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Décisions

Cass. com., 20 janvier 2021, n° 19-15.108

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Friedland Invest A2 (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rémery

Rapporteur :

M. Riffaud

Avocat général :

Mme Henry

Avocats :

SCP Claire Leduc et Solange Vigand, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

Basse-Terre, 2e ch. civ., du 11 févr. 20…

11 février 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 11 février 2019) et les productions, la société Le Green's, qui avait acquis du matériel destiné à son activité de restauration rapide, a conclu, le 26 avril 2013, avec la société Friedland Invest A2 (la société Friedland), une convention par laquelle elle lui a vendu ce matériel pour la somme de 39 342,19 euros HT, payable, après déduction d'un versement de 13 119,18 euros, en soixante mensualités de 485,19 euros HT. Par le même contrat, elle a pris ce matériel en location, le paiement des loyers mensuels étant assuré par compensation avec les mensualités, d'un même montant, dues par la société Friedland. Au terme de ce contrat, la société Le Green's devait disposer d'une option d'achat pour la somme d'un euro, correspondant au montant du dépôt de garantie.

2. Par un avenant au contrat de location, le 14 décembre 2015, la société Friedland et la société Le Green's ont décidé d'y mettre un terme, le matériel étant aussitôt reloué à une autre entreprise.

3. Le 7 avril 2016, la société Le Green's a été mise en liquidation judiciaire, la date de cessation des paiements étant fixée provisoirement au 1er avril 2015.

4. Le 19 mai 2017, Mme B, désignée en qualité de liquidateur de la société Le Green's, a assigné la société Friedland devant le tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre pour obtenir sa condamnation à lui verser la somme de 19 018 euros au titre du solde du prix de vente du matériel et à lui verser des dommages-intérêts.

5. Par un jugement du 21 décembre 2017, le tribunal, après avoir déclaré nul et inopposable au liquidateur de la société Le Green's, l'avenant du 14 décembre 2015, a condamné la société Friedland à lui verser les sommes de 19 018 euros, 13 119,18 euros au titre de l'acompte du prix de vente du matériel et de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur les premier et deuxième moyens du pourvoi principal, réunis

Enoncé du moyen

7. La société Friedland fait grief à l'arrêt de déclarer nul et inopposable au liquidateur de la société Le Green's, l'avenant du 14 décembre 2015, signé entre les deux sociétés, et de la condamner à verser à Mme B, ès qualités, la somme en principal de 19 018 euros, alors :

« 1°) que les paiements pour dettes échus effectués à compter de la date de cessation des paiements ne peuvent être annulés que si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements ; qu'en l'espèce, pour déclarer nul et inopposable à Mme B, ès qualités, l'avenant du 14 décembre 2015, la cour d'appel s'est bornée à relever qu'il avait été conclu postérieurement à la date de cessation des paiements fixée au 1er avril 2015 par jugement du tribunal de commerce du 7 avril 2016 et qu'il prévoyait la compensation entre les dettes réciproques des parties ; qu'en statuant ainsi sans caractériser la connaissance par la société Friedland, de la cessation des paiements de la société Le Green's au jour de la conclusion de l'avenant du 14 décembre 2015, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 632-2 du code de commerce ;

2°) que les règles de la procédure collective ne font pas obstacle à la compensation de créances réciproques unies par un lien de connexité comme étant nées du même contrat ; que lorsque deux dettes sont connexes, le juge ne peut écarter la compensation au motif que l'une d'elles ne réunit pas les conditions de liquidité et d'exigibilité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément relevé que par contrat de vente et de location conclu le 26 avril 2013, la société Le Green's avait vendu du matériel à la société Friedland moyennant un prix de vente de 39 342,19 euros HT, qu'elle s'était engagée à relouer ce matériel pendant soixante mois, et que le montant de la location mensuelle devait se compenser avec le prix de vente qui était également payable en soixante mensualités ; qu'en écartant la compensation des dettes réciproques des sociétés Le Green's et Friedland, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait que les créances des sociétés Le Green's et Friedland étaient connexes, comme nées du même contrat de vente et de location du 26 avril 2013, et a violé l'article 1289 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 applicable en la cause, ensemble l'article L. 632-1 du code de commerce ;

3°) que les règles de la procédure collective ne font pas obstacle à la compensation de créances réciproques unies par un lien de connexité comme étant nées du même contrat ; que lorsque deux dettes sont connexes, le juge ne peut écarter la compensation au motif que l'une d'elles ne réunit pas les conditions de liquidité et d'exigibilité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que le contrat de vente et de location conclu le 26 avril 2013 stipulait qu'en cas de résiliation amiable ou judiciaire du contrat, le locataire devrait régler au loueur une indemnité représentant la totalité des loyers restant dus à la date de la résiliation, augmentée de pénalités, et que la société Friedland serait en droit de constater ou de prononcer la compensation de toutes les sommes qu'elle devrait au locataire, à quelque titre que ce soit ; que la cour d'appel a également relevé que par jugement du 7 avril 2016, le tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre a prononcé la liquidation judiciaire simplifiée de la société Le Green's et fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 1er avril 2015 ; qu'en écartant la compensation des dettes réciproques des sociétés Le Green's et Friedland résultant de la résiliation amiable du contrat, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait que la clause conventionnelle de compensation avait été convenue entre les parties le 26 avril 2013 et avait commencé à fonctionner antérieurement à la période suspecte fixée au 1er avril 2015, et a violé l'article 1289 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 applicable en la cause, ensemble l'article L. 632-1 du code de commerce ;

Réponse de la Cour

8. L'arrêt retient, par motifs propres, que par l'avenant du 14 décembre 2015, conclu postérieurement à la date de cessation des paiements, les deux sociétés ont décidé de mettre un terme à leur relation contractuelle et expressément prévu une compensation entre leurs dettes réciproques et, qu'en conséquence, la dette de la société Friedland au titre du solde du prix d'achat du matériel a été intégralement payée par compensation avec la dette de la société Le Green's au titre de l'indemnité de résiliation, équivalente aux loyers restant dus jusqu'au terme du contrat, laquelle n'est devenue exigible que par la signature de cet avenant. Il retient, par motifs adoptés, que cet avenant a permis à la société Friedland de récupérer le matériel loué à la société Le Green's sans payer l'intégralité du prix de vente prévu au contrat, de sorte que le liquidateur s'est trouvé privé de la faculté de lever l'option d'achat et de revendre le matériel au bénéfice des créanciers.

9. Dès lors, c'est à bon droit, qu'en se fondant sur les dispositions de l'article L. 632-1, 3° et 4° du code de commerce et non sur celle de l'article L. 632-2 du même code, la cour d'appel a retenu que la compensation n'était pas un mode de paiement valable au sens du premier de ces textes pour avoir été provoquée, au cours de la période suspecte, par un avenant mettant prématurément un terme au contrat, aurait-il été prévu au cours de son exécution une compensation des dettes respectives des cocontractants, afin d'assurer le paiement prioritaire d'un créancier dont la créance n'est venue à son échéance que par le jeu de cet avenant.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

11. La société Friedland fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à Mme B, ès qualités, la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors « que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que dès lors, en l'espèce, la cassation à intervenir sur le fondement du premier moyen de cassation, du chef de dispositif ayant déclaré nul et inopposable à Mme B, ès qualités, l'avenant du 14 décembre 2015 entraînera, par voie de conséquence, celle du chef de dispositif de l'arrêt ayant condamné la société Friedland à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

12. Le rejet du premier moyen du pourvoi principal rend le grief du troisième moyen, pris en sa première branche, qui invoque une cassation par voie de conséquence, sans portée.

Mais sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

13. Mme B, en sa qualité de liquidateur de la société Le Green's, fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à la condamnation de la société Friedland à lui payer la somme de 13 119,18 euros au titre de l'acompte du prix de vente du matériel, alors « que le juge a non seulement le pouvoir, mais également le devoir, de remédier par voie d'interprétation aux lacunes, imprécisions ou ambiguïtés que comporte la convention qui lui est soumise ; qu'ainsi que la cour d'appel l'a elle-même relevé et comme cela était admis par toutes les parties, il était constant que le contrat de vente et de location de matériels litigieux s'inscrivait dans le cadre d'une opération de défiscalisation relevant de la loi Girardin ; que dès lors, très loin d'autoriser le juge à ne statuer qu'au seul regard de ce qui était exprimé dans la convention, en faisant abstraction du contexte fiscal de l'opération, de son économie globale et de la commune volonté des parties, la circonstance que le montant de l'avantage fiscal qui devait être rétrocédé à la société Le Green's n'ait pas été précisé dans le contrat et que celui-ci n'ait pas même fait clairement état d'une opération de défiscalisation révélait que la convention litigieuse présentait des lacunes et imprécisions qui devaient être comblées par voie d'interprétation, notamment pour déterminer si, au regard de l'intention commune des parties, le versement initial de la somme de 13 119,18 euros était constitutif d'un acompte sur le prix de revente des matériels litigieux ou si, comme le soutenait Mme B, ès qualités, et comme l'avait reconnu la société Friedland, il ne représentait pas plutôt l'avantage fiscal de même montant qui devait être rétrocédé, en vertu de la loi fiscale applicable à la société Le Green's ; qu'en refusant néanmoins d'exercer son pouvoir d'interprétation, motif pris que les stipulations contractuelles seraient "précises et dépourvues d'ambiguïté", la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé l'article 1134 du code civil, pris dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

14. Aux termes de ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

15. Pour rejeter la demande du liquidateur tendant au paiement de la somme de 13 119,18 euros au titre de l'acompte du prix de vente, l'arrêt retient que la cour d'appel n'est tenue de statuer qu'au regard des stipulations contractuelles dès lors qu'elles sont précises et dépourvue d'ambiguïté, que le contrat indique que la société Friedland était tenue de régler un prix d'achat de 39 342,19 euros HT, qui correspondait au prix réglé par la société Le Green's pour acheter ce matériel sur ses fonds propres, moyennant soixante loyers de 485,19 euros HT, après un premier versement de 13 119,18 euros que la société Friedland démontre avoir réglé et dont il lui a été donné quittance, tandis qu'il relève que le montant de l'avantage fiscal qui devait être rétrocédé à la société Le Green's ne figure pas dans le contrat lequel ne fait pas clairement état d'une opération de défiscalisation.

16. En se déterminant ainsi, en retenant à la fois que la somme de 13 119,18 euros, qu'elle a refusé de faire supporter à la société Friedland au profit de la société Le Green's, correspondait, selon les stipulations du contrat, à un acompte payé sur le prix de vente du matériel sans aucune référence à l'opération de défiscalisation et que, selon les affirmations de la société Friedland elle-même, cette somme correspondait, au contraire, à la part de l'avantage fiscal devant revenir à la société Le Green's, de sorte qu'elle devait, sans pouvoir considérer que le contrat ne nécessitait pas d'interprétation, rechercher la commune intention des parties, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal ;

Et sur le pourvoi incident :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de Mme B, en sa qualité de liquidateur de la société Le Green's, tendant à voir condamner la société Friedland Invest A2 à lui payer la somme de 13 119,18 euros au titre de l'acompte du prix de vente du matériel, l'arrêt rendu entre les parties, le 11 février 2019, par la cour d'appel de Basse-Terre.