CA Rennes, 3e ch. com., 21 septembre 2021, n° 18/05925
RENNES
Infirmation
FAITS ET PROCEDURE :
M. G. avait donné à bail commercial à la société Farah dans locaux dans lesquels cette dernière exploitait un fonds de commerce.
La société Farah a été placée en liquidation judiciaire le 14 mars 2012, M. H. étant désigné liquidateur.
Le 16 mai 2012, M. G. a déclaré sa créance antérieure pour la somme de 8.572,68 euros, demandant l'imputation du dépôt de garantie de 1.830 euros dessus.
Le 12 juin 2012, M. G. a autorisé la société Bonheur du pain à fixer son siège social et son fonds principal dans l'immeuble lui appartenant.
Le 19 juin 2012, il a mis en demeure M. H., ès qualités, de lui indiquer dans le délai d'un mois s'il entendait poursuivre l'exécution du bail, lui indiquant qu'à défaut de réponse dans ce délai, la résiliation serait acquise de plein droit, et lui rappelant que les loyers postérieurs au jugement de liquidation n'étaient pas payés.
Le 19 juillet 2012, M. G. a déclaré sa créance postérieure au jugement de liquidation pour la somme de 3.992,54 euros.
Par ordonnance du 19 décembre 2012, le juge-commissaire a autorisé M. H., ès qualités, à céder les éléments incorporels du fonds de commerce de la société Farah à la société Bonheur du Pain au prix de 22.000 euros net vendeur devant être payé au plus tard au jour de la régularisation de la cession, et dit qu'en cas de prise de possession anticipée, le prix de vente devrait être versé entre les mains de M. H. préalablement à l'entrée dans les lieux, et après avoir justifié de l'accord du bailleur et de la souscription d'une assurance pour les locaux, la régularisation devant intervenir avant le 28 février 2013.
Le même jour, la société Bonheur du Pain est entrée dans les lieux.
Le 14 novembre 2013, l'acte de cession de fonds de commerce a été régularisé et M. H., ès qualités, a adressé à M. G. un chèque de 6.087,11euros en règlement des loyers postérieurs à la liquidation de la société Farah, expliquant que cette somme correspondait au montant déclaré de 8.120,11euros, déduction faite du dépôt de garantie de 1.830 euros.
Par ordonnance de référé du 3 juillet 2014, le tribunal de grande instance de Nantes a condamné la société Bonheur du Pain notamment à payer à M. G. la somme de 13.650,78 euros à titre de provision sur loyers et charges dus au 11 mars 2014, outre règlement, à titre d'indemnité d'occupation précaire jusqu'à libération effective des lieux, d'une somme égale au montant du loyer mensuel actuel de 877,88 euros.
La société Bonheur du pain a été placée en redressement judiciaire le 20 mai 2015, puis en liquidation judiciaire le 29 juillet 2015, la date de cessation des paiements étant fixée au 20 novembre 2013.
Estimant que M. H. avait engagé sa responsabilité en ne respectant pas les dispositions de l'ordonnance du 19 décembre 2012 du juge-commissaire, en ne résiliant pas le bail de la société Farah, en présentant une offre de reprise interdite au tribunal, en considérant à tort que l'offre de reprise de la société Bonheur du pain était sérieuse et en ne vérifiant pas la solvabilité de cette société, M. G. l'a assigné en paiement de dommages-intérêts.
Par jugement du 26 juillet 2018, le tribunal de grande instance de Nantes a :
- Dit que la responsabilité civile délictuelle de M. H. est engagée à l'égard de M. G.,
- Condamné M. H. à payer à M. G. la somme de :
27.020 euros à titre de dommages-intérêts,
avec intérêts à taux légal,
- Condamné M. H. à payer à M. G. la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- Condamné M. H. aux entiers dépens.
M. H. a interjeté appel le 6 septembre 2018.
Les dernières conclusions de M. H. sont en date du 6 février 2020. Les dernières conclusions de M. G. sont en date du 3 mars 2020.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 mai 2021.
PRETENTIONS ET MOYENS :
M. H. demande à la cour de :
- Dire et juger M. H. recevable et bien fondé en son appel à l'encontre du jugement,
Y faisant droit :
- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement,
Et statuant à nouveau :
- Dire et juger M. G. mal fondé en ses demandes, fins et prétentions et l'en débouter,
- Condamner M. G. à verser à M. H. la somme de 8.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner M. G. aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
M. G. demande à la cour de :
- Confirmer le jugement en ce qu'il a retenu les trois fautes commises par le liquidateur,
- Infirmer le jugement en ce qu'il n'a pas retenu le lien de parenté entre les gérant de la société Farah et les associés de la société Bonheur du pain et la faute alléguée,
Statuer à nouveau et :
- Dire et juger que M. H. a commis une faute en présentant une offre de reprise interdite au tribunal,
- Infirmer le jugement en ce qu'il a estimé que le préjudice de M. G. était caractérisé par une perte de chance de percevoir les loyers commerciaux et d'éviter d'avoir à intenter des procédures judiciaires pour être payé des loyers lui revenant comme pour voir expulser son locataire impécunieux,
Statuer à nouveau et :
- Condamner M. H. à payer la somme de 38.594,15 euros en ce compris les frais de procédure d'expulsion de la société Bonheur du pain, les condamnations prononcées par le tribunal, des frais de remise en état du local ainsi que les loyers impayés de la société Farah à titre de dommages et intérêts, sur le fondement de l'article 1382 du code civil,
Et Débouter M. H. de l'intégralité de ses demandes,
En toutes hypothèses :
- Condamner M. H. à payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, le condamner également aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
DISCUSSION :
Sur l'absence de résiliation du bail commercial dès l'ouverture de la procédure collective :
Le seul fait de l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire n'entraîne pas la résiliation des contrats en cours. Le liquidateur doit cependant mettre fin aux contrats à exécution échelonnés s'il lui apparaît qu'il ne disposera pas des fonds nécessaires pour remplir les obligations du terme suivant :
Article L. 641-11-1 du code de commerce :
I. - Nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d'un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l'ouverture ou du prononcé d'une liquidation judiciaire.
Le cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d'exécution par le débiteur d'engagements antérieurs au jugement d'ouverture. Le défaut d'exécution de ces engagements n'ouvre droit au profit des créanciers qu'à déclaration au passif.
II. - Le liquidateur a seul la faculté d'exiger l'exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur.
Lorsque la prestation porte sur le paiement d'une somme d'argent, celui-ci doit se faire au comptant, sauf pour le liquidateur à obtenir l'acceptation, par le cocontractant du débiteur, de délais de paiement. Au vu des documents prévisionnels dont il dispose, le liquidateur s'assure, au moment où il demande l'exécution, qu'il disposera des fonds nécessaires à cet effet. S'il s'agit d'un contrat à exécution ou paiement échelonnés dans le temps, le liquidateur y met fin s'il lui apparaît qu'il ne disposera pas des fonds nécessaires pour remplir les obligations du terme suivant.
III. - Le contrat en cours est résilié de plein droit :
1°) Après une mise en demeure de prendre parti sur la poursuite du contrat adressée par le cocontractant au liquidateur et restée plus d'un mois sans réponse. Avant l'expiration de ce délai, le juge-commissaire peut impartir au liquidateur un délai plus court ou lui accorder une prolongation, qui ne peut excéder deux mois, pour se prononcer ;
2°) A défaut de paiement dans les conditions définies au II et d'accord du cocontractant pour poursuivre les relations contractuelles ;
3°) Lorsque la prestation du débiteur porte sur le paiement d'une somme d'argent, au jour où le cocontractant est informé de la décision du liquidateur de ne pas poursuivre le contrat.
IV. - A la demande du liquidateur, lorsque la prestation du débiteur ne porte pas sur le paiement d'une somme d'argent, la résiliation est prononcée par le juge-commissaire si elle est nécessaire aux opérations de liquidation et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant.
V. - Si le liquidateur n'use pas de la faculté de poursuivre le contrat ou y met fin dans les conditions du II ou encore si la résiliation du contrat est prononcée en application du IV, l'inexécution peut donner lieu à des dommages et intérêts au profit du cocontractant, dont le montant doit être déclaré au passif. Le cocontractant peut néanmoins différer la restitution des sommes versées en excédent par le débiteur en exécution du contrat jusqu'à ce qu'il ait été statué sur les dommages et intérêts.
VI. - Les dispositions du présent article ne concernent pas les contrats de travail. Elles sont également inapplicables au contrat de fiducie et à la convention en exécution de laquelle le débiteur constituant conserve l'usage ou la jouissance de biens ou droits transférés dans un patrimoine fiduciaire.
En cas de liquidation judiciaire, la résiliation du bail des immeubles utilisés pour l'activité de la société suit un régime particulier. Dans un tel cas, le bailleur peut notamment demander la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire :
Article L. 641-12
Sans préjudice de l'application du I et du II de l'article L. 641-11-1, la résiliation du bail des immeubles utilisés pour l'activité de l'entreprise intervient dans les conditions suivantes :
1° Au jour où le bailleur est informé de la décision du liquidateur de ne pas continuer le bail ;
2° Lorsque le bailleur demande la résiliation judiciaire ou fait constater la résiliation de plein droit du bail pour des causes antérieures au jugement de liquidation judiciaire ou, lorsque ce dernier a été prononcé après une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, au jugement d'ouverture de la procédure qui l'a précédée. Il doit, s'il ne l'a déjà fait, introduire sa demande dans les trois mois de la publication du jugement de liquidation judiciaire ;
3° Le bailleur peut également demander la résiliation judiciaire ou faire constater la résiliation de plein droit du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire, dans les conditions prévues aux troisième à cinquième alinéas de l'article L. 622-14.
Le liquidateur peut céder le bail dans les conditions prévues au contrat conclu avec le bailleur avec tous les droits et obligations qui s'y rattachent. En ce cas, toute clause imposant au cédant des dispositions solidaires avec le cessionnaire est réputée non écrite.
Le privilège du bailleur est déterminé conformément aux trois premiers alinéas de l'article L. 622-16.
Il résulte des dispositions du dernier de ces textes que les III et IV du premier ne sont pas applicables dans le cas d'un contrat de bail portant sur les locaux dans lesquels le débiteur exerce son activité. La mise en demeure du 19 juin 2012 portant sur la position du liquidateur sur la poursuite du contrat n'a donc pas pu entraîner la résiliation de plein droit du contrat de bail.
M. G. n'a mis en demeure le liquidateur de payer les loyers que les 5 mars et 24 juillet 2013, soit après que le fonds de commerce ait été cédé à la société Bonheur du Pain qui était devenue bailleresse des locaux. De même, M. G. n'a engagé une procédure de résiliation que par commandement de payer du 10 juillet 2013 et assignation du 3 avril 2014, là aussi alors que le fonds de commerce avait été cédé, ces actes étant d'ailleurs dirigés contre la société Bonheur du Pain. Le liquidateur n'avait pas l'obligation de prendre lui-même l'initiative de provoquer la résiliation du bail dès lors qu'il cherchait à réaliser les actifs de la société dont le droit au bail, élément de valorisation du fonds de commerce qu'il cherchait à céder, constituait une partie importante. En outre, dès le 12 juin 2012 M. G. a donné son autorisation pour que la société Bonheur du Pain fixe son siège social et son fonds principal dans les locaux ce dont il se déduit qu'il avait connaissance des objectifs de réalisation du liquidateur.
Il apparaît ainsi que M. H. n'a pas commis de faute en ne résiliant pas le contrat de bail.
Sur le respect des termes de l'ordonnance du juge commissaire du 19 décembre 2012 :
Par ordonnance du 19 décembre 2012, le juge commissaire a autorisé la cession du fonds de commerce dont le bail commercial était un élément. La vente a donc été parfaite dès cette ordonnance, sous la condition qu'elle acquière force de chose jugée.
Il y était prévu que le prix de cession de 22.000 euros devrait être payé entre les mains du liquidateur au plus tard au jour de la régularisation de la cession, qu'en cas de prise de possession anticipée, le prix de vente devrait être payé préalablement à l'entrée dans les lieux et après avoir justifié de l'accord du bailleur et de la souscription d'une assurance pour les locaux. L'ordonnance prévoyant également que la régularisation de l'acte devrait intervenir avant le 28 février 2013.
M.H. justifie que le prix de cession lui a été réglé le 19 décembre 2012 et produit une attestation d'assurance de la société Bonheur du Pain en date du 18 décembre 2012.
Il justifie de l'accord de M. G. en date du 12 juin 2012 pour que la société Bonheur du Pain fixe son siège social et son fonds principal dans les locaux.
Si l'ordonnance prévoyait une justification de l'accord du bailleur avant l'entré dans les lieux, cet accord du bailleur ainsi mentionné ne visait pas un accord sur l'entrée anticipée mais sur le principe du transfert de bail. En effet, l'accord du bailleur est normalement formalisé dans l'acte de régularisation. Mais pour une entrée anticipée dans les locaux, il est nécessaire de recueillir l'accord du bailleur sur le principe du transfert de bail pour garantir que le bailleur ne s'opposera pas à ce transfert. Retenir une lecture différente des termes de l'ordonnance aurait pour effet de priver de porté l'autorisation que le liquidateur a demandé et obtenu de M. G. le 12 juin 2012.
M. H. justifie par ailleurs avoir, dès le 8 janvier 2013, engagé des démarches pour faire rédiger l'acte de régularisation. Il a ainsi relancé à plusieurs reprises courant février puis mars, mai et juillet 2013le conseil de la société Bonheur du Pain pour que l'acte de régularisation soit formalisé. Si ce n'est que le 14 novembre 2013 que cet acte a pu être régularisé, ce retard ne peut pas être imputé à M. H..
Il n'est ainsi par justifié que M. H. ait méconnu les termes de l'ordonnance du 19 décembre 2012.
Sur la vérification du sérieux et de la régularité de l'offre de reprise :
L'offre de reprise a été autorisée par le juge commissaire par ordonnance du 19 décembre 2012. C'est à cette juridiction qu'il revenait d'apprécier la validité, la régularité et la pertinence de l'offre. Les éventuels irrégularités ou manque de sérieux de l'offre retenue par le juge commissaire ne peut pas, en soi, être imputée à faute à M. H..
Il n'est par ailleurs pas établi que M. H. ait dissimulé la situation au juge commissaire de telle façon qu'il ait été induit en erreur. Il apparaît en fait que M. H. a communiqué au juge commissaire l'ensemble des éléments d'information sur le repreneur qu'il avait à sa disposition. M. G. ne justifie pas avoir formé un recours contre l'ordonnance du juge commissaire.
M. H. n'a pas méconnu les termes de l'ordonnance et il en assuré la mise à exécution.
La validité elle-même du contrat de cession n'est pas contestée par M. G. et il ne se prévaut d'aucune conséquence qu'aurait pu avoir pour lui le fait que la société Bonheur du Pain ait pu ne pas être valablement représentée dans certains actes.
Aucune faute n'est ainsi utilement imputée au liquidateur concernant le choix du candidat repreneur soumis à l'autorisation du juge commissaire n'est établie.
Il y a lieu d'infirmer le jugement et de rejeter les demandes de M. G..
Sur les frais et dépens :
M. G. sera condamné aux dépens de première instance et d'appel et les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
PAR CES MOTIFS :
La cour :
- Infirme le jugement
Statuant de nouveau et y ajoutant :
- Rejette les demandes des parties.