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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ. A, 12 avril 2010, n° 09/02545

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Directeur Général de l'INPI

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lafon

Conseillers :

M. Roux, M. Sabron

CA Bordeaux n° 09/02545

11 avril 2010

FAITS ET PROCEDURE ANTERIEURE :

Monsieur Franck L. a déposé auprès de l'INPI le 30 juin 2008 une demande d'enregistrement numéro 083585103 portant sur le signe complexe Lizeray Mouton destiné à distinguer les produits suivants boissons alcooliques (à l exception des bières), cidres, digestifs, vins, spiritueux extraits ou essences alcooliques.

Le 3 octobre 2008, la SA Baron Philippe de Rothschild a formé opposition à l'enregistrement de cette marque en se prévalant de la marque verbale Mouton-Cadet antérieure qu'elle avait en dernier lieu fait renouveler par déclaration en date du 28 décembre 2006 sous le numéro 1389865 et portant sur les vins d'appellation d'origine contrôlée.

Par décision en date du 8 avril 2009, le directeur général de l'INPI a :

- reconnu la demande d'opposition recevable et bien fondée

- rejeté la demande d'enregistrement n°083585103.

PROCEDURE D'APPEL :

Par acte en date du 4 mai 2009, Monsieur Franck L. a saisi la cour d'appel de Bordeaux d'un recours en annulation de la décision du directeur de l'INPI.

A l'appui de son recours, il soutient que :

- ledit recours est recevable dès lors que conformément aux dispositions de l'article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle il a correctement mentionné sa profession

- il a joint une copie de la décision à son mémoire

- il a également effectivement déposé la marque Lizeray Mouton car à défaut le directeur de l'INPI n'aurait pu rendre sa décision

- dès lors, le recours est conforme aux dispositions du code de la propriété intellectuelle et les critiques formulées par l'intimé ne sont pas fondées à ce titre

- sur le fond l'analyse du terme mouton doit être considérée sur la base de l ensemble Lizeray Mouton et non indépendamment de cet ensemble

- les preuves d'usage rapportées par les intimés ne sont pas recevables dès lors qu'elles font apparaître des erreurs de facturation ou ne font pas mention explicite de produit revêtu de la marque prétendument confondue avec Lizeray Mouton

- le directeur de l'INPI n'a pas respecté la méthode communautaire pour justifier sa décision

- le mémoire déposé en défense est irrecevable en ce que les statuts de la SCP d'avoués ne mentionnent pas le domicile de l'un des associés

- le directeur de l'INPI aurait dû tenir compte de la présence d'un signe semi-figuratif

- le nom de Lizeray n'est pas celui d'une commune mais un nom de famille qui constitue un élément distinctif

- il est faux de prétendre que le dépôt de la marque Lizeray Mouton ait été effectué en vue de contraindre les opposants à en effectuer le rachat

- le constat d'huissier en date du 18 février 2010 qu'il produit aux débats démontre que la forme abrégée Mouton prétendument connue par un large public ne repose sur aucun document soumis au débat avant le projet de décision de l'INPI

- l'INPI et la société Baron Philippe de Rothschild ne tiennent pas compte du précédent arrêt de la cour du 4 novembre 1998 qui interdit de se prévaloir de la marque mouton noir dès lors qu'elle est mentionnée sur une liste produit par la société précitée

- les preuves d'usage produites exclusivement en appel ne peuvent être retenues fautes d'avoir été versées aux débats lors de l'opposition

- son recours sera donc accueilli et l'opposition rejetée.

Le directeur de l'INPI soutient que :

- le principe du contradictoire a parfaitement été respecté au cours de la procédure ayant donné lieu à la décision de rejet du dépôt de la marque litigieuse

- aucune disposition ne prévoit que le déposant puisse répliquer aux preuves d'usage fournies par l'opposant antérieurement à l'établissement du projet de décision et s'agissant d'une décision de nature administrative, les dispositions du code de procédure civile sont inapplicables à l'opposition

- la demande d'opposition a été jugée parfaitement recevable par le directeur de l'INPI dès lors qu'elle ne portait que sur une seule marque Mouton Cadet et sur la base des pièces produites par l'opposante qui ont été jugées à bon escient suffisamment pertinentes

- prise dans son ensemble la marque Lizeray-Mouton n emporte pas moins confusion dans l'esprit du consommateur avec la marque Mouton-Cadet du fait de l antériorité de cette dernière

- les mentions la noblesse du palais apparaissent comme étant un logo purement accessoire.

La société Baron Philippe de Rothschild réplique que :

- le recours de Monsieur L. est irrecevable en ce qu'il n'a pas mentionné sa profession mais seulement sa qualification professionnelle

- le principe du contradictoire n'a pas été respecté du fait que Monsieur L. n'a pas déposé au greffe une copie de la décision attaquée et n'a pas transmis ses pièces à son égard

- la procédure devant la cour d'appel ayant seulement pour objet de contrôler la légalité de la décision du directeur de l'INPI, Monsieur L. ne saurait soulever devant la cour de nouveaux moyens d'irrecevabilité concernant l'opposition ni solliciter des injonctions à l'égard de l'INPI, ni présenter des demandes relatives à de prétendus faux

- l'opposition est recevable en ce qu'elle n'a comparé le signe litigieux qu'à la seule marque Mouton Cadet

- les preuves d'usage qu'elle a produites ont été régulièrement vérifiées par le directeur de l'INPI

- tout en appréciant le risque de confusion au vu des éléments pris globalement, le directeur de l'INPI a relevé à juste titre que ce risque existait s'agissant des éléments distinctifs et dominants en l'espèce le terme mouton

- le caractère distinctif du terme mouton lui confère une importance incontestable qui ne peut pas échapper au consommateur moyen concerné par les produits en cause

- l'apposition du nom Lizeray ne réduit pas le risque de confusion

- Monsieur L. sera condamné au paiement à son profit d'une somme de 1.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS :

- Sur la recevabilité du recours introduit par Monsieur L. :

L'article R411-21 du code de la propriété intellectuelle prévoit à peine d'irrecevabilité que la déclaration écrite par laquelle une partie forme un recours à l'encontre d'une décision du directeur général de l'INPI faisant droit à une opposition à l'enregistrement d'une marque doit comporter certaines mentions parmi lesquelles, si le requérant est une personne physique, sa profession.

En l'espèce, Monsieur L. aux termes de sa déclaration de recours a expressément fait état au titre de sa profession de la mention technicien PSSP .

Le terme technicien utilisé, s il revêt la nature initiale d une qualification professionnelle, n'en est pas moins pris actuellement dans une acception plus large qui autorise à l'admettre dans le sens d'une profession déclinée dans les domaines les plus variés.

Dès lors, il ne saurait être valablement fait grief à Monsieur L. de ne pas avoir fait mention de sa profession dans sa déclaration de recours.

Par ailleurs, un examen attentif des pièces jointes au recours de Monsieur L. révèle qu'il y a été effectivement annexé la décision attaquée de telle sorte qu'il ne peut davantage lui être fait grief d'avoir méconnu sur ce point les dispositions de l'article précité.

D'autre part, si en application de l'article L. 712-1 du code de la propriété intellectuelle, la propriété de la marque s'acquiert par l'enregistrement, le stade actuel de la procédure qui suspend le caractère exécutoire de la décision du directeur de l'INPI ayant accueilli l'opposition à l'enregistrement de la marque Lizeray Mouton formée par la société Baron Philippe de Rothschild ne saurait priver le déposant de ladite marque de la capacité d'exercer le recours qui lui est ouvert contre cette décision.

Egalement il ne saurait être fait grief à Monsieur L. de ne pas avoir communiqué personnellement les pièces sur lesquelles il entendait fonder son recours à la société Baron Philippe de Rothschild dès lors que celles-ci ont été notifiées à cette dernière par le greffe de la cour d'appel conformément à la procédure en vigueur.

Le recours formé par Monsieur L. doit être déclaré recevable.

- Sur la recevabilité des conclusions en défense de la société Baron Philippe de Rothschild :

Il convient certes de relever que si les avoués constitués pour représenter la SA Baron Philippe de Rothschild sont deux, ils exercent leur ministère sous la forme d'une société civile professionnelle domiciliée à une adresse unique 18 rue du Hâ à Bordeaux et dès lors leur situation à ce titre est parfaitement régulière ainsi que tous les actes procéduraux qu'ils ont fait signifier.

- Sur le bien fondé du recours :

Sur la validité de la procédure d'opposition :

La mission confiée par le législateur à l'INPI dans le cadre d'une opposition à un enregistrement de marque consiste à statuer sur son bien fondé, en appréciant une éventuelle contrefaçon au vu des éléments fournis par les parties.

Dans ce cadre il apparaît que l'INPI a régulièrement transmis sans délai à chacune des parties toutes observations ou pièces émanant de l'autre, notifié son projet de décision en invitant les parties à le contester de telle sorte qu'il ne peut lui être reproché aucune violation du principe du contradictoire.

Il ne peut davantage être fait grief à l'INPI d'avoir déclaré irrecevables les observations du déposant sur les preuves d'usage de la marque antérieure présentées avant la notification du projet de décision puisqu'il l'a invité à les réitérer après le projet.

Aucune disposition ne prévoit en effet que le déposant puisse répliquer aux preuves d'usage fournies par l'opposant antérieurement à l'établissement du projet de décision. En effet les observations en réponse mentionnées au deuxième alinéa de l article R. 712-14 2ème s'entendent par référence aux observations en réponse à l'opposition, prévues au 1° du même article.

D'ailleurs, l'article R. 712-17 fait mention des premières observations du déposant manifestement par opposition aux dernières observations mentionnées au 2ième et au 3ième de l'article R. 712-6 du code de la propriété intellectuelle en l'occurrence celles présentées par les parties après communication du projet de décision.

La procédure d'opposition n'a donc été entachée d'aucune irrégularité, étant souligné que la présente procédure n'étant pas un recours de plein contentieux régi par le code de procédure civile mais en annulation d'une décision administrative qui comme telle relève exclusivement des dispositions du code de la propriété intellectuelle qui ne prévoyant pas d'effet dévolutif au profit de la cour imposent à cette dernière de rejeter comme irrecevables les moyens nouveaux d'irrecevabilité soulevés par Monsieur L. (présentation de l'opposition à l'encre bleue, erreur dans la référence du formulaire CERFA utilisé, présence de mentions manuscrites sur celui-ci, violation de l'article 14 de l'arrêté du 31 janvier 1992).

Sur la recevabilité de l'opposition :

En application des dispositions de l'article 4-1 de l'arrêté du 31 janvier 1992 une opposition ne peut être fondée que sur une seule marque'.

D'ailleurs aux termes du dossier d'opposition qu'elle a déposé, la société Baron Philippe de Rothschild vise sans ambiguïté la seule marque Mouton-Cadet n°1389865 mentionnée dans la rubrique 3 marque antérieure invoquée du formulaire d'opposition, copie de la marque antérieure fournie à l'appui de l'opposition, exposé des moyens tirés de la comparaison des signes.

Ainsi que le souligne l'INPI les autres marques par l'opposante dans son exposé des moyens ne sont évoquées qu'au soutien de son argumentation tendant à invoquer et démontrer la grande notoriété sur le marché de l'élément Mouton de sa marque. Cette mention ne peut donc affecter la recevabilité de l'opposition.

Sur le bien fondé de l'opposition :

Sur les preuves d'usage

En application de l'article R. 712-17 du code de la propriété intellectuelle, l'opposant invité à produire des pièces propres à établir que la déchéance de ses droits sur la marque n'est pas encourue doit établir l exploitation de la marque antérieure au cours des cinq dernières années précédant la demande de preuves d'usage, pour au moins l'un des produits ou services sur lesquels est fondée l'opposition.

Dans ce cadre la société Baron Philippe de Rothschild a produit des factures datant de 2007 émises en France portant sur des bouteilles de vin Mouton Cadet avec mention AOC Bordeaux rouge' blle rouge avec références aux millésimes 2002, 2003, 2004" et au degré d'alcool (12,00).

Monsieur L. n'apporte aucun élément de preuve de nature à établir qu'il s'agit de fausses factures ou à tout le moins de factures affectées d'erreurs.

Même si les factures précitées ne font pas expressément référence au terme vins ce dernier est implicitement mais clairement identifiable dans la mention AOC Bordeaux rouge qui ne peut viser que ce breuvage réputé.

En conséquence c'est à bon droit que la recevabilité de l'opposition a été admise par l'INPI.

Sur le bien fondé de l'opposition :

Dès lors que le litige opposant les parties s'inscrit dans le cadre d'une procédure d'opposition à l'enregistrement de la marque, il appartient à la cour de limiter son examen à une appréciation objective des risques de confusion susceptibles d'affecter les marques soumises à son contrôle sur la base de critères précis.

La cour, conformément aux principes dégagés par la cour de justice des communautés européennes, doit rechercher si l'imitation de la marque antérieure par le signe contesté est susceptible d'entraîner l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public qui doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents.

Cette appréciation globale doit en ce qui concerne la similitude visuelle ou conceptuelle des marques en cause être fondée sur l'impression d'ensemble produite par les marques en tenant compte des éléments distinctifs et dominants.

Les signes en présence ont comme dénominateur commun le terme Mouton, distinctif au regard des produits en cause.

Au sein de la marque antérieure, si le terme Cadet est doté d un caractère distinctif incontestable, il en va de même du terme Mouton qui possède un caractère distinctif élevé du fait de sa notoriété dans un large public qui l'utilise souvent seul comme forme abrégée de la marque antérieure Mouton Cadet .

L'élément Mouton est doté d’un caractère distinctif d’autant plus élevé au sein de la marque antérieure qu'il est établi par la société opposante qu'il est connu du consommateur de vin moyen comme un terme commun pivot autour duquel sont déclinées des marques notoires appartenant à la société opposante ou à des sociétés satellites avec lesquelles elle est économiquement liée.

La présence du terme distinctif Lizeray associé en le précédant à Mouton est de nature à faire naître la croyance dans l'esprit du consommateur moyen qu'il constitue une simple déclinaison du vin Mouton Cadet ayant vocation à présenter les mêmes qualités gustatives de renom même si elles ne sont d'ailleurs pas démontrées en l'espèce.

L'élément figuratif du signe contesté invoqué par le requérant, s'agissant d'un simple élément décoratif, ne présente pas davantage une originalité suffisante pour permettre au consommateur moyen d'identifier l'origine précise des produits qui bénéficient de sa mention sans les relier à la marque Mouton-Cadet dont la notoriété antérieure ne peut être contestée.

Il en va de même de la mention noblesse du palais qui apparaît comme un slogan accessoire tant par son graphisme que son positionnement en partie inférieure.

En tout état de cause cette mention ne fait que tenter par la marque Lizeray Mouton d'accroître sa volonté de s'inscrire dans le sillage de la marque déposée antérieure plus réputée et ce d'autant plus qu'actuellement aucun vin n'est commercialisé dans la marque contestante.

Enfin le fait que le terme Lizeray constituerait le patronyme du propriétaire de l exploitation viticole productrice du vin commercialisé sous la dénomination Lizeray Mouton ne peut

suffire à écarter le risque d'assimilation précité entre les deux marques.

Il y a donc lieu de rejeter le recours formé par Monsieur Franck L. qui sera condamné aux dépens.

Il sera condamné au paiement d'une indemnité de 1.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Rejette le recours formé par Monsieur Franck L. à l'encontre de la décision de Monsieur le directeur de l'INPI rejetant la demande d'enregistrement n°083585103.

Condamne Monsieur Franck L. à payer à la SA Baron Philippe de Rothschild la somme de 1.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne Monsieur Franck L. aux dépens.