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Décisions

Cass. crim., 14 novembre 2007, n° 06-87.565

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Avocats :

Me Bouthors, SCP Choucroy, Gadiou et Chevallier, SCP Laugier et Caston

Paris, du 26 sept. 2006

26 septembre 2006

Statuant sur les pourvois formés par :

- X André,

- Y Alain,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 9e chambre, en date du 26 septembre 2006, qui a condamné le premier, pour abus de biens sociaux, à quinze mois d'emprisonnement avec sursis, 20 000 euros d'amende, le second, pour complicité d'abus de biens sociaux et recel, à neuf mois d'emprisonnement avec sursis, 10 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation proposé par Me Z pour André X, pris de la violation des articles 6 de la convention européenne des droits de l'homme, 111-3, 111-4 et 121-1 du code pénal, L. 236-9, L. 236-16, L. 236-22, L. 241-3, L. 242-6 du code de commerce, 8, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

en ce que la cour a reconnu André X coupable d'abus de biens sociaux en sa qualité de dirigeant de droit de la société Seminep ;

aux motifs qu'en acceptant d'abandonner à Jean-Pierre A et à ses proches la gestion de la Seminep, structure de droit privé financée par des fonds publics et destinée à remplir une mission d'intérêt général, alors même que ces personnes contrôlaient les sociétés sous-traitantes de la Seminep, André X a exposé la société d'économie mixte qu'il présidait à des risques anormaux ; qu'au surplus, lorsque les risques se sont réalisés et que la société a enregistré à partir de 1990 des pertes en progression constante, il n'a pris aucune mesure pour mettre fin au « système » mis en place par Jean-Pierre A ; qu'en raison du montant des honoraires injustifiés versés par la Seminep, tel qu'il a été établi par les premiers juges, et de la situation financière très détériorée de cette société, André X ne pouvait qu'être conscient, du préjudice important causé à la Seminep, et partant à la commune ; que ce « système », qui générait des fonds très importants au profit des sociétés de Jean-Pierre A, servait aussi les intérêts d'André X dans la mesure où la Seminep constituait pour la municipalité un instrument de financement et d'exécution de sa politique en matière d'acquisition foncière qui accroissait les pouvoirs du maire ; que tous ces éléments sont constitutifs du délit d'abus de biens sociaux sont réunis ;

1°) alors que, d'une part, le point de départ de la prescription d'un abus de biens sociaux est différé au jour où l'infraction a été révélée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ; que sauf dissimulation, ce point de départ est fixé au jour où les faits qui le constituent sont révélés par les comptes-sociaux ; qu'en l'absence de toute dissimulation caractérisée, la cour, en reportant le point de départ de la prescription au 26 juin 1995, date du rapport du commissaire aux comptes, a privé sa décision de base légale ;

2°) alors que, d'autre part, la loi pénale d'interprétation stricte n'incrimine au titre de l'abus de biens sociaux que le seul usage des biens contraire à la société ; qu'une simple abstention ne saurait être constitutive d'un tel usage ; qu'en décidant pourtant que l'élément matériel du délit était constitué par la seule abstention d'André X ayant consisté à ne pas empêcher une atteinte à l'intérêt social qu'il n'a pourtant pas commise, la cour a violé les textes susvisés ;

3°) alors que, de troisième part, en se bornant à considérer que la réalité du risque était inhérente à la forme particulière de la Seminep et à la nature des intérêts dont elle a la charge, sans rechercher si lorsque la décision de confier sa gestion à des sociétés privées a été prise, André X avait sciemment fait courir un risque anormal à la société, la cour a privé sa décision de base légale ;

4°) alors que, enfin, l'abus de biens sociaux suppose cumulativement un acte contraire à l'intérêt social de la personne morale et accompli dans l'intérêt personnel du prévenu ; que l'«accroissement des pouvoirs du maire » ne peut en aucun cas caractériser l'intérêt personnel au sens de l'article 437-3° et 4° de la loi du 24 juillet 1966 ;

Sur le moyen unique de cassation proposé par la société civile professionnelle Choucroy, Gadiou et Chevallier pour Alain Y, pris de la violation des articles L. 242-6-3° du code de commerce, anciennement article 437 de la loi du 24 juillet 1966, 121-6 et 121-7 du code pénal, 388 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Alain Y coupable de complicité d'abus de biens sociaux ;

aux motifs que la cour infirmera la décision de relaxe prononcée par les premiers juges à l'égard d'Alain Y ; qu'en effet ce dernier, ancien salarié de la Sorec, a été impliqué, non seulement dans la direction de la Seminep de janvier 1993 à mars 1994 en qualité de directeur, à une époque où la société enregistrait des pertes très importantes et où néanmoins des opérations déficitaires se poursuivaient, mais également dans la direction de la société Opéra IV qui a indûment perçu de la Seminep une somme de 145 000 francs, et dans la direction de la société Consultant dont il est devenu gérant en septembre 1993 après avoir racheté en mai 1993 les parts détenues par Jean-Pierre A ; qu'au sein de la Seminep il a exercé des pouvoirs de direction et engagé financièrement la société ; que notamment en février 1994 il a signé au nom de la Seminep sans délégation du président, une garantie de loyers au bénéfice de la SCI Clichy Investissement, cessionnaire d'une partie du patrimoine acquis de la société Socoval ; qu'en outre, il a continué à gérer la Seminep en signant et endossant des chèques qu'il émettait, malgré une interdiction de gérer de 5 ans prononcée à son encontre le 14 octobre 1993 dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société Opéra IV ; qu'Alain Y qui a une formation d'ingénieur et qui a dirigé en 1989 une autre société d'économie mixte implantée à Amiens, ne peut prétendre avoir ignoré le caractère délictueux des agissements de Jean-Pierre A auxquels il a concouru au travers de la société Opéra IV, de la société Consultant et de la Seminep ;

alors que, d'une part, le délit d'abus de biens sociaux visé par l'article L. 242-6-3° du code de commerce, suppose que l'auteur président, administrateur ou directeur général d'une société anonyme ait fait de mauvaise foi des biens ou du crédit de la société un usage qu'il savait contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle il est intéressé directement ou indirectement ; qu'en outre la complicité par aide et assistance reprochée au demandeur par le titre de la poursuite n'est punissable, aux termes de l'article 121-7 du code pénal, que si le complice a facilité la préparation ou la consommation de l'infraction ; qu'en l'espèce, où les juges d'appel ont cru pouvoir déclarer Alain Y coupable de complicité des abus de biens sociaux commis au sein de la Seminep sous prétexte qu'il avait été impliqué dans la direction de cette société en qualité de directeur à une époque où elle enregistrait des pertes très importantes ainsi que dans la direction de la société Opéra IV sans que les juges du fond précisent en quelle qualité ni en quoi Alain Y aurait pu faciliter les abus de biens sociaux commis au profit de cette personne morale comme au profit de la société Consultant, la cour a violé l'article 121-7 du code pénal ;

alors que, d'autre part, la cour, qui a reconnu que l'auteur principal des abus de biens sociaux commis au profit de la société Consultant avait vendu ses parts dans cette personne morale à Alain Y qui en était ensuite devenu le gérant, n'a pas caractérisé l'existence des abus de biens sociaux commis au sein de la Seminep dont Alain Y a été déclaré complice à défaut de préciser en quoi cet auteur principal aurait été intéressé directement ou indirectement dans la société Consultant, violant ainsi l'article L. 242-6-3° du code de commerce ;

alors qu'enfin, Alain Y n'ayant pas été poursuivi pour complicité d'abus de biens sociaux commis au profit de la SCI Clichy Investissement ni pour avoir violé une quelconque interdiction de gérer prononcée à son encontre, la cour, qui a statué en dehors des limites de sa saisine a violé l'article 388 du code de procédure pénale en invoquant ces éléments pour entrer en voie de condamnation à son encontre ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la Société d'économie mixte immobilière du Nord-Est parisien (SEMINEP), dont André X, maire de Clichy-sous-Bois, était le président, et Alain Y le directeur administratif de janvier 1993 à mars 1994, a été constituée à l'initiative de cette commune et a fait appel, pour réaliser son programme d'acquisitions foncières, à des sociétés prestataires de services auxquelles elle a versé des honoraires qui se sont révélés partiellement indus ; qu'André X a été déclaré coupable d'abus de biens sociaux commis au préjudice de cette société et Alain Y de complicité et recel de ce délit ;

Sur le moyen proposé pour André X, pris en sa première branche ;

Attendu que, pour écarter la prescription des abus de biens sociaux commis d'août 1984 à septembre 1995 par André X, l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que les agissements délictueux des dirigeants n'ont pas pu être connus avant le dépôt, le 26 juin 1995, du rapport du commissaire aux comptes, qui s'est interrogé sur une facture suspecte établie le 24 février 1994 à l'occasion de la vente de biens immobiliers de la Seminep ; que les juges ajoutent que seul le rapprochement, effectué par l'expert désigné le 28 septembre 1995 par le tribunal de commerce, entre les paiements opérés par cette société et les multiples conventions en vertu desquelles ils étaient censés avoir été faits, a permis de faire apparaître qu'ils étaient injustifiés ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui caractérisent la dissimulation jusqu'au 26 juin 1995 du caractère indu des versements effectués par la Seminep, et d'où il résulte que la prescription n'était pas acquise lorsque le procureur de la République a requis l'ouverture d'une information le 16 juin 1996, le grief allégué n'est pas encouru ;

Sur le moyen proposé pour André X, pris en ses autres branches, et sur le moyen proposé pour Alain Y ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, qui n'a pas excédé les limites de sa saisine, a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré les prévenus coupables et a ainsi justifié l'allocation, au profit des parties civiles, des indemnités propres à réparer le préjudice en découlant; que les moyens se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus ;

D'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.