CA Paris, Pôle 4 ch. 9, 17 mars 2022, n° 20/05812
PARIS
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
PHOENIX (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. BACONNIER
Conseillers :
Mme TROUILLER, Mme ARBELLOT
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par acte sous seing privé en date du 28 novembre 2017, Mme Yvette S. a conclu auprès de la société Phoenix un contrat d'achat de rideaux et voilages. Ceux-ci ont été livrés le 17 janvier 2018.
Saisi le 6 mai 2019 par Mme S. d'une demande tendant à constater les manquements de la société Phoenix et au paiement de dommages et intérêts, le tribunal d'instance de Nogent-sur-Marne, par un jugement contradictoire rendu le 31 décembre 2019 auquel il convient de se reporter, a rendu la décision suivante :
« Déclare nul le contrat souscrit le 28 novembre 2017 par Mme Yvette S. et la S.A.S.U. Phoenix compte tenu du manquement de cette dernière à ses obligations contractuelles d'informations imposées par le code de la consommation,
Condamne la S.A.S.U. Phoenix à payer à Mme Yvette S. la somme de 3 500 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 17 janvier 2018, à titre de remboursement de l'acompte,
Rejette les demandes de dommages et intérêts de Mme Yvette S. pour préjudice moral et résistance abusive,
Condamne la S.A.S.U. Phoenix à payer à Mme Yvette S. la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette les demandes plus amples ou contraires de chacune des parties,
Condamne la S.A.S.U. Phoenix aux dépens,
Dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire de la présente décision ».
Le tribunal a retenu que le contrat litigieux était un contrat de fourniture de biens confectionnés selon les spécifications du consommateur de sorte que le droit de rétractation était inapplicable. Il a relevé que la société Phoenix ne prouvait pas avoir exécuté ses obligations précontractuelles et contractuelles d'information au titre des articles L. 221-5, L. 221-8 et L. 221-9 du code de la consommation, conduisant à la nullité du contrat conformément à l'article L. 242-1 du même code.
Par une déclaration par voie électronique en date du 30 mars 2020, la société Phoenix a relevé appel de cette décision.
Aux termes de conclusions remises par voie électronique le 4 mars 2021, la société Phoenix demande à la cour de :
« Infirmer la décision déférée en ce qu'elle n'a pas tenu compte du problème de la restitution des voilages pour lesquels Mme S. Yvette n'avait émis aucune plainte,
La confirmer pour le surplus,
Statuant à nouveau :
Juger qu'il convient de déduire la somme de 1 072,80 euros TTC du montant de la condamnation de 3 500 euros correspondant au remboursement de l'acompte versé,
Juger que la condamnation au remboursement de l'acompte sera limitée à la somme de 2 427,20 euros,
Condamner Mme Yvette S. à verser à la Société Phoenix la somme de 1 500 euros, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner Mme Yvette S. aux entiers dépens de l'instance, conformément à l'article 699 du code de procédure civile ».
A l'appui de son appel, la société Phoenix indique au visa de l'article L. 121-20-2 du code de la consommation que le droit de rétractation prévu par l'article L. 221-18 du code de la consommation n'est pas prévu pour les biens confectionnés à la demande du consommateur ou nettement personnalisés, ce qui est le cas en l'espèce.
Elle soutient avoir remis à Mme S. les conditions générales de vente et n'avoir pas manqué à ses obligations contractuelles. Elle relève que Mme S. ne prouve la survenance d'aucun préjudice qui lui soit imputable.
Elle indique avoir pleinement exécuté sa prestation en 2017 sans contestation de la part de Mme S. quant à la prestation réalisée.
En cas de restitution elle vise les dispositions de l'article 1352-8 du code civil et demande à ce que le remboursement de l'acompte soit limité à la somme de 2 427,20 euros en raison de l'impossibilité de restituer la valeur de la prestation de service.
Par des conclusions remises par voie électronique le 28 octobre 2020, Mme S. demande à la cour :
« Confirmer le jugement rendu le 31 décembre 2019 par le tribunal d'instance de Nogent-sur-Marne en ce qu'il a :
- déclaré nul le contrat souscrit le 28 novembre 2017 compte tenu du manquement de la société Phoenix à ses obligations contractuelles d'information imposées par le code de la consommation
- condamné la société Phoenix à verser à Mme Yvette S. :
* la somme de 3 500 euros avec intérêts à taux légal à compter du 17 janvier 2018 à titre de remboursement de l'acompte,
* 300 euros de frais irrépétibles et les dépens
Subsidiairement : constater les manquements de la société Phoenix à ses obligations contractuelles, et confirmer les chefs de condamnations précités
Très subsidiairement : constater le manquement de la société Phoenix à son obligation de délivrance conforme, et confirmer les chefs de condamnations précités
En tout état de cause :
Infirmer le jugement rendu le 31 décembre 2019, en ce qu'il a débouté Mme Yvette S. des demandes suivantes :
- condamner la société Phoenix à verser à Mme Yvette S. la somme de 1 500 euros au titre de son préjudice moral,
- condamner la société Phoenix à verser à Mme Yvette S. la somme de 1 500 euros au titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, et :
- débouter la société Phoenix de ses demandes,
- condamner la société Phoenix à verser à Mme Yvette S. la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Phoenix aux entiers dépens ».
Mme S. vise les articles L. 221-5, L. 221-7 et L. 221-8 du code de la consommation pour soutenir que la société Phoenix n'a pas exécuté son obligation d'information.
Elle soutient que le contrat a été conclu hors établissement, qu'elle disposait donc d'un droit de rétractation qu'elle a bien exercé par un courrier en date du 17 janvier 2018, jour de livraison des voilages et rideaux.
Elle ajoute que la société Phoenix ne lui a pas remis d'exemplaire du contrat ni de bordereau de rétractation et dénonce une violation de l'article L. 221-18 du code de la consommation.
Elle précise que les biens livrés ne correspondaient pas à l'objet de sa commande, caractérisant une violation par la venderesse de son obligation de délivrance conforme.
Elle fait état d'un préjudice moral qu'elle évalue à la somme de 1 500 euros et réclame la condamnation de la venderesse sur le fondement de l'article 120 du code civil pour résistance abusive.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 novembre 2021.
L'affaire a été appelée et examinée à l'audience le 19 janvier 2021 et mise en délibéré à la date du 17 mars 2022 par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Vu le jugement du tribunal d'instance, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.
Sur le droit de rétractation
L'article L. 221-18 du code de la consommation énonce que le consommateur dispose d'un délai de quatorze jours pour exercer son droit de rétractation d'un contrat conclu hors établissement. Non, ce délai court à compter du jour de la conclusion du contrat, pour les contrats de prestations de services.
Aux termes de l'article L. 221-28 du même code, le droit de rétractation ne peut être exercé pour le contrat de fourniture de biens confectionnés sur les spécifications du consommateur ou nettement personnalisé.
Il est constant que le contrat conclu entre Mme S. et la société Phoenix constitue un contrat hors établissement, étant précisé que le contrat a été passé au domicile de Mme S. où l'artisan s'est rendu avec ses échantillons.
A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient comme le premier juge, que le contrat litigieux constitue un contrat de fourniture de biens confectionnés selon les spécifications du consommateur ou nettement personnalisé, au sens de l'article L. 221-28 du code de la consommation, pour lequel le droit de rétractation ne peut être exercé au motif qu'il ressort du bon de commande établi le 28 novembre 2017 que les biens commandés ne sont pas des biens « standards » mais qu'ils ont été confectionnés spécifiquement pour les besoins et sur les choix de Mme S. ; qu'en particulier les rideaux commandés correspondent aux mesures des fenêtres de Mme S. qui a choisi non seulement le tissu (qualité, couleur), mais également les finitions particulières (tête flamande).
Sur la vente
L'article L. 221-5 du code de la consommation dispose « Préalablement à la conclusion d'un contrat de vente ou de fourniture de services, le professionnel communique au consommateur, de manière lisible et compréhensible, les informations suivantes :
1° Les informations prévues aux articles L. 111-1 et L. 111-2 ;
(...)
5° Lorsque le droit de rétractation ne peut être exercé en application de l'article L. 221-28, l'information selon laquelle le consommateur ne bénéficie pas de ce droit ou, le cas échéant, les circonstances dans lesquelles le consommateur perd son droit de rétractation ;
(...) ».
L'article L. 111-1 du code de la consommation dispose « Avant que le consommateur ne soit lié par un contrat à titre onéreux, le professionnel communique au consommateur, de manière lisible et compréhensible, les informations suivantes :
1° Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, ainsi que celles du service numérique ou du contenu numérique, compte tenu de leur nature et du support de communication utilisé, et notamment les fonctionnalités, la compatibilité et l'interopérabilité du bien comportant des éléments numériques, du contenu numérique ou du service numérique, ainsi que l'existence de toute restriction d'installation de logiciel ;
2° Le prix ou tout autre avantage procuré au lieu ou en complément du paiement d'un prix en application des articles L. 112-1 à L. 112-4-1 ;
3° En l'absence d'exécution immédiate du contrat, la date ou le délai auquel le professionnel s'engage à délivrer le bien ou à exécuter le service ;
4° Les informations relatives à l'identité du professionnel, à ses coordonnées postales, téléphoniques et électroniques et à ses activités, pour autant qu'elles ne ressortent pas du contexte ;
5° L'existence et les modalités de mise en œuvre des garanties légales, notamment la garantie légale de conformité et la garantie légale des vices cachés, et des éventuelles garanties commerciales, ainsi que, le cas échéant, du service après-vente et les informations afférentes aux autres conditions contractuelles ;
6° La possibilité de recourir à un médiateur de la consommation dans les conditions prévues au titre Ier du livre VI.
La liste et le contenu précis de ces informations sont fixés par décret en Conseil d'État.
(...) ».
L'article L. 221-8 du code de la consommation dispose « Dans le cas d'un contrat conclu hors établissement, le professionnel fournit au consommateur, sur papier ou, sous réserve de l'accord du consommateur, sur un autre support durable, les informations prévues à l'article L. 221-5.
Ces informations sont rédigées de manière lisible et compréhensible ».
L'article L. 221-9 du code de la consommation dispose « Le professionnel fournit au consommateur un exemplaire daté du contrat conclu hors établissement, sur papier signé par les parties ou, avec l'accord du consommateur, sur un autre support durable, confirmant l'engagement exprès des parties.
Ce contrat comprend toutes les informations prévues à l'article L. 221-5.
Le contrat mentionne, le cas échéant, l'accord exprès du consommateur pour la fourniture d'un contenu numérique indépendant de tout support matériel avant l'expiration du délai de rétractation et, dans cette hypothèse, le renoncement de ce dernier à l'exercice de son droit de rétractation.
Le contrat est accompagné du formulaire type de rétractation mentionné au 2° de l'article L. 221-5 ».
L'article L. 242-1 du code de la consommation dispose « Les dispositions de l'article L. 221-9 sont prévues à peine de nullité du contrat conclu hors établissement ».
Sans qu'il ne soit nécessaire d'examiner tous les moyens, et alors qu'il a été jugé que Mme S. ne pouvait pas bénéficier d'un droit de rétractation en application de l'article L. 221-28, la cour retient que la société Phoenix ne démontre ni même ne soutient que Mme S. en était informée, étant précisé que ni le bon de commande du 28 novembre 2017 ni même les conditions générales de vente ne contiennent une telle information qui doit être communiquée au consommateur de manière lisible et compréhensible étant ajouté que cette information était d'autant plus importante en l'espèce que Mme S. a souhaité faire valoir le droit de rétractation dont elle pensait bénéficier s'agissant d'une vente conclue hors établissement.
Compte tenu de ce qui précède, la cour retient que le premier juge a à bon droit annulé le contrat passé le 28 novembre 2017 et par voie de conséquence condamné la société Phoenix à rembourser à Mme S. l'acompte de 3 500 euros étant ajouté que la société Phoenix est mal fondée à demander la rédaction du prix payé au seul motif que la valeur de sa prestation de service doit être déduite.
Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a :
- déclaré nul le contrat souscrit le 28 novembre 2017 par Mme Yvette S. et la S.A.S.U. Phoenix compte tenu du manquement de cette dernière à ses obligations contractuelles d'informations imposées par le code de la consommation,
- condamné la S.A.S.U. Phoenix à payer à Mme Yvette S. la somme de 3 500 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 17 janvier 2018, à titre de remboursement de l'acompte.
Sur les dommages et intérêts
En application des dispositions de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention, en particulier l'existence d'un fait générateur de responsabilité, du préjudice en découlant et donc d'un lien de causalité entre le préjudice et la faute.
Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus que Mme S. n'apporte pas suffisamment d'éléments de preuve pour établir le préjudice moral qu'elle invoque et la résistance abusive qu'elle allègue à l'encontre de la société Phoenix ; les moyens de ces chefs sont donc rejetés.
Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme S. de ses demandes de dommages et intérêts pour préjudice moral et pour résistance abusive.
Sur les autres demandes
La cour condamne la société Phoenix aux dépens en application de l'article 696 du code de procédure civile.
Le jugement déféré est confirmé en ce qui concerne l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il n'apparaît pas inéquitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles de la procédure d'appel.
L'ensemble des autres demandes plus amples ou contraires formées en demande ou en défense est rejeté, leur rejet découlant des motifs amplement développés dans tout l'arrêt.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Ajoutant,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires ;
Condamne la société Phoenix aux dépens ;
Déboute Mme S. de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.