CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 14 janvier 2022, n° 20/05019
PARIS
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Free (SAS)
Défendeur :
Free-sbe (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseillers :
Mme Lehmann, Mme Marcade
Avocats :
Me Lallement, Me Coursin, Me Regnier, Me Delsart
Vu le jugement contradictoire rendu le 31 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de Paris qui a :
- déclaré la société FREE irrecevable en son action en contrefaçon de marques et en nullité de la marque française semi-figurative n°3977154,
- dit que la société FREE est déchue de ses droits sur la marque verbale 'free’ n°13 4 037 814 pour les services de courtage de contacts commerciaux visés en classe 35,
- dit que la partie la plus diligente devra porter à la connaissance de l’INPI la présente décision devenue définitive afin que soit inscrite au Registre national des marques la mention rectificative ci-dessus,
- débouté la société FREE de ses prétentions au titre de l’atteinte à la marque renommée,
- débouté la société FREE de ses prétentions au titre de l’atteinte ou de l’usurpation de ses dénomination sociale, nom commercial et nom de domaine,
- condamné la société FREE à payer à la société FREE-SBE et à M. Y X la somme globale de 5 000 (cinq mille) euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société FREE aux dépens,
- ordonné l’exécution provisoire.
Vu l’appel de ce jugement interjeté le 11 mars 2020 par la société FREE (SAS).
Vu les conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 30 juillet 2020 par la société FREE, appelante, qui demande à la cour, par infirmation du jugement déféré, de :
- juger que le dépôt, par M. Y X agissant pour le compte de la société en formation FREE-SBE, de la marque n°13 3 977 154, pour désigner les services de : Publicité ; gestion des affaires commerciales ; administration commerciale ; services d’abonnement à des services de télécommunication pour les tiers ; conseils en organisation et direction des affaires ; gestion de fichiers informatiques ; organisation d’expositions à buts commerciaux ou de publicité ; publicité en ligne sur un réseau informatique ; location de temps publicitaire sur tout moyen de communication ; relations publiques ( classe 35 ) ; Télécommunications ; informations en matière de télécommunications ; communications par terminaux d’ordinateurs ou par réseau de fibres optiques ; communications radiophoniques ou téléphoniques ; services de radiotéléphonie mobile ; fourniture d’accès à des bases de données ; location de temps d’accès à des réseaux informatiques mondiaux (classe 38), est fautif en ce qu’il porte atteinte aux marques antérieures « free » n°1 734 391, n°99 785 839 et n°13 4 037 814, au sens de l’article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle,
- juger que l’exploitation de la marque « FREE-SBE » n°13 3 977 154, pour désigner les services litigieux, caractérise des actes de contrefaçon des marques antérieures « free » n° 1 734 391, n°99 785 839 et n° 13 4 037 814, au sens de l’article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle,
- juger que l’adoption et l’exploitation de la dénomination sociale et du nom commercial « FREE-SBE » pour proposer les activités /services litigieux, constituent des actes de contrefaçon des marques antérieures « free » n°1 734 391, n° 99 785 839 et n° 13 4 037 814, au sens de l’article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle,
- juger que la réservation et l’exploitation du nom de domaine « free-sbe.com » pour offrir les activités / services litigieux, constituent des actes de contrefaçon des marques antérieures « free » n°1 734 391, n°99 785 839 et n°13 4 037 814, au sens de l’article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle,
Subsidiairement,
- juger que le dépôt et l’exploitation de la marque litigieuse pour les services incriminés, (ii) que l’adoption et l’exploitation de la dénomination sociale et du nom commercial « FREE-SBE » pour les activités/services litigieux, et (iii) que la réservation et l’exploitation du nom de domaine « free-sbe.com » pour les activités /services litigieux, sont des actes qui portent atteinte aux marques renommées « free » n°1 734 391, n°99 785 839 et n°13 4 037 814, au sens de l’article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle,
-juger que le dépôt et l’exploitation de la marque litigieuse pour les services incriminés, (ii) que l’adoption et l’exploitation de la dénomination sociale et du nom commercial « FREE-SBE » pour les activités /services litigieux, et (iii) que la réservation et l’exploitation du nom de domaine 'free-sbe.com’ pour les activités / services litigieux, sont des actes qui portent également atteinte aux droits antérieurs de la société FREE sur sa dénomination sociale « FREE », sur son nom commercial « FREE » et sur son nom de domaine « free.fr » au sens de l’article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle et en constituent l’usurpation au sens des articles 1240, voire 1241, du code civil,
En conséquence,
- prononcer la nullité de la marque « FREE-SBE » n°13 3 977 154, pour tous les services litigieux suivants, sur le fondement des articles, L. 713-3, L. 713-5 et L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle : Publicité; gestion des affaires commerciales ; administration commerciale ; services d’abonnement à des services de télécommunication pour les tiers ; conseils en organisation et direction des affaires ; gestion de fichiers informatiques ; organisation d’expositions à buts commerciaux ou de publicité ; publicité en ligne sur un réseau informatique ; location de temps publicitaire sur tout moyen de communication ; relations publiques (classe 35) ; Télécommunications ; informations en matière de télécommunications ; communications par terminaux d’ordinateurs ou par réseau de fibres optiques ; communications radiophoniques ou téléphoniques ; services de radiotéléphonie mobile ; fourniture d’accès à des bases de données ; location de temps d’accès à des réseaux informatiques mondiaux (classe 38),
- dire que la décision sera transmise par le greffe à l’INPI aux fins d’inscription au Registre national des marques et autoriser la société FREE à accomplir cette formalité, si nécessaire,
- ordonner à la société FREE-SBE de modifier, à ses frais, son objet social, en supprimant, de ses statuts, l’activité suivante: « la formation technique et/ou commerciale, la création et le développement d’outils marketings de tous types (logiciels, bases de données…) à l’usage des membres du réseau », et en limitant l’activité suivante : « la création d’un réseau de mandataires en prestations de services’ aux 'assurances, mutuelles et transports » dans un délai de 15 jours à compter de la signification de l’arrêt à intervenir, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, passé ce délai,
- interdire à M. X et à la société FREE-SBE d’utiliser le signe « FREE-SBE » et le nom de domaine « free-sbe » en « .com » ou toute autre extension, ainsi que d’une façon générale le terme « FREE », de quelque manière que ce soit, seul ou associé à quelque terme ou signe que ce soit, pour des activités, services ou produits identiques ou similaires, voire préjudiciables aux produits, services et activités désignés et/ou exploités par la société FREE, sous ses signes antérieurs « FREE »,
- dire que ces interdictions seront assorties d’une astreinte de 1.000 euros par infraction constatée et par jour, laquelle commencera à courir 15 jours après la signification de l’arrêt à intervenir,
- condamner in solidum M. X et la société FREE-SBE à payer à la société FREE, en application de l’article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle, 40.000 euros de dommages et intérêts, sauf à parfaire, en réparation du préjudice consécutif aux atteintes à ses marques,
- condamner in solidum M. X et la société FREE-SBE à payer à la société FREE, en application des articles L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle, 1240 voire 1241 du code civil, 40.000 euros de dommages et intérêts, sauf à parfaire, en réparation du préjudice consécutif aux atteintes à sa dénomination sociale, à son nom commercial et à son nom de domaine,
- autoriser la société FREE à faire publier le texte suivant, dans trois publications papier ou électroniques de son choix, aux frais avancés et in solidum de M. X et de la société FREE-SBE, et au besoin, contre remboursement, à concurrence d’une somme de 4.000 euros hors taxes pour chacune des insertions : « Par arrêt du …, la cour d’appel de Paris a condamné M. Y X et la société FREE-SBE pour avoir porté atteinte aux signes distinctifs de la société FREE (marques renommées, dénomination sociale, nom commercial et nom de domaine) en déposant et exploitant la marque , en adoptant et exploitant la dénomination sociale et le nom commercial « FREE-SBE », et en réservant et en exploitant le nom de domaine « free sbe.com », leur a fait interdiction de continuer, et les a condamnés à lui payer diverses sommes, notamment à titre de dommages et intérêts, ainsi qu’à supporter le coût des publications judiciaires. »,
- condamner in solidum M. X et la société FREE-SBE à payer à la société FREE la somme de 15.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’à supporter les dépens, lesquels comprendront les frais de constat tant antérieurs que postérieurs à l’assignation.
Vu les conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 30 octobre 2020 par M. X et la société FREE-SBE (SAS), intimés, qui demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, par conséquent, de :
- déclarer irrecevable du fait de la forclusion par tolérance la demande de la société FREE en contrefaçon de marques et ses demandes subséquentes,
- prononcer la déchéance de la marque « free » n°13 4037 814 pour les services de courtage de contacts commerciaux visés en classe 35,
- déclarer l’action en contrefaçon de la société FREE à l’encontre de M. X irrecevable,
- débouter la société FREE de l’ensemble de ses demandes et prétentions,
À titre subsidiaire,
- débouter la société FREE de ses demandes en contrefaçon à l’encontre de M. X,
- débouter la société FREE de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de la société FREE-SBE,
- limiter la condamnation de la société FREE-SBE à une somme symbolique pour le prétendu préjudice économique subi par la société FREE,
En tout état de cause,
- condamner la société FREE à verser à M. X et à la société FREE-SBE à chacun la somme de 15.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamner la société FREE aux entiers dépens.
Vu l’ordonnance de clôture du 17 juin 2021.
SUR CE, LA COUR :
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, au jugement entrepris et aux écritures précédemment visées des parties.
La société FREE, immatriculée au RCS de Paris le 18 février 1999, se présentant comme un opérateur majeur des télécommunications électroniques et des télécommunications (internet, téléphonie, informatique'), est titulaire des trois marques françaises suivantes :
- la marque verbale FREE n°1 734 391, déposée le 25 octobre 1989 pour désigner en classe 38 les « Service télématique grand public ; service de stockage, de réception et de diffusion de messages », régulièrement renouvelée,
- la marque semi-figurative n°99 785 839 : déposée le 8 avril 1999 pour désigner les produits et services suivants : « Équipement pour le traitement de l’information et les ordinateurs » (classe 9), « Publicité ; gestion de fichiers informatiques » (classe 35), « Communication par terminaux d’ordinateurs ; communications télématiques et téléphoniques ; télécommunications ; information en matière de télécommunication » (classe 38), « Location de temps d’accès à un centre serveur de bases de données ; location de temps d’accès à un centre serveur de base de données notamment pour les réseaux de communication mondiale de type internet » (classe 42), régulièrement renouvelée,
- la marque verbale FREE n° 13 4 037 814, déposée le 29 septembre 2009, (enregistrement publié au BOPI le 14 février 2014), pour désigner les produits et services suivants: « Appareils et équipements de télécommunication et de communication téléphonique, radiophonique, télématique ; ordinateurs ; logiciels ; programmes informatiques » (classe 9), « Publicité ; publicité en ligne sur un réseau informatique ; location de temps publicitaires sur tout moyen de communication ou télécommunication ; diffusion d’annonces publicitaires; présentation de produits sur tout moyen de communication pour la vente au détail ; courtage de contacts commerciaux; abonnement à des services de télécommunication ; gestion de fichiers informatiques ; services de revues de presse » (classe 35) ; « Services de télécommunication; location de temps d’accès à des réseaux informatiques mondiaux ; communication par réseau de fibres optiques ; communications par terminaux d’ordinateurs ; communications radiophoniques; communications téléphoniques; fourniture d’accès à des réseaux de communication électronique; radiotéléphonie mobile; fourniture d’accès à des bases de données » (classe 38), « Conception de logiciels; services d’assistance en matière de télécommunications » (classe 42), régulièrement renouvelée.
La société FREE-SBE, immatriculée au RCS de Toulon le 14 février 2013, exerce les activités de centrale d’achats et de courtage visant à obtenir pour ses clients de meilleures conditions commerciales grâce aux volumes réalisés par la mutualisation des achats. Elle prend en charge la recherche et le référencement des fournisseurs, les éventuels appels d’offres, la négociation des conditions commerciales et la réalisation des achats dans tous les domaines couvrant les frais généraux d’une entreprise, à savoir la bureautique, les assurances, l’énergie, le transport, le médical, l’outillage, l’hygiène et la sécurité.
Le 30 juillet 2012, M. X a réservé le nom de domaine « free-sbe.com » et a procédé, le 24 janvier 2013, pour le compte de la société FREE-SBE en cours de constitution, au dépôt de la marque française semi-figurative n° 3 977 154 :
Cette marque est destinée à désigner les services suivants : « Publicité ; gestion des affaires commerciales ; administration commerciale ; services d’abonnement à des services de télécommunication pour les tiers; conseils en organisation et direction des affaires ; comptabilité ; gestion de fichiers informatiques ; organisation d’expositions à buts commerciaux ou de publicité ; publicité en ligne sur un réseau informatique ; location de temps publicitaire sur tout moyen de communication ; relations publiques » (classe 35), « Assurances; affaires financières ; affaires monétaires ; affaires immobilières ; services de caisses de prévoyance ; estimations immobilières ; gestion financière ; gérance de biens immobiliers ; services de financement ; consultation en matière financière ; estimations financières (assurances, banques, immobilier) (classe 36), « Télécommunications ; informations en matière de télécommunications ; communications par terminaux d’ordinateurs ou par réseau de fibres optiques ; communications radiophoniques ou téléphoniques ; services de radiotéléphonie mobile ; fournitures d’accès à des bases de données ; location de temps d’accès à des réseaux informatiques mondiaux » (classe 38). Elle a été enregistrée 17 mai 2013.
Suivant acte d’huissier de justice du 4 mai 2018, la société FREE a assigné M. X et la société FREE-SBE devant le tribunal de grande instance de Paris (dénommé depuis tribunal judiciaire de Paris) pour répondre des griefs de contrefaçon de marques et d’atteintes à la marque renommée, à la dénomination sociale et au nom commercial.
Le tribunal, par le jugement dont appel, a retenu la forclusion par tolérance et a déclaré la société FREE irrecevable à agir en contrefaçon de ses marques et demander la nullité de la marque française semi-figurative n°3977154, a constaté la déchéance des droits de la société FREE sur la marque verbale FREE n°13 4 037 814 pour les services de 'courtage de contacts commerciaux’ visés en classe 35 et a rejeté comme mal fondées les demandes de la société FREE pour atteinte à la marque renommée et pour atteinte ou usurpation de ses dénomination sociale, nom commercial, nom de domaine.
La société FREE, appelante, maintient devant la cour ses prétentions telles que soutenues devant le tribunal. Les intimés poursuivent la confirmation du jugement en toutes ses dispositions sans énoncer de nouveaux moyens et sont ainsi réputés s’en approprier les motifs. En conséquence, le débat en cause d’appel se présente dans les mêmes termes qu’en première instance.
Sur la forclusion par tolérance,
La société FREE fait valoir que c’est à tort que les premiers juges l’ont déclarée, par l’effet de la forclusion par tolérance prévue à l’article L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle, irrecevable en ses demandes en contrefaçon et en nullité de la marque française semi-figurative FREE-SBE n°3977154 pour atteinte à ses droits antérieurs sur les marques FREE. Elle soutient que le délai quinquennal de la forclusion par tolérance court à compter de l’enregistrement de la marque, intervenu en l’espèce le 17 mai 2013, et qu’elle se trouvait donc recevable, à la date de son assignation en justice du 4 mai 2018, à attaquer cette marque pour contrefaçon et en nullité. Elle ajoute que la Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 22 septembre 2011, a posé comme condition impérative à la forclusion par tolérance la connaissance, par le titulaire de la marque antérieure, de l’enregistrement de la marque postérieure et de son usage après son enregistrement, ce dont il s’infère que le point de départ du délai de la forclusion par tolérance ne peut commencer à courir qu’après l’enregistrement de la marque.
Selon les dispositions de l’article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction applicable au litige, 'Ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment :
a) A une marque antérieure enregistrée ou notoirement connue au sens de l’article 6 bis de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle ;
b) A une dénomination ou raison sociale, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public ;
c) A un nom commercial ou à une enseigne connus sur l’ensemble du territoire national, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public (..).'
Et, selon les dispositions de l’article L. 714-3 du même code, « Est déclaré nul par décision de justice l’enregistrement d’une marque qui n’est pas conforme aux dispositions des articles L. 711-1 à L. 711-4. (…) Seul le titulaire d’un droit antérieur peut agir en nullité sur le fondement de l’article L. 711-4. Toutefois, son action n’est pas recevable si la marque a été déposée de bonne foi et s’il en a toléré l’usage pendant cinq ans. La décision d’annulation a un effet absolu. »
En outre, les dispositions de l’article L. 716-5 alinéas 3 et 4 du même code prévoient que « L’action en contrefaçon se prescrit par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître le dernier fait lui permettant de l’exercer.
Est irrecevable toute action en contrefaçon d’une marque postérieure enregistrée dont l’usage a été toléré pendant cinq ans, à moins que son dépôt n’ait été effectué de mauvaise foi. Toutefois l’irrecevabilité est limitée aux seuls produits et services pour lesquels l’usage a été toléré. »
Dans son arrêt du 22 septembre 2011 (C-482/09) auquel se réfère la société FREE, la CJUE a rappelé, en point 5, que selon l’article 9, intitulé 'Forclusion par tolérance', de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques: « 1. le titulaire d’une marque antérieure (…) qui a toléré, dans un Etat membre, l’usage d’une marque postérieure enregistrée dans cet Etat membre pendant une période de cinq années consécutives en connaissance de cet usage, ne peut plus demander la nullité ni s’opposer à l’usage de la marque postérieure sur la base de cette marque antérieure pour les produits ou les services pour lesquels la marque postérieure a été utilisée, à moins que le dépôt de la marque postérieure n’ait été effectué de mauvaise foi », et a dit pour droit que: « Les conditions nécessaires pour faire courir ce délai de forclusion, qu’il incombe au juge national de vérifier, sont, premièrement, l’enregistrement de la marque postérieure dans l’État membre concerné, deuxièmement, le fait que le dépôt de cette marque a été effectué de bonne foi, troisièmement, l’usage de la marque postérieure par le titulaire de celle-ci dans l’État membre où elle a été enregistrée et, quatrièmement, la connaissance par le titulaire de la marque antérieure de l’enregistrement de la marque postérieure et de l’usage de celle-ci après son enregistrement ».
Le tribunal de l’Union européenne, dans une décision du 28 juin 2012, également citée par la société FREE, a considéré, par analogie avec l’arrêt précité de la CJUE, que la finalité des dispositions du règlement n°40/94 relatives à la forclusion par tolérance est de « sanctionner les titulaires de marques antérieures qui ont toléré l’usage d’une marque communautaire postérieure pendant cinq années consécutives, en connaissance de cet usage par la perte des actions de nullité et d’opposition envers ladite marque qui pourra donc coexister avec la marque antérieure. C’est à partir du moment où le titulaire de la marque antérieure connaît l’usage de la marque communautaire postérieure qu’il a la possibilité de ne pas le tolérer et donc de s’y opposer ou de demander la nullité de la marque postérieure. Il ne peut être considéré que le titulaire de la marque antérieure ait toléré l’utilisation de la marque communautaire postérieure une fois qu’il a eu connaissance de son utilisation s’il n’était en mesure de s’opposer à son usage ni de demander sa nullité ».
En l’espèce, la marque française semi-figurative FREE-SBE n°3977154, enregistrée le 17 mai 2013, a fait l’objet le 24 janvier 2013 d’un dépôt publié au BOPI le 15 février 2013.
La formalité de la publication au BOPI de la demande d’enregistrement de marque a pour objectif de porter celle-ci à la connaissance des tiers et, ainsi qu’il est prévu à l’article L712-4 du code de la propriété intellectuelle, de permettre au titulaire d’une marque antérieure, dans les deux mois de cette publication, de former opposition auprès du directeur général de l’INPI à la demande d’enregistrement de la marque postérieure.
Ainsi qu’il a été justement observé par le tribunal, la société FREE se trouvait donc en mesure, dès le 15 février 2013, d’avoir connaissance de la demande d’enregistrement de la marque semi-figurative FREE-SBE et de s’y opposer. Elle ne conteste pas, au demeurant, avoir eu connaissance de la publication au BOPI de la demande d’enregistrement de la marque litigieuse, pas plus qu’elle ne dément disposer d’un système de surveillance lui signalant tout dépôt de marque contenant le vocable FREE et engager systématiquement des actions à l’encontre de quiconque tenterait de se l’approprier (42 actions en 2017 et 2018 devant des instances et juridictions nationales et de l’Union ). Il est en outre établi que la société FREE-SBE a fait usage de la marque semi-figurative FREE-SBE n°3977154 dès le mois de février 2013 en la faisant figurer sur les pages de son site internet www.free-sbe.com dont il est justifié qu’il est actif depuis cette date, étant ajouté qu’un tel usage n’a pu échapper à la société FREE qui soutient que la marque postérieure couvre des produits et services identiques ou fortement similaires à ceux désignés par ses marques.
Il est ainsi montré avec suffisamment certitude que la société FREE a eu connaissance à compter de février 2013 de la demande d’enregistrement de la marque litigieuse et de l’usage de cette marque ce qui lui permettait de faire opposition à cette demande d’enregistrement mais aussi d’agir en contrefaçon pour en interdire l’usage ou encore en nullité de la marque pour atteinte à ses droits antérieurs sur les marques FREE.
Contrairement à ce que prétend la société FREE, ce n’est pas la date de l’enregistrement de la marque postérieure, à savoir la date de la délivrance du titre, qui constitue le point de départ du délai quinquennal de la forclusion par tolérance mais, à la lumière de la jurisprudence précédemment évoquée, la date à laquelle le titulaire de la marque antérieure acquiert la connaissance de l’usage de la marque postérieure et a la possibilité de ne pas le tolérer et de s’y opposer.
En exigeant à titre de condition nécessaire de la forclusion par tolérance que la marque postérieure soit une marque enregistrée la CJUE rappelle que le bénéfice de la forclusion par tolérance est circonscrit à la marque enregistrée et ne peut bénéficier à une marque d’usage qui n’aurait pas été enregistrée.
Enfin, c’est vainement que la société FREE, pour conclure que le point de départ du délai de la forclusion par tolérance ne saurait être antérieur à l’enregistrement de la marque postérieure, argue de ce que le droit de propriété sur cette marque n’est acquis qu’au terme de la procédure d’enregistrement et dès lors que le titre est délivré. S’il résulte en effet de l’article L. 712-1 du code de la propriété intellectuelle que « la propriété de la marque s’acquiert par l’enregistrement », le même article prévoit que « l’enregistrement produit ses effets à compter de la date de dépôt de la demande pour une période de dix ans indéfiniment renouvelable ».
La finalité de la forclusion par tolérance, ainsi qu’il l’a été rappelé, est de sanctionner le titulaire d’une marque antérieure qui a toléré l’usage d’une marque postérieure pendant cinq années consécutives, en connaissance de cet usage par la perte des actions de nullité et d’opposition envers ladite marque qui pourra donc coexister avec la marque antérieure.
Il s’infère de ces observations que la société FREE, en mesure, dès le mois de février 2013, de s’opposer à l’usage de la marque FREE-SBE n°3977154, l’a toléré durant cinq années consécutives et a attendu le 4 mai 2018 pour agir en justice, suivant assignation délivrée à la société FREE-SBE et à M. X devant le tribunal de grande instance de Paris, en contrefaçon de ses marques FREE par la marque postérieure et en nullité de cette marque.
Le jugement déféré mérite en conséquence confirmation en ce qu’il l’a déclarée, par l’effet de la forclusion par tolérance, irrecevable à agir.
Sur la demande reconventionnelle en déchéance,
La société FREE reproche aux intimés, l’adoption et l’exploitation de la dénomination verbale FREE-SBE à titre de dénomination sociale et de nom commercial, constitutives selon elle d’une contrefaçon, au sens des dispositions de l’article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle, de ses marques antérieures FREE. Elle ajoute que la réservation et l’exploitation du nom de domaine « free-sbe.com » constituent pareillement, au sens des dispositions précitées, une contrefaçon de ses marques FREE.
Les intimés lui opposent la déchéance de ses droits, pour défaut d’exploitation sérieuse, sur la marque verbale FREE n°13 4 037 814 pour les services de 'courtage de contacts commerciaux’ de la classe 35 visés dans le libellé de la marque.
Selon les dispositions de l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction applicable au litige, ' Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans.
Est assimilé à un tel usage :
a) L’usage fait avec le consentement du propriétaire de la marque (');
b) L’usage de la marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif ;
c) L’apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement exclusivement en vue de l’exportation.
La déchéance peut être demandée en justice par toute personne intéressée. Si la demande ne porte que sur une partie des produits ou services visés dans l’enregistrement, la déchéance ne s’étend qu’aux produits ou aux services concernés. (')
La preuve de l’exploitation incombe au propriétaire de la marque dont la déchéance est demandée. Elle peut être apportée par tous moyens.
La déchéance prend effet à la date d’expiration du délai de cinq ans prévu au premier alinéa du présent article. Elle a un effet absolu.'
En l’espèce, il n’est pas contesté que la période de cinq ans à prendre en considération dans l’examen de l’usage sérieux de la marque court à compter du 14 février 2014, date de l’enregistrement de la marque, au 13 février 2019.
La société FREE soutient que le courtage se définit comme un service consistant, contre rémunération, à mettre en relation deux personnes qui désirent contracter et qu’elle a, dans la période considérée, exploité un tel service en proposant aux utilisateurs de son site internet « free.fr », à travers le service « shopping », d’acheter des produits (de prêt-à-porter, de grande distribution) offerts en vente par des entreprises marchandes référencées à titre payant avec lesquelles elle les met en relation mais aussi, à travers le services « voyages », de réserver des séjours touristiques, des billets d’avion et des nuits d’hôtels, auprès des agences de voyages, des compagnies aériennes et autres opérateurs touristiques référencés sur le site. Elle précise qu’il s’agit bien de courtage puisque ce n’est pas elle qui vend directement les produits et les prestations ainsi présentés sur son site.
Or, la société FREE qui commente dans ses conclusions (pages 9 et 10) les procès-verbaux de constat, versés aux débats, du site internet « free.fr », indique, à juste raison, que les produits et les prestations qui sont proposés à la vente aux utilisateurs du site sous les rubriques 'shopping’ et 'voyages’ le sont dans le cadre d'annonces provenant de marchands référencés à titre payant. Ainsi que le relève la cour, à l’instar du tribunal, au vu des pièces de la procédure, son service se limite à louer à des entreprises marchandes des espaces publicitaires pour la présentation de leurs produits et services et à diriger les utilisateurs intéressés par ces produits et services vers les sites respectifs de ces annonceurs. Un tel service ne saurait être assimilé à un service de « courtage de contacts commerciaux » qui implique certes, pour le courtier, de mettre en relation, contre rémunération, deux personnes désireuses de contracter mais après avoir préalablement recherché pour son client l’offre qui correspond à ses besoins et négocié pour son client les conditions de son engagement, le cas échéant, par une mise en concurrence des offres présentées sur le marché.
Il s’ensuit que la société FREE, à laquelle incombe la charge de la preuve, ne justifie, contrairement à ce qu’elle prétend, d’aucune exploitation de la marque verbale FREE n°13 4 037 814 sur le site internet « free.fr » au cours de la période du 14 février 2014 au 13 février 2019, pour les services de « courtage de contacts commerciaux » de la classe 35 visés dans l’enregistrement de la marque.
Le jugement entrepris est en conséquence confirmé en ce qu’il l’a déclarée déchue de ses droits sur ladite marque pour les services de « courtage de contacts commerciaux » de la classe 35.
Sur la contrefaçon des marques FREE par l’adoption et l’usage du signe FREE-SBE à titre de dénomination sociale et de nom commercial, la réservation et l’usage du signe « free-sbe.com » à titre de nom de domaine,
Les demandes de ces chefs sont formées au fondement de l’article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle qui dispose, dans sa rédaction applicable au litige, que sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public, l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement.
En l’espèce, la société FREE-SBE ainsi qu’il résulte de ses statuts et de ce qu’il ressort de son site internet propose à une clientèle de petites et moyennes entreprises des services de courtage, d’audit, de conseil et de centrale d’achat destinés à leur procurer, à des conditions tarifaires optimales, des solutions 'sur-mesure’ qui répondent à leurs besoins de fonctionnement, notamment en matière d’énergie (gaz et électricité), bureautique et fournitures de bureau, téléphonie, hygiène et sécurité, assurances, et leur permettent de réaliser des économies sur leurs frais généraux.
Il s’ensuit que les services exploités par la société FREE-SBE, en particulier sur son site internet 'free-sbe.com', ne sont ni identiques ni similaires mais différents des :
- produits et services désignés par la marque verbale FREE n°1 734 391 à savoir les 'Service télématique grand public; service de stockage, de réception et de diffusion de messages',
- de ceux désignés par la marque semi-figurative FREE n° 99 785 839, à savoir, les « Equipement pour le traitement de l’information et les ordinateurs ». « Publicité; gestion de fichiers informatiques ». « Communication par terminaux d’ordinateurs ; communications télématiques et téléphoniques ; télécommunications; information en matière de télécommunication ». « Location de temps d’accès à un centre serveur de bases de données ; location de temps d’accès à un centre serveur de base de données notamment pour les réseaux de communication mondiale de type internet »,
- de ceux, enfin, désignés par la marque verbale FREE n°13 4 037 814, à savoir les « Appareils et équipements de télécommunication et de communication téléphonique, radiophonique, télématique ; ordinateurs ; logiciels ; programmes informatiques ». « Publicité ; publicité en ligne sur un réseau informatique ; location de temps publicitaires sur tout moyen de communication ou télécommunication ; diffusion d’annonces publicitaires ; présentation de produits sur tout moyen de communication pour la vente au détail ; abonnement à des services de télécommunication ; gestion de fichiers informatiques ; services de revues de presse ». « Services de télécommunication; location de temps d’accès à des réseaux informatiques mondiaux ; communication par réseau de fibres optiques ; communications par terminaux d’ordinateurs ; communications radiophoniques; communications téléphoniques; fourniture d’accès à des réseaux de communication électronique; radiotéléphonie mobile; fourniture d’accès à des bases de données ». « Conception de logiciels; services d’assistance en matière de télécommunications », étant rappelé que la société FREE a été déclarée déchue de ses droits sur cette marque en ce qu’elle vise les services de 'courtage de contacts commerciaux ».
Dès lors que les produits et services en cause ne sont ni identiques ni similaires mais différents, la contrefaçon des marques FREE par les dénomination sociale et nom commercial FREE-SBE et le nom de domaine « free-sbe » ne saurait être caractérisée par application des dispositions de l’article L. 713-3 précitées.
Sur l’atteinte à la renommée des marques FREE,
La société FREE soutient que le dépôt et l’exploitation de la marque semi-figurative FREE-SBE, l’adoption et l’usage par la société FREE-SBE de la dénomination sociale et du nom commercial FREE-SBE ainsi que la réservation et l’usage du nom de domaine « free-sbe.com » pour l’exploitation de ses activités sont des actes qui portent atteinte aux marques renommées FREE au sens de l’article L 13-5 du code de la propriété intellectuelle.
Selon l’article précité dans sa rédaction applicable au litige, ' La reproduction ou l’imitation d’une marque jouissant d’une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière.'
Le tribunal, au terme d’une exacte analyse des justifications produites et par de justes motifs, qui ne sont pas critiqués et que la cour adopte, a considéré établie la renommée des marques verbales et semi-figurative dont est titulaire la société FREE. Le tribunal a cependant retenu que l’atteinte aux marques renommées n’est pas en l’espèce caractérisée et a débouté la société FREE de ses demandes sur ce chef.
La société FREE fait valoir au soutien de son appel que la marque contestée FREE-SBE imite les marques FREE et qu’un lien sera inéluctablement établi entre les marques en conflit qui s’adressent à un public qui se recoupe en ce qu’il est composé de professionnels. Elle rappelle à cet égard que si les services de la société FREE-SBE sont proposés exclusivement à des professionnels, ceux de la société FREE (box internet et télévision, téléphonie mobile) visent les particuliers mais aussi les professionnels. En conséquence, une partie du public risque, selon elle, d’être induit en erreur sur l’origine des produits et services, car fondé à croire que la marque FREE-SBE qui associe les mots 'Services', 'Business’ et 'Entreprises’ désigne des offres spécialement développées par la société FREE pour les professionnels. L’usage de la marque contestée lui est ainsi, selon elle, préjudiciable car il vient la freiner dans ses éventuels projets de diversification de ses offres ajoutant que le caractère distinctif de ses marques s’en trouve dilué et, partant, leur valeur économique diminuée. Elle estime, enfin, que l’imitation des marques renommées FREE ne repose sur aucun juste motif et constitue une exploitation injustifiée de celles-ci ne visant qu’à tirer profit de leur caractère distinctif et de l’image d’efficacité, de fiabilité et de maîtrise des prix attachée à ces marques.
Ceci posé, il importe de rappeler que les dispositions de l’article L713-5 du code de la propriété intellectuelle confèrent à la marque renommée une protection spécifique qui n’est pas subordonnée à l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public concerné mais applicable dès lors que le degré de similitude entre la marque renommée et le signe contesté a pour effet de conduire le public concerné à effectuer un rapprochement entre ce signe et la marque, c’est-à-dire à établir un lien entre ceux-ci, alors même qu’il ne les confond pas. Ainsi qu’il a été souligné à bon droit par le tribunal, c’est ce lien, quand il est établi, qui permet de conclure que l’usage de la marque postérieure est susceptible de bénéficier indûment de la distinctivité de la marque renommée ou d’occasionner un préjudice à son propriétaire.
L’existence d’un tel lien doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce, au nombre desquels figurent notamment : le degré de similitude entre les signes en conflit, le degré de proximité ou de dissemblance des produits ou services en cause ainsi que du public concerné, l’intensité de la renommée de la marque antérieure, le degré de caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l’usage, de la marque antérieure, l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public.
Concernant la comparaison des signes, il est relevé, au plan visuel, que la marque contestée est composée d’un élément figuratif en forme de carré renfermant 16 petits carrés de couleur rouge ou noire, dont certains sont reliés entre eux suivant un tracé évoquant un E majuscule. Cet élément figuratif situé en attaque du signe accroche d’emblée l’attention et différencie la marque contestée des marques verbales et semi-figurative de la société FREE . S’agissant, en particulier, de la marque semi-figurative FREE, l’élément figuratif dont elle est dotée, donnant à voir la représentation stylisée d’un homme-oiseau, de couleur bleu vif, prenant son envol, est très dissemblable de la figure purement géométrique de couleurs rouge et noire qui compose la marque semi-figurative FREE-SBE. Il est en outre observé, concernant la marque postérieure, que l’élément verbal FREE est relié par un tiret rouge à l’élément verbal SBE pour former l’ensemble FREE-SBE, lequel est devancé du motif carré de couleurs rouge et noire et accompagné, au niveau inférieur, des mentions « Services Business Entreprises » . Ainsi encadré, l’élément verbal FREE n’apparaît pas prédominer au sein de la marque postérieure. Les signes en conflit sont ainsi, au plan visuel, différents, et l’élément verbal FREE, repris dans la marque contestée, n’y occupe pas une place dominante.
Sur le plan auditif, le signe FREE-SBE, qui sera prononcé « frisbi », contient deux syllabes, et se différencie tant par les sonorités que par le rythme du terme FREE.
Sur le plan conceptuel, l’élément figuratif de la marque attaquée, formant un carré lui-même composé de 16 petits carrés de couleurs rouge et noire et où peut être lue la lettre E, n’évoque pas, contrairement à ce que soutient la société FREE, un clavier de téléphone ou d’ordinateur de nature à susciter un rapprochement avec les services de téléphonie, informatique et télécommunications des marques FREE. Par ailleurs, si l’élément verbal FREE des marques antérieures est aisément perçu par un large public comme en rapport avec la notion de liberté, ce d’autant que la marque semi-figurative FREE est composée, outre du dessin évocateur d’un homme-oiseau prenant son envol, du slogan explicite « la liberté n’a pas de prix », l’expression FREE-SBE qui est, dans la marque contestée, assortie d’une figure géométrique carrée et des mentions « Services Business Entreprises », ne conduit pas, de manière évidente, à effectuer un lien entre cette marque et la notion de liberté. Enfin, le terme SBE n’est pas nécessairement appréhendé comme un sigle mais peut être perçu, comme issu, à l’instar du terme FREE, de la langue anglaise, ce qui lui confère au sein de l’expression FREE-SBE un caractère distinctif propre. En conséquence, les signes en conflit ne présentent pas de similitude conceptuelle et la reprise de l’élément verbal FREE par la marque postérieure ne suscite pas spontanément un rapprochement entre ces deux signes par association dans une évocation commune.
Concernant la comparaison des produits et services, le tribunal a justement constaté qu’ils sont différents à l’exception des services de « Publicité; abonnement à des services de télécommunication pour les tiers ; gestion de fichier informatiques » et des services de « Télécommunications; informations en matière de télécommunications; communications par terminaux d’ordinateurs ou par réseau de fibres optiques ; communications radiophoniques ou téléphoniques ; radiotéléphonie mobile ; fournitures d’accès à des bases de données ; location de temps d’accès à des réseaux informatiques mondiaux » de la classe 38, qui sont communs à la marque contestée d’une part et aux marques FREE semi-figurative n° 99 785 839 et verbale FREE n°13 4 037 814 d’autre part.
Il est cependant constaté que les services précités ne représentent qu’une partie minime des services couverts par la marque contestée. Il est en outre relevé, et il n’est pas contesté, que ces services s’adressent exclusivement à des entreprises auxquelles il est proposé, au moyen de services d’audit, de conseil et de courtage, de leur procurer des solutions personnalisées, ou 'sur mesure’ ainsi qu’il est annoncé sur son site internet, pour réduire leurs dépenses de fonctionnement relatives notamment à leurs besoins en télécommunications, téléphonie et internet. Le public de professionnels concerné par les services de la société FREE-SBE ne sera pas enclin à effectuer un lien entre les marques en conflit, ce d’autant que la société FREE propose ses produits et services de télécommunications, téléphonie et internet à très large public de consommateurs, et à l’ensemble des foyers domestiques, sans cibler spécifiquement les entreprises ni dédier aux professionnels un service d’audit, de conseil et de courtage dans l’objectif de leur offrir des solutions personnalisées. Il est à cet égard exactement et pertinemment relevé par le tribunal que les résultats obtenus par les moteurs de recherche sur internet sur les requêtes « free opérateur téléphonique », « free communication », « free internet » ou même « free courtier », bien qu’ils renvoient aux sites de diverses sociétés, ne recensent pas le site internet de la société FREE-SBE. Il est en outre observé que la page d’accueil du site internet de la société FREE-SBE intitulée « nos offres », qui présente un tableau de l’ensemble de ses partenaires, mentionne les marques de télécommunications et téléphonie « Orange » et « SFR » mais non pas « FREE », ce dont il suit, de plus fort, que le public concerné ne sera pas fondé à croire que la marque contestée désigne des services fournis par la société FREE ou en partenariat avec celle-ci.
Il découle de l’ensemble des observations qui précèdent que le risque que le public de professionnels auquel s’adressent les services proposés sous la marque contestée établisse un lien avec les marques FREE n’est pas établi, ce qui prive de fondement le grief d’exploitation indue de la renommée des marques FREE préjudiciable au propriétaire de ces marques.
Il en ressort en outre que l’activité exercée par la société FREE-SBE sous la dénomination sociale et le nom commercial et à travers le site internet « free-sbe.com » , consistant à proposer à une clientèle de petites et moyennes entreprises des services de courtage, d’audit, de conseil et de centrale d’achat destinés à leur procurer, à des tarifs avantageux, des solutions 'sur-mesure’ répondant à leurs besoins de fonctionnement, notamment en matière d’énergie (gaz et électricité), bureautique et fournitures de bureau, téléphonie, hygiène et sécurité, assurances, et leur permettant de réduire leurs frais généraux, est différente, par sa nature et par son objet, des services proposés par la société FREE sous les marques FREE, et n’est pas destinée au même public, et que l’atteinte à la renommée de ces marques, avec lesquelles il n’est pas montré qu’il puisse être fait un rapprochement, n’est pas davantage établie.
Le jugement déféré est en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté la société FREE de ses demandes au titre de l’atteinte à ses marques renommées.
Sur l’atteinte à la dénomination sociale, au nom commercial FREE et au nom de domaine 'free.fr', et leur usurpation, par la société FREE-SBE,
Ces griefs sont invoqués au fondement de l’article 1240 du code civil qui sanctionne les faits fautifs et, à ce titre, tout comportement contraire à un exercice loyal et honnête de la liberté du commerce induisant dans l’esprit de la clientèle un risque de confusion. La société FREE soutient que l’appropriation et l’utilisation par la société FREE-SBE, en tant que marque, de dénomination sociale, de nom commercial et de nom de domaine, du signe FREE-SBE portent atteinte à ses droits antérieurs de dénomination sociale, de nom commercial et de nom de domaine sur le signe FREE et caractérisent une usurpation de ces droits.
Selon les mentions du registre du commerce et des sociétés, la société FREE exerce les activités de 'toutes prestations de services dans le domaine de la télécommunication et notamment des télécommunications'. Une telle activité est différente, par sa nature et par son objet, de celle, précédemment décrite, de la société FREE-SBE.
Etant ajouté que les activités respectivement exercées par les sociétés en litige s’adressent, ainsi qu’il a été vu, à un public différent, elles ne sauraient être considérées comme concurrentes.
Il ressort enfin de la comparaison des signes, précédemment développée, que la marque semi-figurative FREE-SBE est différente, au plan visuel, au plan auditif et au plan conceptuel, du vocable FREE constitutif de la dénomination sociale de la société FREE et utilisé par celle-ci à titre de nom commercial et au sein du nom de domaine « free.fr ».
Il n’est pas non plus établi de similitude au plan visuel, au plan auditif et au plan conceptuel, entre le vocable FREE-SBE, dénomination sociale et nom commercial de la société FREE-SBE et réservé et exploité par celle-ci à titre de nom de domaine, et le signe opposé FREE.
En considération des différences de nature et d’objet entre les activités respectivement exercées par les sociétés en présence, destinées à des publics différents, et compte tenu de la dissemblance entre les signes, le risque de confusion n’est pas caractérisé et il n’est pas davantage montré que la société FREE-SBE ait tenté de tirer profit de la notoriété, acquise au prix de ses investissements matériels et financiers et de ses efforts humains, de la société FREE.
Les griefs d’atteinte à la dénomination sociale, au nom commercial FREE et au nom de domaine « free.fré, et d’usurpation, par la société FREE-SBE, ne sont donc pas établis et le tribunal doit être approuvé en ce qu’il les a écartés.
Sur les autres demandes,
Le sens de l’arrêt conduit à confirmer les dispositions du jugement statuant sur les frais irrépétibles et les dépens.
L’équité commande de condamner la société FREE à payer à la société FREE-SBE et à M. X une indemnité de 10.000 euros à chacun au titre des frais irrépétibles d’appel.
Succombant à l’appel, la société FREE en supportera les dépens.
PAR CES MOTIFS :
Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Déboute la société FREE de toute demande plus ample ou contraire aux motifs de l’arrêt,
Condamne la société FREE à payer à la société FREE-SBE et à M. X une indemnité de 10.000 euros à chacun au titre des frais irrépétibles d’appel.
Condamne la société FREE aux dépens de la procédure d’appel.