Cass. crim., 6 novembre 1991, n° 90-84.872
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
Mme Ract-Madoux
Avocat général :
M. Rabut
Avocat :
SCP Waquet, Farge et Hazan
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 405 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré le prévenu coupable de tentative d'escroquerie ;
" aux motifs qu'il avait tenté de se faire remettre par Mme Y... une somme d'argent en employant des manoeuvres frauduleuses (appels téléphoniques, pressions diverses, évocation de l'intervention d'un tiers associé qui ne se laisserait pas faire par une femme) pour faire naître chez elle l'espérance qu'en versant cette somme aucune autre personne ne se porterait surenchérisseur du bien immobilier qui l'intéressait et aussi pour la persuader de l'existence de son pouvoir en se portant surenchérisseur ou en faisant intervenir un tiers aux mêmes fins de faire augmenter la valeur d'acquisition de ce bien ;
" alors, d'une part, que ni le fait d'appeler à plusieurs reprises et de façon insistante un enchérisseur au téléphone pour négocier avec lui le prix d'une abstention à surenchérir, ni celui d'évoquer la possibilité de faire ou de laisser intervenir un tiers pour surenchérir au cas où la négociation n'aboutirait pas ne constituent des manoeuvres frauduleuses au sens de l'article 405 du Code pénal ; qu'en effet, des manoeuvres frauduleuses supposent soit la production de documents, soit l'intervention d'un tiers, soit une mise en scène destinées à convaincre la victime de la nécessité de remettre l'un des objets énumérés par l'article 405 pour éviter la survenance d'un événement purement imaginaire ou chimérique ; que le droit de surenchérir ne constituant pas un événement purement imaginaire ou chimérique et les appels téléphoniques insistants du prévenu pour négocier son abstention à en user ne constituant ni une mise en scène ni une production de documents, ni l'intervention d'un tiers pour tromper leur destinataire, la tentative d'escroquerie reprochée au prévenu n'est pas légalement constituée ;
" alors, d'autre part, que la Cour qui n'a pas constaté que le prévenu qui a fait effectivement surenchérir n'ait pas eu la capacité financière de se porter acquéreur n'a pas légalement justifié la déclaration de culpabilité " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, le 10 janvier 1985, Monique Y... a été déclarée, par le tribunal de Grasse, adjudicataire d'une villa au prix de 904 000 francs ; que Jean-Paul X... l'a abordée, alors qu'elle se trouvait en compagnie de son conseil et lui a demandé si elle était disposée à lui verser la somme de 5 000 francs pour éviter une surenchère ; que ce marchand de biens a téléphoniquement réitéré à trois reprises sa demande, en en augmentant chaque fois le montant ; qu'il lui a précisé que " l'un des associés n'allait pas en rester là et qu'il n'allait pas à 50 ans se laisser faire par une femme " ; qu'en définitive la société Fiminter, dont l'enquête a démontré qu'elle n'avait aucun lien avec Jean-Paul X..., a déposé un acte de surenchère, mais qu'en l'absence de surenchérisseur à l'audience, Monique Y... est devenue propriétaire de la villa ;
Attendu que, pour retenir la culpabilité du prévenu du chef de tentative d'escroquerie, la cour d'appel énonce que ce dernier a tenté de se faire remettre par Monique Y... une somme d'argent, en employant des manoeuvres frauduleuses (appels téléphoniques, pressions diverses, évocation de l'intervention d'un tiers associé) pour faire naître chez elle l'espérance qu'en versant cette somme aucune autre personne ne se porterait surenchérisseur du bien immobilier qui l'intéressait ;
Mais attendu qu'en l'état de ces seules énonciations qui, si elles établissent l'existence de mensonges imputables au prévenu, ne caractérisent pas les manoeuvres frauduleuses exigées par l'article 405 du Code pénal, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ; que la cassation est dès lors encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 17 janvier 1990, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.