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Décisions

Cass. crim., 22 mars 2000, n° 99-83.732

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

Mme Caron

Avocat général :

M. Launay

Avocat :

SCP ANCEL et COUTURIER-HELLER

Pau, du 5 mai 1999

5 mai 1999

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 312-1 al. 1 et 2 et 312-13 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué, retenant Jean-Louis X...dans les liens de la prévention du chef d'extorsion de fonds, l'a condamné à une peine d'emprisonnement d'un an avec sursis et une peine d'amende de 50 000 francs, ainsi qu'à l'interdiction de gérer ou d'administrer une entreprise pendant 2 ans ;

" aux motifs que " force est d'admettre que non seulement l'intérêt que Victor Y...à une remise d'argent liquide de 5 % sur le chiffre d'affaires de sa propre entreprise n'est pas démontré, mais qu'au contraire une telle opération ne pouvait présenter que des inconvénients pour son entreprise ; que si effectivement Victor Y...était susceptible, en vue de l'obtention des contrats d'entretien, de consentir des remises ou diminution de prix, il n'existait en revanche aucune raison valable justifiant l'emploi du procédé incriminé, autre qu'une condition imposée par Jean-Louis X...; que, d'ailleurs, Victor Y...s'est à plusieurs reprises plaint auprès de diverses personnes qu'il se trouvait contraint de verser un certain pourcentage en numéraires du montant des factures réglées par SAGEFI s'il voulait conserver les contrats ; que sauf à imputer à Victor Y...un machiavélisme que rien n'autorise à retenir, il n'apparaît pas que celui-ci ait eu un motif quelconque de faire de telles déclarations si lui-même avait été l'instigateur des remises ; que surtout, M. Z...a fait des déclarations confirmant pleinement la plainte de Victor Y...; que certes, celles-ci sont intervenues ultérieurement à son licenciement après que ce témoin, lors de sa première audition ayant eu lieu alors qu'il était salarié de l'entreprise, avait indiqué ne pas être informé de la pratique litigieuse prêtée au prévenu ; que cette circonstance n'est pas cependant suffisante pour ôter à ces déclarations leur caractère probant d'autant qu'elles sont précises et détaillées ; or, attendu qu'il résulte de l'audition de M. Z...qui, au demeurant, a indiqué pourquoi il n'avait pas initialement dénoncé les faits reprochés au prévenu, que ce dernier s'était bien fait verser par Victor Y...un pourcentage de 5 % ainsi que Jean-Louis X...avait été amené à le lui confirmer par la suite ; que M. Z...a d'ailleurs expliqué que le prévenu procédait de la sorte à l'égard de la société Y..., mais aussi d'une autre entreprise au détriment de laquelle il prélevait 10 % selon les confidences mêmes du responsable de celle-ci car ces deux sociétés étaient les seules à bénéficier de contrats sur l'ensemble des résidences, et que s'agissant de la seconde entreprise, soit Espace Peinture, Jean-Louis X...disposait de moyens de pression à son encontre ; que le témoin a encore précisé, toujours à propos de l'entreprise Espace Peinture, que Jean-Louis X...avait été furieux d'apprendre que les travaux étaient directement réglés par les propriétaires à celle-ci et qu'il avait demandé qu'on lui adresse tous les chèques établis à l'ordre de cette entreprise en spécifiant que lui-même les remettrait à leur bénéficiaire ; qu'il a de même affirmé que Jean-Louis X..., lorsqu'il avait appris que l'entreprise Gruiller avait été contactée en remplacement de la SARL Y...lui avait indiqué, bien qu'il fût responsable de l'agence paloise, qu'il allait négocier lui-même avec le nouvel entrepreneur ; que si M. A..., responsable de l'entreprise Espace Peinture, n'a dénoncé aucun fait répréhensible à l'encontre de Jean-Louis X..., il reste que la découverte de trois factures de complaisance établies par Roger Testou à la demande de M. A... et ce pour un montant bien précis, est de nature à accréditer les dires de M. Z...; que M. Z...a ajouté que durant la détention de son père, la fille de Jean-Louis X...lui avait suggéré de se rendre à la gendarmerie pour déclarer qu'en sa présence Victor Y...avait proposé à son père au restaurant La Bascule à Toulouse, le versement d'une commission, ce qu'il avait refusé ; que sur ce point, il a pu être vérifié qu'effectivement il avait appelé à plusieurs reprises le domicile de la fille de Jean-Louis X...à partir d'une cabine téléphonique déterminée, comme le lui avait demandé cette personne ; qu'à la lumière des éléments d'appréciation ci-dessus, il s'avère que les remises de fonds auxquelles il a été procédé systématiquement en secret ont été obtenues sciemment sous la contrainte, Victor Y..., qui venait d'embaucher du personnel, n'ayant d'autre solution que de se plier aux exigences de Jean-Louis X...s'il voulait conserver le marché, essentiel pour son entreprise ; qu'il est à préciser que la rupture des contrats, en mai 1994, entre la société Y...et la SAGEFI est inopérante à conforter la version des faits telle qu'exposée par Jean-Louis X...dès lors, d'une part, qu'elle a été suscitée par M. Z...et que, d'autre part, en l'absence d'écritures comptables des remises et de mention de celles-ci sur les factures, Jean-Louis X...était censé ne rencontrer aucune difficulté de la part de Victor Y...; qu'en conséquence, Jean-Louis X...doit être retenu dans les liens de la prévention du chef d'extorsion de fonds " ;

" alors que l'extorsion est le fait d'obtenir par violence, menace de violence ou contrainte soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d'un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d'un bien quelconque, la contrainte doit avoir déterminé la remise ; qu'en estimant que Jean-Louis X...s'était rendu coupable d'extorsion de fonds au détriment de Victor Y..., tout en admettant (p. 8 al. 2) que Victor Y..." était susceptible, en vue de l'obtention des contrats d'entretien, de consentir des remises ou diminution de prix ", la cour d'appel, qui s'abstient de rechercher si les remises n'auraient pas été en toute hypothèse consenties par l'entreprise de Victor Y..., ce qui exclut tout lien de causalité entre la prétendue contrainte morale exercée par Jean-Louis X...et la remise des fonds, a privé sa décision de tout fondement légal au regard des textes visés au moyen ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 437, 460, 463 et 464 de la loi du 24 juillet 1966, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué, retenant Jean-Louis X...dans les liens de la prévention du chef d'abus de biens sociaux, l'a condamné à une peine d'emprisonnement d'un an avec sursis et une peine d'amende de 50 000 francs, ainsi qu'à l'interdiction de gérer ou d'administrer une entreprise pendant 2 ans ;

" aux motifs que, s'agissant de l'abus de biens sociaux reprochés, Jean-Louis X..., après avoir dans ses déclarations initiales indiqué que ! es sommes remises en liquide par Victor Y...lui avaient servi à régler différents frais inhérents au fonctionnement de la société, a, par la suite, affirmé qu'elles avaient été utilisées pour faire des cadeaux à des fournisseurs ou des prestations de services ; qu'en tout état de cause, aucune écriture comptable n'a été passée par la SAGEFI, relativement à ces " rentrée de fonds " et que pas davantage, il n'y a eu de facturation écrite ; qu'ainsi, Jean-Louis X..., qui n'a pas souhaité par ailleurs fournir l'identité de l'un ou l'autre des nombreux bénéficiaires des cadeaux qu'il aurait faits, se trouve dans l'impossibilité d'établir, malgré sa qualité de PDG de la société, le moindre profit par cette dernière des ristournes imposées ; que dès lors qu'il a lui-même perçu ces sommes directement, en liquide, sans en porter mention dans les comptes de la société et sans fournir la moindre justification quant à leur utilisation, il convient de retenir un détournement à des fins personnelles des remises obtenues en qualité de PDG de la société et qui étaient par suite censées revenir à celle-ci ; qu'en outre, l'extourne pratiquée en juin 1995, par création d'une ligne " remises fournisseurs ", en contrepartie du poste " paiements fournisseurs ", d'un montant total de 73 121 francs, qui en définitive, après refus de M. Z..., a été exécuté sur ordre direct de Jean-Louis X...par la comptable qui aurait souhaité, selon ses propres dires, connaître les raisons de cette opération, n'a eu d'autre objet que de tendre, au surplus au détriment de la société SAGEFI, à la régularisation d'une situation délictuelle existant depuis plusieurs années ; que l'approbation de cette régularisation par l'assemblée générale de la société n'est pas de nature à faire disparaître le caractère délictueux des prélèvements ; qu'il y a donc lieu également de déclarer Jean-Louis X...coupable de l'infraction d'abus de biens sociaux ;

" alors que manque de base légale au regard de l'article 437, 3 de la loi du 24 juillet 1966 l'arrêt qui prononce une condamnation pour abus de biens sociaux sans préciser en quoi l'usage fait des biens de la société était contraire à l'intérêt social ;

qu'en déclarant Jean-Louis X...coupable de l'infraction d'abus de biens sociaux, tout en constatant que les écritures de la société SAGEFI avaient été régularisées pour intégrer les ristournes accordées par Victor Y...et que l'assemblée générale des actionnaires de la société avait approuvé cette régularisation, la cour d'appel, qui se borne à énoncer, pour caractériser le délit, que la régularisation comptable s'est effectuée " au détriment de la société SAGEFI " (p. 10 al. 1er), sans préciser pourtant en quoi l'intérêt social a été lésé par la situation qu'elle décrit, a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable, et a ainsi justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;

D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus.