnance, qu’une réglementation prévoyant des sanctions pécuniaires dont le montant varie en fonction du nombre de travailleurs concernés par le non-respect de certaines obligations en matière de droit du travail n’apparaît pas, en soi, comme étant disproportionnée.
42 En vue d’assurer la pleine efficacité de l’exigence de proportionnalité des sanctions prévue à l’article 20 de la directive 2014/67, il incombe dès lors au juge national saisi d’un recours contre une sanction prise sur le fondement du régime national applicable en cas d’infraction aux dispositions nationales adoptées en vertu de cette directive, d’écarter la partie de la réglementation nationale dont le caractère disproportionné des sanctions découle, de manière à aboutir à l’imposition de sanctions proportionnées, qui restent en même temps effectives et dissuasives.
43 En effet, et ainsi qu’il a été rappelé au point 40 du présent arrêt, si la Cour a jugé que certaines modalités de fixation du montant des amendes de la LSD-BG n’étaient pas compatibles avec l’article 20 de la directive 2014/67, elle n’en a pas pour autant remis en cause le principe, prévu par cette même disposition, selon lequel les infractions aux dispositions nationales adoptées en vertu de cette directive devaient être sanctionnées, soulignant, au point 32 de l’ordonnance du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C 645/18, non publiée, EU:C:2019:1108), que la réglementation nationale en cause était appropriée en vue de la réalisation des objectifs poursuivis par ladite directive.
44 Ainsi, dans une telle configuration, pour que soit assurée la pleine application de l’exigence de proportionnalité des sanctions prévue à l’article 20 de la même directive, il suffit d’écarter les dispositions nationales dans la seule mesure où elles font obstacle à l’imposition de sanctions proportionnées, afin de garantir que les sanctions imposées à la personne concernée soient conformes à cette exigence.
45 Il importe encore de préciser, au vu des préoccupations exprimées par les gouvernements tchèque et polonais, qu’une telle interprétation n’est pas remise en cause par les principes de sécurité juridique, de légalité des délits et des peines ainsi que d’égalité de traitement.
46 En premier lieu, s’agissant du principe de sécurité juridique, celui-ci exige, notamment, qu’une réglementation soit claire et précise, afin que les justiciables puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C 72/15, EU:C:2017:236, point 161 et jurisprudence citée).
47 Le principe de légalité des délits et des peines, consacré à l’article 49, paragraphe 1, de la Charte et qui, selon la jurisprudence de la Cour, constitue une expression particulière du principe général de sécurité juridique, implique, notamment, que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C 72/15, EU:C:2017:236, point 162 et jurisprudence citée).
48 En outre, si le principe de non-rétroactivité de la loi pénale, qui est inhérent au principe de légalité des délits et des peines, s’oppose notamment à ce qu’un juge puisse, au cours d’une procédure pénale, aggraver le régime de responsabilité pénale de ceux qui font l’objet d’une telle procédure (voir, en ce sens, arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B., C 42/17, EU:C:2017:936, point 57 ainsi que jurisprudence citée), il ne s’oppose pas, en revanche, à l’application à ces derniers de peines plus légères.
49 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que le régime national de sanctions en cause au principal définit, en matière de droit du travail, des infractions relatives au non-respect d’obligations liées à la déclaration de travailleurs et à la conservation de documents salariaux et prévoit des sanctions pour ces infractions.
50 Dans un tel contexte, le respect de l’exigence de proportionnalité énoncée à l’article 20 de la directive 2014/67 a seulement pour effet de conduire cette juridiction à atténuer la sévérité des sanctions pouvant être infligées.
51 Or, la circonstance que, dans un cas tel que celui en cause au principal, la sanction imposée sera moins forte que la sanction prévue par la réglementation nationale applicable, en raison d’une inapplication partielle de celle-ci sur le fondement de cette exigence, ne saurait être considérée comme méconnaissant les principes de sécurité juridique, de légalité des délits et des peines ainsi que de non-rétroactivité de la loi pénale.
52 En tout état de cause, si, aux fins d’assurer le respect de l’exigence de proportionnalité des sanctions applicables en cas d’infraction aux dispositions nationales adoptées en vertu de la directive 2014/67, une autorité nationale peut être conduite, lorsqu’elle impose une telle sanction, à écarter certains éléments de la réglementation nationale relative à ces sanctions, il n’en reste pas moins que la sanction ainsi adoptée le demeurera en application de ladite réglementation.
53 Dès lors, à supposer même que la circonstance qu’une autorité nationale doit écarter une partie de la même réglementation nationale soit de nature à créer une certaine ambiguïté quant aux règles de droit applicables à ces infractions, cette circonstance ne porte pas atteinte aux principes de sécurité juridique et de légalité des délits et des peines.
54 En second lieu, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour, l’égalité en droit, énoncée à l’article 20 de la Charte, est un principe général du droit de l’Union qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’une différenciation ne soit objectivement justifiée [arrêt du 2 septembre 2021, État belge (Droit de séjour en cas de violence domestique), C 930/19, EU:C:2021:657, point 57 et jurisprudence citée].
55 L’exigence tenant au caractère comparable des situations, afin de déterminer l’existence d’une violation du principe d’égalité de traitement, doit être appréciée au regard de l’ensemble des éléments qui les caractérisent [arrêt du 2 septembre 2021, État belge (Droit de séjour en cas de violence domestique), C 930/19, EU:C:2021:657, point 58 et jurisprudence citée].
56 Or, dès lors que l’exigence de proportionnalité prévue à l’article 20 de la directive 2014/67 emporte une limitation des sanctions qui doit être respectée par toutes les autorités nationales chargées d’appliquer cette exigence dans le cadre de leurs compétences, tout en permettant à ces autorités d’imposer des sanctions différentes en fonction de la gravité de l’infraction sur le fondement de la réglementation nationale applicable, il ne saurait être considéré qu’une telle exigence porte atteinte au principe d’égalité de traitement.
57 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que le principe de primauté du droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il impose aux autorités nationales l’obligation de laisser inappliquée une réglementation nationale dont une partie est contraire à l’exigence de proportionnalité des sanctions prévue à l’article 20 de la directive 2014/67 dans la seule mesure nécessaire pour permettre l’infliction de sanctions proportionnées.
Sur les dépens,
58 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
1) L’article 20 de la directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, relative à l’exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services et modifiant le règlement (UE) no 1024/2012 concernant la coopération administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur (« règlement IMI »), en ce qu’il exige que les sanctions qu’il prévoit soient proportionnées, est doté d’effet direct et peut ainsi être invoqué par les particuliers devant les juridictions nationales à l’encontre d’un État membre qui en a fait une transposition incorrecte.
2) Le principe de primauté du droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il impose aux autorités nationales l’obligation de laisser inappliquée une réglementation nationale dont une partie est contraire à l’exigence de proportionnalité des sanctions prévue à l’article 20 de la directive 2014/67 dans la seule mesure nécessaire pour permettre l’infliction de sanctions proportionnées.