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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 17 mars 2022, n° 21/01211

PARIS

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Les Parcs du Sud (SAS)

Défendeur :

A Plus Finance (Sasu), Sigma Gestion (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mollat

Conseillers :

Mme Rohart, Mme Coricon

T. com. Paris, du 18 déc. 2020, n° 20180…

18 décembre 2020

Exposé des faits et de la procédure.

La société LES PARCS DU SUD (LPS) exploite un parc aquatique situé à MONTEUX (84).

L'ouverture du parc était prévue en juin 2015 mais a été décalée au mois d'aout 2015 ne permettant l'exercice de l'activité que pendant quelques semaines.

La société LPS a rencontré des difficultés financières qui ont entrainé l'ouverture d'une procédure de conciliation par ordonnance du tribunal de commerce d'AVIGNON en date du 26.10.2015.

Dans le cadre de cette procédure de conciliation une restructuration du capital et des dettes a eu lieu.

Un protocole d'accord a été signé entre la société LPS et plusieurs investisseurs le 24.03.2016 qui a fait l'objet d'une homologation par le tribunal de commerce d'AVIGNON le 30.03.2016.

Au titre de ce protocole deux fonds d'investissement A PLUS et SIGMA ont souscrit à un contrat d'émission et de souscription d'obligations convertibles en actions (OCA) de la société LPS pour un montant de 5 millions d'euros (2,5 millions chacune).

D'autres apports de fond ont été prévus pour un montant de 10 millions d'euros.

Les contrats signés avec A PLUS FINANCE et SIGMA prévoient :

- Un taux d'intérêt cash de 5,50 % l'an servant de base au calcul des intérêts payés, étant précisé que ce taux est porté à 6 % si la société LPS ne bénéficie pas d'un taux de TVA réduit au titre de son exploitation.

- Un taux d'intérêt PIK de 5,50 % l'an servant de base au calcul des intérêts capitalisés, étant précisé que ce taux est porté à 7,5 % si l'EBITDA cumulé des exercices clos le 31.12.2016 et le 31.12.2017 est inférieur à 90 % des objectifs du Modèle Financier Management, soit 10.570.000 euros.

Par jugement du 11.01.2017 une procédure de sauvegarde a été ouverte et Me X a été désigné en qualité de mandataire judiciaire.

Par courrier du 23.03.2017 la société A PLUS FINANCE en sa qualité de représentant de la masse des titulaires d'OCA a déclaré une créance d'un montant de 5.416.059,42 euros au passif de la société LPS, cette somme représentant le principal des sommes souscrites par les titulaires d'OCA et les intérêts ayant couru avant le jugement d'ouverture.

Par jugement du 17.05.2017 le tribunal de commerce d'AVIGNON a converti la procédure de sauvegarde en procédure de redressement judiciaire.

Par jugement du 20.12.2017 le tribunal de commerce a arrêté un plan de redressement sur 10 ans étant précisé que dans le cadre des dispositions réglementaires relatives à la gestion de la crise sanitaire le tribunal de commerce d'AVIGNON a prolongé le plan de redressement de la société LPS d'une durée de deux années.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 12.01.2018 la société A PLUS FINANCE a maintenu la totalité de sa déclaration de créance.

La société LPS a assigné les sociétés A PLUS FINANCE et SIGMA par actes d'huissier en date du 25.10.2018, devant le tribunal de commerce de PARIS pour voir réputées non écrites certaines stipulations des contrats d'OCA.

Par ailleurs par ordonnance du 1er mars 2019 le juge commissaire chargé du redressement judiciaire de la société LPS a :

- Admis la créance en principal pour 5.000.000 euros à titre privilégié et à échoir.

- A relevé que le surplus de la créance déclarée ne relevait pas de sa compétence, a invité la société A PLUS FINANCE à saisir le tribunal compétent et a pris acte que la société LPS avait déjà saisi à cette fin le tribunal de commerce de PARIS.

Appel a été formé par la société A PLUS FINANCE et par arrêt du 7 avril 2021 la cour d'appel de NIMES a infirmé l'ordonnance déférée en ce qu'elle a notamment dit que la demande d'admission des intérêts contractuels ne relevait pas de la compétence ou de l'office du juge commissaire et, statuant à nouveau, a déclaré irrecevable la contestation de la société LPS et a sursis à statuer sur l'admission de la créance d'intérêts déclarée jusqu'à la décision à venir de la cour d'appel de PARIS sur la validité des clauses d'OCA relatives aux intérêts contractuels.

La société A PLUS FINANCE a fait assigner LPS et le mandataire judiciaire, Me X, devant le tribunal de commerce de PARIS aux fins de faire juger que les stipulations du contrat d'OCA prévoyant le paiement d'intérêts sont valables, puis a fait assigner Me Y mandataire judiciaire ayant remplacé Me X.

Les procédures ont été jointes.

Par jugement en date du 18.12.2020 le tribunal de commerce de PARIS, saisi d'une demande s'agissant de dire non écrits les articles 1 et 5 du contrat d'émission et de souscription d'obligations convertibles en actions de LPS a débouté la société LPS de l'intégralité de ses demandes et l'a condamné à payer la somme de 1500 euros à chacune des sociétés A PLUS FINANCE et SIGMA.

Le tribunal a :

- Dit irrecevable l'action de la société LPS à l'encontre de SIGMA au motif que l'article L. 228-54 alinéa 2 du code de commerce stipule que les actions en justice dirigées contre l'ensemble des obligataires ne peuvent être intentées que contre le représentant de la masse, décision non reprise au dispositif.

- Écarté l'application de l'article L. 442-1, I, 2° du code de commerce en vigueur depuis le 26.04.2019 et non rétroactif.

- Dit que les dispositions de l'article L. 442-6 I, 2° du code de commerce étaient relatives aux pratiques restrictives de concurrence et étaient inopérantes pour justifier la nullité de la stipulation contestée, ne pouvant ouvrir droit qu'à des dommages et intérêts et excluant en tout état de cause les organismes et activités bancaires et financières de leur champ.

- Retenu que les parties avaient négocié librement pendant trois mois l'économie générale de l'annexe 5 du contrat d'OCA contestée sous l'égide du conciliateur nommé par le président du tribunal de commerce d'AVIGNON et que les dirigeants de la société LPS ont librement accepté le taux d'intérêt stipulé.

La société LPS a formé appel.

Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le XXX, la société LPS demande à la cour :

Vu l'article D. 442-3 du code de commerce,

Vu l'article L. 442-1, I, 2° du code de commerce,

Vu l'article L. 442-6-I 2° du code de commerce,

Vu les pièces communiquées,

- JUGER la société LES PARCS DU SUD recevable et bien fondée en son appel.

En conséquence,

- INFIRMER le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 18 décembre 2020 en ce qu'iI a débouté la société LES PARCS DU SUD de ses demandes.

Et statuant à nouveau,

- JUGER que les articles 1 et 5 du contrat d'émission et de souscription d'obligations convertibles en actions de la société LES PARCS DU SUD sont réputés non écrits.

- CONDAMNER les sociétés A PLUS FINANCE et SIGMA GESTION à payer, chacune, à la société LES PARCS DU SUD la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

- CONDAMNER les sociétés A PLUS FINANCE et SIGMA GESTION aux entiers dépens.

La société LPS soutient en substance l'existence d'un déséquilibre exorbitant dans les obligations contractuelles qu'elle s'est vu imposer par les sociétés APLUS FINANCE et SIGMA s'agissant du montant des taux d'intérêt.

Aux termes de leurs conclusions signifiées le XXX, les sociétés A PLUS FINANCE et SIGMA GESTION demandent à la cour :

- De confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 18 décembre 2020 par le Tribunal de commerce de Paris ;

- De condamner la société Les Parcs du Sud à payer aux sociétés A Plus Finance et Sigma Gestion la somme de 5.000,00 € chacune au titre de I'articIe 700 du Code de procédure civile ;

- De condamner la société Les Parcs du Sud aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le défaut de qualité à agir de la société LPS à l'encontre de la société SIGMA.

Les intimés font valoir qu'en application de l'article L. 228-54 alinéa 2 du code de commerce les actions en justice ne peuvent être intentées que contre le représentant de la masse des titulaires d'OCA qui est à ce jour la société A PLUS FINANCE, que la société LPS est donc irrecevable en son action contre SIGMA.

La société LPS ne réplique pas dans ses conclusions à ce moyen.

Sur ce,

L'article L. 228-54 du code de commerce dispose que les représentants de la masse, dûment autorisés par l'assemblée générale des obligataires, ont seules qualités pour engager, au nom de ceux-ci, les actions en nullité de la société ou des actes et délibérations postérieurs à sa constitution, ainsi que toutes autres actions en justice ayant pour objet la défense des intérêts communs des obligataires, et notamment requérir la mesure prévue à l'article L. 237-14.

Les actions en justice dirigées contre l'ensemble des obligataires d'une même masse ne peuvent être intentées que contre le représentant de cette masse.

Toute action en justice intentée contrairement aux dispositions du présent article doit être déclarée d'office irrecevable.

En application de ces dispositions l'action de la société LPS à l'encontre de la société SIGMA qui n'est pas le représentant de la masse doit être déclarée irrecevable.

Le jugement est confirmé sur ce point étant précisé qu'il sera procédé à la rectification de l'erreur matérielle d'omission de ce chef du jugement dans le dispositif de la décision.

Sur le caractère mal fondé des demandes de la société LES PARCS DU SUD.

Les intimés font valoir que la société LPS demande à la cour de réputer non écrits les articles 1 à 5 du contrat tout en consacrant son argumentaire à la critique des taux d'intérêts contractuellement prévus entre les parties alors que l'article 1 porte sur le principe même de l'émission des obligations par la société et sur la souscription de ces dernières par les titulaires d'OCA et non sur les intérêts de ces OCA et que l'article 5 est intitulé "divers" et ne porte pas sur les intérêts produits par les obligations de la société LPS.

Ils en concluent que la cour n'est saisie d'aucune demande tenant au caractère non écrit des stipulations du contrat portant sur les intérêts contractuels.

Ils soulignent cependant que c'est l'article 5 des modalités des OCA annexées au contrat d'OCA qui prévoit le paiement des intérêts critiqués.

LPS ne réplique pas à ce moyen.

Sur ce,

Les conclusions de la société LPS sont entachées d'une erreur matérielle en ce qu'elles critiquent l'article 5 du contrat et non l'article 5 de l'annexe du contrat qui porte sur la stipulation d'intérêt qui est le litige existant entre les parties.

Cependant au regard des conclusions échangées qui portent sur la critique des stipulations d'intérêt définis à l'article 5 de l'annexe les intimés ont parfaitement compris le fondement de l'action engagée par LPS et ont pu utilement y répondre permettant le respect des droits de la défense et du principe du contradictoire.

Il convient donc de rejeter ce moyen.

Sur l'application de l'article L. 442-6 2° du code de commerce (ancien) et de l'article L. 442-1 (nouveau).

L'article L. 442-6-I 2° du code commerce applicable du 1er juillet 2016 au 26 avril 2019, dispose qu’engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

L'article L. 442-1 applicable du 26 avril 2019 au et 5 décembre 2020 et dont l'application est réclamée par l'intimé dispose qu' engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services (...) de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties

L'appelante soutient :

- Que l'article L. 442-1 dans sa version en vigueur depuis le 26.04.2019 s'applique au présent litige.

- Que les difficultés d'application du précédent texte L. 442-6-I 2° du code de commerce ont été réglées par le nouveau texte qui vise toute personne et permet de sanctionner le déséquilibre significatif d'un contrat en présence d'un fonds d'investissement.

- Que cette réforme traduit l'esprit du texte codifié jusqu'alors à l'article L. 442-6 I 2° ainsi que la position d'une partie de la doctrine et de la jurisprudence qui avait appliqué le texte de manière extensive afin de sanctionner tout déséquilibre significatif dans un contrat.

- Que le nouveau texte s'applique rétroactivement dans la mesure où il met fin à des controverses jurisprudentielles sur la notion de partenaire commercial pour le remplacer par l'autre partie, et constitue donc une loi interprétative.

- Que le contrat litigieux entre donc dans le champ d'application des articles L. 442-6, 2° (ancien) et L. 442-1, I, 2°(nouveau).

Les intimés soutiennent :

- Que le nouvel article L. 442-1 ne s'applique pas.

- Que l'article L. 442-6, I, 2° ne s'applique pas car les titulaires d'OCA ne sont ni producteurs, ni commerçants, ni industriels ni immatriculés au répertoire des métiers et ne sont pas les partenaires commerciaux de la société LPS.

Sur ce,

Les articles L. 442-6 ancien et L. 442-1 nouveau différent de façon importante et comme l'a souligné l'appelante, s'agissant en particulier de remplacer le terme "partenaire commercial" par le terme "l'autre partie" de telle sorte que le nouveau texte a vocation à s'appliquer à des catégories de contrat qui n'étaient pas visées par le texte ancien.

Or l'ordonnance 2019-359 du 24.04.2019 dont est issu le nouvel article L. 442-1 n'a pas prévu que celui-ci soit applicable aux contrats signés avant la promulgation de l'ordonnance et toujours en cours à la date de cette promulgation, alors même qu'une telle disposition a été formellement stipulé concernant d'autres dispositions du même texte.

Par ailleurs, et au regard de la portée plus large du nouveau texte, il ne peut être considéré comme le soutient la société LPS comme un texte "interprétatif" s'appliquant aux contrats en cours.

Il convient donc de rejeter l'application de l'article L. 442-1 nouveau du code de commerce au contrat signé entre LPS et les sociétés A PLUS FINANCE et SIGMA.

Concernant l'application de l'article L. 442-6 du code de commerce, il résulte de la jurisprudence que si le texte visait initialement à s'appliquer au secteur de la grande distribution il s'est appliqué ensuite à toute relation commerciale instauré à l'occasion d'un partenariat.

Pour autant cette extension jurisprudentielle ne peut concerner des opérateurs économiques qui n'étaient pas visés par le texte qui retient à ce titre « tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers », ce que ne sont pas les sociétés A PLUS FINANCE et SIGMA qui sont des sociétés d'investissement financier.

De même l'extension jurisprudentielle ne concerne que les contrats de partenariat commercial alors que le contrat litigieux est un contrat de partenariat financier.

En conséquence les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce dans sa version en vigueur à la date de signature du contrat de financement entre la société LPS et les sociétés A PLUS FINANCE et SIGMA ne s'appliquent pas au contrat.

La société LPS qui ne fonde sa demande de dire non écrits les articles 1 et 5 du contrat d'émission (sic) que sur les dispositions de l'article L. 442-6 ancien et L. 442-1 nouveau du code de commerce ne propose aucun autre fondement à ses demandes principales.

Il y a donc lieu de la débouter de ses demandes.

Sur les autres demandes,

Il est inéquitable de laisser les intimés supporter la charge des frais irrépétibles engagés pour assurer leur défense en appel et il convient de leur allouer la somme de 5000 euros à chacune.

La société LPS est condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Ordonne la rectification de l'erreur matérielle affectant le dispositif du jugement du 18.12.2020 et dit qu'est rajouté au dispositif de la décision la phrase suivante :

- Déclare irrecevable la demande de la société LES PARCS DU SUD à l'encontre de la société SIGMA.

- Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de PARIS le 18.12.2020.

Et y ajoutant

- Condamne la société LES PARCS DU SUD à payer à la société A PLUS FINANCE et à la société SIGMA. Chacune, la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamne la société LES PARCS DU SUD aux dépens de l'instance d'appel.