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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 29 janvier 2021, n° 19/04589

PARIS

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

D'EXPLOITATION T. B. (SAS)

Défendeur :

EUROMARKET DESIGNS INC (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chokron

Conseillers :

Mme Lehmann , Mme Marcade

TGI de Paris, 3e ch. sect. 1, du 6 déc.…

6 décembre 2018

Contradictoire

Par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Brigitte CHOKRON, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu le jugement contradictoire rendu le 6 décembre 2018 par le tribunal de grande instance de Paris ;

Vu l'appel interjeté le 26 février 2019 par la société d'Exploitation T. B. (SAS) ;

Vu les dernières conclusions (conclusions n°2) remises au greffe et notifiées par voie électronique le 21 septembre 2020 par la société d'Exploitation T. B. (SAS), appelante à titre principal et intimée à titre incident ;

Vu les dernières conclusions (conclusions n°2) remises au greffe et notifiées par voie électronique le 9 septembre 2020 par la société Euromarket Designs Inc., intimée à titre principal et appelante à titre incident ;

Vu l'ordonnance de clôture du 22 octobre 2020 ;

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties,

La société d'Exploitation T. B. (T.B.) a pour activité la fabrication, l'achat, la vente, la représentation import-export et le travail à façon d'articles de coutellerie.

Elle expose qu'elle a créé, en juin 2008, un modèle de couteau à steak qu'elle commercialise depuis le 24 juin 2009, sous les marques « Laguiole Expression » et « Laguiole Evolution ».

La société de droit américain Euromarket Designs Inc. exploite, principalement aux Etats Unis, des magasins à l'enseigne « C. and B. », spécialisés dans la vente d'articles ménagers, de meubles et d'accessoires pour la maison.

Elle a lancé, en 1999, son site internet www.c.andb.s.com, depuis lequel elle commercialise certains de ses produits.

La société T. B. fait valoir qu'à la fin de l'année 2016, elle a découvert qu'étaient commercialisés sur le site internet www.c.andb.s.com, des couteaux à steak sous les dénominations « F. and W. French Copper Steak Knives » (couteaux à steak avec lame finition plaqué cuivre) et « F. and W. French Titanium Steak Knives » (couteaux à steak avec lame finition plaqué titane), lesquels porteraient atteinte à ses droits d'auteur sur le couteau qu'elle commercialise sous les marques « Laguiole Expression » et « Laguiole Evolution ».

La lettre du 17 janvier 2017 de la société T. B. mettant en demeure la société américaine de cesser toute commercialisation des couteaux à steak litigieux et de procéder à l'indemnisation de son préjudice étant restée vaine, celle-ci a par acte du 26 mai 2017, fait assigner la société Euromarket Designs Inc. exerçant sous le nom commercial C. and B. devant le tribunal de grande instance de Paris, en contrefaçon de droits d'auteur et subsidiairement en concurrence déloyale et parasitaire.

Par jugement contradictoire en date du 6 décembre 2018, le tribunal de grande instance de Paris a débouté la société T. B. de toutes ses demandes, et précisément :

- déclaré nul le procès-verbal de constat dressé le 12 janvier 2017 par Me A., huissier de justice,

- dit le droit français applicable au présent litige,

- débouté la société T. B. de ses demandes formées au titre de la contrefaçon des droits d'auteur,

- débouté la société T. B. de ses demandes formées à titre subsidiaire au titre de la concurrence déloyale et parasitaire,

- condamné la société T. B. à payer à la société Euromarket Designs Inc. 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société T. B. de sa demande formée au titre des frais irrépétibles,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la société T. B. aux dépens.

La société T. B. a interjeté appel de ce jugement et par dernières conclusions, demande à la cour, au fondement des articles L. 111-1, L. 113-1, L. 122-4, L. 331-1-2, L. 331-1-3, et L. 331-1-4 du code de la propriété intellectuelle, des articles 1240 et 2224 du code civil, des articles 10, 11, 46, 144, 696, 699 et 700 du code de procédure civile, des articles L. 131-1, L. 131-2 et L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution, de :

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a écarté la demande de nullité du procès-verbal de constat dressé le 20 décembre 2016, en ce qu'il a dit le droit français applicable au présent litige et en ce qu'il a retenu la présomption de titularité sur les droits d'exploitation à l'égard des tiers sur le modèle de couteau à steak commercialisé sous les marques 'Laguiole Evolution' et 'Laguiole Expression',

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré nul le procès-verbal de constat du 12 janvier 2017, en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes formées au titre de la contrefaçon des droits d'auteur et de la concurrence déloyale et parasitaire, et en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société Euromarket Designs Inc. la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les frais irrépétibles,

Et statuant à nouveau sur ce point, à titre principal :

- dire que le modèle de couteau à steak commercialisé par elle sous les marques 'Laguiole Evolution' et 'Laguiole Expression' est original, et donc constitue une œuvre de l'esprit protégeable sur le fondement du droit d'auteur,

- dire que les couteaux à steak commercialisés en France sous les dénominations 'F. and W. French Copper Steak Knives' et 'F. and W. French Titanium Steak Knives' par la société Euromarket Designs Inc. exerçant sous le nom commercial C. and B., notamment sur son site Internet www.c.andb..com, constituent la contrefaçon du modèle de couteau à steak commercialisé sous les marques 'Laguiole Evolution' et 'Laguiole Expression' sur lequel elle est titulaire de droits d'auteur,

- dire qu'en offrant en vente en France, en commercialisant et en livrant en France les couteaux à steak 'F. and W. French Copper Steak Knives' et 'F. and W. French Titanium Steak Knives', notamment sur son site Internet www.c.andb..com, la société Euromarket Designs Inc. exerçant sous le nom commercial C. and B. a commis des actes de contrefaçon de droits d'auteur à son préjudice,

En conséquence :

- condamner la société Euromarket Designs Inc. exerçant sous le nom commercial C. and B. à lui verser la somme de 100.000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial consistant en son manque à gagner subi du fait des actes de contrefaçon de droits d'auteur, sauf à parfaire au jour de l'arrêt en fonction des chiffres communiqués par la société Euromarket Designs Inc. exerçant sous le nom commercial C. and B.,

- condamner la société Euromarket Designs Inc. exerçant sous le nom commercial C. and B. à lui verser la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait des actes de contrefaçon de droits d'auteur,

- condamner la société Euromarket Designs Inc. exerçant sous le nom commercial C. and B. à lui verser la somme de 60.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels réalisées par la société Euromarket Designs Inc. exerçant sous le nom commercial C. and B.,

À titre subsidiaire :

- dire qu'en offrant en vente en France, en commercialisant et en livrant en France les couteaux à steak 'F. and W. French Copper Steak Knives' et 'F. and W. French Titanium Steak Knives' notamment sur son site Internet www.c.andb..com, la société Euromarket Designs Inc. exerçant sous le nom commercial C. and B. a commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice,

- dire qu'en offrant en vente en France, en commercialisant et en livrant en France les couteaux à steak 'F. and W. French Copper Steak Knives' et 'F. and W. French Titanium Steak Knives', notamment sur son site Internet www.c.andb..com, la société Euromarket Designs Inc. exerçant sous le nom commercial C. and B. a commis des actes de parasitisme à son préjudice,

En conséquence :

- condamner la société Euromarket Designs Inc. exerçant sous le nom commercial C. and B. à lui verser la somme de 100.000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial subi du fait des actes de concurrence déloyale, sauf à parfaire au jour de l'arrêt en fonction des chiffres communiqués par la société Euromarket Designs Inc. exerçant sous le nom commercial C. and B.,

- condamner la société Euromarket Designs Inc. exerçant sous le nom commercial C. and B. à verser à la société d'Exploitation T. B. la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait des actes de concurrence déloyale,

- condamner la société Euromarket Designs Inc. exerçant sous le nom commercial C. and B. à verser à la société d'Exploitation T. B. la somme de 60.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de parasitisme,

En tout état de cause :

- interdire à la société Euromarket Designs Inc. exerçant sous le nom commercial C. and B. d'offrir en vente en France, de commercialiser et de livrer en France, notamment sur son site Internet www.c.andb..com, les couteaux à steak 'F. and W. French Copper Steak Knives' et 'F. and W. French Titanium Steak Knives', ainsi que plus généralement tout modèle de couteau à steak reproduisant les caractéristiques du modèle de couteau à steak commercialisé sous les marques 'Laguiole Evolution' et 'Laguiole Expression' sur lequel elle est titulaire de droits d'auteur, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, et ce sous astreinte provisoire de 500 euros par infraction constatée,

- ordonner à la société Euromarket Designs Inc. exerçant sous le nom commercial C. and B. de produire et lui communiquer un document certifié par son commissaire aux comptes faisant apparaître la totalité des ventes et des livraisons en France des deux modèles de couteau à steak 'F. and W. French Copper Steak Knives' et 'F. and W. French Titanium Steak Knives', en quantité et en chiffre d'affaires, ainsi que les bénéfices retirés de ces ventes, réalisées année par année depuis le 30 mai 2012 jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et ce sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans 5 journaux ou périodiques de son choix et aux frais de la société Euromarket Designs Inc. exerçant sous le nom commercial C. and B., sans que le coût global des insertions ne puisse excéder la somme de 30.000 euros H.T., ainsi que sur la page d'accueil du site Internet www.c.andb..com et de tout autre site Internet exploité par la société Euromarket Designs Inc. exerçant sous le nom commercial C. and B., en version originale française et dans sa traduction anglaise, dans un encart qui ne saurait être inférieur à 20 cm2 et dans une police de taille 12, pendant une durée d'un mois, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, et ce sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard,

- se réserver le pouvoir de liquider les astreintes à titre provisoire,

- condamner la société Euromarket Designs Inc. exerçant sous le nom commercial C. and B. à lui verser la somme de 20.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, sauf à parfaire au jour de l'arrêt en fonction des justificatifs par elle produits, outre les frais de procès-verbal de constat d'achat en date du 20 décembre 2016 et de procès-verbal de constat d'ouverture de colis en date du 12 janvier 2017,

- condamner la société Euromarket Designs Inc. exerçant sous le nom commercial C. and B. aux entiers dépens qui pourront être recouvrés directement selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions, la société Euromarket Designs Inc. demande à la cour, au fondement de l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, de l'article 5§2 de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques du 9 septembre 1886, du Copyright Act du 19 Octobre 1976, Chapitre 1, Section 101, des articles L.122-4, L.331-1-2, L-331-1-2, L.331-1-4 du code de la propriété intellectuelle, de l'article 1240 du Code civil, des articles 9, 10, 74, 117, 144, 649, 699 et 700 du code de procédure civile, de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré nul le procès-verbal de constat du 12 janvier 2017 et en ce qu'il a débouté la société T. B. de ses demandes formées à titre principal au titre de la contrefaçon et des droits d'auteur et, à titre subsidiaire, au titre du parasitisme et de la concurrence déloyale,

Infirmer le jugement pour le surplus,

Et, statuant à nouveau :

A titre principal, prononcer la nullité des procès-verbaux de constat d'huissier datés des 20 décembre 2016 et 12 janvier 2017,

En conséquence,

- dire que la preuve des actes de contrefaçon ou de concurrence déloyale et de parasitisme allégués par la société T. B. n'est pas établie ;

- débouter la société T. B. de l'ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire,

- dire que le droit américain est applicable,

- dire qu'il n'y a pas de contrefaçon de droits d'auteur sous l'empire de ce droit,

A titre encore plus subsidiaire, dire qu'il n'y a pas de contrefaçon ni de concurrence déloyale ou de parasitisme en droit français,

A titre infiniment subsidiaire, dire que la société T. B. n'a subi aucun préjudice,

En tout état de cause :

- débouter la société T. B. de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société T. B. à lui payer la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société T. B. aux entiers dépens dont le recouvrement sera effectué dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile.

Sur la nullité des procès-verbaux de constat

Deux procès-verbaux de constat ont été dressés par huissier de justice à la requête de la société T. B., le premier le 20 décembre 2016 sur le site internet www.c.andb..com sur lequel l'huissier instrumentaire, en présence de M. L. conseil en propriété industrielle au cabinet L., constate l'achat sur ce site de modèles de couteau à steak 'F. and W. French Copper Steak Knives' et 'F. and W. French Titanium Steak Knives', l'autre le 12 janvier 2017 porte sur la constatation par l'huissier de justice de la réception des colis contenant les couteaux commandés sur le site en cause.

La société Euromarket Designs critique la décision entreprise qui a rejeté la demande de nullité du premier procès-verbal de constat du 20 décembre 2016 faisant valoir que ce procès-verbal a été dressé avec la participation d'un conseil en propriété industrielle de la société T. B. qui a effectué la commande du produit litigieux avec sa carte bancaire et l'a faite livrer à son cabinet et que, compte tenu du lien qui unit ce conseil en propriété industrielle à l'appelante dont il défend les intérêts, ce dernier ne présente pas les garanties d'indépendance et d'impartialité exigées par l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et l'article 9 du code de procédure civile.

Aux termes de l'article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, 'toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.(...)'.

La Cour européenne des droits de l'homme, dans le prolongement de l'égalité des armes et au nom du droit au procès équitable, impose que les preuves soient recueillies et exploitées loyalement sans pour autant aller jusqu'à imposer ou refuser certains modes de preuve indépendamment de toute autre considération. Ce qui importe est que le procès ait présenté un caractère équitable dans son ensemble, y compris au regard des modalités d'ordre probatoire. La Convention ne réglemente pas le régime des preuves en tant que tel et il revient aux juridictions internes d'apprécier notamment la pertinence des éléments de preuve dont une partie souhaite la production, et en cela de vérifier si la manière dont la preuve a été administrée, a revêtu le caractère équitable.

Le procès-verbal de constat d'achat en cause est un moyen de preuve d'un fait juridique qui peut être démontré par tous moyens et que le juge apprécie lors de l'examen de la demande en contrefaçon. Néanmoins, il se déduit de l'article 9 du code de procédure civile qui dispose 'qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au soutien de ses prétentions', le principe de loyauté de la preuve qui est un élément du procès équitable ainsi qu'il vient d'être relevé.

Selon le procès-verbal de constat du 20 décembre 2016 dont la validité est remise en cause, l'auxiliaire de justice a certes procédé aux opérations de constat en présence du conseil en propriété industrielle de la société T. B. mais a veillé à procéder lui-même aux opérations de constat relevant la présence des modèles de couteau sur le site internet en cause et à distinguer dans son procès-verbal ses propres actions de celle du conseil en propriété industrielle faites en sa présence, en mentionnant en fin de constat 'Monsieur L. saisit son nom et les coordonnées de son cabinet dans le formulaire précité. Ensuite il saisit les informations de sa carte bancaire dans les zones de texte précitées puis clique sur le bouton 'commander' . Une nouvelle page intitulée 'Commande enregistrée' et portant le même entête précité s'ouvre ....'

Aussi, la présence aux côtés de l'huissier de justice lors des opérations de constat, du conseil en propriété industrielle de la société requérante, étant rappelé que la profession de conseil en propriété industrielle est une profession réglementée soumise à des règles déontologiques et qu'il n'est ni le préposé ni le représentant de la requérante, ce dernier n'étant pas intervenu dans lesdites opérations sauf pour procéder à la saisie des coordonnées de livraison des produits et informations bancaires sous le contrôle de l'huissier de justice, n'est pas de nature à remettre en cause la loyauté de l'élément de preuve que constitue le procès-verbal de constat établi le 20 décembre 2016.

La société T. B. critique pour sa part la décision entreprise en ce qu'elle a annulé le procès-verbal de constat en date du 12 janvier 2017 qui est un constat d'ouverture d'un colis reçu par le conseil en propriété industrielle de la société T. B. suite à la commande effectuée le 20 décembre 2016, considérant qu'il n'y a eu aucune rupture dans la chaîne des constatations (le nom de C. & B. figurant sur la boîte totalement fermée avec une bande adhésive intacte, le numéro du bon de livraison correspondant à celui de la commande sur Internet) puisque la prise de possession effective des biens n'a pas été réalisée hors la surveillance de l'huissier, ce dernier ayant lui-même ouvert le colis.

Selon le procès-verbal en cause, l'huissier de justice requis constate que se présente à son étude M. L., conseil en propriété industrielle au cabinet L. porteur d'un colis qu'il lui remet et poursuit 'ce colis est constitué d'une boîte en carton sur laquelle je peux lire le nom 'C. & B.'. Je constate que ce colis est complètement fermé et que les bandes adhésives fermant ce colis sont intactes', l'huissier instrumentaire constate ensuite, avant ouverture, que le nom et les coordonnées de l'expéditeur 'Cote Azur routage' et du destinataire 'Philippe L.[...]' figurent sur le carton ainsi que la référence client, des clichés à l'appui de ces constatations sont joints au procès-verbal.

Il résulte de ce qui précède qu'est indifférente la livraison du colis à l'adresse du conseil en propriété industrielle qui avait été identifié comme M. Philippe L.Cabinet L. lors de la commande du produit, la profession de conseil en propriété industrielle étant réglementée et soumise à des règles déontologiques, le cabinet L. n'étant ni le préposé ni le représentant de la requérante, et n'est donc pas de nature à remettre en cause la loyauté de l'élément de preuve que constitue le procès-verbal de constat établi le 12 janvier 2017.

La cour relève en outre que, si l'huissier de justice n'a pas assisté à la livraison du colis en cause et en conséquence à sa réception par son destinataire, le colis ouvert par l'auxiliaire de justice apporté le 12 janvier 2017 par M. L. du cabinet L. à l'étude, comporte sur le carton d'emballage le nom de C. & B., les rubans adhésifs apparaissent intacts selon les constatations de l'huissier de justice, le bon de retour trouvé à l'intérieur du carton porte la même référence que celle de la commande à laquelle il a été procédé et objet du procès-verbal de constat du 20 décembre 2016 et le modèle de couteau reçu et photographié apparaît être le même que celui constaté sur le site internet www.c.andb..com et acheté à l'occasion du procès-verbal de constat du 20 décembre 2016. Ces éléments sont suffisants pour considérer que le contenu du colis ouvert par l'huissier de justice est bien celui commandé et objet du procès-verbal de constat du 20 décembre 2016.

Au demeurant la cour constate que la société Euromarket Designs n'allègue pas qu'il y ait eu une substitution de colis, ni qu'elle n'offrait pas à la vente les couteaux contenus dans le colis.

Le jugement déféré est en conséquence infirmé en ce qu'il a annulé le procès-verbal de constat en date du 12 janvier 2017.

Sur la contrefaçon de droit d'auteur

- Sur la loi applicable

L'article 5 2° de la convention de Berne du 9 septembre 1886 pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques dispose que la jouissance et l'exercice des droits d'auteur ne sont subordonnés à aucune formalité et sont indépendants de l'existence de la protection dans le pays d'origine de l'oeuvre. Par suite, en dehors des stipulations de la présente Convention, l'étendue de la protection ainsi que les moyens de recours garantis à l'auteur pour sauvegarder ses droits se règlent exclusivement d'après la législation du pays où la protection est réclamée.

La lex loci protectionis de l'article 5 2° est la lex loci delicti, autrement dit la loi du pays où se produisent les agissements délictueux que l'on cherche à faire cesser en réclamant une protection.

La société Euromarket Designs critique la décision déférée qui a retenu l'application du droit français alors que selon la méthode de focalisation applicable pour déterminer la loi applicable en matière de contrefaçon, le droit américain doit être retenu, le site internet en cause étant principalement destiné à une clientèle américaine, étant édité par une société américaine, hébergé aux Etats-Unis, rédigé en anglais, accessible via une url en .com et aucun magasin C. and B. n'existant en France.

Néanmoins, il convient de constater que selon le procès-verbal de constat du 20 décembre 2016 dont la validité a été retenue par la cour, l'huissier constate que dès qu'il arrive sur le site c.andb..com, certes rédigé en langue anglaise, après avoir saisi l'adresse dans le moteur de recherche, la page d'accueil à l'entête C. & B. s'ouvre et par-dessus cette page s'ouvre une sur-fenêtre à effet de transparence qui comporte un encadré portant le même entête accompagné d'une image du drapeau français suivie de la mention 'livraison vers la France', cette fenêtre (annexe 2 du procès-verbal) rédigée en langue française précise 'nous facilitons vos achats depuis la France avec prix affichés en euros, frais de douane et TVA calculés au moment où vous validez votre commande...'.

Il résulte de ce qui précède que le site c.andb..com est bien accessible depuis le territoire français et que lorsque le système identifie une connexion depuis la France, il est précisé à l'internaute que ses achats depuis ce territoire sont facilités. Ce site est donc bien destiné au public français.

De même, il ressort des éléments versés au débat tels l' 'affidavit regarding product sales' en date du 14 juillet 2017 signé par M. David S. 'controller of Euromarket Design, Inc' qui atteste qu'un seul exemplaire du set de 4 'F. and W. French Copper Steak Knife' a été vendu par l'intermédiaire du site internet à un consommateur sis en France, et du procès-verbal de constat du 12 janvier 2017, que les produits argués de contrefaçon vendus depuis le site en cause sont livrés en France par la société C. & B. Inc, ce quand bien même il n'existe pas de magasins physique dans cet Etat.

En conséquence, l'existence d'un lien substantiel avec la France, pays où les actes incriminés sont réalisés étant caractérisée, ce n'est pas la loi américaine qui présente les liens les plus étroits avec le présent litige contrairement à ce qu'affirme l'intimée.

Au sens de l'article 5.2 de la Convention de Berne, la France est le pays où la protection est demandée et les faits incriminés relèvent de la loi française.

Le jugement entrepris est confirmé de ce chef.

- Sur l'originalité

La société T. B. critique le jugement déféré qui a rejeté ses demandes au titre du droit d'auteur en raison du défaut d'originalité du modèle de couteau à steak qu'elle commercialise sous son nom sous les marques 'Laguiole expression' et 'Laguiole évolution'.

Il résulte des dispositions des articles L. 111-1, L. 112-1 et L. 112-2 10° du code de la propriété intellectuelle que l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, que ce droit est conféré à l'auteur de toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination et que sont considérées comme des oeuvres de l'esprit, les oeuvres d'art appliqués.

La société Euromarket Desings Inc. ne discute pas la titularité des droits de la société T. B. et conteste uniquement l'originalité du modèle de couteau qui lui est opposé.

Il appartient à la société T. B. qui revendique une protection au titre du droit d'auteur sur un modèle de couteau dont l'originalité est contestée de préciser en quoi l'oeuvre revendiquée porte l'empreinte de la personnalité de son auteur.

Le modèle de couteau en cause, certes inspiré des codes traditionnels du couteau Laguiole ainsi que le reconnaît l'appelante, apparaît néanmoins revisité et modernisé. En effet, la lame, la mitre et la platine du couteau est réalisée à partir d'une seule pièce, les plaquettes latérales du manche sont fixées à la platine par deux rivets de chaque côté, l'un proche de la mitre, l'autre proche de l'extrémité du manche, aucune mitre arrière n'est présente à l'extrémité du manche du couteau, le dos de la lame est légèrement courbé vers la partie proche de la mitre, de même que le manche vers son extrémité (courbure convexe sur le dos du manche, et concave sur le ventre du manche), la mitre du couteau, vue du dessus et du dessous, présente la forme géométrique d'un pentagone convexe, dont la base horizontale se situe du côté du manche et dont le sommet se prolonge pour former la lame, cette mitre est gravée et présente un caractère massif.

Ces choix arbitraires et esthétiques font que l'aspect global de l'oeuvre prise dans la combinaison de chacun de ses éléments, fussent-ils connus, en font un modèle de couteau à steak au style contemporain, délicat et épuré qui porte l'empreinte de la personnalité de son auteur.

Contrairement à ce qu'ont retenus les premier juges, l'originalité de l'oeuvre dont la protection est revendiquée est caractérisée par l'appelante et le couteau en cause est bien éligible à la protection par le droit d'auteur.

- Sur les actes de contrefaçon

Selon les dispositions de l'article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle fait sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droits ou ayant cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.

Les couteaux à steak commercialisés sous les dénominations 'F. and W. French Copper Steak Knives' et 'F. and W. French Titanium Steak Knives' au prix de 81,67 euros pour un set de 4 exemplaires par la société Euromarket Designs Inc. sur le site internet c.andb..com, ainsi qu'il ressort des procès-verbaux de constat des 20 décembre 2016 et 12 janvier 2017, reprennent au modèle de couteau sur lequel la société T. B. est titulaire de droits d'auteur la combinaison des caractéristiques siège de l'originalité à savoir la lame, la mitre et la platine réalisées en une seule pièce en acier inoxydable forgé, les deux rivets de chaque côté fixant les plaquettes latérales du manche à la platine sont, l'un proche de la mitre, l'autre proche de l'extrémité du manche, l'extrémité du manche du couteau ne comporte pas de mitre arrière, le dos de la lame est légèrement courbé vers la partie proche de la mitre, de même que le manche vers son extrémité (courbure convexe sur le dos du manche, et concave sur le ventre du manche), la mitre du couteau, vue du dessus et du dessous, présente la forme géométrique d'un pentagone convexe, dont la base horizontale se situe du côté du manche et dont le sommet se prolonge pour former la lame ; cette mitre est gravée et présente un caractère massif, les dimensions et les proportions étant en outre identiques.

Les différences entre les couteaux en cause telles l'absence de reprise de l'abeille gravée sur la mitre du couteau de la société T. B. ou la présence de trois encoches sur la lame des couteaux de la société intimée ne sont pas de nature à écarter les grandes ressemblances existant entre les produits en présence.

En conséquence, en proposant à la vente, en commercialisant et en livrant en France les couteaux 'F. and W. French Copper Steak Knives' et 'F. and W. French Titanium Steak Knives', la société Euromarket Designs Inc. a porté atteinte aux droits d'auteur dont est titulaire la société T. B. pour l'oeuvre constituée par le modèle de couteau à steak commercialisé par la sous les marques 'Laguiole expression' et 'Laguiole évolution'

La contrefaçon de droit d'auteur est ainsi caractérisée.

- Sur l'indemnisation du préjudice

L'article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle prévoit que :

« Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits ».

Il est justifié par l'appelante qu'elle commercialise les couteaux en cause, à ce jour en France, aux prix allant de 17 euros à 22,30 euros l'unité selon la qualité du manche, et le coffret de 6 couteaux à 79,00 euros. Selon une attestation de son expert comptable en date du 19 mai 2017, le chiffre d'affaires généré par la vente de ces couteaux s'élève, pour la période s'étendant de l'année 2013 au 28 février 2017, soit près de 4 ans, à un total de 1.388.648,22 euros, et les bénéfices réalisés s'élèvent à 516.022 euros, avec un taux de marge brute de 37,16 %.

L'appelante ne justifie pas d'autre élément quant au volume de commercialisation en France des couteaux contrefaisants que le coffret de quatre couteaux commandé à l'occasion du procès-verbal de constat d'achat du 20 décembre 2016. La société Euromarket Designs Inc. fournit en réponse à la demande de l'appelante tendant à la communication d'un document certifié par son commissaire aux comptes faisant apparaître la totalité des ventes et des livraisons en France des deux modèles de couteau à steak 'F. and W. French Copper Steak Knives' et 'F. and W. French Titanium Steak Knives', en quantité et en chiffre d'affaires, ainsi que les bénéfices retirés de ces ventes, réalisées année par année depuis le 30 mai 2012 jusqu'à ce jour, un document intitulé 'affidavit regarding product sales' précité, en date du 14 juillet 2017 et signé par M. David S. 'controller of Euromarket Designs, Inc' qui atteste qu'un seul exemplaire du set de 4 'F. and W. French Copper Steak Knife' a été vendu par l'intermédiaire du site internet à un consommateur sis en France.

En conséquence, au vu des éléments ci-avant rapplelés dont dispose la cour, et sans qu'il soit besoin d'ordonner à l'intimée de produire les pièces sollicitées par la société T. B., prenant en considération les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits de l'appelante dont le manque à gagner résiduel en raison de la masse contrefaisante démontrée, le préjudice moral qu'elle a subi du fait de la banalisation et de la dépréciation du modèle de couteau en cause et les bénéfices réalisés par l'intimée qui comprennent les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels rétirés de l'atteinte par la société Euromarket Designs Inc., d'allouer à la société T. B. la somme totale et définitive de 30 000 euros de dommages et intérêts en indemnisation de son entier préjudice.

Le jugement entrepris est en conséquence infirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la société T. B. au titre de la contrefaçon du droit d'auteur.

Les demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire étant formées à titre subsidiaire, il n'y a pas lieu de statuer sur ce point dès lors qu'il a été fait droit au principal.

Sur les demandes complémentaires

La société Euromarket Designs allègue et établit ne plus commercialiser le produit en cause en France depuis plus de deux ans. Faute pour l'appelante de démontrer que les actes de contrefaçon perdurent, ses demandes de mesures d'interdiction sous astreinte ne seront pas accueillies.

La demande de publication judiciaire de la société T. B. n'apparaît pas justifiée au vu des circonstances et de l'ancienneté du litige et sera rejetée.

Sur les autres demandes

Les dispositions du jugement concernant les dépens et les frais irrépétibles sont infirmées.

Partie perdante, la société Euromarket Designs Inc. est condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société T. B., en application de l'article 700 du code de procédure civile, une indemnité qui sera, en équité, fixée à la somme de 10.000 euros en ce compris les frais de procès-verbal de constat d'achat en date du 20 décembre 2016 et de procès-verbal de constat d'ouverture de colis en date du 12 janvier 2017.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit le droit français applicable au présent litige,

Infirmant pour le surplus et statuant à nouveau,

Rejette les demandes de la société Euromarket Designs Inc. en nullité des procès-verbaux de constat en date des 20 décembre 2016 et 12 janvier 2017,

Dit qu'en offrant à la vente, en commercialisant et en livrant, en France, les couteaux à steak 'F. and W. French Copper Steak Knives' et 'F. and W. French Titanium Steak Knives' sur son site internet c.andb..com, la société Euromarket Designs Inc. a commis des actes de contrefaçon des droits d'auteur dont la société d'Exploitation T. B. est titulaire sur le modèle de couteau à steak qu'elle commercialise sous son nom sous les marques 'Laguiole expression' et  Laguiole évolution ,

Condamne la société Euromarket Designs Inc. à payer à la société d'Exploitation T. B. la somme de 30 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son entier préjudice subi par les actes de contrefaçon,

Rejette les autres demandes de la société d'Exploitation T. B.,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Euromarket Designs Inc. à payer à la société d'Exploitation T. B. la somme de 10 000 euros en ce compris les frais de procès-verbal de constat d'achat en date du 20 décembre 2016 et de procès-verbal de constat d'ouverture de colis en date du 12 janvier 2017 au titre des frais irrépétibles,

Condamne la société Euromarket Designs Inc. aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.