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Décisions

CA Montpellier, ch. com., 28 septembre 2021, n° 21/02245

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

CA Montpellier n° 21/02245

27 septembre 2021

Par acte sous seing privé en date du 1er juin 2012, la SCI Capoulie 34 et la SASU Dominula ont signé un «bail» portant sur des locaux «à usage mixte professionnel et d'habitation», situés «chez Durand à Léoville (17500)» ainsi désignés : «maison individuelle comprenant un étage, diverses dépendances, une piscine, une cour et jardin sur une surface de 3 670 m2 pour une partie habitable d'environ de 350 m2. Le loyer est fixé forfaitairement à la somme de 5 100 euros pour la période du 1er juin au 31 décembre 2012, cette somme étant réglée par le locataire par une compensation sur la dette de la SAS Prainvest (groupe Serbert et Praxis) envers le locataire Dominula (cf. convention annexée). Au-delà du 31 décembre 2012, la location se fera à titre gratuit» ; le bail est conclu pour une durée de trois années, renouvelable par tacite reconduction.

La SCI Capoulie 34 avait acquis cet immeuble par acte authentique du 25 mai 2012 pour un prix de 387'669 euros, financé par un prêt à hauteur de 320'000 euros, octroyé par la SA HSBC France et garanti par une inscription hypothécaire et des cautionnements.

Par déclaration au greffe du tribunal de grande instance de Montpellier en date du 18 décembre 2019, la SAS Praxis, en sa qualité de gérante de la SCI Capoulie 34, a déposé une déclaration de cessation des paiements.

Par jugement en date du 6 février 2020, le tribunal de grande instance de Montpellier a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SCI Capoulie 34, la Selas OCMJ, représentée par Monsieur C., étant désignée en qualité de mandataire judiciaire.

Par jugement en date du 2 juillet 2020, ce même tribunal a prononcé la liquidation judiciaire de la SCI Capoulie 34 et désigné la Selas OCMJ, représentée par Monsieur C. en qualité de liquidateur.

Conformément à la requête de Monsieur C., ès qualités, déposée le 16 septembre 2020, le juge-commissaire a, par ordonnance du 15 janvier 2021, prononcé la résiliation du contrat de location en date du 1er juin 2012 conclu entre la SCI Capoulie 34 et la société Dominula portant sur le bien immobilier situé à Léoville, ordonné l'expulsion de la société Dominula ou de tous occupants de son chef du bien, rejeté le surplus des demandes et laissé les dépens à la charge de la procédure.

Statuant sur le recours de la société Dominula à l'encontre de l'ordonnance du juge-commissaire, le tribunal judiciaire de Montpellier a, par jugement du 1er avril 2021 :

- vu les dispositions des articles R. 621-21 et R. 622-22 du code de commerce, (...)

- déclaré recevable le recours formé par la SASU Dominula à l'encontre de l'ordonnance du juge-commissaire du 15 janvier 2021,

- l'a rejeté comme infondé,

- confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance susvisée qui a prononcé la résiliation du contrat de location en date du 1er juin 2012 (...) et ordonné l'expulsion de la SASU Dominula ou de tous occupants de son chef (...),

- dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.'

Par déclaration reçue le 7 avril 2021, la société Dominula a régulièrement relevé appel de ce jugement.

Elle demande à la cour, en l'état de ses conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 4 juin 2021, de :

«- (...) en la forme recevoir son appel et au fond réformer le jugement querellé,

- et statuant à nouveau, débouter la SCI Capoulie 34 prise en la personne de son mandataire judiciaire liquidateur la SELAS OCMJ, représentée par Maître Olivier C., des demandes de résiliation du bail d'habitation conclu entre la société Dominula et la SCI Capoulie,

- la condamner ès qualités au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile avec application de l'article 699 de ce code ».

Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :

- elle était propriétaire des parts sociales d'une SCI Montmorency et environs (elle-même propriétaire de sept immeubles), qu'elle a cédées à la SAS Prainvest pour un prix de 942 000 euros, plus un complément de prix (lié à la valeur des immeubles), la somme de 470 000 euros (500 parts sociales) devant lui revenir, mais elle ne l'a jamais perçue,

- la société Capoulie 34 (ayant deux associés : la société Praxis et la société Berinvest) a été créée pour payer ce prix, elle a acquis un immeuble situé à Léoville au moyen d'un prêt et l'a donné en location à la société Dominula pour que la dette de la société Prainvest soit payée dans le cadre d'une délégation de paiement imparfaite, le montant du loyer étant fixé à 850 euros par mois payable uniquement les premiers mois et le locataire bénéficiant de l'habitation pendant presque 44 ans pour absorber la dette de 470 000 euros,

- les montages existants sont constitutifs d'infractions pénales et le liquidateur, qui a été averti, ne souhaite pas agir (extension de la procédure collective à la société Prainvest du fait de la fictivité de la SCI Capoulie, responsabilité personnelle des associés de la SCI Capoulie),

- la radiation d'office inscrite par le greffe sur l'extrait Kbis ne lui a pas fait perdre la personnalité juridique, ayant d'ailleurs été réinscrite en février 2021,

- le liquidateur doit respecter les dispositions de la loi du 6 juillet 1989 sur les baux d'habitation,

- si une société ne peut bénéficier du statut des baux d'habitation, celle-ci peut volontairement soumettre le bail conclu à ce statut ; il s'agit d'un bail mixte soumis à la loi du 6 juillet 1989, ce bail n'est pas gratuit eu égard à la délégation de paiement,

- le bail n'affecte pas la vente du bien, le seul passif correspondant au crédit auprès de la banque HSBC sera réglé par la mise en jeu des cautions personnelles (qui sont les dirigeants de la société Prainvest, de la société Praxis et de la société Berinvest) et l'engagement de la responsabilité personnelle des associés de la SCI et la résiliation porte une atteinte excessive aux intérêts de la société Dominula, dont l'associée unique et gérante est Madame M., âgée de 65 ans, qui occupe le bien avec son compagnon, Monsieur B., âgé de 78 ans et ont toujours réglé les taxes et assurances afférentes,

- la SCI Capoulie a réglé le prêt sans jamais intenter de procédure d'expulsion, elle avait même confié un mandat à ce dernier pour vendre le bien.

La Selas OCMJ en qualité de liquidateur judiciaire de la SCI Capoulie 34 sollicite de voir, aux termes de ses conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 9 juin 2021 :

«- dire irrecevable, en tous cas, mal fondée la SASU Dominula en son appel,

- (...) confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu à la date du 1er avril 2021 par le tribunal judiciaire de Montpellier,

- débouter la SASU Dominula de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la SASU Dominula au paiement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens.»

Elle expose en substance que :

- la société Dominula n'a aucune activité (aucun document comptable n'est produit) et n'en a eu aucune pendant la période de radiation et ne peut de ce fait être titulaire d'un bail,

- une location ne peut être gratuite, le loyer étant un élément essentiel du bail; il s'agit donc d'un prêt à usage et l'article L. 641-11-1 est applicable,

- le bail ne prévoit pas sa soumission à la loi du 6 juillet 1989, qui ne peut s'appliquer en l'absence de loyer et à défaut pour la société Dominula, personne morale, de pouvoir y fixer sa résidence principale, un bail mixte imposant que le preneur soit une personne physique,

- le passif comprend le prêt de la banque HSBC, mais également les apports en compte courant à hauteur de 450 000 euros, il a été admis pour un montant de 579 961,84 euros, et la vente de la maison est nécessaire pour régler le passif,

- la société Dominula vient de déposer une requête en relevé de forclusion pour déclarer une créance de 471 000 euros,

- la responsabilité des associés dans une SCI est subsidiaire,

- la créance de la société Dominula à l'encontre de la société Prainvest et par substitution à l'égard de la SCI Capoulie n'est pas rapportée,

- le montage évoqué constituerait une fraude fiscale au bénéfice de Monsieur B., compagnon de Madame M.,

- la délégation imparfaite évoquée n'est pas rapportée, la seule pièce produite évoquant une telle délégation concerne la SCI Capoulie et non la SCI Montmorency.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Le procureur général près la cour d'appel de Montpellier, auquel le dossier de l'affaire a été communiqué, a indiqué s'en rapporter à justice le 16 avril 2021.

C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 24 juin 2021.

MOTIFS de la DECISION :

Selon les dispositions de l'article L. 641-11-1 IV du code de commerce, à la demande du liquidateur, lorsque la prestation du débiteur ne porte pas sur le paiement d'une somme d'argent, la résiliation est prononcée par le juge-commissaire si elle est nécessaire aux opérations de liquidation et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant. Ces dispositions ne concernent pas les contrats de travail et sont également inapplicables au contrat de fiducie (...).

Les exceptions prévues par cet article sont limitatives de sorte que la survenance de la liquidation judiciaire du bailleur donne un droit de résiliation du contrat en cours, sans exception même pour les baux d'habitation, à charge pour le liquidateur de respecter les dispositions de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989.

Au préalable, il convient de relever que la radiation (passée) de la société Dominula en application de l'article R. 123-125 du code de commerce, compte tenu de son caractère purement administratif, ne lui a pas jamais fait perdre la personnalité morale.

Il appartient au juge de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

Les locaux loués, tels que désignés, ne pouvaient faire l'objet d'un bail mixte à usage d'habitation et professionnel soumis aux dispositions de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989, en ce que le preneur n'est pas une personne physique et n'y exerce aucune profession ou fonction dans le cadre d'une activité économique lucrative.

Les parties n'ont, par ailleurs, pas expressément soumis le contrat à la loi n°89-462 du 6 juillet 1989, les mentions relatives à celle-ci dans le contrat ne résultant que de son caractère de document pré-imprimé.

Un bail est un contrat à titre onéreux et l'existence d'une contrepartie s'apprécie au jour de la conclusion du contrat ; aucune convention n'a été annexée par les parties au bail malgré les termes mêmes de celui-ci. L'existence d'une délégation de paiement dans le cadre d'une dette à hauteur de 471 000 euros de la société Prainvest à l'égard de la société Dominula (résultant d'une cession de parts conclue le 19 juin 2012) devant être réglée par l'entremise de la SCI Capoulie 34, créée à cet effet, son gérant (et associé) étant une SAS Praxis (présidée par la même personne physique que la SAS Prainvest) n'est pas rapportée de sorte que le bail conclu s'est exécuté à titre gracieux à compter du 1er janvier 2013 et doit, ainsi, être qualifié de prêt à usage depuis cette date.

Le paiement par la présidente de la société Dominula, et son compagnon, des charges relatives à l'occupation de l'immeuble (assurance habitation, EDF, eau...) ne remet pas en cause le principe de la gratuité de celle-ci tandis que la SCI Capoulie 34 et la société Dominula ont envisagé une cession des parts sociales de la SCI (courrier du 10 juillet 2013 d'un avocat consulté sur ce point), puis celle de l'immeuble (mandat en ce sens en date du 18 août 2014).

Eu égard à la nature du contrat en cours, le liquidateur n'était donc pas tenu de respecter les dispositions d'ordre public de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 dans le cadre de sa demande de résiliation. Il justifie, au vu du montant déclaré du passif (579 361,84 euros), de la nécessité de la vente de l'immeuble, dont la valeur (387 669 euros en mai 2012 lors de son acquisition) est, par essence, minorée par la présence d'occupants, qui, compte tenu, au surplus, de l'absence de loyer, ne peuvent qu'être hostiles à quitter les lieux, tandis que seule la société Dominula, et non sa présidente et sa famille, est bénéficiaire de la convention litigieuse sans que sa résiliation ne compromette de manière démesurée ses intérêts, s'agissant, en définitive, d'une simple domiciliation.

En conséquence, la résiliation du prêt à usage avec expulsion de la société Dominula et de tous occupants de son chef, est parfaitement justifiée et le jugement ne pourra qu'être confirmé dans ses motifs non contraires à ceux exposés ci-dessus.

La société Dominula, qui succombe dans sa contestation, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et au vu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, à payer la somme de 1 500 euros.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Montpellier en date du 1er avril 2021, sauf en ce qu'il a ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.