CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 18 octobre 2019, n° 18/08962
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Zara France (SARL), Industria de Diseno textil (SA), Fashion Retail (SA)
Défendeur :
Christian dior couture (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gaber
Conseillers :
Mme Lehmann, Mme Barutel
Vu le jugement contradictoire du 18 janvier 2018 rendu par le tribunal de grande instance de Paris,
Vu l'appel interjeté le 3 mai 2018 par les sociétés Zara France, Industria De Diseno Textil (Inditex) et Fashion Retail (dites ensemble sociétés Zara et autres),
Vu les dernières conclusions (n°2) remises au greffe, et notifiées, par voie électronique, le 31 janvier 2019 des sociétés Zara et autres, appelantes,
Vu les uniques conclusions remises au greffe, et notifiées, par voie électronique, le 31 octobre 2018 de la société Christian Dior Couture (Dior), intimée et incidemment appelante,
Vu l'ordonnance de clôture du 6 juin 2019,
SUR CE, LA COUR ,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
Il sera simplement rappelé que la société Dior se prévaut de droits d'auteur et de modèle communautaire non enregistré sur une paire de lunettes de soleil pour hommes référencée Dior0204S qui aurait été divulguée lors d'un salon professionnel à Munich (Allemagne) le 14 avril 1995.
Ayant découvert l'offre en vente de lunettes sous la marque Zara constituant, selon elle, la reproduction servile des caractéristiques de son modèle, elle a fait procéder par huissier de justice à un constat d'achat :
-sur le site internet exploité par la société Fashion Retail les 15 et 22 avril 2016,
-dans une boutique à l'enseigne Zara à Paris le 27 avril 2016.
La société Dior, dûment autorisée par ordonnance présidentielle du 24 mai2016, a ensuite fait procéder à une saisie-contrefaçon au siège social de la société Zara France le 26 Mai 2016 et appris notamment que la société Inditex serait le fournisseur des lunettes saisies.
C'est dans ces circonstances, qu'elle a, par voie d'assignation délivrée le 24 juin 2016 aux sociétés Zara et autres, introduit devant le tribunal de grande instance de Paris la présente instance en contrefaçon de droits d'auteur et de modèle communautaire non enregistré.
Par jugement dont appel, les premiers juges ont essentiellement :
-annulé les deux procès-verbaux de constats d'achat,
-dit établis les actes de contrefaçon fondant l'action de la société Dior et condamné in solidum les sociétés Zara à lui payer 25 000 euros en réparation du préjudice commercial, 10 000 euros en réparation de l'atteinte à l'image, et 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-prononcé des mesures d'interdiction et de destruction sous astreintes, se réservant la liquidation de ces dernières, et ordonné la publication d'un extrait du jugement.
Les sociétés Zara et autres, appelantes, maintiennent que la société Dior serait irrecevable et à tout le moins mal fondée en son action. Subsidiairement, elles font valoir que son préjudice ne saurait excéder la somme de 2 743 euros hors taxes correspondant à leur chiffre d'affaires de vente du modèle litigieux et elles réclament en toute hypothèse 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Dior, appelante incidente, soutient que les constats d'achat sont valides et qu'il n'y a pas lieu de limiter les dommages et intérêts accordés à la somme de 35 000 euros, réitérant de ce chef ses demandes en paiement telles que rappelées par les premiers juges. Elle sollicite en outre la condamnation in solidum des sociétés Zara et autres à lui payer 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Sur les constats d'achat
Il résulte des articles 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du code de procédure civile, ensemble le principe de loyauté dans l'administration de la preuve, que le droit à un procès équitable commande que la personne qui assiste l'huissier instrumentaire lors de l'établissement d'un procès-verbal de constat soit indépendante de la partie requérante.
En l'espèce, l'huissier instrumentaire a, dans chacun des procès-verbaux de constat d'achat en cause, indiqué avoir procédé aux constatations requises par la société Dior en présence respectivement de Mme Kalina D. pour le constat internet des 15 et 22 avril 2016 et de Mme Sophie D. pour celui en magasin du 27 avril 2016, sans autre précision.
Or il est établi et non contesté que ces deux personnes, qui ont chacune procédé à un achat constaté par huissier de justice, étaient en fait stagiaires au sein du cabinet d'avocat de la société requérante.
Dès lors, c'est par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte, sauf à rectifier une erreur de date concernant le constat d'achat en boutique qui n'a pas été effectué le 26 mai 2016 mais le 27 avril 2016, que les premiers juges ont retenu que l'absence d'indication dans le procès-verbal de constat d'achat tant en ligne qu'en magasin de la qualité de stagiaire du cabinet du conseil de la société Dior constitue une violation du principe de loyauté dans l'administration de la preuve qui affecte la validité de chacun des deux procès-verbaux de constat d'achat.
Il sera ajouté que le procès-verbal de constat en ligne, qui comprend celui de l'achat réalisé le 15 avril 2016 et celui de son envoi effectué le 22 avril 2016, indique clairement le 15 avril 2016 que toutes les constations figurant dans l'acte ont été réalisées en présence de Mme D. L'acte de l'huissier instrumentaire se trouve ainsi vicié dans son ensemble. En effet il ne saurait être considéré que les constatations ayant permis l'accès à la page internet sur laquelle la commande a été effectuée le 15 avril 2016 par la stagiaire de l'avocat du requérant seraient valables alors qu'elles forment un tout, tendant à établir, comme au demeurant la livraison subséquente du 22 avril 2016, le constat de l'achat effectué par cette stagiaire sur le site Zara.com.
Le jugement entrepris sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a annulé les deux procès-verbaux de constat dont s'agit, sauf à rectifier l'erreur de date précitée.
Sur le droit d'auteur
Les premiers juges ont retenu que la société Dior justifiait de la titularité de droits d'auteur sur les lunettes revendiquées comme ayant été divulguées à compter du 12 juin 2015, date d'une facture de première commercialisation.
Les sociétés Zara et autres contestent cette appréciation au regard des éléments produits par la société Dior soutenant que celle-ci demeure dans l'incapacité de justifier des droits qu'elle revendique.
A cet égard il est cependant versé au débat une facture de vente d'un modèle 'DIOR204S'dans une boutique Dior de l'aéroport Paris CDG du 12 juin 2015 ainsi qu'une autre facture de vente, portant la même référence de modèle, du 13 juin 2015 dans une autre boutique Dior à [...] pour le prix HT de 300 euros, qui n'apparaît nullement incompatible avec le prix détaxé facturé à l'aéroport de 316,80 euros.
Par ailleurs une dénommée Deplazes de Andrade Delgado a attesté le 3 octobre 2017 que le modèle de lunettes de soleil Dior 02204S qu'elle reproduit a été présenté au public le 14 avril 2015 lors d'une journée presse organisée à Munich le 14 avril 2015 à laquelle étaient invités des professionnels de la lunetterie tels que des journalistes et blogueurs de mode.
Bien que les références n'en soient pas citées, ces lunettes de soleil, dont la société DIOR produit un exemplaire portant en très petits caractères l'indication 'DIOR0204S' à l'intérieur de sa branche gauche, apparaissent visiblement figurer dans diverses revues, notamment sous la mention Dior Homme dans les revues espagnoles L'Officiel des Hommes d'octobre 2015 et 'La Vanguardia Magazine' de mars 2016 ainsi que les revues d'Hong Kong 'Prestige' et de Corée 'Léon' de février 2016. Ce modèle figure également dans la revue GQ France, étant précisé que si la date de parution n'apparaît pas sur la page de couverture ni sur la page intérieure présentant les lunettes, un procès-verbal de constat d'huissier de justice du 7 novembre 2017 montre sans ambiguïté qu'il s'agit d'une parution du 13 avril 2016. Un extrait du même magazine GQ allemand daté de novembre 2015 présente également ces lunettes avec la mention << '0204S'. Dior>>.
Il ressort encore d'un procès-verbal de constat d'huissier de justice du 7 novembre 2017 effectué sur le site d'archives 'web.archive.org' que ce modèle de lunettes de soleil apparaissait mis en ligne le 21 novembre 2015.
Ces éléments pris dans leur ensemble démontrent à suffisance une exploitation publique et non équivoque du dit modèle par la société Dior à tout le moins depuis le 12 juin 2015 et en tout état de cause avant les faits reprochés. Ces actes d'exploitation font présumer à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon, en l'absence de revendication de la personne physique qui s'en prétendrait l'auteur, que la société Dior est titulaire sur la paire de lunettes invoquée, des droits patrimoniaux de l'auteur.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré la société Dior recevable en son action en contrefaçon de droit d'auteur.
Il se déduit des dispositions des articles L. 111-1 et L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle le principe de la protection d'une oeuvre, sans formalité, du seul fait de la création d'une forme originale. Néanmoins, lorsque cette protection est contestée en défense, il incombe à celui qui entend se prévaloir des droits de l'auteur, d'en expliciter l'originalité.
Pour conclure à l'originalité de la paire de lunettes de soleil 'DIOR 0204S', la société DIOR soutient, sans prétendre s'approprier un genre ou une idée abstraite, qu'elle procède, au-delà d'un simple savoir-faire, de la combinaison des éléments caractéristiques suivants :
'une monture minimaliste en métal très fin, dépourvue de nez pour mettre en avant le verre, lequel n'est pas encadré par l'armature métallique mais s'y superpose - de telle sorte que la monture disparaît au profit des verres, donnant l'impression que ces derniers flottent devant les yeux, sauf au niveau du nez où la monture en métal dépasse du verre, créant un élément ajouré au-dessus des plaquettes, que l'on découvre à l'extrémité des branches'.
Elle précise que les verres sont pourvus de décrochements anguleux dans leur partie supérieure, et qu'il s'agit de créer une paire de lunettes ultra légères au design épuré et graphique, s'exprimant par un jeu de transparence et d'espaces vides au niveau du nez, au-dessus des plaquettes et à l'extrémité des branches.
Il ne saurait être considéré que l'ensemble de ces indications est insuffisant pour permettre à la cour d'apprécier l'existence d'une protection au titre du droit d'auteur. Les sociétés Zara et autres prétendent cependant que cette paire de lunettes appartient à un genre de lunettes de soleil 100% verres et que sa simplicité la prive de toute originalité. Elles soutiennent plus particulièrement qu'elle s'inscrit dans l'apparence générale de lunettes de soleil connues depuis le début du 20ème siècle de type 'Aviator' et actuellement sous le nom de Ray-Ban qui est devenu un modèle de référence.
Mais il ressort de l'examen auquel la cour s'est livrée, que les diverses paires de lunettes de soleil existantes lors de la création du modèle Dior 0204S, qui sont opposés, notamment comme ayant repris les caractéristiques du modèle de lunettes Aviator de 1937 ou d'un modèle de lunettes Wayfarer de 1952, ne présentent que l'un ou l'autre des éléments de la paire de lunettes de soleil revendiquée et non pas tous ses éléments dans une combinaison identique. Ainsi aucune d'elles ne comprend à la fois une monture métallique fine dépourvue de nez des verres avec une armature métallique qui s'y superpose, un décrochement anguleux dans la partie supérieure des verres qui présentent généralement des angles arrondis, et un élément ajouré au-dessus des plaquettes ainsi que pour les embouts des branches en métal fin.
Force est de constater, au terme de cet examen que les modèles opposés montrent la diversité des lunettes de soleil et l'absence de caractère insignifiant des choix esthétiques invoqués. Si certains des éléments qui composent les lunettes de soleil 'DIOR 0204S' sont effectivement connus et que, pris séparément, ils appartiennent au fonds commun de l'univers de la lunetterie, en revanche, leur combinaison telle que revendiquée, dès lors que l'appréciation de la cour doit s'effectuer de manière globale, en fonction de l'aspect d'ensemble produit par l'agencement des différents éléments et non par l'examen de chacun d'eux pris individuellement, confère à cette paire de lunettes de soleil une physionomie particulière qui la distingue des autres modèles de lunettes de soleil du même genre et qui traduit un parti-pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur.
Par voie de conséquence, la paire de lunettes de soleil DIOR 0204S est digne d'accéder à la protection instituée au titre du droit d'auteur et la décision dont appel sera approuvée de ce chef.
Sur le droit des modèles communautaires non enregistrés
Pour bénéficier de la protection d'un modèle communautaire le modèle doit être nouveau et avoir un caractère individuel.
S'il n'apparaît pas suffisamment établi que la date du 14 avril 2015 constitue bien une première divulgation en Allemagne au sens de l'article 7 du règlement (CE) n°6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 il n'est justifié d'aucune divulgation au public d'un modèle de lunettes identique à celui de la société Dior avant la divulgation du 12 juin 2015 date certaine de première commercialisation dans l'Union Européenne du dit modèle.
L'examen de chacun des modèles de lunettes antérieurs à cette date qui sont opposés, pris individuellement, montre par ailleurs incontestablement que l'impression globale que le modèle DIOR 0204S produit sur l'utilisateur averti diffère de celle que produit tout autre modèle divulgué au public.
En effet sa forme de fine monture métallique arrondie avec une absence de nez et un pont simple au niveau du front se distingue significativement des modèles opposés par un décrochement anguleux des verres et de la monture, en partie supérieure, vers l'extérieur, mais également par un décrochement de la monture seule, dans la partie supérieure du nez, immédiatement perceptibles, d'autant qu'elles sont combinées notamment avec une apposition des verres sur la monture et un embout ajouré des branches, l'utilisateur averti de lunettes de soleil percevant immédiatement de telles différences essentielles comme conférant au modèle DIOR 0204S son identité au regard de formes ou styles de lunettes de soleil connus.
Le jugement dont appel sera donc confirmé en ce qu'il a reconnu à ce modèle la protection triennale du modèle communautaire non enregistré.
Sur la contrefaçon et les mesures réparatrices
Il s'infère du procès-verbal de saisie-contrefaçon précité et des conclusions des sociétés Zara et autres (pages 39 et 40) que le modèle litigieux, dont une photographie était reproduite dans la requête aux fins d'autorisation de la saisie-contrefaçon, a été fourni par la société Inditex, commercialisé en boutique par la société Zara France, et vendu en ligne par la société Fashion Retail.
Si les sociétés Zara et autres contestent la réalité d'un préjudice en résultant, elles ne dénient pas sérieusement que le modèle ainsi incriminé et exploité donne à voir, ce qui ressort de la comparaison à laquelle la cour a procédé avec l'exemplaire des lunettes Dior 0204S, une reprise, dans la même combinaison, des éléments retenus comme caractéristiques de ce modèle de lunettes, ni qu'il produit, au côté du dit modèle, une telle impression de ressemblance que la société intimée est fondée à conclure à une reproduction servile.
Il s'en infère que la contrefaçon, définie à l'article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle, par la représentation, la reproduction ou l'exploitation de l'oeuvre faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit est en l'espèce caractérisée à la charge des sociétés Zara et autres, tout comme la contrefaçon de modèle communautaire non enregistré, les lunettes incriminées constituant la copie du modèle revendiqué.
Dès lors, le jugement entrepris qui a retenu que les actes de contrefaçon tant sur le fondement du droit d'auteur que sur celui du modèle communautaire non enregistré étaient constitués et imputables in solidum aux trois sociétés Zara France, Inditex et Fashion Retail doit être confirmé de ces chefs.
La société Dior maintient ses demandes distinctes au titre de son préjudice financier et de son préjudice moral en sollicitant la condamnation in solidum, d'une part, des sociétés Inditex et Zara France à lui payer au titre de chacun des dits préjudices la somme de 50 000 euros, à raison de la commercialisation en boutique, d'autre part, des sociétés Inditex et Fashion Retail à lui payer au même titre la même somme, à raison de la commercialisation sur le site internet 'Zara.com', réclamant en fait un montant total de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts (50 000 X 2 + 50 000 X2).
Si le préjudice résultant de la contrefaçon doit être réparé dans son intégralité il convient de relever que la société Dior rappelle (page 40 de ses conclusions) qu'en application des dispositions des articles L. 331-1-3 et L. 521-7 du code de la propriété intellectuelle il y a lieu de prendre en considération distinctement les conséquences économiques négatives subies par la partie lésée, le préjudice moral qui lui a été causé et les bénéfices réalisés par les contrefacteurs en ce compris les économies d'investissements, qui correspondent au premier alinéa de ces textes, ne faisant pas explicitement le choix du calcul proposé par le second alinéa des dits textes dont elle ne rappelle aucunement les termes.
Pour fixer les dommages et intérêts la cour prendra dès lors en considération distinctement les trois chefs de préjudices susvisés, qui incluent la prise en compte du préjudice moral et n'impose donc pas le prononcer d'une condamnation séparée de ce dernier chef .
Par ailleurs il n'y a pas lieu à ventiler des condamnations in solidum, les 3 sociétés appelantes ayant contribué par leurs agissements respectifs à un préjudice moral unique, étant relevé que les appelantes qui indiquent à titre subsidiaire que le préjudice ne saurait excéder leur chiffres d'affaires total de 2 743 euros n'ont pas plus ventilé cette offre dans le dispositif de leurs écritures.
Pour fixer les dommages et intérêts la cour relève que les opérations de saisie-contrefaçon ont permis d'établir que la société Zara France a vendu 109 exemplaires des lunettes contrefaisantes et que le stock théorique s'établissait à 54 produits. Il n'est pas discuté que ces ventes ont généré un chiffre d'affaires total hors taxes (HT) de 2 354 euros. Les factures adressées le 1er juin 2016 à l'huissier instrumentaire, ensuite de la saisie-contrefaçon du 26 mai 2016 et annexées au procès verbal, montrent par ailleurs que la sociétés Retail Fashion a facturé les lunettes contrefaisantes moyennant le prix unitaire de 5,17 euros pour un total de 154 paires de lunettes, les éléments précités tendant à montrer qu'elle a dû en fait fournir 163 paires de lunettes. La société Fashion Retail a reconnu avoir personnellement vendu 18 exemplaires du modèle litigieux pour un chiffre d'affaires hors taxes de 389 euros.
Nonobstant le nombre limité des ventes de marchandises contrefaisantes ainsi établi et, partant, le modeste chiffre d'affaires réalisé, l'exploitation de la copie d'un modèle qui est associé à l'image d'une société connue dans le domaine du luxe a cependant incontestablement permis aux sociétés Zara et autres d'économiser des investissements de création et de promotion pour exploiter les lunettes litigieuses, étant observé que les appelantes indiquent d'ailleurs que les ventes en magasin se sont faites 'sans aucune promotion' (page 43 sur 49 de leurs écritures), ce qui doit être pris en compte au titre des bénéfices retirés de l'atteinte aux droits qui a été retenue à leur encontre.
S'agissant des conséquences négatives subies par la sociétés Dior il est raisonnable de considérer qu'en présence d'une copie servile dont le prix de vente HT s'établit à moins de 22 euros, selon les chiffres d'affaires précités tels qu'admis, au lieu de 300 euros HT pour les lunettes originales, une partie de la clientèle a pu être incitée à se détourner de l'achat d'une paire de ces lunettes de soleil Dior0204S, générant ainsi un manque à gagner pour la société intimée excédant les chiffres d'affaires réalisés par les contrefacteurs, même s'il n'est fourni sur ce point aucun autre élément chiffré tel le taux de marge effectivement appliqué et si la commercialisation des produits litigieux a été interrompue ensuite de la saisie-contrefaçon.
Enfin il est certain que le caractère servile des copies réalisées et leur vente à un prix largement plus de 10 fois inférieur à celui des lunettes originales n'a pu que dévaloriser l'apparence voulue par la société Dior pour ces lunettes de soleil Dior0204S, banalisant celles-ci par une large diffusion tant du fait d'une exploitation en ligne qu'en boutique, dès lors qu'il est admis qu'elle a été réalisée dans 35 magasins à l'enseigne Zara (page 43 sur 49 précitée des conclusions des appelantes). Ces faits portent non seulement atteinte à la valeur patrimoniale du produit original qui véhicule une image de création de luxe, mais contribuent nécessairement à avilir ce modèle et à le déprécier aux yeux de la clientèle, ce qui est constitutif d'un préjudice moral particulièrement significatif pour l'intimée, insuffisamment évalué avec le préjudice commercial en première instance même s'il ne saurait être tenu compte dans la fixation des dommages et intérêts de faits postérieurs qui concernent un autre modèle de lunettes de la sociétés Dior.
En considération des trois séries d'éléments objectifs précités, pris distinctement, à savoir les conséquences économiques négatives pour la sociétés Dior, le préjudice moral qui lui a été causé et les bénéfices réalisés par les sociétés Zara et autres en ce compris leurs économies d'investissements tels qu'établis, excluant l'instauration de dommages et intérêts punitifs, la cour estime être en mesure de fixer les dommages et intérêts dus à la sociétés Dior, à raison des faits de contrefaçon en cause, à la somme totale de 50 000 euros.
Les mesures d'interdiction et de publication ordonnées par les premiers juges sont justifiées dans leur principe et pertinentes dans leurs modalités au regard de la nécessité de prévenir le renouvellement des actes illicites, étant précisé que le dispositif des conclusions de la société Dior, qui seul saisit la cour, ne demande pas d'y ajouter. Il convient par contre de tenir compte du fait qu'à ce jour la protection au titre du modèle communautaire non enregistré est expirée et qu'il n'y a donc plus lieu à interdiction de ce chef.
Les mesures dont s'agit seront donc sous cette réserve confirmées, sauf à insérer dans la publication de l'extrait tel qu'ordonnée, qui est libellé comme suit : <<Par jugement du 18 janvier 2018, le tribunal de grande instance de Paris a prononcé la condamnation des sociétés Zara France, Fashion Retail et Inditex pour contrefaçon de modèle et du droit d'auteur au préjudice de la société Christian Dior Couture sur ses lunettes 'Dior0204S' en paiement de dommages et intérêts et a ordonné des mesures d'interdiction de commercialiser et de destruction des stocks sous astreinte>>, la mention de la présente décision confirmative sur les points ainsi récapitulés, la décision entreprise n'étant infirmée que sur le montant des dommages et intérêts et une partie de l'interdiction, qui n'y sont pas précisés.
PAR CES MOTIFS ,
Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a visé un procès-verbal de constat d'achat du 26 mai 2016 au lieu du 27 avril 2016, en ce qu'elle a condamné in solidum les sociétés Zara France, Fashion Retail et Inditex à payer à la société Christian Dior Couture 25 000 euros en réparation du préjudice commercial ainsi que 10 000 euros en réparation du préjudice moral, et en ce qu'elle a prononcé une mesure d'interdiction pour les lunettes référencées 9166/403/808 <<incorporant le modèle communautaire non enregistré de la société Christian Dior Couture objet du litige, et reproduisant les caractéristiques originales des lunettes 'Dior0204S'>> ;
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,
Dit qu'est annulé un procès-verbal de constat d'achat du 27 avril 2016 et non du 26 mai 2016 ;
Condamne in solidum les sociétés Zara France, Fashion Retail et Inditex à payer à la société Christian Dior Couture la somme totale de 50 000 euros à tire de dommages et intérêts en réparation des actes de contrefaçon de droit d'auteur et de modèle communautaire non enregistré ;
Dit que la mesure d'interdiction prononcée en première instance est limitée aux seules lunettes référencées 9166/403/808 reproduisant les caractéristiques originales des lunettes 'Dior0204S' ;
Dit que l'extrait dont la publication a été ordonnée inclura après les mots 'Par jugement du 18 janvier 2018," la mention 'confirmé sur ces points par la cour d'appel de Paris le 18 octobre 2019," ;
Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ;
Condamne in solidum les sociétés Zara France, Fashion Retail et Inditex aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, et, vu l'article 700 du dit code, les condamne in solidum à verser à ce titre à la société Christian Dior Couture une somme complémentaire de 6 000 euros pour les frais irrépétibles d'appel.