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Décisions

CA Nîmes, 4e ch. com., 9 mars 2022, n° 20/00960

NÎMES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Answer Securite (SAS)

Défendeur :

Answering Solutions of Security (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Codol

Conseillers :

Mme Ougier, Mme Strunk

T. com. mixte Avignon, du 7 févr. 2020, …

7 février 2020

EXPOSÉ

Vu l'appel interjeté le 13 mars 2020 par la SAS Answer sécurité à l'encontre du jugement prononcé le 7 février 2020 par le tribunal de commerce d'Avignon dans l'instance n° 2019/000180 ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 7 septembre 2020 par l'appelante et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 3 juillet 2020 par la SARL Answering solutions of security, intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu l'ordonnance de clôture de la procédure à effet différé au 27 janvier 2022 en date du 18 octobre 2021 ;

L'appelante exerce une activité dans le domaine de la sécurité privée depuis 2004 dans le département du Var, l'intimée également mais depuis 2014 et dans le département du Vaucluse.

Par courrier recommandé daté du 10 septembre 2018, l'appelante se plaignant d'un « grand risque de confusion dans l'esprit du public » a sommé l'intimée de procéder à un changement de dénomination sociale, en vain.

Elle l'a donc fait assigner, par exploit du 28 décembre 2018, devant le tribunal de commerce d'Avignon, aux fins, principalement, de voir constater l'utilisation par l'autre d'une dénomination sociale créant un risque de confusion avec la sienne, de voir dire que cette utilisation constitue une faute délictuelle de concurrence déloyale, et de la voir condamner sous astreinte à modifier cette dénomination.

Par jugement du 7 février 2020 dont appel, le tribunal de commerce d'Avignon a :

Dit qu'il n'est pas compétent pour connaître du litige en matière de propriété intellectuelle.

Dit que le risque de confusion invoqué n'est pas établi.

Déclaré la requérante mal fondée en ses demandes et l'en a déboutée.

Condamné cette requérante à payer à la défenderesse la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive à son encontre.

L'a encore condamnée à lui payer la somme de 1.500 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et laissé à sa charge les dépens.

La requérante ainsi déboutée a relevé appel de ce jugement pour le voir infirmer en toutes ses dispositions.

Elle explique que certains de ses clients ont fait appel par erreur à l'intimée en pensant avoir affaire à elle et l'en ont ensuite informée. L'examen de leurs sites internet respectifs a confirmé ce risque de confusion puisque le secteur d'activité est le même, les dénominations proches et la page d'accueil établie selon la même trame.

Elle ajoute qu'elle a un « concurrent légitime et loyal » à Avignon, immatriculé en 2006, et que le nom de l'intimée serait en réalité une contraction de leurs deux dénominations sociales.

L'appelante fait valoir que la reproduction ou l'imitation de la dénomination sociale est une usurpation fautive, qu'elle a, pour la première, fait usage de sa dénomination lors de sa constitution en mars 2004 tandis que l'intimée n'a été créée que dix ans plus tard. Les deux dénominations étant très proches, l'imitation phonétique et la reproduction quasi-servile, et l'activité exercée étant identique, la clientèle est la même et il existe dès lors un risque de confusion quand bien même elles ne seraient pas implantées sur le même secteur.

Or l'atteinte illicite à une dénomination sociale susceptible de détourner la clientèle d'une société constitue un acte de concurrence déloyale. Ce risque s'apprécie du point de vue d'un consommateur d'attention moyenne et résulte de l'assimilation qui naît dans l'esprit du public. C'est ainsi que les termes anglais utilisés dans la dénomination de l'appelante n'ont rien de « génériques » contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges mais correspondent au message original qu'elle a voulu faire passer à sa clientèle.

De même, les adresses des sites internet des deux parties sont très approchants, ce qui accroît le risque de confusion.

Enfin, c'est vainement que l'intimée se prévaut de l'usage d'un logotype et d'un acronyme distinct alors qu'il n'est pas démontré que la communication de la société se limite à cet usage, et qu'il pourrait en revanche utilement remplacer la dénomination contestée.

Le préjudice s'évince du risque de confusion, quand bien même le travail fourni par l'appelante aurait permis une évolution favorable de son chiffre d'affaires, et quand bien même l'intimée ne serait « qu'un faible acteur local en ce domaine ».

L'appelante entend donc solliciter en instance d'appel une somme forfaitaire de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de ce risque de confusion et de la résistance abusive de l'intimée à changer sa dénomination sociale nouvelle demande recevable puisque rattachée aux premières, outre la condamnation de celle-ci sous astreinte à y procéder.

Enfin, elle conteste avoir commis quelque abus de droit de nature à fonder l'allocation d'une indemnisation à l'intimée de ce chef comme décidé par les premiers juges.

Elle demande donc à la Cour, aux termes de ses dernières écritures et au visa des articles 1240 et suivants du code civil, L. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution et des articles 564 et 565 du code de procédure civile, de :

Déclarer sa demande recevable et bien fondée, et en conséquence.

Constater l'utilisation par l'intimée d'une dénomination sociale créant un risque de confusion avec la sienne qui lui est antérieure.

Dire et juger qu'un tel comportement constitue une faute délictuelle, lui ayant causé un préjudice.

Dire et juger que cette utilisation constitue un comportement constitutif d'une concurrence déloyale.

Dire et juger qu'elle n'a commis aucun abus du droit d'agir en justice.

En conséquence,

Réformer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de modification de la dénomination sociale sous astreinte au motif erroné de l'absence de risque de confusion.

Statuant de nouveau,

Condamner l'intimée sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir, à modifier sa dénomination sociale afin de faire cesser le risque de confusion.

Condamner l'intimée au paiement de la somme de 10.000 euros en réparation du préjudice subi.

Réformer le jugement en ce qu'il a fait droit à la demande reconventionnelle de l'intimée de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Statuant de nouveau,

Rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions adverses et notamment la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Réformer le jugement en ce qu'il a alloué à l'intimée la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant de nouveau,

Condamner l'intimée au paiement d'une somme de 4.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens distraits.

L'intimée conclut pour sa part, au visa des articles 1240 et suivants du code civil et des articles 32-1 et 700 du code de procédure civile, à la confirmation du jugement entrepris, au débouté adverse, et, formant appel incident concernant les dommages et intérêts pour procédure abusive, demande la condamnation de l'appelante à lui verser à ce titre la somme de 3.000 euros, outre 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient tout d'abord qu'il n'existe pas de similarité ni de proximité suffisante entre les deux dénominations sociales pour qu'il puisse en être déduit une usurpation fautive, l'une étant composée de quatre mots anglais et l'autre de deux mots dont un seul anglais et distinct des autres, et les termes utilisés étant de nature descriptive et se rattachant directement à l'activité concernée.

Elle ajoute que dans le cadre de sa communication avec sa clientèle, elle utilise le plus souvent son acronyme démontrant l'absence de toute intention déloyale de sa part.

S'agissant des noms de domaine et des sites internet, ils consistent en des termes génériques descriptifs de l'activité, ce qui exclut tout appropriation exclusive de leur usage.

C'est encore à tort et de mauvaise foi que l'appelante soutient que les sites internet sont similaires alors que la couleur dominante, la calligraphie, les logos, les intitulés des rubriques, comme la présentation générale sont totalement différents, le seul fait de préciser sa date de création sur la page d'accueil relevant d'une pratique courante destinée à informer la clientèle sur l'ancienneté de l'entreprise.

Enfin, l'intimée observe qu'il n'est justifié d'aucun préjudice au soutien de la demande d'indemnisation, demande présentée pour la première fois en instance d'appel.

Elle indique à cet égard que l'appelante elle-même ne s'était pas inquiétée de la prétendue similitude de leurs dénominations précédemment, puisqu'en 2016 et en 2017, elle lui avait confié des missions de sous-traitance, l'introduisant ainsi elle-même auprès de ses clients alors qu'elle la qualifie de concurrent déloyal.

Elle ajoute encore que le chiffre d'affaires de l'appelante n'a cessé de progresser et qu'elle est « un mastodonte » sur ce secteur d'activité sur le plan national, quand elle-même n'est pour sa part qu'un modeste opérateur local.

L'intimée en conclut que l'action engagée est abusive en ce qu'elle ne repose sur aucune réalité factuelle et n'a pour objet que de l'intimider et de perturber son fonctionnement, sollicitant en conséquence à titre d'appel d'incident et reconventionnellement, l'octroi d'une indemnisation de ce chef à hauteur de 3.000 euros.

Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

DISCUSSION

Sur le fond :

S’agissant de la demande principale :

L'action en concurrence déloyale engagée par l'appelante est fondée sur les articles 1240 et 1241 du code civil, et se trouve donc soumise aux conditions classiques de la responsabilité extra contractuelle tenant à la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre eux.

L'existence d'un rapport de concurrence entre les deux sociétés comme la preuve d'une faute intentionnelle sont indifférents, une simple négligence ou imprudence pouvant suffire.

Le principe étant la libre concurrence, pour être fautif, le comportement incriminé doit rompre indûment l'égalité des chances existant entre les concurrents dans un système d'économie libre, et cette rupture peut notamment procéder d'une confusion ou d'un risque de confusion.

En l'espèce, c'est précisément de ce risque de confusion dont se prévaut l'appelante en soutenant qu'il tient principalement à la dénomination sociale choisie par son concurrent postérieurement à l'utilisation qu'elle a faite de la sienne, mais également au nom du domaine et au site internet exploités.

S'agissant de la dénomination sociale, l'appelante justifie sans que cela soit contesté d'une antériorité d'utilisation tenant à la date de sa création.

L'existence d'un risque de confusion s'apprécie par référence au consommateur moyen des services concernés, consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.

Si le caractère original ou distinctif d'une dénomination n'est pas une condition du succès de l'action en concurrence déloyale, il peut être un critère d'appréciation pertinent de la faute et du risque de confusion. Com 10 mai 2006 n° 05-15.832

En l'espèce, la dénomination de l'appelante est composée de deux mots dont un seul de langue française qui se rattache directement à son activité et est donc purement descriptif.

Le second qui est en anglais, qu'elle veut original et dit correspondre à un message adressé à ses clients, se réfère en réalité simplement au rôle qu'elle revendique et à la prestation qu'elle leur propose : répondre à leurs attentes dans ce domaine.

La dénomination est ainsi courte et composée de deux termes évocateurs, sinon simplement descriptifs, des services concernés.

La dénomination sociale adoptée par l'intimée est quant à elle composée de quatre termes, tous anglais. Le dernier est une référence à l'activité exercée, et le premier est une forme conjuguée du verbe anglais utilisé à l'infinitif dans la dénomination de l'appelante. Deux autres mots les séparent, un nom qui complète le premier qualificatif et une conjonction qui relie le tout.

Ces deux dénominations sont ainsi purement descriptives de leur activité, des services qu'elles proposent, et le nom que l'appelante cite pour désigner un autre concurrent qu'elle estime « loyal », confirme encore que les dénominations adoptées par les sociétés de ce secteur procèdent des mêmes termes ou synonymes très répandus et communément utilisés.

Bien plus, au-delà de la proximité des mots composant la dénomination, qui tient à leur caractère commun, il n'existe aucune similitude visuelle ni auditive des deux dénominations, celle de l'appelante étant bien plus longue et facile à prononcer que ne l'est celle de l'intimée, de telle sorte qu'un consommateur moyen ne peut d'évidence confondre les deux à l'écrit par plus qu'à l'oral.

Enfin, l'appelante ne démontre nullement que son ancienneté lui a permis de conférer à sa dénomination un caractère distinctif qui, s'il n'est pas intrinsèque, tient à l'usage répandu qu'elle en a fait et à sa notoriété.

C'est tout aussi vainement qu'elle se prévaut d'une communication commerciale de nature à provoquer la confusion entre les deux sociétés.

Les deux pages d'accueil de leurs sites internet respectifs qu'elle produit en pièces 5 et 6, loin de démontrer une similitude, révèle que le traitement visuel est différent : celle de l'appelante reprend sur mi-page sa dénomination sociale en logo et y ajoute en dessous une photographie de barres d'immeubles en paysage, tandis que celle de l'intimée cite son nom et son acronyme pour présenter en milieu de page une photographie d'une jeune femme et une image reprenant la météo de la commune où est situé le siège social de l'entreprise.

Les noms de domaines sont tout aussi dissemblables puisque celui de l'appelante reprend l'intégralité de son nom tandis que celui de l'intimée ne porte que sur son acronyme dont l'appelante elle-même indique qu'il pourrait utilement être utilisé comme dénomination en lieu et place de celle contestée (page 9 des conclusions de l'appelante).

C'est dès lors à tort que l'appelante excipe d'une concurrence déloyale alors que la seule ressemblance des deux dénominations sociales tient à la désignation de l'activité qu'elles exercent toutes deux, aux services qu'elles proposent, et que ces deux dénominations sont suffisamment dissemblables par ailleurs au niveau auditif comme visuel pour ne présenter aucun risque de confusion pour le consommateur moyen.

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé de ce chef.

Sur la demande reconventionnelle :

C'est en revanche à tort que les premiers juges ont qualifié d'abusive la procédure engagée par l'appelante alors qu'il n'est démontré de sa part aucune faute qui aurait pu faire dégénérer son droit d'agir en justice -quand bien même elle serait mal fondée.

La demande de dommages et intérêts formulée à ce titre par les intimées ne peut qu'être rejetée et le jugement infirmé de ce seul chef.

Sur les frais de l'instance :

L'appelante, qui succombe, devra supporter les dépens de l'instance et payer à l'intimée une somme équitablement arbitrée à 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Answer sécurité à payer à la société Answering solutions of security la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive à son encontre ;

Et, statuant de nouveau de ce chef,

Déboute la SARL Answering solutions of security de sa demande d'indemnisation pour procédure abusive ;

Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions ;

Et, y ajoutant,

Dit que la SAS Answer sécurité supportera les dépens d'appel et payera à la SARL Answering solutions of security une somme de 2.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Madame Christine CODOL, Présidente, et par Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 4ème chambre commerciale.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

Décision(s) antérieure(s)

• TRIBUNAL MIXTE DE COMMERCE AVIGNON 07 février 2020 2019000180