CA Montpellier, ch. com., 8 décembre 2020, n° 20/02646
MONTPELLIER
Infirmation
Suivant acte sous seing privé en date du 1er juillet 2016, la SARL du soleil, dont la gérante est Audrey J., a donné à bail à Alain J. et à Gisèle L., son épouse, un immeuble à usage d'habitation sis à [...], moyennant un loyer de 650 euros mensuel pour trois années.
Ce bail a été modifié par acte sous seing privé en date du 1er septembre 2018, notamment concernant la description des locaux, la durée ; il stipule dans son article 10 : 'Madame J. Gisèle dispose d'un compte courant d'associés créditeur de 64 000 euros auprès de la SARL du soleil. Les loyers seront directement débités de ce compte jusqu'à concurrence du montant créditeur. En cas de rupture de bail de la part du bailleur, avant l'épuisement du solde créditeur de Madame J. Gisèle qu'elle possède dans les comptes de la SARL du soleil, la totalité du solde créditeur serait alors dû à Madame J.».
L'article 11 de ce bail prévoit une clause résolutoire.
Par jugement du 19 décembre 2018, le tribunal de commerce de Perpignan a prononcé la liquidation judiciaire de la SARL du soleil et désigné la SELARL MJSA prise en la personne de Monsieur Aguilé S. en qualité de liquidateur.
Par courrier en date du 16 juillet 2019, le liquidateur ès qualités a adressé aux époux J. une mise en demeure de 'procéder au règlement des loyers dus à compter du 1er janvier 2019 jusqu'à ce jour, soit la somme globale de
4 450 euros (650 euros x 7 mois) tenant l'absence de compensation applicable entre [leur] créance en compte courant d'associé et [leur] dette de loyers ».
Le 30 octobre 2019, Monsieur S., ès qualités, a fait délivrer aux époux J. un commandement de payer visant la clause résolutoire pour un montant à hauteur de 5 850 euros arrêté au 1er septembre 2019, ceux-ci n'ayant pas satisfait à leur obligation de paiement des loyers et des charges depuis l'ouverture de la liquidation judiciaire.
Saisi par requête déposée le 3 mars 2020 afin de résiliation d'un contrat en cours, à savoir ledit bail d'habitation, sur le fondement de l'article L. 641-11-1 du code de commerce, le juge-commissaire du tribunal de commerce de Perpignan s'est, par ordonnance du 23 juin 2020, déclaré incompétent au profit du juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Perpignan.
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Par déclaration motivée reçue le 3 juillet 2020, la société MJSA, ès qualités, a régulièrement relevé appel contestant cette ordonnance sur la compétence et sollicité, par requête datée du même jour une autorisation d'assigner à jour fixe.
Par acte d'huissier de justice du 15 juillet 2020, délivré sur autorisation d'assigner à jour fixe du 7 juillet 2020, la société MJSA, ès qualités, a assigné Alain J. et Gisèle L., son épouse, à comparaître devant la deuxième chambre civile de cette cour le 5 novembre 2020 à 14 heures.
La société MJSA ès qualités, demande à la cour, en l'état de ses conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 30 octobre 2020, de :
- « infirmer l'ordonnance rendue ('),
- dire et juger que le juge-commissaire du tribunal de commerce de Perpignan est compétent pour statuer sur la résiliation du contrat de bail en cours et en conséquence ordonner le renvoi de l'affaire devant ce dernier,
- condamner les consorts J. au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.»
Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :
- les dispositions de l'article L. 641-11-1 IV du code de commerce ne prévoient que deux exceptions pour lesquelles la compétence du juge-commissaire est écartée au profit du juge de droit commun, à savoir les contrats de travail et la fiducie ; les baux d'habitation ne sont pas visés par ces exceptions et les exceptions doivent être interprétées strictement,
- l'article R. 662-3 du code de commerce attribue compétence «exclusive» au tribunal de la procédure collective pour toute action sur laquelle la procédure collective exerce une influence, cette exclusivité bénéficie au juge-commissaire,
- la cour n'est saisie que de la question de la compétence et il appartiendra aux intimés de soulever leurs moyens de droit relatifs au bail devant le juge qui sera désigné comme étant compétent,
- au demeurant, leur supposé grief est en contradiction avec leurs propres déclarations, puisqu'ils ont indiqué par courrier du 23 juillet 2019 que la maison n'était plus adaptée au handicap physique de Monsieur J.,
- l'arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 7 octobre 2020 confirme la compétence du juge-commissaire pour résilier les baux d'habitation au titre des contrats en cours,
- le liquidateur démontrera en son temps que les deux conditions cumulatives prescrites par l'article L. 641-11-1 autorisant la résiliation d'un contrat en cours sont remplies.
Monsieur et Madame J. sollicitent de voir, aux termes de leurs conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 3 novembre 2020 :
« - confirmer l'ordonnance (...),
- en conséquence dire et juger que le juge-commissaire est incompétent au profit du juge des contentieux et de la protection du tribunal judiciaire de Perpignan,
- se déclarer incompétente,
- à titre subsidiaire, si la cour considère que le juge-commissaire est compétent et évoque, déclarer l'action irrecevable pour défaut de qualité, d'intérêt à agir et de dénonciation en préfecture de la requête,
- dire et juger que l'action porte une atteinte excessive aux intérêts des preneurs,
- débouter Monsieur S. de ses demandes,
- en tout état de cause, le condamner ès qualités à leur verser la somme de
5 000 euros à de dommages-intérêts pour procédure et appel abusif et la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.»
Ils exposent en substance que :
- le bail dont il est sollicité la résiliation est un bail d'habitation, et le juge des contentieux de la protection bénéficie d'une compétence d'attribution exclusive d'ordre public en la matière,
- les dispositions de la loi du 6 juillet 1989 sont d'ordre public et priment sur celle de l'article L. 641-11-1 du code de commerce,
- l'arrêt de la Cour de cassation du 7 octobre 2020 met en évidence que la loi du 6 juillet 1989 ne doit pas céder devant les dispositions du code de commerce,
- au demeurant, aucun titre de propriété de l'administrée sur le bien loué n'est produit,
- la requête déposée par le liquidateur a été effectuée au mépris de l'article 24 de la loi du 6 juillet 1989,
- les loyers ont été payés par compensation avec le compte courant associé de Madame J. conformément aux dispositions contractuelles,
- le liquidateur n'explicite pas en quoi la résiliation du bail est nécessaire aux opérations de liquidation tandis que l'immeuble constitue leur résidence principale et que compte tenu du handicap physique de Monsieur J., une solution de relogement à bref délai serait difficile.
Le procureur général près la cour d'appel de Montpellier, auquel le dossier de l'affaire a été communiqué, a indiqué s'en rapporter à justice les 9 juillet et 3 août 2020.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS de la DECISION :
1- La demande tendant à ce que la cour se déclare incompétente, figurant dans le dispositif des conclusions des intimés, constituant manifestement une erreur de plume en ce qu'aucun moyen n'est développé dans le corps des écritures au soutien de celle-ci, il n'y a pas lieu de statuer de ce chef.
2- Selon l'article R. 662-3 du code de commerce, dans sa rédaction issue du décret n°2019-966 du 18 septembre 2019, sans préjudice des pouvoirs attribués en premier ressort au juge-commissaire, le tribunal saisi d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire connaît de tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L. 653-8, à l'exception des actions en responsabilité civile exercées à l'encontre de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du commissaire à l'exécution du plan ou du liquidateur qui sont de la compétence du tribunal judiciaire.
Les dispositions de l'article L. 641-11-1 du code de commerce prévoient que nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d'un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l'ouverture ou du prononcé d'une liquidation judiciaire et qu'à la demande du liquidateur, lorsque la prestation du débiteur ne porte pas sur le paiement d'une somme d'argent, la résiliation est prononcée par le juge-commissaire si elle est nécessaire aux opérations de liquidation et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant. Ces dispositions ne concernent pas les contrats de travail et sont également inapplicables au contrat de fiducie (..).
Si les dispositions de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs sont d'ordre public, la compétence du juge des contentieux de la protection, prévue pour statuer sur ce contentieux par l'article L. 213-4-4 du code de l'organisation judiciaire ne l'est pas. Les dispositions régissant les procédures collectives, sont, elles aussi, d'ordre public.
Les exceptions prévues par l'article L. 641-11-1 sus-cité sont limitatives de sorte que la survenance de la liquidation judiciaire du bailleur donne un droit de résiliation du contrat en cours, sans exception pour le bail d'habitation, en application de celui-ci, qui est dérogatoire au respect du terme du contrat, à charge pour le liquidateur de respecter les dispositions de la loi du 6 juillet 1989.
En conséquence, le juge-commissaire du tribunal de commerce de Perpignan est matériellement compétent et l'affaire doit lui être renvoyée sans qu'il y ait lieu d'évoquer, les éléments de l'espèce ne justifiant pas que les parties soient privées du double degré de juridiction. L'ordonnance ne pourra donc qu'être infirmée.
3- L'appel formé par le liquidateur étant bien fondé, aucune condamnation de ce dernier à une indemnisation pour procédure et appel abusifs ne pourra prospérer, la demande à ce titre de Monsieur et Madame J. étant rejetée.
4- Monsieur et Madame J., qui succombent, seront condamnés aux dépens.
Ni l'équité, ni aucune considération d'ordre économique ne commandent de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dans la présente instance et les demandes sur ce fondement seront rejetées.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire
Vu les articles 86 et 87 du code de procédure civile,
Infirme dans toutes ses dispositions l'ordonnance du juge-commissaire du tribunal de commerce de Perpignan en date du 23 juin 2020 et statuant à nouveau,
Dit que le juge-commissaire du tribunal de commerce de Perpignan est matériellement compétent pour statuer sur la demande de résiliation du bail d'habitation en application des dispositions de l'article L. 641-11-1 du code de commerce,
Dit n'y avoir lieu à évocation par la cour du fond du litige,
Renvoie les parties devant le juge-commissaire du tribunal de commerce de Perpignan.