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Décisions

ADLC, 10 mars 2022, n° 22-D-09

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des agrégats et des marchés aval à Saint Pierre et Miquelon

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Nicolas Faas et M. Laurent Meunier, rapporteurs, et l’intervention de Mme Lauriane Lépine, rapporteure générale adjointe, par Mme Fabienne Siredey-Garnier, vice-présidente, présidente de séance.

ADLC n° 22-D-09

9 mars 2022

L’Autorité de la concurrence (vice-présidente statuant seule),

Vu la lettre enregistrée le 19 avril 2018 sous le numéro 18/0039 R, par laquelle la société Le Béton Contrôlé a saisi l’Autorité de la concurrence aux fins d’examen du respect des engagements souscrits par le groupement d’intérêt économique « Exploitation des carrières » aux termes de la décision n° 12-D-06 du 26 janvier 2012 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des agrégats et des marchés aval à Saint-Pierre-et-Miquelon;

Vu le livre IV du code de commerce, et notamment ses articles L.462-8 et L. 464-2 ;

Vu la décision n° 21-JU-06 du 27 juillet 2021, par laquelle la présidente de l’Autorité de la concurrence a désigné Mme Fabienne Siredey-Garnier, vice-présidente, pour adopter seule la décision qui résulte de l’examen de la saisine enregistrée sous le numéro 18/0039 R ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Les rapporteurs, la rapporteure générale adjointe, les représentants de la société Le Béton Contrôlé entendus lors de la séance de l’Autorité de la concurrence du 7 octobre 2021, le commissaire du Gouvernement ayant été régulièrement convoqué ;

Adopte la décision suivante :

Résumé1

La société Le Béton Contrôlé a saisi l’Autorité de la concurrence de pratiques mises en oeuvre dans le secteur des agrégats et des marchés aval à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Cette société reprochait à la Société d’Exploitation des Carrières d’avoir violé certains engagements rendus obligatoires par la décision de l’Autorité de la concurrence n° 12-D-06 du 26 janvier 2012 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des agrégats et des marchés aval à Saint-Pierre-et-Miquelon.

L’Autorité de la concurrence rejette la saisine de la société Le Béton Contrôlé, au motif que cette dernière d’une part est partiellement irrecevable, d’autre part n’est pas appuyée d’éléments suffisamment probants.

I. CONSTATATIONS

A. LA SAISINE

1. Par lettre enregistrée le 19 avril 2018 sous le numéro 18/0039 R, la société Le Béton Contrôlé a saisi l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») aux fins d’examen du respect des engagements souscrits par le groupement d’intérêt économique « Exploitation des carrières » (ci-après « le GIE ») aux termes de la décision n° 12-D-06 du 26 janvier 2012 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des agrégats et des marchés aval à Saint-Pierre-et-Miquelon.

2. La société Le Béton Contrôlé demande notamment à l’Autorité de constater que la société en nom collectif « Société d’Exploitation des Carrières » (ci-après respectivement « SNC » et « la SEC »), qui succède au GIE, a manqué à certains des engagements pris par ce dernier en 2012. Elle demande, partant, à l’Autorité de la sanctionner de ce chef, en application de l’article L. 464-3 du code de commerce.

B. LE SECTEUR D’ACTIVITE : LES AGRÉGATS ET LES MARCHES AVAL A SAINT-PIERRE-ET-MIQUELON

3. Les agrégats forment une catégorie d’intrants du secteur du bâtiment et des travaux publics. Le terme générique d’agrégats recouvre les matières premières de nature minérale issues de l’activité extractive des carrières, des sablières et du sous-sol. Il en existe plusieurs sortes : les farines minérales ou « fillers », les sables, les gravillons et les pierres concassées, les blocs et enrochements, ainsi que les produits de pré-criblage. Ils sont principalement utilisés pour les remblais routiers ou les plates-formes.

4. Parmi les agrégats, les granulats sont des sables, graviers ou petits morceaux de roche au calibrage prédéfini (entre 0,01 et 125 millimètres) destinés aux ouvrages de travaux publics, de génie civil et du bâtiment, où ils sont utilisés soit tels quels, soit associés à d’autres composants, sous forme de béton ou d’enrobés bitumineux. Les professionnels en distinguent trois catégories : les granulats d’origine alluvionnaire, les granulats de roche massive et les granulats de recyclage.

5. L’utilisation des agrégats suppose plusieurs opérations préalables telles que l’extraction, le concassage, le criblage, le lavage, ainsi que les opérations logistiques de pesage, de transport, de stockage, etc.

6. La demande d’agrégats à Saint-Pierre-et-Miquelon porte sur les enrobés bitumineux, pour les travaux de voirie, sur les pierres concassées (granulats), notamment pour la production de béton, et sur les enrochements, blocs rocheux massifs de 500 kg à 6 tonnes destinés au renfort des quais et d'autres ouvrages de protection du littoral.

7. L’offre d’agrégats à Saint-Pierre-et-Miquelon provient essentiellement de la carrière du « Fauteuil », seule carrière de roche massive (rhyolite) de l’île Saint-Pierre. Jusqu’en 1985, elle a été exploitée par des entreprises de dimension nationale (Spie-Batignolle et Sintra), pour la mise en oeuvre d’un vaste programme routier sur l’archipel. Après l’achèvement de ce programme et le départ de ces entreprises, des entreprises locales leur ont succédé en se réunissant dans le GIE « Exploitation des carrières ».

8. L’Autorité soulignait dans sa décision précitée de 2012 l’importance du secteur du BTP dans l’économie de l’archipel, notamment par le nombre d’emplois qu’il représente. Elle relevait également que ce secteur était largement soutenu par la commande publique, les entreprises exerçant chaque année « une pression forte sur les pouvoirs publics afin d’obtenir un niveau satisfaisant de commandes »2. Ce constat demeure d’actualité. La Direction des territoires, de l’alimentation et de la mer de Saint-Pierre-et-Miquelon a ainsi rappelé en octobre 2018 que « les activités marchandes liées à la mer ont cédé progressivement le pas principalement aux services administrés et à un recentrage de l'économie de l'archipel sur son marché intérieur (commerce et BTP) » et que « le secteur du BTP est lui-même très largement soutenu par la commande publique, avec des chantiers financés annuellement à hauteur de 15 à 20 millions d'euros3. »

9. L’Autorité identifiait dans cette même décision précitée onze entreprises locales ayant des besoins en agrégats, réparties en deux groupes distincts : les membres du GIE et les autres. Le GIE et ses quatre entreprises membres (les sociétés Allen-Mahé, Atelier Fer, Guibert Frères et Société Saint-Pierraise de Transports, « SSPT ») avaient pour particularité d’être à la fois producteurs et utilisateurs d’agrégats et étaient donc présents à la fois du côté de l’offre et de la demande. Les entreprises tierces, au nombre de six, selon l’Autorité, étaient quant à elles de simples utilisatrices d’agrégats.

C. LES PARTIES CONCERNEES

1. LA SOCIETE SAISISSANTE, LE BÉTON CONTROLÉ

10. La SARL Le Béton Contrôlé (ci-après « Béton Contrôlé »), société au capital de 20 000 euros immatriculée au RCS de Saint-Pierre sous le numéro 378 617 476, a pour activité principale la fabrication d’éléments en béton pour la construction, en particulier le gros oeuvre. Elle était l'une des entreprises plaignantes dans l'affaire qui a donné lieu aux engagements du GIE.

11. Dans la saisine, tout comme dans le dossier précédent, elle se décrit comme appartenant au « groupe informel Girardin », ensemble de sociétés ayant pour point commun d'être détenues par les mêmes personnes, membres de la famille Girardin4. Ce « groupe » comprend également, entre autres, les sociétés Bâti-Coffrage et Bâti-Bois. Dans les communications adressées aux services d'instruction, il apparaît que Béton Contrôlé entend exprimer une position commune à ces trois sociétés, voire à toutes les sociétés du groupe Girardin5.

2. LA SOCIETE MISE EN CAUSE, LA SEC

12. La SEC est une SNC au capital de 463 510 euros immatriculée au RCS de Saint-Pierre sous le numéro 789 997 079, qui assure désormais, à la suite du GIE « Exploitation des carrières », les activités d'extraction des agrégats de la carrière du Fauteuil, de concassage et de production d'enrobés. Sa création résulte d'une série de restructurations juridiques réalisées pour se conformer à un arrêt du tribunal supérieur d'appel de Saint-Pierre-et-Miquelon du 16 novembre 2011 et aux engagements souscrits auprès de l'Autorité en 20126.

13. Les quatre membres du GIE ont transformé celui-ci en une SNC, la société de participations industrielles (SPI), dont le capital a été réparti en quotités égales entre eux. Trois nouvelles sociétés filiales ont été créées, en vue d’exercer chacune des activités auparavant exercées cumulativement par le GIE : la SARL Société de travaux routiers (STR), la SARL Société de travaux publics (STP) et la SNC Société d'Exploitation des Carrières. Le capital social de chacune de ces sociétés est détenu majoritairement par la SPI et, pour le reste, par la société SSPT. Par un apport partiel d’actifs du 22 novembre 2012, la SPI a en outre transféré à la SEC tous les actifs corporels et incorporels nécessaires à l’extraction et à la transformation des agrégats de la carrière du Fauteuil. La SPI détient quatre autres filiales, actives dans les secteurs de la pêche, qui n’ont pas été affectées par le changement de statut.

14. Selon les explications de la SEC, l'abandon du statut de GIE était motivé par l'obligation, imposée par l'article L. 451-1 du code de commerce, pour tout GIE, d'avoir un objet statutaire rattaché à l'activité économique de ses membres. Cette obligation faisait en l’espèce obstacle à la détention de participations dans des sociétés relevant du secteur de la pêche. Quant au choix d'adopter la forme d'une SNC, il aurait été dicté par la volonté de maintenir, entre les associés, le régime de responsabilité solidaire et indéfinie applicable au GIE.

15. Un arrêté préfectoral du 12 avril 2013 a transféré du GIE à la SEC l’intégralité des droits et obligations relatifs à l’exploitation de la carrière du Fauteuil. L’autorisation d’exploitation a été renouvelée, au profit de la SEC, par arrêté préfectoral du 21 décembre 2018.

D. SUR LE CONTENU DE LA SAISINE ET LE CONTEXTE CONTENTIEUX ENTRE LES PARTIES A LA CAUSE

1. LE CONTENU DE LA SAISINE

16. Si la saisine comporte formellement une demande de sanction fondée sur le droit de la concurrence, pour non-respect par la SEC des engagements pris au terme de la décision n° 12-D-06 précitée, elle semble plutôt traduire la volonté de voir l’Autorité se substituer aux associés de la SEC, en prononçant l’admission de la saisissante au sein de la SEC, ou du moins en reconnaissant qu’elle en remplit les conditions.

17. Son préambule est, en effet, rédigé en ces termes:

« Nous avons l’honneur de solliciter la possibilité pour la société Béton Contrôlé d’accéder à la SNC Société d’Exploitation des Carrières créée par arrêté préfectoral (sic) n° 155 du 12 avril 2013 et seule autorisée (son art.3) à exploiter la carrière du Fauteuil, les infrastructures présentes dans l’installation et à utiliser l’espace correspondant à l’emprise de la carrière.

« Le présent dossier est ainsi constitué afin de démontrer que la société Béton Contrôlé remplit les exigences disposées et que rien ne peut donc légalement s’opposer à son intégration au sein du groupement des entreprises formant la SNC ‘‘Exploitation des carrières’’ de Saint-Pierre et Miquelon (SPM). »7

18. En complément de cette prétention, Béton Contrôlé demande à l’Autorité de condamner la SEC à lui verser 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, d’ordonner l’exécution provisoire de la décision sur le fondement de l’article 515 du code de procédure civile, de dire que les sanctions prononcées seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de la saisine, et d’ordonner la capitalisation des intérêts échus par application des dispositions de l’article 1343-2 du Code civil8.

2. LE CONTEXTE CONTENTIEUX ENTRE LES PARTIES

19. Les informations communiquées aux services d’instruction par l’une et l’autre partie font état, en des termes plus ou moins explicites, de relations contentieuses anciennes.

20. Béton Contrôlé évoque ainsi « un contentieux important existant entre les parties, et ce depuis de nombreuses années9 ».

21. En particulier, elle met en doute la légitimité de la SEC à exploiter la carrière du Fauteuil depuis son changement de statut juridique en novembre 201210. Elle indique en effet que la SEC nouvellement constituée a continué à exploiter la carrière à la suite du GIE, avant même que l’autorisation d’occupation du domaine public lui soit accordée, le 3 octobre 201411. Elle ajoute que la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon n’a lancé aucune consultation publique en amont de cette autorisation d’occupation, privant dès lors d’autres entreprises de la faculté de faire des propositions pour le site. Aussi, Béton Contrôlé a-t-elle contesté dès l’origine la décision d’autorisation (de manière gracieuse12) et a échangé « plusieurs courriers et autres correspondances » avec la SEC pendant l’année 2015, préalablement à sa demande d’adhésion.

22. La SEC, pour sa part, reproche à Béton Contrôlé de mettre en oeuvre « une stratégie plus générale de déstabilisation de la société SEC13 ». Elle précise que les rivalités familiales et personnelles n’y sont pas étrangères, indiquant « qu’une rivalité personnelle historique oppose M. M X…, à la tête du groupe GIRARDIN, à M. Y…, actionnaire de la société Atelier Fer. » À cette rivalité s’ajoute, selon elle, la volonté pour le groupe Girardin « d’étendre son emprise sur une activité connexe à ses activités de commerce et de transport maritime » et de « renforcer sa position stratégique dans l’approvisionnement et le commerce des matériaux de construction sur Saint-Pierre-et-Miquelon. »

23. Pour illustrer cette stratégie de déstabilisation supposée, la SEC explique que Béton Contrôlé a notamment tenté d’entraver le renouvellement de l’autorisation préfectorale d’exploitation de la carrière du Fauteuil. Dans une lettre du 9 octobre 2018 adressée au commissaire enquêteur chargé de l’enquête publique préalable, Béton Contrôlé s’est prévalue en effet de la saisine de l’Autorité pour demander que l’autorisation soit simplement temporaire.

E. PRATIQUES DENONCEES

24. La saisissante s’appuie sur la décision de 2012, dont les éléments utiles seront rappelés (1), afin de dénoncer la violation de l’engagement n° 3 relatif à la procédure d’accès au GIE (devenu la SEC) en tant que membre (2) et une tarification discriminatoire des agrégats extraits de la carrière, en violation de l’engagement n° 2 relatif à l’activité de concassage et de production d’enrobés (3).

1. RAPPEL DE LA DECISION N° 12-D-06 DU 26 JANVIER 2012

25. Dans la décision n° 12-D-06, l'Autorité a sanctionné des pratiques anticoncurrentielles mises en oeuvre, d’une part, sur des marchés amont constitués des activités de production de trois types distincts d'agrégats, à savoir les enrochements, les agrégats de petite taille et les enrobés bitumineux, ainsi que, d’autre part, sur les trois marchés aval correspondant aux travaux publics pour lesquels ces agrégats sont nécessaires. La dimension géographique de ces marchés était restreinte au territoire de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon.

26. L'Autorité avait constaté une « structure de l’offre concentrée autour du GIE » et « une ligne d'action commune entre les entreprises membres du GIE et le GIE lui-même, qui se [fondait] à la fois sur une stratégie durable d'intégration de l'activité de production et de commercialisation des agrégats et sur un mécanisme général de compensation visant à une répartition de l'activité entre ces entreprises inscrite dans la durée14. » Elle avait retenu plusieurs griefs à l’encontre de ces entreprises, du chef d’ententes aux stades de la production et de la mise en oeuvre des agrégats, et du chef d’abus de position dominante collective. Les parties mises en cause avaient renoncé à contester les griefs notifiés.

27. Les pratiques sanctionnées étaient les suivantes15 :

« - avoir mis en oeuvre, au moins depuis 1994, des règles de fonctionnement ne prévoyant pas un accès au GIE reposant sur des critères objectifs, transparents et non discriminatoires, et qui avaient pour objet ou qui avaient pu avoir pour effet de limiter l’accès aux agrégats pour les entreprises concurrentes sur les marchés aval, en violation de l’article L. 420-1 du code de commerce (grief n° 1) ;

- avoir fixé de façon concertée, entre 2003 et 2009, un barème commun de prix pour l’ensemble des agrégats revendus au GIE, qui avait eu pour objet et pour effet d’éliminer toute concurrence par les prix entre les entreprises membres du GIE au stade de la fourniture d’agrégats transformés (granulats), en violation de l’article L. 420-1 du code de commerce (grief n° 2) ;

- avoir convenu, au moins depuis 1994, des modalités de soumission aux marchés de fournitures d’enrobés consistant à ce que le GIE soumissionne seul, qui avaient eu pour objet et pour effet d’éliminer toute concurrence sur les marchés des enrobés, en violation de l’article L. 420-1 du code de commerce (grief n° 3) ;

- avoir mis en oeuvre depuis au moins 1994 une répartition de chiffres d’affaires s’agissant de la fourniture d’agrégats transformés au GIE et des travaux exécutés en sous-traitance du GIE, qui a pour objet et pour effet de garantir un niveau d’activité équitable aux entreprises Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères, et donc de diminuer l’intensité concurrentielle intra-groupement, en violation de l’article L. 420-1 du code de commerce (grief n° 4) ;

- avoir utilisé entre 2003 et 2009 leur position dominante collective sur le marché de la commercialisation des enrochements pour mettre en oeuvre des pratiques consistant à réserver la vente de ceux-ci au GIE, ayant pour objet d’entraver le fonctionnement normal de ce marché, dès lors que les concurrents, les sociétés Bâti-Coffrage et CDI, ne disposaient pas d’autres solutions économiquement et techniquement acceptables, et ayant pour effet de les évincer de ce même marché, en violation des dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce (grief n° 5). »

28. L’Autorité a infligé des sanctions pécuniaires au GIE ainsi qu’à chacun de ses membres et leur a enjoint de se conformer à l’ensemble des engagements qu’ils avaient souscrits, récapitulés ci-dessous16.

a) Engagement n° 1 : « Organiser l’accès des tiers à la production de la carrière du Fauteuil, sur des bases objectives, transparentes et non-discriminatoires. »

29. Le GIE s’engageait à vendre sa production à tout tiers, selon une grille tarifaire et des conditions générales de vente prédéfinies, qui seraient appliquées de manière non discriminatoire aussi bien à ses membres qu'aux tiers. Il devrait transmettre un état prévisionnel détaillé de sa production à la Commission des carrières au plus tard le 1er février de chaque année.

b) Engagement n° 2 : « Organiser l’accès des tiers à l’activité de concassage et de production d’enrobés. »

30. Les entreprises membres du GIE s’engageaient à transférer l’activité de concassage au GIE lui-même, lequel conserverait par ailleurs l’activité de production d’enrobés. Ces opérations de transfert d’actifs devaient être réalisées avant le 31 décembre 2012.

31. Les prestations de concassage et de production d’enrobés seraient proposées aux tiers sur la base de conditions générales de vente et de tarifs prédéfinis, appliqués de manière non discriminatoire aussi bien aux tiers qu’aux membres du GIE.

c) Engagement n° 3 : « L’accès au GIE. »

32. Les parties s’engageaient à formaliser au sein d’un règlement intérieur une procédure d’accès des tiers au GIE ou à l'entité, quelle qu'en soit la forme sociale, qui lui succèderait.

Cet engagement était assorti d'un projet de rédaction de l’extrait pertinent du règlement intérieur, qui définissait les conditions d’éligibilité et la procédure d’acceptation.

d) Engagement n° 4 : « Les modalités de soumission aux appels d’offres de travaux publics. »

33. Le GIE s’engageait à exercer exclusivement des activités d’extraction de matière brute et de transformation (concassage et production d’enrobés). À ce titre, il ne devrait désormais répondre à aucun appel d’offres en matière de travaux publics et devrait céder tous les actifs afférents aux travaux routiers à une nouvelle entité, composée des sociétés Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères. Le transfert d’actifs et la création de cette nouvelle entité devaient intervenir avant le 31 décembre 2012.

2. VIOLATION ALLEGUEE DE L’ENGAGEMENT N° 3 RELATIF A L’ACCES A LA SEC EN TANT QUE MEMBRE

34. La saisissante, après avoir rappelé les quatre engagements précités, avance que ceux-ci « n’ont aucunement été respectés par le nouveau groupement SNC SOCIETE D’EXPLOITATION DES CARRIERES, venant aux droits du GIE ».

35. Il s’avère toutefois que sa principale doléance porte sur les arguments avancés par la SEC pour rejeter sa demande d’admission comme associée. Cette demande avait été présentée selon la procédure définie par le règlement intérieur, conformément au troisième engagement rappelé plus haut. Le règlement intérieur, établi initialement pour le GIE et transmis à l’Autorité17, est applicable mutatis mutandis à la SEC depuis sa constitution sous forme de SNC.

36. Les conditions d’éligibilité étaient, et sont encore à ce jour :

-  être une entreprise active en matière de travaux publics ;

- satisfaire des conditions d’honorabilité résultant de l’absence de condamnation de la personne morale, de ses dirigeants ou des personnes en détenant le contrôle directement ou indirectement ;

- présenter des garanties de solvabilité suffisantes.

37. La saisissante indique avoir, conformément à la procédure prévue, soumis sa candidature à la SEC par lettre recommandée datée de mai 2016. Un mois plus tard, la SEC lui a opposé un refus, au motif que les conditions d’éligibilité n'étaient pas remplies. Après plusieurs échanges entre les parties, détaillés ci-après (voir infra, paragraphes 41 à 52) la SEC a finalement informé Béton Contrôlé, par une lettre d’octobre 2017, qu’elle estimait insuffisants les justificatifs produits et ne pouvait répondre positivement à sa demande18.

38. Béton Contrôlé étaie sa saisine par une critique générale de la manière dont la SEC a apprécié les trois conditions d’éligibilité et les éléments fournis pour en justifier. Elle lui reproche d’avoir usé de mauvaise foi et d’avoir avancé « tous les arguments fantaisistes possibles », dans le seul but de l’empêcher de devenir membre de la SEC. Elle ajoute même que certaines pièces demandées traduisaient une « grossière tentative » pour obtenir d’elle des informations confidentielles.

39. Considérant qu’elle remplit au contraire toutes les conditions requises, la saisissante conclut que le refus opposé par la SEC constitue un manquement aux engagements pris en 2012. Elle soutient en outre que l’attitude de la SEC prouve sa volonté de l’écarter « de façon discriminante et infondée » de la carrière du Fauteuil et des activités découlant de l’accès à celle-ci, afin d’éviter toute concurrence de sa part.

40. La saisissante affirme enfin que la création même d’une SNC, pour succéder au GIE, a été le moyen, pour les entreprises membres, de « contourner » le troisième engagement. Le régime juridique de la SNC, par opposition à celui du GIE, permettrait en effet aux associés en place, selon elle, de refuser, sans justification aucune, n’importe quel nouvel associé. Elle estime ainsi que la simple adoption de la forme de SNC caractérise, à elle seule, un manquement aux engagements, que l’Autorité devrait sanctionner.

41. Il convient d’exposer ci-dessous la teneur des échanges qui ont abouti au refus de la candidature de Béton Contrôlé19.

42. Au printemps 2016, Béton Contrôlé a sollicité l’accès à la SEC en qualité d’associé, motivant sa demande par « la nécessité pour l’entreprise d’avoir accès à des conditions d’acquisition de granulats pour le moins équivalentes » aux conditions dont bénéficiaient les membres existants20. Elle affirmait satisfaire les trois conditions d’éligibilité exigées par le règlement intérieur et fournissait des éléments justificatifs qu’elle estimait suffisants, et notamment, pour ce qui concerne la condition d’honorabilité, une déclaration sur l’honneur de son gérant, M. J X…, attestant de l’absence de condamnation inscrite au bulletin n°2 du casier judiciaire pour quelques infractions particulières prévues par le code du travail. Elle demandait en outre la communication de plusieurs documents relatifs à la SEC, ainsi que de la grille tarifaire des agrégats et des conditions générales de vente.

43. Un mois plus tard, la SEC a pris acte de la demande de Béton Contrôlé et lui a transmis sa grille tarifaire et les conditions générales de vente en vigueur21. En réponse au motif invoqué par Béton Contrôlé à l’appui de sa candidature, la SEC lui a rappelé que, « conformément aux engagements pris auprès de l’Autorité de la concurrence, la production du GIE Exploitation des carrières (sic) est accessible à tout tiers, sur la base de CGV et de tarifs appliqués de manière non discriminatoire aux associés comme à tout tiers. »

44. Quant aux conditions d’éligibilité prévues par la procédure d’adhésion, la SEC a souligné que les justificatifs joints par Béton Contrôlé ne suffisaient pas, au regard des termes précis du règlement intérieur validé par l’Autorité de la concurrence, à démontrer qu’elles étaient réunies. Aussi a-t-elle demandé plusieurs compléments :

- une justification détaillée des marchés de travaux publics réalisés par Béton Contrôlé au cours des cinq dernières années ;

- les éléments permettant d’identifier toutes les personnes physiques détenant le contrôle direct ou indirect de Béton Contrôlé « au sens de la procédure d’accès au GIE telle que définie par l’Autorité de la concurrence », ainsi que, pour chacune d’elles, tout document utile attestant de l’absence de condamnation ou d’interdiction professionnelle, au-delà des seules infractions au code du travail mentionnées dans le courrier initial ;

- les comptes sociaux détaillés de Béton Contrôlé afférents aux cinq derniers exercices, afin qu’ils puissent être confiés à l’appréciation d’un expert indépendant.

45. La SEC a ajouté que sa forme sociale de SNC impliquait pour les associés une responsabilité indéfinie et solidaire des dettes sociales. Il était dès lors selon elle d’autant plus nécessaire de vérifier les qualités de Béton Contrôlé.

46. Plus d’un an après, durant l’été 2017, Béton Contrôlé a transmis un tableau intitulé « quelques références travaux de la société ‘Béton Contrôlé’ (liste non exhaustive) », accompagné d’une liste de ses principaux clients22. Elle indiquait ne pas pouvoir justifier d’une expérience plus importante en matière de travaux publics, faute pour ses offres (ainsi que celles de Bâti-coffrage ou de Bâti-bois) d’avoir été retenues, et déplorait par ailleurs que « La création du nouveau groupement après la décision de l’Autorité de la concurrence en 2012 n’a pas amené l’évolution souhaitée en matière de concurrence et la situation actuelle continue de contribuer au verrouillage de l’activité de mise en oeuvre des agrégats, enrochements et travaux publics sur l’archipel ». Elle précisait en outre qu’elle communiquerait ultérieurement un extrait du casier judiciaire de chacun de ses trois dirigeants.

47. Le mois suivant, la SEC a répondu à Béton Contrôlé que les compléments d’information transmis ne lui permettaient toujours pas d’instruire la demande23. Elle lui a rappelé les éléments précis qu’elle lui avait demandés un an plus tôt et a précisé en quoi les informations initialement fournies étaient défaillantes, et ce au titre de chacune des trois conditions d’éligibilité. En particulier, s’agissant de l’activité de Béton Contrôlé en matière de travaux publics, elle a relevé que les chantiers mentionnés dans le tableau ne comportaient aucune date. De plus, les comptes sociaux communiqués, d’une part, laissaient apparaître que la valeur nette comptable des immobilisations productives était nulle depuis 2012, signe de l’absence d’investissement productif, d’autre part, ne permettaient pas, eu égard à leur caractère incomplet, de lever les interrogations résultant de ces différents constats.

48. S’agissant de la condition d’honorabilité, elle a rappelé que le seul extrait de casier judiciaire accessible aux personnes physiques, le bulletin numéro 3, avait un champ trop limité. Il pouvait donc ne pas comporter la mention de certaines condamnations dont la connaissance était pourtant nécessaire pour évaluer l’honorabilité des associés. Elle a sollicité par conséquent, en complément, soit la transmission de la copie de toute condamnation de justice qui aurait été prononcée contre l’un des associés de Béton Contrôlé par une juridiction pénale, civile, commerciale, administrative ou disciplinaire, soit, en l’absence de toute condamnation, une attestation sur l’honneur de chacun des associés24.

49. Dans un courrier adressé à la SEC le même mois, Béton Contrôlé, tout en proposant de faire examiner ses comptes par un expert indépendant, a rétorqué qu’elle estimait avoir fourni « toutes les pièces nécessaires telles que précisées à l’engagement n°3 », a refusé d’en fournir davantage25 et exigé l’avis définitif de la SEC sur sa demande d’adhésion.

50. Au cours du mois suivant, la SEC a relevé que le dernier courrier de Béton Contrôlé « n’avait pas pour objet d’apporter les clarifications et éléments demandés pour compléter le dossier de candidature de Béton Contrôlé, mais de justifier le refus de toute communication complémentaire26. » Ainsi, elle a souligné que bien que Béton Contrôlé ait accepté de soumettre ses comptes sociaux détaillés à l’analyse d’un expert indépendant, en revanche, d’une part, cette société refusait de fournir tout élément complémentaire permettant l’examen de la condition d’honorabilité de ses associés et dirigeants et, d’autre part, reconnaissait ne pas être active dans le secteur des travaux publics.

51. Sur la condition d’honorabilité, la SEC a exposé les insuffisances du bulletin numéro 3 du casier judiciaire. Dès lors qu’il ne faisait pas apparaître les condamnations pénales prononcées avec sursis, ni les condamnations prononcées par des juridictions non pénales ou étrangères, ce document n’était, selon elle, pas à même de renseigner sur d’éventuelles condamnations « qui pouvaient être de nature à remettre en cause l’honorabilité de l’entreprise candidate ou de ceux qui en détiennent le contrôle27 ».

52. Sur la condition relative à une activité de travaux publics, elle a souligné qu’elle ne pouvait, sans s’écarter des termes précis de l’engagement n° 3 validé par l’Autorité, l’interpréter de manière extensive en y incluant, comme le lui demandait Béton Contrôlé, les chantiers privés. Elle en a conclu « qu’en l’état de ces éléments, les conditions d’éligibilité ne [pouvaient] être considérées comme satisfaites. »

3. TARIFICATION DISCRIMINATOIRE

53. À l’appui de cette allégation, Béton Contrôlé rappelle tout d’abord les plaintes qu’elle avait formulées naguère à l’encontre du GIE pour ce qui concerne l’accès aux agrégats. Elle indique, reprenant de manière exhaustive les termes des paragraphes 50 et 51 de la décision n° 12-D-06, qu’elle s’était plainte à l’origine « de devoir recourir à l’importation d’agrégats de Terre-Neuve - solution qui renchérissait le prix d’achat en raison du coût du transport - parce que le GIE leur refusait la vente de ces matériaux ou pratiquait un prix de vente supérieur à celui appliqué entre le GIE et ses membres, ce qui entraînait à l’évidence une discrimination infondée entre lesdits membres et leurs concurrents non membres du GIE. Ces derniers imputaient directement la baisse de leur activité aux difficultés d’accès aux agrégats de la carrière du Fauteuil. »

54. Dans la saisine, elle affirme simplement que « la situation n’a malheureusement pas évolué à ce jour ».

55. Interrogée sur ce point par les services d’instruction, la saisissante soutient que les marchés publics sont attribués de manière quasi-permanente28 aux sociétés filiales de la SPI, holding de la SEC. À titre de preuve, elle présente onze marchés publics passés entre 2014 et 2016, dont sept ont été attribués à la STP. Selon elle, cette situation conduit à se demander comment, à conditions de concurrence supposées égales, ces sociétés peuvent proposer des tarifs aussi faibles. Elle considère donc que les conditions d’achat des agrégats sont « probablement non équitables » par rapport à celles dont bénéficient les entreprises membres de la SEC.

56. Elle fournit en outre l’exemple d’un marché public de 2019, pour lequel elle indique avoir réalisé une simulation de l’offre qui a pu avoir été faite par la société attributaire du marché, la société STP, société soeur de la SEC29. L’ayant comparée à celle qu’avait faite la société Bâti-Bois, du « groupe Girardin », elle conclut « qu’il est impossible de proposer des tarifs de ce niveau sans perdre de l’argent ou sans disposer de conditions commerciales avantageuses et certainement préférentielles. »

II. ANALYSE

A. PRINCIPES APPLICABLES

57. L’Autorité peut, en vertu de l’article L. 464-3 du code de commerce, prononcer une sanction pécuniaire dans les limites fixées à l’article L. 464-2 dudit code, si les engagements qu’elle a acceptés dans une décision prise en matière de pratiques anticoncurrentielles n’ont pas été respectés.

58. Par ailleurs, l’article L. 462-8 du code de commerce dispose, en son premier alinéa, que « l’Autorité de la concurrence peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable pour défaut d'intérêt ou de qualité à agir de l'auteur de celle-ci, ou si les faits sont prescrits au sens de l'article L. 462-7, ou si elle estime que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de sa compétence » et, en son deuxième alinéa, qu’elle « peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu’elle estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d’éléments suffisamment probants ».

B. APPLICATION AU CAS D’ESPECE

59. À titre liminaire, il convient de rappeler que les demandes de la saisissante exposées au paragraphe 18 ci-avant relèvent de la seule compétence des juridictions et doivent, partant, être déclarées irrecevables en application du premier alinéa de l’article L. 462-8 du code de commerce.

1. SUR LA PROCEDURE D’ACCES A LA SEC

a) Sur le respect de la procédure d’adhésion

60. Conformément au troisième engagement, intitulé « l’accès au GIE », rendu obligatoire par l’Autorité dans sa décision de 2012 précitée, l’extrait du règlement intérieur intitulé « accès de nouveaux membres au GIE (lequel agissant sous la forme sociale d’un GIE ou sous toute autre forme sociale) » définit la notion de « nouveau membre », énonce les trois conditions d’éligibilité du nouveau membre et décrit la procédure d’acceptation.

61. Celle-ci prévoit que le candidat doit présenter sa candidature par courrier recommandé avec accusé de réception, « en justifiant de l’ensemble des conditions d’éligibilité ». Dès réception de cette candidature, il incombe au GIE (ou à l’entité d’une autre forme sociale qui lui aurait succédé) de vérifier si elle remplit l’ensemble des conditions d’éligibilité précitées. Après cet examen, le GIE intègre le candidat par un vote à l’unanimité de ses membres, sous réserve d’un refus de la préfecture. La procédure prévoit en outre des délais pour l’accomplissement des formalités.

62. L’éventuel refus de la candidature doit être motivé par écrit.

63. En l’espèce, premièrement, il ressort des pièces du dossier que la procédure d’accès a bel et bien été mise en place. Elle a été formalisée dans un règlement intérieur, établi d’abord pour le GIE, ensuite pour la SEC après son changement de forme sociale. Ces deux versions du document, au contenu identique, ont été transmises à l’Autorité de la concurrence comme le prévoyait l’engagement (voir supra, paragraphe 35).

64. Deuxièmement, les courriers échangés en 2016 et 2017 au sujet de la candidature montrent que la SEC s’est attachée à vérifier que Béton Contrôlé remplissait toutes les conditions d’éligibilité telles que définies dans l’engagement. Elle lui a adressé, à cette fin, des demandes de complément détaillées, réitérées et argumentées, se référant à chaque fois aux exigences validées par l’Autorité. Enfin, dans sa lettre finale, la SEC a signifié à Béton Contrôlé le rejet de sa candidature de manière précisément motivée, comme expliqué au paragraphe 50. Par conséquent, il apparaît que la SEC a scrupuleusement suivi la procédure requise et validée par l’Autorité.

65. Il importe, enfin, de souligner que le troisième engagement, « l’accès au GIE », impose seulement de définir une procédure d’adhésion, et non d’admettre toute entreprise tierce qui en ferait la demande. L’analyse de la saisissante, qui affirme que « le point 3 des engagements (…) prévoyait, pour tout nouveau membre, des obligations d’accès à l’ex-GIE, c’est-à-dire à l’actuelle société SOCIETE EXPLOITATION DES CARRIERES », est donc manifestement erronée30. Quoi qu’il en soit, il ne peut exister pour un tiers de droit à l’acquisition de la qualité d’associé dans une SNC. Un tiers ne peut en effet acquérir des parts sociales de la société qu’avec le consentement de tous les associés, aux termes du deuxième alinéa de l’article L. 221-13 du code de commerce.

66. La saisissante allègue à cet égard que le changement de statut du GIE en SNC était une manoeuvre pour faire obstacle à l’entrée de nouveaux membres et, dès lors, allait à l’encontre de l’engagement. Or, ainsi que la SEC l’a précisé, l’abandon de la forme du GIE était nécessaire pour des raisons juridiques liées à la détention de participations dans des sociétés de pêche, ainsi qu’il a été mentionné au paragraphe 14. Au demeurant, le changement de forme juridique est expressément prévu par l’engagement, qui précise que celui-ci s’applique au GIE « agissant sous cette forme ou sous toute autre forme sociale ». Aucune méconnaissance de l’engagement ne peut donc être retenue de ce chef.

b) Sur la prétendue mauvaise foi de la SEC dans l’appréciation des conditions d’éligibilité

67. Béton Contrôlé soutient que sous prétexte d’une application rigoureuse de ses engagements, la SEC a posé des exigences démesurées pour apprécier les conditions d’éligibilité, manifestant ce faisant une mauvaise foi dont le seul but était de l’empêcher d’entrer à son capital.

68. Il ressort de la pratique décisionnelle et de la jurisprudence que les engagements acceptés par l’Autorité de la concurrence pour remédier à des pratiques anticoncurrentielles doivent être interprétés strictement. Néanmoins, dans la décision n° 15-D-0231, l’Autorité a indiqué que le principe de l’interprétation stricte des mesures correctives qu’elle prend ne peut « avoir pour effet de limiter l’appréciation du respect d’un engagement comme d’une injonction à des considérations purement formelles » et a sanctionné une entreprise qui, malgré le respect formel de ses engagements, avait adopté un comportement contraire à l’objectif en vue duquel ils avaient été proposés et acceptés.

69. En l’espèce, il ressort des lettres échangées entre les parties en 2016 et 2017 que la SEC a motivé précisément toutes ses demandes de complément par référence aux termes des engagements annexés à la décision de 2012. Dans ses lettres successives, elle a expliqué à suffisance en quoi les pièces ou informations requises étaient nécessaires pour prouver, selon le cas, les conditions de solvabilité, d’honorabilité et d’activité en matière de travaux publics, au sens de ces engagements. Ainsi, aucune interprétation abusive de ceux-ci ne peut être caractérisée. En outre, il est patent et non contesté que Béton Contrôlé a non seulement laissé s’écouler plus d’une année avant de répondre à la première demande de compléments formulée par la SEC (voir supra, paragraphe 46), mais aussi a, pour finir, refusé expressément de fournir les informations nécessaires à l’examen de sa candidature (voir supra, paragraphe 50 ).

70. Par conséquent, aucun élément ne permet de démontrer que la SEC ait fait preuve de mauvaise foi dans l’application du troisième engagement.

2. SUR LA TARIFICATION DISCRIMINATOIRE ALLEGUEE

71. Béton Contrôlé prétend que l’acquisition de la qualité d’associé de la SEC est le seul moyen d’accéder à la production de la carrière du Fauteuil à des tarifs compétitifs. Elle soupçonne en effet la SEC de vendre les agrégats aux tiers à des tarifs discriminatoires.

72. Lorsque l’Autorité a accepté et rendu obligatoires des engagements, elle a prescrit d’examiner la mise en oeuvre de chaque engagement séparément. Elle a ainsi souligné, dans la décision n° 18-D-09 du 21 juin 201832, que le contrôle de l’exécution de sa décision doit « porter sur le respect des engagements pris individuellement et dont chacun a valeur obligatoire ».

73. L’allégation faite par la saisissante concerne le respect du premier et du deuxième engagement validés en 2012, à savoir, pour le premier, l’application non discriminatoire des CGV et des tarifs s’agissant de la production d’agrégats, et pour le deuxième « organiser l’accès des tiers à l’activité de concassage et de production d’enrobés », pris en particulier dans sa deuxième branche, ainsi rédigée : « les prestations de concassage et de production d’enrobés seront également proposées aux tiers sur la base de CGV et tarifs prédéfinis, appliqués de manière non discriminatoire aux tiers et aux associés. Une grille tarifaire et des CGV figurent en annexe aux présentes, prêtes à être appliquées dès à présent (…). »

74. Premièrement, en ce qui concerne les conditions tarifaires applicables, il ressort des pièces du dossier que la grille tarifaire des agrégats et enrobés bitumineux, dont la saisissante reconnaît avoir eu connaissance33 prévoit, à volume identique, les mêmes conditions quelle que soit la qualité du client, associé de la SEC ou tiers34.

75. Deuxièmement, en ce qui concerne les conditions tarifaires réellement appliquées, la SEC a transmis aux services d’instruction l’ensemble des factures qu’elle a établies entre 2013 et 201835, et qui font apparaître distinctement les agrégats selon leur calibre et leur prix unitaire. Or, pour chaque catégorie de produit, l’analyse de ces données ne permet pas de mettre en évidence, à conditions de volumes identiques, de divergence entre le prix unitaire moyen pratiqué à l’égard des associés et celui pratiqué à l’égard des entreprises tierces.

76. À cet égard, les éléments de preuve apportés par la saisissante se bornent à exposer des hypothèses sur le coût des matières premières utilisées par la STP, qui est une société soeur de la SEC. Ces éléments ne peuvent donc valablement étayer une allégation de discrimination entre des entreprises tierces et des entreprises ayant la qualité d’associé de la SEC.

77. Il résulte de l’ensemble des éléments qui précèdent que Béton Contrôlé n’apporte pas d’éléments probants susceptibles de démontrer le non-respect de ses engagements par la SEC.

78. Il convient donc de rejeter la saisine en application du deuxième alinéa de l’article L. 462-8 du code de commerce.

DÉCISION

Article unique: La saisine enregistrée sous le numéro 18/0039 R est déclarée irrecevable s’agissant des demandes exposées au paragraphe 18 de la présente décision et rejetée pour le surplus.

 

Notes :

1Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.

2 Voir décision de l’Autorité n° 12-D-06 du 26 janvier 2012 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des agrégats et des marchés aval à Saint-Pierre-et-Miquelon, paragraphe 11.

3 Cote 346, Préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon, Direction des Territoires de l’Alimentation et de la Mer, « Document stratégique de bassin maritime - Situation de l'existant » ; Octobre 2018 ; page 23.

4 Cote 650.

5 Voir par exemple la réponse du 14 janvier 2020 au questionnaire des services d’instruction (cotes 639, 645 et 646).

6 Cote 813 et cote VC 499 / VNC 814.

7 Cote 5.

8 Cote 19.

9 Cote 641.

10 Cotes 639 et 640.

11 Cotes 660-668.

12 Cotes 669 et 670.

13 Cote VC 492 / VNC 807, cote 1 336, cotes VC 906 et 907 / VNC 1 337 et 1 338, et cote 1 339.

14 Décision n° 12-D-06, précitée, paragraphe 158.

15 Décision n° 12-D-06, précitée, paragraphe 144.

16 Décision n°12-D-06, précitée, annexe 1.

17 Cotes 133-136.

18 Cotes 96-101 et 119-122.

19 Chacune des deux parties a transmis aux services d’instruction la copie de ces échanges. Les pièces sont identiques (cotes 87-122, et VC 522-554 / VNC 828-860).

20 Cotes 87-93.

21 Cotes 96-102.

22 Cotes 104-107.

23 Cotes 109-114.

24 Cote 113.

25 Cotes 116-117.

26 Cotes 119-122.

27 Cote 121.

28 Cotes 638 et 646-647.

29 Cotes 638-639 et 654-657.

30 Cote 641.

31 Décision n° 15-D-02 du 26 février 2015 relative au respect, par le GIE Les Indépendants, des engagements pris dans la décision du Conseil de la concurrence n° 06-D-29 du 6 octobre 2006, confirmée par l’arrêt de la cour d’appel de Paris n° 2015/06776 du 6 octobre 2016, lui-même confirmé par la Cour de cassation dans son arrêt Cass. com. n° 16-25.403 du 26 septembre 2018.

32 Décision n° 18-D-09 du 21 juin 2018 relative au respect des engagements pris par la société Randstad dans la décision du Conseil de la concurrence n° 09-D-05 du 2 février 2009, paragraphe 45.

33 Cotes 637 et 645.

34 Cotes 514-518.

35 Cotes VC 911 / VNC 1 341 (tableur), et VC 913-1 311 / VNC 1 342.