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Décisions

CA Paris, 4e ch., 7 février 1996

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Linard (SA)

Défendeur :

Sarr (SA)

CA Paris

6 février 1996

FAITS ET PROCEDURE

La SA LINARD qui a pour activité la fabrication etla commercialisation de feux de signalisation pour véhicules industriels, a conçu et diffusé en 1990, sous la dénomination "LIGNE 2000", une nouvellegamme de feux-feux de position (avant et arrière) et feux d'encombrement (feux latéraux dits de gabarit) qui se décline sur deux modèles de base :

- bicolore à cabochon et profil en toit à double pente,

- unicolore à cabochon de forme parallélépipèdique,

chaque cabochon pouvant être monté sur une semelle à plaquer ou à suspendre, sur laquelle est fixé le porte-lampes avec ses bornes de contact.

Ces modèles ont fait l'objet d'un dépôt à l'Institut National de la Propriété Industrielle le 23 novembre 1990 enregistré sous le N 90.7389, sous priorité duquel la Société LINARD a effectué un dépôt international le 20 mars 1991 auprès de l'OMPI.

Ils sont offerts à la vente soit sous la forme d'ensembles complets (semelle et cabochon) prêts à monter dans les différentes combinaisons possibles de types de semelles et de couleurs de cabochon, soit sous la forme de cabochon de rechange, la vente d'un feu complet en première monte étant susceptible d'entraîner ultérieurement celle de trois ou quatre cabochons de rechange.

Ayant appris que l'un de ses clients, la SA SARR annonçait la présentation au Salon de la carrosserie industrielle d'une "nouvelle génération de feux ARA", la gamme "Série 700", susceptible de constituer la copie servile de ses produits, la Société LINARD, autorisée par ordonnance sur requête, du Président du Tribunal de Commerce de PARIS du 1er avril 1993, a fait dresser le 2 avril suivant un procès-verbal de constat sur le stand de la Société SARR puis a assigné celle-ci en référé, le 19 avril 1993 au motif quele procès- verbal susvisé établissait que la Société SARR commettait des actes de concurrence déloyale et de contrefaçon de modèle déposé lui causant un trouble manifestement illicite et qu'il convenait en conséquence de lui interdire la fabrication et la commercialisation de la gamme litigieuse.

La Société SARR lui a opposé la nullité du procès-verbal de constat et de la saisie réelle opérée à cette occasion pour violation des dispositions de l'article 521.1 du nouveau Code de Procédure Civile ainsi que le mal fondé de sa demande.

Dans le dernier état de ses écritures, la Société LINARD a écarté la contrefaçon de modèle "afin d'alléger la discussion" et dela réserver à l'appréciation des juges du fond.

Par ordonnance du 7 mars 1993, le juge des référés constatant qu'il existait une contestation sur le droit applicable au fait de la cause que "la solution de cette question était du rôle du juge fond", a dit n'y avoir lieu à référé mais a autorisé la Société LINARD à assigner à bref délai de la Société SARR au principalpour l'audience du 8 juin 1993.

C'est ainsi que, le 26 mai 1993, la Société LINARD a saisi le Tribunal de Commerce de PARIS aux fins de voir :

- juger que la commercialisation par la Société SARR de la gamme de produits "Série 700" constituait un acte de concurrence déloyale lui causant préjudice,

- ordonner les habituelles mesures d'interdiction sous astreinte et de publication avec exécution provisoire ainsi que de destruction,

- condamner la défenderesse à lui verser les sommes d'un million de francs à titre de dommages et intérêts et de 20.000 frs en vertu de l'article700 du nouveau Code de Procédure Civile.

La Société SARR a, de nouveau, invoqué la nullité du procès-verbal de constat et de la mesure de saisieréelle en date du 2 avril 1993.

Reconventionnellement, elle a sollicité à titre principal l'annulation du dépôt du modèle opéré par la Société LINARD le 23 novembre 1990, ayant pour objet un feu de position pour véhicule et un cabochon bicolore pour feu de position.

Subsidiairement, elle a fait valoir le caractère non protégeable des modèles numéros 1 et 2 au sens du Livre V du Code de Propriété Intellectuelle et notamment de l'articleL.511.3. de celui-ci.

Par jugement du 21 décembre 1993, le Tribunal relevant que "les griefs faits au contrefacteur sont exclusivement consécutifs à la forme des feux, ce qui ne rapporte aucune nouveauté mais démontre la banalité des objets", a rejeté la demande de la Société LINARD et l'a condamnée à payer à la Société SARR la somme de 10.000 froc en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

La SA LINARD a interjeté appel de cette décision le 14 mars 1994.

Se fondant non pas sur la contrefaçon des modèles par elle déposés mais uniquement sur l'utilisation de procédés contraires aux usages normaux du commerce, elle soutient que"le seul examen visuel des produits en cause montre que, à l'évidence, lesfeux ARA constituent une copie servile", des feux par elle fabriqués et que le détournement de clientèle porte non seulement sur les cabochons de rechange mais également sur les feux complets de première monte ou de rechange.

Elle sollicite en conséquence la réformation du jugement déféré en toutes ses dispositions, les mesures habituelles d'interdiction sous astreinte, de destruction et publication ainsi que la condamnation de la Sté SARR au paiement des sommes d'un million de francs à titre de dommages et intérêts et de 5.000 froc sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

La Sté SARR qui a formé un appel incident par conclusions du 26 septembre 1994, poursuit outre la confirmation de la décision entreprise :

- l'annulation de la saisie effectuée le 2 avril 1993 et de l'enregistrement du modèle publié le 23 novembre 1990 sous le n 295 327 ainsi que l'annulation partielle de l'enregistrement du modèle publié à la même date sous le n 295.326,

- l'attribution d'une somme de 20.000 frocen vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

DECISION

I - SUR LA DEMANDE PRINCIPALE

Considérant que la Société LINARD allègue que le seul examen visuel des produits en cause révèle à l'évidence que les feux "ARA" constituent la copie servile de ses produits et que ladite copie, conjuguée à la pratique d'un prix de revente inférieur et à l'accès dont la Sté SARR bénéficie auprès des acheteurs de l'appelantedont elle était distributeur, est de nature à engendrer un grave détournement de clientèle au préjudice de celle-ci tant en ce qui concerne les feux complets de première monte ou de rechange que les cabochons de rechange.

1 - Sur la copie servile

Considérant que l'appelante fait valoir que les feux LINARD et SARR ne se distinguent que par des différences si infimes de cotes qu'on ne peut les identifier sans se reporter aux marques gravées sur les cabochons et que les embases des semelles de feux SARR sont aux cotes exactes des produits LINARD, ce qui permet d'adapter les cabochons SARR sur les semelles LINARD.

Mais considérant que l'intimité lui objecte à juste titre que les normes européennes telles que les directives du conseil et de la commission des Communautés européennes numéros 76/756 et 89/516 des 27 juillet 1976 et 1er août 1989, relatives à l'installation des dispositifs d'éclairage et de signalisation lumineuse des véhicules à moteur et de leurs remorques, imposent aux fabricants des règles strictes quant à l'installation des dispositifs précités notamment en ce qui concerne la visibilité géométrique, l'intensité et la couleur de la lumière émise, les dimensions et la surface des plages lumineuses et qu'ainsi une telle règle impose la grosseur de l'ampoule utilisée.

Que l'appelante ne conteste pas que le fait que les constructeurs de véhicules automobiles veuillent avoir plusieurs fournisseurs à leur disposition afin d'éviter une rupture d'approvisionnement oblige les fabricants à produire des pièces présentant la même interface avec la partie du véhicule sur laquelle elles doivent s'appliquer, justifiant ainsi les similitudes des feux unicolores qui sont tous obligatoirement fiés à demeure au moyen d'un socle de même dimension appelé semelle à plaquer et la taille des cabochons dont la forme géométrique générale - au demeurant utilisée par d'autres constructeurs - découle aussi des normes et des exigences techniques.

Qu'au surplus, la Société SARR fait exactement valoir que :

- s'agissant du feu bicolore, les semelles à escarpolette ont un aspect visiblement différent, les stries de plaques éclairantes sont de disposition et de dimensions distinctes, la jonction des couleurs est caractérisée au sommet du cabochon ARA par une nervure proéminente absente du feu LINARD, les quatre faces latérales et inclinées de celui-ci viennent rejoindre directement le socle alors que celles du feu ARA se terminent par une partie plane perpendiculaire à celui-ci, le cabochon ARA est d'une hauteur légèrement supérieure à celle du produit LINARD et l'inclinaison des petits côtés en est moins sensible,

- s'agissant du cabochon unicolore ARA, celui-ci présente la caractéristique d'une loupe centrale,

- s'agissant du dispositif électrique interne des feux, la partie moulée du socle qui soutient la douille, n'a pas la même forme dans les articles en présence, la cosse de branchement solidaire est disposée différemment et la lamelle de contrat (dont les caractéristiques techniques sont du domaine public) n'a pas les mêmes dimensions.

Que la Société SARR en déduit avec pertinence que les différences susvisées sont telles que les constructeurs, carrossiers et transporteurs, professionnels de l'automobile, ne sauraient confondre les produits en cause.

2 - Sur le prix de revente

Considérant que la Société LINARD fait valoir que la Société SARR a proposé à titre promotionnel ses produits jusqu'au 30 septembre 1993, à raison de 7, 90 froc (prix de vente) ampoule comprise soit à un prix nettement inférieur à celui de 9 francs (prix d'achat) auquel l'intimée achète les produits LINARD avec une remise dite de "super distributeur".

Mais considérant que la Société SARR établit que ces tarifs sont simplement comparables à ceux d'autres fabricants tels que la Société VALEO Vision (7, 96 francs au 15 avril 1993).

3 - Sur le risque de détournement de clientèle

Considérant que l'appelante soutient qu'il existerait un risque d'interchangeabilité tant des feux complets que des cabochons de rechange et qu'il serait aisé à la société SARR d'orienter, lors de réassortiments de produits, le choix de l'acquéreur vers les siens.

Mais considérant outre le fait qu'il s'agit d'un grief non vérifié, que la Sté SARR réplique à juste titre d'une part, que les feux ARA vendus depuis le 1er septembre 1993 sont munis d'un "détrompage", et d'autre part que les feux commercialisés antérieurement avaient tous été vendus complets et en première monte, le cabochon ARA ne s'emboîtant pas au demeurant de manière satisfaisante et durable sur le socle LINARD.

Qu'au surplus, les normes existantes suffiraient à justifier l'interchangeabilité des produits.

Considérant, en conséquence, qu'il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande principale.

II - SUR LA DEMANE RECONVENTIONNELLE

1 – Sur la saisie

Considérant que la Société SARR allègue que celle-ci est nulle au regard des dispositions de l'article L. 521.1. du Code de la Propriété Intellectuelle, aux motifs d'une part que la requête se fondant sur les droits conférés par un dépôt de modèle, l'ordonnance a été rendue par un magistrat incompétent, d'autre part que l'assignation a été délivrée plus de 15 jours après la saisie et, ce non pas devant le juge du fond mais celui des référés.

Considérant que, le 1er avril 1993, la Société LINARD a présenté au président du Tribunal de Commerce une requête dans laquelle elle exposait que les produits de la société SARR dénommés "Série 700" constituaient la copie service de ses propres et qu'il convenait de le faire constater par huissier.

Que s'il ne saurait être contesté qu'elle précisait dans le corps de la requête qu'elle était titulaire d'un dépôt de modèle enregistré à l'Institut National de la Propriété Industrielle et à l'OMPI et joignait les certificats correspondants, il n'en demeure pas moins qu'elle n'invoquait alors que le grief susvisé de copie servile constitutif de concurrence déloyale et non celui de contrefaçon de modèle et se fondait en conséquence, non pas sur les dispositions de l'article L. 521.1. du Code de la Propriété Intellectuelle, mais sur celles de l'article 145 du nouveau Code de Procédure Civile qui autorise tout intéressé, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, à solliciter les mesures d'instructions légalement admissibles du juge compétent pour ce faire, lequel peut être notamment le Président du Tribunal de Commerce et qui ne soumet l'intéressé à aucun délai pour assigner ultérieurement au fond.

Que cette demande sera donc rejetée.

2 - Sur l'enregistrement des modèles

Considérant, ainsi qu'il a été exposé plus haut, que, le 23 novembre 1990, la Société LINARD a déposé à l'Institut National de la Propriété Industrielle un modèle de feu de position pour véhicules (modèle n 1) et un modèle de cabochon bicolore pour feu de position (modèle n 2).

Que la Société SARR allègue que l'enregistrement du modèle n 1, publié sous le n 295.326, qui concerne un feu unicolore est partiellement nul en ce qu'il porte sur un cabochon unicolore qui ne se distingue par aucune caractéristique originale du cabochon faisant l'objet de l'homologation CEE n 0 121 686 délivrée le2 février 1989 à la Société JOKON et que l'enregistrement du modèle n 2 publié sous le n 295.327, est également nul, le cabochon bicolore visé par lui ne se distinguant par aucune caractéristique de forme originale du cabochon décrit dans l'homologation ABG n 0 131 426 délivrée le 25 novembre 1986 par le bureau fédéral allemand des transports de marchandises à la même Société JOKON.

Mais considérant que la Société SARR ne produisant à l'appui de son argumentation que des documents rédigés en langue allemande et non traduits, sa demande sera rejetée.

III - SUR LES FRAIS NON TAXABLES

Considérant que les parties qui succombent l'une en sa demande principale, l'autre en sa demande reconventionnelle, conserveront la charge des frais par elles exposés en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile et de leurs dépens respectifs.

PAR CES MOTIFS :

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la Société LINARD de la demande par elle fondée sur le grief du concurrence déloyale,

Y ajoutant, déboute la Société SARR de sa demande reconventionnelle,

Le réformant pour le surplus,

Déboute la Société SARR de sa demande du chef de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens de première instance et d'appel.