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Décisions

Cass. com., 2 février 2022, n° 19-19.525

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rémery

Rapporteur :

Mme Vaissette

Avocat général :

Mme Guinaman

Avocats :

SCP Claire Leduc et Solange Vigand, SCP Spinosi

Cass. com. n° 19-19.525

1 février 2022

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 16 mai 2019), la société Maison [T], qui avait quatre établissements situés à [Localité 5], [Localité 6], [Localité 3] et [Localité 4], a été mise en redressement judiciaire le 15 juin 2006. Son plan de cession a été arrêté par un jugement du 27 septembre 2007 au bénéfice de la Société nouvelle de distribution alimentaire (la SNDA), autorisée à se substituer quatre personnes morales, chacune acquérant l'un des établissements, ce jugement disant que M. [W], actionnaire majoritaire et dirigeant de la SNDA, devait être l'associé majoritaire de chacune des entités et le désignant comme la personne chargée de l'exécution du plan de cession. Le plan de cession comportait la reprise de soixante-douze des cent quatorze contrats de travail. Les quatre actes de cession ont été régularisés le 17 octobre 2017 pour chacun des fonds de commerce au profit de quatre personnes morales substituées.

2. Le 25 février 2008, un accord de résiliation du bail à construction des locaux dans lesquels l'établissement de [Localité 6] exerçait son activité a été conclu entre le bailleur, M. [T], et la cessionnaire, la société Gastro Food Nice. Cet accord stipulait le versement d'une indemnité de 400 000 euros par le bailleur à la société Gastro Food Nice. La société Gastro Food Nice, débitrice du prix d'un stock acheté à la SNDA, à concurrence de 414 175 euros au 15 mars 2008, lui a, par un acte sous seing privé du 26 mars 2008, cédé la créance de 400 000 euros détenue en son nom sur le compte CARPA de son conseil au titre de l'indemnité de résiliation en paiement de sa créance au titre du stock.

3. La société Gastro Food Nice a été mise en redressement judiciaire le 17 avril 2008, sur la déclaration de la cessation de ses paiements déposée le 10 avril 2008. Son plan de redressement ayant été résolu, sa liquidation judiciaire a été prononcée le 17 novembre 2010.

4. Le 18 octobre 2011, Mme [I], liquidateur des sociétés Gastro Food Nice et Gastro Pro équipements hôteliers, a assigné la SNDA et M. [W] :

- d'une part, sur le fondement de l'article 1167 du code civil, pour voir déclarer inopposable à la procédure collective le paiement de 400 000 euros,

- d'autre part, sur le fondement de l'article L. 642-11 du code de commerce, pour voir constater que la SNDA n'a pas respecté ses engagements du plan de cession et la voir condamner à payer la somme de 436 799,76 euros représentant le montant du passif de la société Gastro Food Nice et celle de 161 796,76 euros au titre du passif de la société Gastro pro équipements hôteliers et dire que M. [W] est personnellement tenu de l'exécution des condamnations prononcées à l'encontre de la société SNDA.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa troisième branche, et sur les premier et second moyens du pourvoi incident, pris en leurs secondes branches, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

6. La SNDA fait grief à l'arrêt de déclarer inopposable à la procédure collective le paiement intervenu par cession de créance de 400 000 euros par la société Gastro Food Nice à la société SNDA et de condamner cette dernière à restituer au liquidateur les fonds ainsi perçus, alors :

« 1°/ que seuls sont attaquables par la voie de l'action paulienne les paiements effectués par des moyens inhabituels ; que ne constitue pas un moyen de paiement inhabituel le paiement effectué entre commerçants par cession de créance commerciale ; qu'en jugeant bien fondée l'action paulienne exercée par la SCP BTSG, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Gastro Food Nice, à l'encontre du paiement effectué envers la société SNDA en vertu de la cession de créance réalisée au terme de l'accord du 26 mars 2008, cependant qu'un tel moyen de paiement n'était pas inhabituel entre un commerçant et son fournisseur, la cour d'appel a violé l'article 1167 ancien du code civil dans sa rédaction applicable au litige ;

2°/ que l'action paulienne ne peut être exercée que contre un acte ayant appauvri le débiteur ; que le paiement partiel d'une dette échue ne constitue pas un acte d'appauvrissement lorsqu'il permet au débiteur de poursuivre son activité ; qu'en jugeant bien fondée l'action paulienne exercée par la SCP BTSG², ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Gastro Food Nice, à l'encontre du paiement effectué envers la société SNDA en vertu de l'accord du 26 mars 2008, sans rechercher si ce paiement n'avait pas permis à la société Gastro Food Nice de poursuivre son activité jusqu'au 17 novembre 2010, date à laquelle le redressement judiciaire a été converti en liquidation judiciaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 ancien du code civil dans sa rédaction applicable au litige. » ;

Réponse de la Cour

7. Les paiements effectués par des moyens inhabituels peuvent être attaqués par la voie de l'action paulienne.

8. L'arrêt après avoir relevé que, comme le précise l'acte de cession de créance du 26 mai 2008, l'indemnité de 400 000 euros, payée par M. [T] à la société Gastro Food Nice, en contrepartie de la résiliation du bail, d'abord séquestrée entre les mains du notaire, a été remise le 15 mars 2008 par ce dernier sur le compte séquestre de l'avocat de la société Gastro Food Nice, ouvert à la CARPA, retient que la séquestration de l'indemnité de résiliation reçue du bailleur, constitutive d'un produit exceptionnel pour la société débitrice, suivie du paiement à la SNDA de la majeure partie de sa créance de vente de stock par la voie d'une cession de la créance détenue par la société Gastro Food Nice sur le compte CARPA déjà cité, est un mode de paiement inhabituel et a pu en déduire le caractère extraordinaire du montage réalisé en toute connaissance, au détriment des autres créanciers de la société Gastro Food Nice.

9. Ayant encore constaté que le plan de redressement de la société Gastro Food Nice n'avait pu se poursuivre en raison de son insolvabilité et de sa quasi-absence d'activité consécutive à la perte de son local d'exploitation en raison de la résiliation du bail à construction, la cour d'appel, qui n'avait dès lors pas à effectuer la recherche invoquée par la deuxième branche que ses constatations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

11. La société BTSG², désignée en remplacement de Mme [I] en qualité de liquidateur des sociétés Gastro Food Nice et Gastro pro équipements, fait grief à l'arrêt de rejeter l'action par elle exercée contre la SNDA, sur le fondement de l'article L. 642-11 ainsi que ses demandes indemnitaires, alors « qu'en cas de substitution d'un cessionnaire autorisé, l'auteur de l'offre de reprise retenue par le tribunal reste garant solidairement de l'exécution des engagements qu'il a souscrits, et notamment de ceux ayant trait au maintien des emplois attachés à l'ensemble cédé ; qu'en considérant au contraire que la société SNDA n'était pas tenue de garantir la bonne exécution, par la société Gastro Food Nice, de son obligation de reprise des salariés de la société Maison [T], et que ne pouvaient donc lui être imputés les licenciements et transferts de salariés opérés par le cessionnaire qu'elle s'était substituée, lesquels étaient à l'origine des créances des organismes sociaux, majorées des frais de justice qui en constituaient l'accessoire, qui représentaient ici l'intégralité du passif des procédures de liquidations judiciaires à hauteur duquel il était sollicité réparation, la cour d'appel a violé les articles L. 642-9, alinéa 3, et L. 642-11, alinéa 2, du code de commerce. »

Réponse de la Cour

12. Il résulte de l'article L. 642-9, alinéa 3, du code de commerce que l'auteur de l'offre retenue par le tribunal, autorisé à se substituer un tiers cessionnaire, reste garant solidairement de l'exécution des engagements qu'il a souscrits dans sa proposition de reprise.

13. En l'état du jugement arrêtant le plan de cession de la société Maison [T] au profit de la SNDA qui prévoyait, conformément à l'offre de cette société, la reprise d'un nombre d'emplois précisé, mais non l'obligation de les conserver ou de ne pas licencier pendant une durée déterminée, l'arrêt retient exactement que la SNDA, autorisée à se substituer des tiers cessionnaires, demeurait garante de l'engagement de reprise de soixante-douze salariés sur cent quatorze, prescrit par le jugement arrêtant le plan et qui a été respecté, mais que son engagement ne pouvait s'étendre à la garantie non souscrite, ni mentionnée par le jugement du 27 septembre 2007 du maintien de l'emploi par la société Gastro Food Nice, cessionnaire substituée.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le second moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

15. La société BTSG², ès qualités, fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes dirigées contre M. [W], pris en qualité de personne chargée de la bonne exécution du plan, alors « que le jugement qui arrête le plan de cession d'une entreprise au profit d'une société ou des personnes morales qu'elle est autorisée à se substituer et qui désigne l'actionnaire majoritaire des sociétés en cause en qualité de « personne chargée de la bonne exécution du plan » fait naître à la charge de celui-ci l'obligation personnelle d'user de son pouvoir de contrôle sur ces sociétés pour contraindre celles-ci à exécuter le plan de cession, notamment pour ce qui a trait au maintien de l'emploi ; que le manquement à cette obligation de surveillance et de contrôle constitue une faute civile qui oblige son auteur à réparer le préjudice en résultant ; qu'en considérant au contraire qu'une telle désignation ne ferait naître, à la charge de la personne ainsi désignée, aucune obligation de nature à justifier la mise en oeuvre de sa responsabilité, aux motifs impropres qu'elle ne serait pas prévue par les textes, qu'elle ne conférerait pas à la personne ainsi désignée la qualité de dirigeant de droit des sociétés en cause, et qu'elle préciserait insuffisamment la portée des engagements pris, la cour d'appel a violé les articles 1382, devenu 1240, et 1351, devenu 1355, du code civil. »

Réponse de la Cour

16. L'arrêt, après avoir énoncé qu'aucune disposition législative ou réglementaire régissant le plan de cession ne prévoit la désignation d'une personne chargée de sa bonne exécution, retient que le plan de cession de la société Maison [T] a été exécuté conformément aux termes du jugement l'ayant arrêté, y compris en ses dispositions relatives à la reprise des salariés. En l'absence de tout engagement relatif au maintien des emplois pendant une durée déterminée après leur reprise, la cour d'appel en a déduit exactement que la responsabilité de M. [W] ne peut être recherchée sur le fondement délictuel après la signature des actes de cession.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois principal et incident.