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Décisions

CJUE, 10e ch., 10 mars 2022, n° C-183/21

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Maxxus Group GmbH & Co. KG

Défendeur :

Globus Holding GmbH & Co. KG

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

I. Jarukaitis

Juges :

D. Gratsias (rapporteur) , Z. Csehi

Avocat général :

N. Emiliou

Avocat :

E. Stolz

CJUE n° C-183/21

10 mars 2022

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2008, L 299, p. 25), ainsi que des articles 16, 17 et 19 de la directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2015, L 336, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Maxxus Group GmbH & Co. KG (ci-après « Maxxus ») à Globus Holding GmbH & Co. KG (ci-après « Globus ») au sujet de la déchéance des droits de cette dernière relatifs à deux marques enregistrées en Allemagne.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 2008/95

3 L’article 10 de la directive 2008/95, intitulé « Usage de la marque », énonçait :

« 1. Si, dans un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la procédure d’enregistrement est terminée, la marque n’a pas fait l’objet par le titulaire d’un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans, la marque est soumise aux sanctions prévues dans la présente directive, sauf juste motif pour le non-usage.

Sont également considérés comme usage aux fins du premier alinéa :

a) l’usage de la marque sous une forme qui diffère par des éléments n’altérant pas son caractère distinctif dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée ;

b) l’apposition de la marque sur les produits ou sur leur conditionnement dans l’État membre concerné dans le seul but de l’exportation.

2. L’usage de la marque avec le consentement du titulaire ou par toute personne habilitée à utiliser une marque collective ou une marque de garantie ou de certification est considéré comme fait par le titulaire.

[...] »

4 L’article 12 de cette directive, intitulé « Motifs de déchéance », disposait, à son paragraphe 1 :

« Le titulaire d’une marque peut être déchu de ses droits si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage.

Toutefois, nul ne peut faire valoir que le titulaire d’une marque est déchu de ses droits si, entre l’expiration de cette période et la présentation de la demande en déchéance, la marque a fait l’objet d’un commencement ou d’une reprise d’usage sérieux.

Le commencement ou la reprise d’usage qui a lieu dans un délai de trois mois avant la présentation de la demande en déchéance, ce délai commençant à courir au plus tôt à l’expiration de la période ininterrompue de cinq ans de non-usage, n’est pas pris en considération lorsque les préparatifs pour le commencement ou la reprise de l’usage interviennent seulement après que le titulaire a appris que la demande en déchéance pourrait être présentée. »

 La directive 2015/2436

5 Aux termes du considérant 10 de la directive 2015/2436 :

« Il est essentiel de faire en sorte que les marques enregistrées jouissent de la même protection dans les systèmes juridiques de tous les États membres. [...] »

6 L’article 16 de cette directive, intitulé « Usage de la marque », dispose :

« 1. Si, dans une période de cinq ans suivant la date à laquelle la procédure d’enregistrement est terminée, la marque n’a pas fait l’objet par le titulaire d’un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque est soumise aux limites et sanctions prévues à l’article 17, à l’article 19, paragraphe 1, à l’article 44, paragraphes 1 et 2, et à l’article 46, paragraphes 3 et 4, sauf juste motif pour le non-usage.

[...]

5. Sont également considérés comme usage au sens du paragraphe 1 :

a) l’usage de la marque sous une forme qui diffère par des éléments n’altérant pas son caractère distinctif dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée, que la marque soit ou non enregistrée aussi au nom du titulaire sous la forme utilisée ;

b) l’apposition de la marque sur les produits ou sur leur conditionnement dans l’État membre concerné dans le seul but de l’exportation.

6. L’usage de la marque avec le consentement du titulaire est considéré comme fait par le titulaire. »

7 L’article 17 de ladite directive, intitulé « Non-usage comme moyen de défense dans une procédure en contrefaçon », prévoit :

« Le titulaire d’une marque ne peut interdire l’usage d’un signe que dans la mesure où il n’est pas susceptible d’être déchu de ses droits conformément à l’article 19 au moment où l’action en contrefaçon est intentée. À la demande du défendeur, le titulaire de la marque fournit la preuve que, durant la période de cinq ans ayant précédé la date d’introduction de l’action, la marque a fait l’objet d’un usage sérieux, tel que prévu à l’article 16, pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et que le titulaire invoque à l’appui de son action, ou qu’il existe de justes motifs pour son non-usage, sous réserve que la procédure d’enregistrement de la marque ait été, à la date d’introduction de l’action, terminée depuis au moins cinq ans. »

8 L’article 19 de la même directive, intitulé « Absence d’usage sérieux comme motif de déchéance », énonce :

« 1. Le titulaire d’une marque peut être déchu de ses droits si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage.

2. Nul ne peut faire valoir que le titulaire d’une marque est déchu de ses droits si, entre l’expiration de la période de cinq ans et la présentation de la demande en déchéance, la marque a fait l’objet d’un commencement ou d’une reprise d’usage sérieux.

3. Le commencement ou la reprise d’usage qui a lieu dans le délai de trois mois avant la présentation de la demande en déchéance, ce délai commençant à courir au plus tôt à l’expiration de la période ininterrompue de cinq ans de non-usage, n’est pas pris en considération lorsque les préparatifs pour le commencement ou la reprise de l’usage interviennent seulement après que le titulaire a appris que la demande en déchéance pourrait être présentée. »

9 L’article 54 de la directive 2015/2436, intitulé « Transposition », dispose :

« 1. Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer aux articles 3 à 6, 8 à 14, 16, 17, 18, 22 à 39, 41, 43, 44 et 46 à 50 au plus tard le 14 janvier 2019. Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à l’article 45 au plus tard le 14 janvier 2023. Ils communiquent immédiatement à la Commission le texte de ces dispositions.

[...] »

10 L’article 55 de cette directive, intitulé « Abrogation », prévoit :

« La directive [2008/95] est abrogée avec effet au 15 janvier 2019, sans préjudice des obligations des États membres en ce qui concerne le délai de transposition en droit interne de la [première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1),] indiqué à l’annexe I, partie B, de la directive [2008/95].

Les références faites à la directive abrogée s’entendent comme faites à la présente directive et sont à lire selon le tableau de correspondance figurant à l’annexe. »

 Le droit allemand

11 En vertu de l’article 49, paragraphe 1, du Gesetz über den Schutz von Marken und sonstigen Kennzeichen (Markengesetz) (loi sur la protection des marques et autres signes distinctifs), du 25 octobre 1994 (BGBl. 1994 I, p. 3082), sur demande, la marque est radiée du registre pour cause de déchéance si elle n’a pas été utilisée pendant une période ininterrompue de cinq ans.

12 En vertu de l’article 55, paragraphe 2, point 1, de cette loi, toute personne peut former un recours visant à faire prononcer la déchéance d’une marque, au titre de l’article 49 de ladite loi, dans la mesure où elle invoque le non-usage de cette marque.

 Les faits à l’origine du litige au principal et la question préjudicielle

13 Globus est titulaire de la marque verbale MAXUS. Cette marque a été enregistrée au mois de juillet 1996 auprès du Deutsches Patent- und Markenamt (Office allemand des brevets et des marques, Allemagne), pour plusieurs produits des classes 1 à 9 et 11 à 34, au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.

14 En outre, Globus est titulaire de la marque figurative suivante, enregistrée au mois de mai 1996 auprès de l’Office allemand des brevets et des marques, pour des produits des classes 1 à 9 et 11 à 34 :

 

15 Le 28 novembre 2019, Maxxus a saisi le Landgericht Saarbrücken (tribunal régional de Sarrebruck, Allemagne), qui est la juridiction de renvoi, d’un recours tendant, en substance, à ce que Globus soit déclarée déchue, pour cause de non usage, de ses droits relatifs aux marques mentionnées aux points 13 et 14 du présent arrêt.

16 À l’appui de sa demande, Maxxus fait valoir que, au cours des cinq dernières années, Globus n’a pas fait un usage de ces marques propre à assurer le maintien de ses droits sur celles-ci. Maxxus déclare avoir effectué des recherches en ligne, y compris sur le site Internet de Globus, lesquelles n’auraient fourni aucune indication d’un tel usage. En saisissant le terme « MAXUS » dans l’outil de recherche interne du site Internet de Globus, deux résultats s’afficheraient, lesquels feraient référence à un magasin de boissons à Freilassing (Allemagne), exploité par une société liée à Globus. Toutefois, il ressortirait de recherches effectuées sur Internet que les boissons vendues par cette dernière société sont revêtues non pas de la marque MAXUS, mais d’autres marques de fabricants tiers. Cela aurait été confirmé par des recherches effectuées dans le magasin en question par une agence de détectives, mandatée par Maxxus.

17 Globus conteste ces allégations et affirme avoir fait un usage des deux marques en cause propre à assurer le maintien de ses droits sur celles-ci.

18 La juridiction de renvoi relève que, dans le cadre d’une procédure de déchéance d’une marque pour non-usage, en vertu de la jurisprudence du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), il y a lieu de différencier la charge de l’exposé des faits (Darlegungslast) et la charge de la preuve. S’agissant de l’exposé des faits, il incombe à la partie demanderesse d’exposer, de manière étayée, les éléments tendant à démontrer le non-usage de la marque. À ce titre, cette partie devrait effectuer, par ses propres moyens, une enquête permettant de savoir si le titulaire utilisait la marque concernée d’une manière à assurer le maintien de ses droits. La partie demanderesse ne connaissant, en général, pas les processus commerciaux du titulaire de la marque, ce dernier pourrait alors supporter une charge de l’exposé des faits dite « secondaire ». Quant à la charge de la preuve du non-usage, celle ci pèse sur la partie demanderesse.

19 La juridiction de renvoi relève que, à la suite de l’arrêt du 22 octobre 2020, Ferrari (C 720/18 et C 721/18, EU:C:2020:854, point 82), dans lequel la Cour a dit pour droit que la charge de la preuve du fait qu’une marque a fait l’objet d’un « usage sérieux », au sens de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95, pèse sur le titulaire de cette marque, la jurisprudence susmentionnée du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) relative à la charge de la preuve n’est plus défendable. Elle estime, toutefois, que la question de savoir si le droit national peut continuer à faire peser sur la partie demanderesse la charge de l’exposé des faits reste ouverte. Elle est d’avis que cette question doit recevoir une réponse affirmative.

20 À cet égard, la juridiction de renvoi fournit des précisions sur la distinction, en droit allemand, entre la charge de l’exposé des faits et la charge de la preuve. La charge de l’exposé des faits impose à une partie d’être aussi concrète que possible dans ses affirmations, au risque de perdre le procès si elle ne s’acquitte pas de cette obligation. Le droit procédural allemand impose également à la partie défenderesse la charge d’un exposé des faits secondaire. Chacune des parties est tenue de faire des recherches dans son propre champ d’action. Ces diverses charges et obligations sont distinctes de la charge de la preuve. La charge de l’exposé des faits se différencie de la charge de la preuve en ce sens que chaque partie est tenue de présenter des observations sur les faits dont elle a connaissance ou qui peuvent être recherchés en fournissant un effort raisonnable.

21 La juridiction de renvoi estime que le droit de l’Union, et, en particulier, la directive 2015/2436, ne s’oppose pas au fait de faire reposer la charge de l’exposé des faits sur la partie qui demande la déchéance d’une marque pour non usage. Cette charge pourrait se justifier par une mise en balance des intérêts des parties en cause. Dans une procédure de déchéance d’une marque pour non-usage, il incomberait à la partie demanderesse de vérifier, dans la mesure du possible, si la partie défenderesse a fait un usage sérieux de sa marque. Ce ne serait qu’au terme d’une telle recherche et de l’exposé de ses résultats que cette dernière devrait être tenue de révéler l’usage qu’elle a fait de sa marque. Aucun intérêt à agir concret n’étant exigé pour présenter une demande de déchéance d’une marque pour non usage, toute personne pourrait contraindre le titulaire à divulguer l’usage qu’il fait de sa marque, ce qui impliquerait un risque sérieux de procédures abusives. En effet, la partie demanderesse pourrait contraindre le titulaire de la marque visée à renoncer à des secrets commerciaux et à déployer un effort de recherche important, afin de démontrer l’usage sérieux de sa marque.

22 La directive 2015/2436 ne régissant pas la procédure nationale relative à une demande de déchéance d’une marque pour non-usage, la juridiction de renvoi estime que l’arrêt du 22 octobre 2020, Ferrari (C 720/18 et C 721/18, EU:C:2020:854), ne s’oppose pas à ce que la partie demanderesse supporte une charge de l’exposé des faits telle que cette juridiction l’envisage.

23 C’est dans ces conditions que le Landgericht Saarbrücken (tribunal régional de Sarrebruck) a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour de la question préjudicielle suivante :

« Le droit de l’Union, en particulier la directive [2008/95], en particulier l’article 12 de celle ci, ou la directive [2015/2436], en particulier les articles 16, 17 et 19 de celle ci, doit-il être interprété en ce sens que l’effet utile de ces dispositions interdit de faire du droit procédural national une interprétation :

a) qui, dans une procédure civile tendant à l’annulation, pour cause de déchéance en raison d’un non usage, d’une marque nationale enregistrée, fait peser sur le requérant une charge de l’exposé des faits qui doit être distinguée de la charge de la preuve,

b) et qui, dans le cadre de cette charge de l’exposé des faits, impose au requérant,

– dans le cadre d’une telle procédure, de présenter, dans la mesure où il est en mesure de le faire, des observations étayées au sujet du non usage, par le défendeur, de la marque en cause, et,

– à cet effet, lui impose d’effectuer lui même une recherche sur le marché qui soit adaptée à la demande d’annulation et à la nature propre de cette marque ? »

 Sur la question préjudicielle

 Sur la recevabilité

24 Maxxus fait valoir, en substance, que, dans un arrêt du 14 janvier 2021, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a jugé, à la suite de l’arrêt du 22 octobre 2020, Ferrari (C 720/18 et C 721/18, EU:C:2020:854), que, dans une procédure de déchéance d’une marque pour non-usage, la partie demanderesse doit seulement soutenir que le titulaire de cette marque n’a pas fait usage de celle ci, la charge de la preuve et la charge de l’exposé des faits incombant, en droit allemand, au titulaire de la marque en cause. Il s’ensuit, selon Maxxus, que la réponse à la question posée par la juridiction de renvoi n’est pas nécessaire pour la solution du litige au principal.

25 À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que la Cour est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité du droit de l’Union au regard, notamment, de la situation juridique telle que décrite par la juridiction de renvoi, afin de donner à cette dernière les éléments utiles à la solution du litige dont elle est saisie (arrêt du 20 décembre 2017, Schweppes, C 291/16, EU:C:2017:990, point 21 et jurisprudence citée).

26 En outre, la Cour a itérativement jugé qu’il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C 561/19, EU:C:2021:799, point 35 et jurisprudence citée). En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 20 décembre 2017, Schweppes, C 291/16, EU:C:2017:990, point 23 et jurisprudence citée).

27 Ainsi, le rejet par la Cour d’une demande de décision préjudicielle introduite par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 20 décembre 2017, Schweppes, C 291/16, EU:C:2017:990, point 24).

28 Tel n’est pas le cas en l’espèce. La juridiction de renvoi a exposé et interprété des règles procédurales allemandes, sous sa propre responsabilité, et en a déduit que, dans une procédure de déchéance d’une marque pour non-usage, la partie demanderesse est tenue de respecter certaines exigences en matière d’exposé des faits, dont dépend la recevabilité de sa demande. Cette juridiction interroge la Cour, en substance, sur la question de savoir si la directive 2008/95 ou la directive 2015/2436 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale qui impose de telles exigences. Il est évident qu’une telle question présente un rapport direct avec l’objet du litige au principal.

29 Partant, la demande de décision préjudicielle est recevable.

 Sur le fond

30 À titre liminaire, il y a lieu de relever qu’il ressort du dossier transmis à la Cour par la juridiction de renvoi que la demande de déchéance qui constitue l’objet du litige au principal a été introduite le 28 novembre 2019. Or, le délai imparti aux États membres pour transposer la directive 2015/2436 en droit national, prévu à l’article 54, paragraphe 1, de cette directive, a expiré le 14 janvier 2019. En vertu de l’article 55 de ladite directive, celle-ci a abrogé et remplacé la directive 2008/95. S’il est vrai que les dispositions pertinentes des directives 2008/95 et 2015/2436 sont substantiellement identiques, il n’en reste pas moins que le présent renvoi préjudiciel doit être examiné au regard de la directive 2015/2436 (voir, en ce sens, arrêt du 2 juillet 2020, mk advokaten, C 684/19, EU:C:2020:519, point 4).

31 Par ailleurs, ni l’article 16 de la directive 2015/2436, relatif à la notion d’usage sérieux d’une marque et à la période pendant laquelle le titulaire de celle ci doit en avoir fait un tel usage, ni l’article 17 de cette directive, relatif au non usage en tant que moyen de défense dans une procédure en contrefaçon, ne sont directement pertinents pour répondre à la question de la juridiction de renvoi. Partant, il y a lieu d’examiner la question posée au regard du seul article 19 de ladite directive.

32 À la lumière de ces précisions, il convient de considérer que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 19 de la directive 2015/2436 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une règle procédurale d’un État membre qui, dans une procédure de demande de déchéance pour non usage d’une marque, impose à la partie demanderesse d’effectuer une recherche sur le marché concernant l’éventuel usage de cette marque par son titulaire et de présenter à cet égard, dans la mesure du possible, des observations étayées à l’appui de sa demande.

33 À cet égard, il importe de relever que la question de la charge de la preuve de l’usage sérieux, au sens de l’article 19, paragraphe 1, de la directive 2015/2436, dans le cadre d’une procédure portant sur la déchéance d’une marque pour non-usage ne constitue pas une disposition de procédure relevant de la compétence des États membres (voir, par analogie, arrêt du 22 octobre 2020, Ferrari, C 720/18 et C 721/18, EU:C:2020:854, point 76 et jurisprudence citée).

34 En effet, si cette question relevait du droit national des États membres, il pourrait en résulter, pour les titulaires de marques, une protection variable en fonction de la loi concernée, de sorte que l’objectif d’une « même protection dans les systèmes juridiques de tous les États membres », visé au considérant 10 de la directive 2015/2436 et qualifié d’ « essentiel » par celui-ci, ne serait pas atteint (voir, par analogie, arrêt du 22 octobre 2020, Ferrari, C 720/18 et C 721/18, EU:C:2020:854, point 77 et jurisprudence citée).

35 En outre, le principe selon lequel il incombe au titulaire de la marque de rapporter la preuve de l’usage sérieux de celle-ci se borne en réalité à traduire ce que postulent le bon sens et un impératif élémentaire d’efficacité de la procédure. En effet, c’est le titulaire de la marque contestée qui est le mieux à même de rapporter la preuve des actes concrets permettant d’étayer l’affirmation selon laquelle sa marque a fait l’objet d’un usage sérieux (arrêt du 22 octobre 2020, Ferrari, C 720/18 et C 721/18, EU:C:2020:854, points 78 et 81 ainsi que jurisprudence citée).

36 Il s’ensuit que l’article 19 de la directive 2015/2436 doit être interprété en ce sens que la charge de la preuve du fait qu’une marque a fait l’objet d’un « usage sérieux », au sens de cette disposition, pèse sur le titulaire de cette marque (voir, par analogie, arrêt du 22 octobre 2020, Ferrari, C 720/18 et C 721/18, EU:C:2020:854, point 82).

37 Certes, le fait que la partie requérante, dans une procédure déterminée, ne doit pas supporter la charge de la preuve ne dispense pas nécessairement cette partie de l’obligation de fournir, dans sa requête, un exposé complet des faits sur lesquels elle base ses prétentions.

38 Toutefois, il ressort de l’article 19 de la directive 2015/2436 qu’une demande de déchéance d’une marque sur la base de cette disposition repose sur l’allégation d’une absence d’usage sérieux de la marque par son titulaire. De par sa nature, une telle allégation ne se prête pas à un exposé plus détaillé.

39 À cet égard, il convient de constater que la règle procédurale nationale envisagée par la juridiction de renvoi va au-delà d’une simple obligation pour la partie demanderesse d’exposer les faits sur lesquels repose sa demande. Cette règle impose à la partie demanderesse d’affirmer et, en cas de contestation, de prouver que, avant l’introduction de sa demande, elle a effectué des recherches sur le marché et qu’elle n’a pas pu établir que la marque en cause a fait l’objet d’un usage sérieux.

40 Une telle règle fait ainsi, à tout le moins partiellement, peser sur la partie demanderesse la charge de la preuve de l’usage, ou du non usage, de la marque en cause, alors que, selon la jurisprudence citée au point 36 du présent arrêt, cette charge pèse exclusivement sur le titulaire de cette marque.

41 Le risque de prolifération des demandes abusives de déchéance pour non usage, évoqué par la juridiction de renvoi, ne saurait conduire à une interprétation différente.

42 En effet, afin de se prémunir contre un tel risque qui, au demeurant, concerne non pas les seules procédures de déchéance d’une marque pour non-usage, mais toutes les procédures juridictionnelles, il existe, comme l’a relevé la Commission, divers moyens procéduraux aptes à dissuader les abus de procédure.

43 Ces moyens procéduraux incluent la possibilité de prévoir des dispositions permettant de rejeter sommairement une demande de déchéance pour non-usage comme étant manifestement irrecevable ou manifestement non fondée, ou de condamner la partie demanderesse, en cas de rejet de ses prétentions, à supporter les dépens exposés par le titulaire de la marque en cause. Il est également possible d’imposer à la partie demanderesse le paiement d’une taxe lors de l’introduction de son recours. À cet égard, il ressort du dossier soumis à la Cour que, en l’occurrence, Maxxus a dû s’acquitter d’une telle taxe.

44 S’agissant du risque, évoqué par la juridiction de renvoi, que des procédures de déchéance pour non-usage d’une marque soient introduites aux seules fins d’obtenir la divulgation des secrets commerciaux du titulaire de cette marque, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’un « usage sérieux » de la marque, au sens de l’article 19, paragraphe 1, de la directive 2015/2436, suppose une utilisation de celle-ci sur le marché des produits ou des services protégés par ladite marque et non pas seulement au sein de l’entreprise concernée (arrêt du 11 mars 2003, Ansul, C 40/01, EU:C:2003:145, point 37).

45 Il s’ensuit que les preuves de l’usage sérieux d’une marque doivent porter sur un usage de la même marque sur le marché, lequel ne relève pas, en tant que tel, du secret commercial.

46 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 19 de la directive 2015/2436 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une règle procédurale d’un État membre qui, dans une procédure de demande de déchéance pour non-usage d’une marque, impose à la partie demanderesse d’effectuer une recherche sur le marché concernant l’éventuel usage de cette marque par son titulaire et de présenter à cet égard, dans la mesure du possible, des observations étayées à l’appui de sa demande.

 Sur les dépens

47 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

L’article 19 de la directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une règle procédurale d’un État membre qui, dans une procédure de demande de déchéance pour non usage d’une marque, impose à la partie demanderesse d’effectuer une recherche sur le marché concernant l’éventuel usage de cette marque par son titulaire et de présenter à cet égard, dans la mesure du possible, des observations étayées à l’appui de sa demande.