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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 10 mars 2022, n° 19/04697

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Madeval (SARL)

Défendeur :

HDMC (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Calloch

Conseillers :

Mme Berquet, Mme Combrie

T. com. Manosque, du 19 févr. 2019, n° 2…

19 février 2019

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat en date du 12 septembre 2011, la société Madeval, franchiseur, a signé avec la société Patasell, franchisé, un contrat portant sur l'exploitation d'un restaurant à l'enseigne Patacrêpe à Manosque.

Le contrat était conclu pour une durée de 9 ans et expirait donc le 12 septembre 2020.

Suite à un rachat de parts, la société Patasell a changé de dénomination pour devenir la société RDMC.

Par courrier du 18 octobre 2017 la société L'Auberge de Manosque, exploitante de l'hôtel contigu au restaurant, et la société Patasell, devenue RDMC, ont indiqué à la société Madeval qu'un projet de cession de l'ensemble des deux entités était en cours et que le repreneur n'envisageait pas de conserver l'enseigne Patacrêpe. Les deux sociétés ont également sollicité de la société Madeval qu'elle leur précise les modalités de résiliation du contrat de franchise.

La société Madeval n'a pas donné suite à ce courrier et a fait constater le 11 avril 2018, par acte d'huissier de justice, que le restaurant n'était plus exploité sous l'enseigne Patacrêpe mais sous l'enseigne restaurant Senzo.

Après une première mise en demeure, la société Madeval a fait citer la société RDMC devant le tribunal de commerce de Manosque par acte du 26 juin 2018 afin d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 43.490,75 euros en réparation de la résiliation fautive du contrat ainsi qu'au paiement de la somme de 20.000 euros au titre du non-respect du droit de préemption et dénigrement.

Par jugement en date du 19 février 2019 le tribunal de commerce de Manosque a :

- Condamné la société RDMC anciennement dénommée Patasell à payer à la société Madeval la somme de 20.600 euros et celle de 1.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamné la société RDMC aux dépens.

- Débouté les parties de leurs autres demandes.

Par déclaration en date du 21 mars 2019 la société Madeval a interjeté appel du jugement.

Par jugement en date du 23 novembre 2021 le tribunal de commerce de Manosque a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la société RDMC, devenue HDMC, et a désigné la SCP A. A. B. en qualité d'administrateur et la SCP Louis L. en qualité de mandataire judiciaire.

Le 16 décembre 2021 le conseiller de la mise en état a invité la société Madeval à mettre en cause les organes de la procédure collective ou provoquer leur intervention volontaire et à justifier d'une déclaration de créance au passif de cette procédure.

Par conclusions enregistrées le 16 décembre 2021, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Madeval (SARL) fait valoir que :

- Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a retenu la faute de la société RDMC dans la résiliation du contrat ; la société RDMC n'a pas soumis à son agrément la cession du contrat de franchise mais lui a signifié une résiliation et ce, alors que la durée du contrat n'avait pas expiré ; cette résiliation équivaut à une rupture brutale et fautive du contrat ; son silence s'analysait en tout état de cause en un refus d'agrément.

- Le jugement doit être réformé en ce qu'il a minoré le montant de l'indemnité prévue à l'article 16.3 du contrat de franchise ; ce montant est prévu à hauteur d'un montant maximal de deux années de redevance et cette indemnité ne s'analyse pas en une clause pénale ; elle n'était pas tenue de répondre au courrier du 18 octobre 2017 et il ne peut en être déduit aucune mauvaise foi à son égard ; les frais de publicité étaient prévus contractuellement et ne pouvaient être écartés par les premiers juges.

- Le franchisé ne lui a pas notifié son projet de cession mais ne lui a pas ouvert le droit de préemption de sorte qu'elle n'a pas pu exercer son droit tel que prévu à l'article 18.1 du contrat de franchise ; à l'occasion de cette notification, le franchisé a tenu des propos contraires à la loyauté qui doit présider à l'exécution des contrats.

Ainsi, la société Madeval, au visa des articles 1103 et 1104 du code civil, 1231-5 du code civil, demande à la cour de réformer le jugement en ce qu'il n'a retenu une indemnisation pour résiliation fautive par la société RDMC, aux droits de laquelle intervient la société HDMC, qu'à hauteur de 20.600 euros, de le réformer en ce qu'il a rejeté sa demande d'indemnisation pour dénigrement, et de le réformer en ce qu'il a rejeté sa demande relative à la participation financière à sa communication nationale, et statuant à nouveau, de :

- Condamner la société HDMC, anciennement Patasell venant aux droits de la société RDMC, au paiement de la somme de 43.490,75 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 28 mai 2018 en réparation du préjudice subi du fait de la résiliation fautive par RDMC du contrat de franchise.

- Condamner la société HDMC, anciennement Patasell venant aux droits de la société RDMC, au paiement de la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 28 mai 2018 pour non-respect du droit de préemption et dénigrement.

- Condamner la société HDMC, anciennement Patasell venant aux droits de la société RDMC, au paiement de la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction.

Par conclusions enregistrées le 04 janvier 2022, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société HDMC (SARL) venant aux droits de la société RDMC, fait valoir que :

- Elle n'avait pas à solliciter l'agrément de la société Madeval dès lors que suite à la cession des parts de la société Patasell à la société Direct-CHR, seul un changement de dénomination est intervenu.

- Le droit de péremption du franchiseur a été respecté dès lors qu'elle lui a notifié le projet de cession et que la société Madeval n'a pas exercé son droit de préemption dans le mois.

- La société HDMC a valablement interprété le défaut de réponse à son courrier comme une acceptation de la résiliation ; elle pouvait donc légitimement croire que les indemnités n'étaient dues qu'en cas de rupture fautive ; elle dénonce le comportement déloyal de la société Madeval qui a attendu quatre mois après la notification du projet pour donner une réponse.

- Aucun dénigrement n'a été commis, le dénigrement supposant que le discrédit soit porté sur les produits, l'entreprise ou la personnalité d'un concurrent de façon publique, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

La société HDMC demande ainsi à la cour de :

Sur l'absence de résiliation fautive du contrat de franchise,

- Confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de la société Madeval tendant à la condamnation de la société HDMC au paiement de dommages et intérêts pour non-respect du droit de préemption.

Sur l'absence de droit à indemnisation de la société Madeval pour rupture du contrat de franchise,

- Infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société Madeval la somme de 20.600 euros et statuant à nouveau, juger que la société HDMC n'est pas tenue au paiement d'une quelconque indemnité pour rupture du contrat de franchise.

- Confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de la société Madeval relative aux frais de participation à la communication nationale.

- Confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande concernant l'application d'un intérêt légal à compter de la mise en demeure.

Sur l'absence de dénigrement,

- Confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de la société Madeval.

En tout état de cause,

- Condamner la société Madeval à lui payer la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions enregistrées le 3 janvier 2022, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SCP A. A. B., administrateur judiciaire de la SARL HDMC, demande ainsi à la cour de :

- Constater son intervention volontaire.

- Statuer ce que de droit sur les demandes présentées par la société Madeval au soutien de son appel du jugement rendu par le tribunal de commerce de Manosque le 19 février 2019.

- Condamner tout succombant aux entiers dépens,

La société Madeval justifie de sa déclaration de créances le 17 décembre 2021 au passif de la société HDMC dans le cadre de la procédure de sauvegarde ouverte à son égard, et ce, à hauteur de 21.600 euros et 42.890,75 euros.

La SCP Louis L., mandataire judiciaire de la société HDMC, citée à personne morale le 6 janvier 2022, n'a pas constitué avocat.

Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction au 3 janvier 2022 et a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 31 janvier 2022. La clôture a été reportée au 31 janvier 2022.

L'affaire a été retenue le 31 janvier 2022 et mise en délibéré au 10 mars 2022.

MOTIFS

A titre liminaire, il convient de rappeler que les mentions insérées au dispositif des conclusions tendant à voir « constater » « donner acte » ou « dire » ne constituent pas des prétentions mais des moyens et seront dès lors examinées comme tels.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre de la résiliation du contrat de franchise :

Aux termes de l'article 1134 ancien du code civil, applicable aux contrats signés avant le 1er octobre 2016, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

En l'espèce, la société Madeval sollicite, au visa de l'article 16.3 du contrat de franchise, le paiement par la société HDMC de la somme de 41.197,88 euros correspondant à deux ans de redevances sur la moyenne de l'année 2017 outre la somme de 2.292,87 euros au titre de sa participation à la communication nationale (publicité), soit un total de 43.490,75 euros.

L'article 16.3 prévoit qu'en cas de résiliation « le franchisé devra verser l'ensemble des redevances de franchise qu'il aurait normalement versées jusqu'au terme du contrat, ce montant étant toutefois plafonné à une durée maximale de deux ans de redevances, et verser la participation financière à la communication nationale jusqu'au terme de l'année civile en cours, sur la base de la moyenne des deux dernières années civiles complètes d'exploitation. »

Au cas particulier, le contrat de franchise a été résilié par courrier adressé le 18 octobre 2017, soit avant l'échéance prévue au 12 septembre 2020. En application de la clause susvisée le montant de l'indemnité ne peut en tout état de cause excéder deux ans de redevances.

Aux termes de l'article 1226 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, « la clause pénale est celle par laquelle une personne, pour assurer l'exécution d'une convention, s'engage à quelque chose en cas d'inexécution ».

Par ailleurs, conformément aux articles 1151 et 1152 anciens du code civil « lorsque la convention porte que celui qui manquera de l'exécuter payera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte, ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Toute stipulation contraire sera réputée non écrite ».

En l'espèce, nonobstant le plafonnement de l'indemnité, il apparaît que celle-ci a été expressément prévue dans le but de contraindre la société Patasell (devenue HDMC) à exécuter le contrat jusqu'à son terme et non dans le but de conférer au franchisé une faculté unilatérale de se libérer de ses engagements. Elle inclut par ailleurs le paiement des frais de publicité jusqu'au terme de l'année civile. L'indemnité présente dès lors un caractère comminatoire et doit être qualifiée de clause pénale.

En revanche, le libellé de la clause tel qu'il résulte de l'article 16.4 du contrat de franchise ne conditionne pas le versement de cette indemnité à la preuve d'une faute commise par le franchisé dans la mesure où celle-ci est prévue effectivement en cas de manquement du franchisé « ou de résiliation anticipée du contrat par le franchisé ».

En conséquence, le jugement sera confirmé de ce chef.

De même, il y a lieu de le confirmer en ce qu'il a minoré la clause pénale à la somme de 20.600 euros considérant que si la société Madeval n'avait aucune obligation juridique de répondre au courrier de la société Patasell, en revanche, en s'abstenant de toute réponse, elle a entretenu le doute sur la continuation du contrat de franchise et a privé le franchisé de la possibilité de mesurer les conséquences de sa décision, manquant à son obligation de loyauté.

Enfin, l'indemnité de résiliation incluant le paiement des frais de communication (frais de publicité) il n'y a pas lieu de statuer spécifiquement sur ce chef de demande qui fait partie intégrante de la clause pénale.

Sur la demande de dommages et intérêts pour violation du droit de préemption et dénigrement :

Aux termes de l'article 18.1 du contrat de franchise la notification par le franchisé du projet de cession « ouvrira au profit du franchiseur, un délai d'opposition d'un mois au cours duquel il pourra se porter acquéreur aux conditions proposées, soit en son nom, soit au profit d'un tiers ».

En l'espèce, la société Patasell (devenue HDMC) a notifié le 18 octobre 2017 son projet de cession mais n'a pas expressément mentionné le droit de préemption ouvert au franchiseur pour se porter acquéreur.

Pour autant, la société Madeval ne peut reprocher à la société Patasell (devenue HDMC) d'avoir violé son droit de préemption alors même que les termes clairs du courrier valaient notification et faisaient courir le délai d'opposition, délai à l'issue duquel le franchiseur n'a pas exercé ses droits.

Par ailleurs, la société Madeval fait grief à la société HDMC d'évoquer dans ce même courrier avoir subi indirectement « les difficultés rencontrées par l'enseigne (procédure de sauvegarde suivie d'une procédure de règlement judiciaire en cours) » et invoque un dénigrement à son encontre.

Comme l'ont relevé justement les premiers juges, le dénigrement suppose une volonté de porter les informations à la connaissance des tiers dans le but de jeter le discrédit sur la société visée. Tel n'est pas le cas en l'espèce compte-tenu du caractère privé du courrier adressé au franchiseur, de sorte que la décision sera également confirmée de ce chef.

Sur les frais et dépens :

La société Madeval, partie succombante, conservera la charge des entiers dépens de l'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

En outre, la société Madeval sera tenue de payer à la société HDMC, prise en la personne de ses représentants à la procédure collective, la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirmes-en toutes ses dispositions le jugement rendu le 19 février 2019 par le tribunal de commerce de Manosque.

Y ajoutant,

- Condamne la société Madeval aux entiers dépens de la procédure d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

- Condamne la société Madeval à payer à la société HDMC, prise en la personne de ses représentants à la procédure collective, la SCP A. A. B., administrateur judiciaire, et la SCP Louis L., mandataire judiciaire, la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l'appel.