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Décisions

Cass. crim., 21 février 1995, n° 93-85.008

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

M. Milleville

Avocat général :

M. Dintilhac

Avocats :

SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin

Rouen, ch. corr. du 11 oct. 1993

11 octobre 1993

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 151, 172, 173, 385 et 593 du Code de procédure pénale, 6-1 et 6-2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs et manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense ;

" en ce que l'arrêt attaqué a refusé de prononcer la nullité des opérations de perquisition, en date du 22 juin 1990, effectuées en vertu d'une commission rogatoire, en date du 19 mars 1990, qui ne figure pas au dossier de la procédure, et de la procédure subséquente ;

" alors que, la culpabilité d'une personne n'est légalement établie que si elle repose sur des éléments de preuve réunis conformément aux prescriptions légales et dont la régularité et la valeur probante ont pu être contradictoirement débattues par l'intéressé ; que, dès l'instant où les autorités judiciaires ont décidé de procéder à son encontre à des actes d'enquête et d'instruction sur le fondement d'une commission rogatoire provenant d'une procédure distincte, cette pièce devenait partie intégrante de la procédure incidente diligentée contre X..., et celui-ci était parfaitement recevable à se prévaloir de la nullité résultant du fait qu'elle ne figurait, ni en original ni en copie conforme, dans le dossier de la procédure ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes et principes ci-dessus énoncés " ;

Et sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 151, 152, 172, 173, 385 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, violation des droits de la défense ;

" en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'annuler les opérations de perquisition, en date du 22 juin 1990, effectuées en vertu d'une commission rogatoire, en date du 19 mars 1990, relative à d'autres faits que ceux ayant donné lieu à la saisie de documents au domicile de X... ;

" alors que le délégué à l'exécution d'une commission rogatoire ne peut prescrire que des actes se rattachant directement à la répression des infractions visées par les poursuites, et ne peut ainsi agir légalement que dans les limites tracées par les termes de la mission reçue ; qu'à tout le moins, l'officier de police judiciaire ne peut, s'il découvre des faits étrangers à l'information mais susceptibles d'incrimination pénale, qu'en informer le magistrat instructeur mandant, sans effectuer aucun acte étranger à la répression de l'infraction visée dans la commission rogatoire ; qu'ainsi les officiers de police judiciaire, qui, en l'espèce, ont procédé à la saisie de documents sans lien avec l'infraction visée dans la commission rogatoire, ont outrepassé leurs pouvoirs et violé les textes susvisés, de sorte que les actes effectués en vertu de la commission rogatoire dont s'agit sont nuls " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces du dossier soumises au contrôle de la Cour de Cassation, qu'au cours d'une perquisition effectuée au domicile de Jean-Pierre X..., en exécution d'une commission rogatoire délivrée par le juge d'instruction dans une procédure distincte, des officiers de police judiciaire ont découvert du matériel informatique permettant d'utiliser frauduleusement les distributeurs automatiques de billets ; qu'agissant alors en flagrant délit de faux en écriture de banque, ils ont procédé à la saisie incidente dudit matériel ;

Attendu qu'en refusant d'annuler la saisie ainsi pratiquée, la chambre d'accusation a justifié sa décision ;

Qu'en effet, lorsque des officiers de police judiciaire procédant à une perquisition en exécution d'une commission rogatoire découvrent des faits étrangers à l'information mais susceptibles d'incrimination pénale, ils peuvent saisir toutes pièces à conviction se rapportant à ces faits en vertu, notamment, des articles 56, 57 et 67 du Code de procédure pénale, s'il y a, comme en l'espèce, délit flagrant puni d'une peine d'emprisonnement ;

Attendu que, par ailleurs, c'est à bon droit que la cour d'appel a rejeté l'exception de nullité prise de l'absence, au dossier, de la commission rogatoire en vertu de laquelle avait été faite la perquisition, en énonçant que les mentions portées en tête du procès-verbal de perquisition permettaient de vérifier l'existence et le contenu de ladite commission rogatoire ;

D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 167 et 150 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X... coupable de faux en écriture privée et de recel ;

" aux motifs qu'il s'agit bien d'une écriture qui figure sur la piste magnétique de la carte, même si cette écriture, de forme moderne, nécessite un appareil adéquat pour pouvoir être lue ; que cette écriture était reportée sur des supports vierges qui de ce fait se trouvaient constituer pour le porteur un "titre" permettant d'accéder aux distributeurs automatiques de billets et constituant la fabrication de conventions, dispositions, obligations ou décharges mentionnées à l'article 174 du Code pénal auquel l'article 150 du Code pénal fait expressément référence ;

" alors, d'une part, qu'un même fait ne peut donner lieu contre le même prévenu à deux actions pénales distinctes ; que la cour d'appel, qui déclare le prévenu à la fois coupable du délit de recel sans d'ailleurs s'expliquer aucunement sur cette incrimination, et de faux en écriture privée en ce qu'il aurait détenu des cartes bleues dont les données étaient reportées ou des cartes vierges, méconnaît le principe substantiel sus-rappelé et prive ainsi sa décision de condamnation de toute base légale ;

" alors, d'autre part, que le faux n'est punissable que lorsqu'il est matérialisé par des signes visibles ; que l'interprétation restrictive des textes répressifs interdit de considérer que la reproduction de la piste magnétique d'une carte de crédit puisse porter sur une écriture au sens de l'article 147 du Code pénal, de sorte que la décision de condamnation se trouve privée de toute base légale ;

" alors, de troisième part, que le simple fait de procéder à la duplication des données informatiques contenues sur la bande magnétique d'une carte de crédit ne constitue pas un acte de contrefaçon au sens de l'article 147 du Code pénal, le message informatique n'étant pas limité mais fidèlement reproduit sur une carte vierge ; qu'ainsi, faute d'avoir caractérisé l'acte matériel d'altération de la vérité constitutif de faux, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

" alors, enfin, que le recel n'est punissable que s'il est commis sciemment ;

qu'en reprochant à X... d'avoir détenu des cartes de crédit, sans retenir le moindre motif propre à établir la connaissance qu'il devait avoir de leur origine frauduleuse, la cour d'appel a privé sa décision de condamnation de toute base légale " ;

Attendu que Jean-Pierre X... a été poursuivi des chefs de faux en écriture privée et recel de cartes bleues volées pour avoir reproduit, sur des cartes vierges, des informations figurant sur les pistes magnétiques de cartes bleues volées ;

Attendu que, pour écarter l'argumentation du prévenu, reprise par les deuxième et troisième branches du moyen, et le déclarer coupable de faux en écriture privée, les juges se prononcent par les motifs reproduits à ce moyen ;

Qu'en cet état, la cour d'appel a justifié sa décision au regard tant des articles 150 et 462-5 du Code pénal alors en vigueur, que de l'article 441-1 du nouveau Code pénal ;

Attendu que, par ailleurs, il n'importe que les juges n'aient pas caractérisé l'élément intentionnel du délit de recel, également retenu à l'encontre du prévenu, dès lors que la déclaration de culpabilité du chef de faux justifie la peine qui a été prononcée et les dommages-intérêts qui ont été alloués à la partie civile ;

Attendu qu'enfin, en retenant les deux infractions à la charge du prévenu, la cour d'appel a donné une base légale à sa décision dès lors que les éléments constitutifs de ces délits sont différents ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus.