Cass. crim., 25 février 1992, n° 91-80.217
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
M. Zambeaux
Avocat général :
Mme Pradain
Avocat :
SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 63, 64, 77, 105, 152, 154 et 593 du Code de procédure pénale, 5. 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de réponse à conclusions, violation des droits de la défense :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a dit qu'il n'y avait pas lieu de déclarer illégale l'audition d'Alain X... en date du 8 novembre 1988 et de prononcer sa nullité ;
" aux motifs que, chargé par soit-transmis du Parquet de Tours du 5 mai 1988, d'effectuer une enquête à la suite de la plainte déposée par Mme Y... du chef d'escroquerie contre le demandeur, Alain X... a été placé en garde à vue et entendu, le 8 novembre 1988, à 16 heures 45 ; que cette mesure n'entrait manifestement pas dans le cadre des personnes visées aux articles 61 et 62 du Code de procédure pénale auxquels l'article 63 du même Code fait référence ; que toutefois, les règles énoncées aux articles 63 et 64 ne sont pas prescrites à peine de nullité ; que leur inobservation n'entraîne pas, à elle seule, la nullité des actes de procédure, sauf s'il est démontré que la recherche et l'établissement de la vérité s'en sont trouvés viciés fondamentalement ; qu'en l'espèce, le prévenu a nié, durant ces auditions recueillies pendant sa garde à vue, avoir commis la moindre escroquerie au préjudice de Mme Y... et a donné sa version des faits ayant entouré la vente du véhicule Trafic de cette dernière sur laquelle il n'est pas revenu lorsqu'il a été entendu par le magistrat instructeur en présence de son conseil ; que sa mise en garde à vue, bien qu'illégale, n'a pas eu pour effet de vicier la recherche et l'établissement de la vérité ;
" alors, d'une part, que les conditions irrégulières de la mise en garde à vue doivent entraîner la nullité des poursuites lorsque la recherche de la vérité s'en est trouvée fondamentalement viciée ; que tel est le cas, en l'espèce, X... ayant été contraint, sans motif particulier, de déférer à la mesure qui lui a été signifiée et de répondre aux interrogatoires auxquels il a été soumis ; qu'ainsi, l'audition accomplie le 8 novembre 1988 dans des conditions illégales a vicié la recherche et l'établissement de la vérité, en sorte que tous les actes accomplis durant la garde à vue sont nuls ;
" alors, d'autre part, que la cour d'appel n'a pas examiné le moyen tiré de la violation de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales fondé sur le principe que nul ne peut être privé de sa liberté dans des conditions contraires aux voies légales " :
Attendu que, malgré la référence erronée aux articles 61, 62 et 63 du Code de procédure pénale, alors que les conditions du placement en garde à vue au cours de l'enquête préliminaire relèvent de l'article 77 dudit Code, c'est sans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel, par les motifs rapportés, a considéré qu'il n'y avait pas lieu de prononcer l'annulation du procès-verbal d'audition de Alain X..., le 8 novembre 1988, lors de l'enquête relative aux faits reprochés ;
Qu'en effet, les règles énoncées à l'article 77 précité concernant la garde à vue ne sont pas prescrites à peine de nullité ; que leur inobservation, comme celle des dispositions de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'entraîne pas, par elle-même, la nullité des actes de la procédure lorsque, comme en l'espèce, il n'est pas démontré que la recherche et l'établissement de la vérité s'en sont trouvés fondamentalement viciés ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 405 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable du délit d'escroquerie et l'a condamné à indemniser la partie civile ;
" aux motifs que les versions de Geneviève Y... et du prévenu, Alain X..., sont diamétralement opposées, notamment en ce que la première situe la conversation téléphonique qu'elle a eue avec le demandeur au sujet de la baisse du prix de vente, après la foire de Tours, aux environs du 10 ou 12 mai alors que le second prétend que cette communication date d'avant le commencement de la foire de Tours qui a lieu tous les ans du 1er au 10 mai ; qu'il ressort de la procédure qu'à la foire de Tours, le véhicule en question a été mis en vente pour le prix de 75 000 francs ; que le 4 mai 1987, M. Z... a signé un bon de commande relatif à la vente du véhicule au profit de son propriétaire pour le prix de 75 000 francs ; qu'en outre, X... a reconnu que, dès les premiers instants de la transaction avec l'acquéreur, il lui avait indiqué qu'il ne pouvait pas vendre maintenant le véhicule car il attendait la fiche de dépôt-vente à 50 000 francs ; que M. Z... a affirmé qu'Alain X... lui avait dit qu'il devait retenir le véhicule en versant 5 000 francs car il n'avait pas la carte grise, le document étant resté chez lui ; qu'en fait, le demandeur n'a adressé le dossier de transfert de la carte grise du camping-car que tardivement à la préfecture de la Sarthe qui ne l'a reçu que le 20 mai 1987 ; qu'il apparaît ainsi que lorsqu'il a conclu avec M. Z..., le 4 mai 1987, le demandeur n'était pas en possession du mandat de Mme Y... de vendre le camping-car à 50 000 francs, remettant en cause le mandat du 28 mars 1987 lui confiant la vente du véhicule au prix de 60 000 francs ; qu'il n'a d'ailleurs jamais soutenu avoir signalé à Mme Y... qu'il avait trouvé un acquéreur pour un prix propre à satisfaire pleinement son ordre de vente du 28 mars 1987 ; qu'il est évident que Mme Y... n'aurait pas expédié un mandat ramenant à 50 000 francs ses prétentions de vendre le véhicule 60 000 francs si elle avait été informée par le demandeur qu'il avait trouvé un acquéreur au prix de 75 000 francs ; qu'ainsi, X... a différé la vente pour que sa commission soit plus importante sur le prix de vente ramené à 50 000 francs, c'est-à-dire égale à 25 000 francs ; qu'en fait, le prévenu a agi dans son seul intérêt et non dans celui de Mme Y... dont il a manifestement trompé la confiance en l'amenant à réduire de 10 000 francs ses prétentions sur le prix de vente de son véhicule qu'elle croyait à tort, en expédiant son second mandat, parvenu au demandeur après le 15 mai 1987, ne pas pouvoir vendre à 60 000 francs ; que grâce à cette manoeuvre, le demandeur a vu sa commission passer de 15 000 francs à 25 000 francs ; qu'en abusant de sa qualité de mandataire et en utilisant son mandat contre les intérêts de son mandant, X... a bien commis le délit d'escroquerie qui lui est reproché ;
" alors, d'une part, qu'il incombe aux parties poursuivantes, ministère public et parties civiles, conformément aux principes généraux qui régissent la charge de la preuve, d'établir que l'infraction a été commise par le prévenu et non à ce dernier de prouver son innocence ; qu'en l'espèce, les juges du fond, qui n'ont pu relever l'existence d'aucun élément susceptible d'établir la culpabilité du prévenu, ont renversé la charge de la preuve et méconnu la présomption d'innocence en le déclarant coupable du délit d'escroquerie en refusant de tenir compte de sa version des faits propre à établir l'accord verbal de Mme Y... sur un prix de vente à 50 000 francs, antérieurement à la foire de Tours, et en se fondant sur l'augmentation de sa commission, circonstance insusceptible de justifier la condamnation prononcée à l'encontre du demandeur ;
" alors, d'autre part, que les juges ne peuvent considérer que l'abus d'une qualité vraie et l'emploi de manoeuvres frauduleuses constituent le délit d'escroquerie sans constater que cet abus et ces manoeuvres ont été déterminants de la remise des fonds ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui n'a pas précisé en quoi l'abus de qualité de mandataire du demandeur aurait été déterminant de la remise d'un nouveau mandat, a privé sa décision de base légale " ;
" alors surtout que la cour d'appel, qui n'a pas constaté quel était le montant de la commission que le demandeur était autorisé à percevoir et a seulement relevé son augmentation n'a, de plus fort, pas légalement justifié sa décision " ;
Attendu, d'une part, que, contrairement à ce qui est allégué, c'est sans atteinte à la présomption d'innocence ni renversement de la charge de la preuve que les juges du fond ont, par une appréciation souveraine des éléments de preuve régulièrement produits au débat, déduit leur conviction de la culpabilité du prévenu ; que cette appréciation, exempte de contradiction ou d'insuffisance, échappe au contrôle de la Cour de Cassation ;
Attendu, d'autre part, qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que X..., que Geneviève Y... avait chargé de vendre un véhicule en lui remettant une " fiche de dépôt-vente au prix de 60 000 francs " a, alors qu'il avait déjà reçu l'engagement d'un acquéreur pour un prix de 75 000 francs, en dissimulant à sa mandante cette circonstance, demandé à celle-ci de lui adresser une nouvelle " fiche de dépôt-vente au prix de 50 000 francs " ; que les juges relèvent que c'est par crainte de ne pouvoir vendre son véhicule au prix initialement arrêté que Geneviève Y... a consenti à la remise de ce document, ce qui faisait bénéficier le prévenu d'une commission de 25 000 francs au lieu de 15 000 francs ;
Qu'en cet état, c'est sans encourir les griefs de la deuxième et de la troisième branches du moyen que les juges ont déclaré X... coupable du délit d'escroquerie caractérisé par l'abus d'une qualité vraie afin de persuader la partie civile, sous la crainte d'un événement chimérique, de lui remettre un titre portant obligation pour elle d'accepter un prix déterminé, fait retenu par la prévention ; qu'en effet, l'abus d'une qualité vraie constitue une manoeuvre frauduleuse lorsque, comme en l'espèce, elle est de nature à emporter la confiance de la victime et à la persuader de l'existence de l'événement chimérique allégué ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.