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Décisions

CA Orléans, ch. civ., 15 mars 2022, n° 19/02247

ORLÉANS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Agri Negoce (SAS), Mma Iard Assurances Mutuelles (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Faivre

Conseillers :

Mme Chenot, Mme Grua

Avocat :

SCP Referens

TGI Blois, du 16 mai 2019

16 mai 2019

EXPOSE DU LITIGE :

 

Suivant facture établie le 30 avril 2015, M. Patrick V., exploitant agricole, a acheté à la société Agri négoce, pour un prix HT de 17 447,84 euros, des semences de maïs de variété DKC 4117 Force 20 CS 50 mg, produites par la société Monsanto Dekalb.

Selon facture du 30 juin 2015, M. V. a par ailleurs acquis de la société Agri négoce des semences de maïs de variété DKC 4530 Sonido 50 mg, elles aussi produites par la société Monsanto Dekalb, pour un prix HT de 1 490,50 euros.

Après s'être plaint auprès de son fournisseur du mauvais rendement de ces semences, M. V. a confié à M. Stéphane R. une expertise amiable.

Le technicien a réuni les parties le 26 octobre 2015.

A l'issue de cette réunion contradictoire, M. V., la société Agri négoce, M. M., présenté comme expert de la compagnie d'assurance auprès de laquelle la société Agri négoce avait déclaré un sinistre (MMA) et M. R., présenté comme expert de M. V., ont signé un procès-verbal aux termes duquel les experts présents ont, d'un commun accord, décrit et évalué à la somme HT de 33 204,69 euros les dommages subis par M. V. imputables selon eux au vendeur de semence.

De son côté, l'assureur de la société Agri négoce a confié à M. R. une expertise à réaliser au contradictoire du fournisseur de son assurée, la société Montsanto.

L'expert a réuni les parties le 10 février 2016 et aux termes d'une réunion à laquelle M. V. et son expert, M. R., ont refusé d'assister, il a déposé un rapport concluant à l'absence de responsabilité de la société Agri négoce.

Par actes du 23 août 2016, M. V. a fait assigner la société Agri négoce et son assureur, la société MMA Iard Assurances Mutuelles (la société MMA Iard), devant le tribunal de grande instance de Blois, aux fins d'entendre homologuer, comme valant protocole transactionnel, le procès-verbal du 26 octobre 2015, enjoindre en conséquence à la société Agri négoce d'en respecter les termes en lui réglant la somme de 33 204,69 euros augmentée de la TVA et, subsidiairement, juger que la responsabilité contractuelle de la société Agri négoce était engagée et condamner en conséquence cette dernière, in solidum avec son assureur, à lui régler la somme HT de 33 204,69 euros en réparation de son dommage.

Par jugement du 16 mai 2019, le tribunal a :

-débouté M. Patrick V. de sa demande tendant à qualifier de transaction le procès-verbal d'expertise du 26 octobre 2015,

-débouté en conséquence M. Patrick V. de sa demande d'homologation dudit procès verbal,

-déclaré sans objet les conclusions de la société Agri négoce relatives à l'action en responsabilité du fait des produits défectueux,

-débouté M. Patrick V. de sa demande au titre du manquement par la société Agri négoce à son devoir de conseil,

-débouté M. Patrick V. de sa demande au titre de la garantie des vices cachés,

-débouté M. Patrick V. de sa demande de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive,

-condamné M. Patrick V. à payer à la société Agri négoce la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné M. Patrick V. aux entiers dépens,

-autorisé les avocats de la cause à recouvrer directement ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision,

-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire

Pour statuer comme ils l'ont fait, les premiers juges ont retenu en substance :

-que le procès-verbal d'expertise du 26 octobre 2015, qui ne contient aucune concession et dont l'objet est limité en préambule, ne peut être analysé en un protocole transactionnel

-que nonobstant les conclusions de la société Agri négoce sur ce fondement, la responsabilité de la société Agri négoce n'avait pas à être examinée sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux de l'article 1386-1 du code civil, non invoquée par M. V., et dont les conditions d'application ne sont au demeurant pas réunies

-que bien que M. V. soit un acquéreur averti, la société Agri négoce était tenue à son égard d'un devoir de conseil, dans la mesure où le litige porte sur de nouvelles variétés de semences, dont les caractéristiques techniques ne pouvaient être connues que par elle et leur producteur

-que la société Agri négoce était donc tenue de fournir à M. V. une information complète sur les caractéristiques de la plante, son comportement, ses propriétés et son rendement, afin de lui permettre d'apprécier le risque qu'il prenait en achetant cette variété de semence plutôt que celle qu'il utilisait auparavant

-qu'aucune des expertises produites ne portant sur les semences de variété DKC 4530, M. V. ne pouvait qu'être débouté de ses demandes indemnitaires relatives à la parcelle exploitée avec cette semence

-que pour les parcelles ensemencées avec le produit de variété DKC 4117, l'expertise réalisée le 10 février 2016 montre que les analyses réalisées dans le cadre de la première expertise étaient incomplètes et que la faiblesse de rendement a pour cause un faible enrichissement des terres

-que M. V., qui ne peut exciper du caractère non contradictoire des secondes opérations d'expertise, alors qu'il a fait le choix de ne pas y participer et que le rapport du technicien a été soumis à la libre discussion des parties, puis qui a accepté un aléa puisqu'il avait manifestement conscience d'exploiter une variété de semences expérimentale, n'apporte pas la preuve d'un manquement de la société Agri Négoce à son obligation de conseil

-que M. V., qui n'établit pas non plus que c'est à raison de leur défaut intrinsèque, et non d'une cause extérieure, que les semences litigieuses ne lui ont pas permis d'obtenir le rendement espéré, ne peut pas non plus rechercher la responsabilité de la société Agri négoce sur le fondement de l'article 1641 du code civil.

M. V. a relevé appel de cette décision par déclaration du 25 juin 2019, en critiquant expressément tous les chefs du jugement en cause.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 11 février 2020, M. V. demande à la cour de :

-infirmer le jugement du 16 mai 2019 rendu par le tribunal de grande instance de Blois en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau :

-déclarer sa demande recevable et bien fondée,

-débouter la société Agri négoce et la compagnie MMA Iard Assurances Mutuelles de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

En conséquence et à titre principal,

-constater qu'il abandonne le moyen tiré de la qualification de protocole d'accord transactionnel du procès-verbal de constatation relatif aux causes, circonstances et à l'évaluation des dommages en date du 26 octobre 2015 et son homologation,

-dire et juger que la responsabilité contractuelle de la société Agri négoce est engagée,

-donner acte à la société Agri négoce de ce qu'elle ne conteste pas le retard de maturité et le faible développement de la variété litigieuse qu'elle lui a vendue,

-condamner in solidum la société Agri négoce et la compagnie MMA Iard Assurances Mutuelles en qualité d'assureur de la société Agri négoce à prendre en charge l'intégralité des dommages subis par lui, tels que décrits dans le rapport d'expertise amiable et contradictoire, et évalués à la somme globale de 33 204,69 € HT, à laquelle il faudra ajouter la TVA au taux en vigueur au jour du paiement, ainsi que les intérêts dus sur cette somme qui ne sauraient être inférieurs à 3,6 % à compter du 26 octobre 2015,

-condamner in solidum la société Agri négoce et la compagnie MMA Iard Assurances Mutuelles en qualité d'assureur de la société Agri négoce à prendre en charge les factures des produits non conformes réglés par lui et s'élevant à la somme de 18 938,34 € HT, à laquelle il faudra ajouter la TVA au taux en vigueur au jour du paiement,

A titre subsidiaire,

-dire et juger que la société Agri négoce est tenue de la garantie des vices cachés,

-condamner in solidum la société Agri négoce et la compagnie MMA Iard Assurances Mutuelles en qualité d'assureur de la société Agri négoce à prendre en charge l'intégralité des dommages subis par M. V., tels que décrit dans le rapport d'expertise amiable et contradictoire, et évalués à la somme globale de 33 204,69 € HT, à laquelle il faudra ajouter la TVA au taux en vigueur au jour du paiement, ainsi que les intérêts dus sur cette somme qui ne sauraient être inférieurs à 3,6 % à compter du 26 octobre 2015,

-condamner in solidum la société Agri négoce et la compagnie MMA Iard Assurances Mutuelles en qualité d'assureur de la société Agri négoce à prendre en charge les factures des produits défectueux réglés par M. V. et s'élevant à la somme de 18 938,34 € HT, à laquelle il faudra ajouter la TVA au taux en vigueur au jour du paiement,

En tout état de cause,

-condamner in solidum la société Agri négoce et la compagnie MMA Iard Assurances Mutuelles en qualité d'assureur de la société Agri négoce à verser à M. V. la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

-condamner in solidum la société Agri négoce et la compagnie MMA Iard Assurances Mutuelles en qualité d'assureur de la société Agri négoce à verser à M. V. la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner in solidum la société Agri négoce et la compagnie Mme Iard Assurances Mutuelles en qualité d'assureur de la société Agri négoce aux entiers dépens comprenant notamment l'intégralité des frais d'expertise amiable

M. V., qui commence par rappeler qu'il n'a jamais recherché la responsabilité de la société Agri négoce sur le fondement de l'article 1386-1 du code civil, soutient que ladite société engage sa responsabilité à son égard, en application des articles 1134 et 1147 anciens du code civil, pour avoir failli à son obligation d'information et de conseil.

En ce sens, l'appelant fait valoir que la société Agri négoce, auprès de laquelle il se fournissait de la totalité des intrants, en confiance, depuis près de seize ans, et qui ne conteste pas être débitrice à son égard d'une obligation d'information et de conseil, ne lui a fourni aucune indication sur la spécificité des semences litigieuses, ce alors qu'elle avait connaissance du manque de vigueur de la variété de semis DKC 4117 et que, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, il n'avait aucune conscience d'exploiter une variété expérimentale.

M. V. ajoute que la société Agri négoce a reconnu sa responsabilité et le manque de vigueur des semences qu'elle lui avait conseillées et vendues lors des opérations d'expertise ayant donné lieu à la rédaction du procès-verbal du 26 octobre 2015, en faisant valoir que les mentions portées sur ce document qu'elle a signé constituent un aveu extrajudicaire de sa responsabilité au sens de l'article 1383 du code civil.

Soutenant ensuite que les premiers juges ne pouvaient exclure la responsabilité de la société Agri négoce en considération du seul rapport d'expertise amiable non contradictoire produit par son fournisseur et son assureur, quand bien même ce rapport avait été soumis à la libre discussion des parties, M. V. conclut que la société Agri négoce, qui a d'ailleurs dé-référencé le produit litigieux, devra être condamnée, in solidum avec son assureur, à l'indemniser des dommages qui lui ont été causés, constitués de la perte de récolte évaluée à 33 204,69 euros HT lors de l'expertise amiable du 26 octobre 2015, et du coût de semences défectueuses (18 938,34 euros HT).

Subsidiairement, M. V. soutient qu'en reconnaissant sa responsabilité, le 26 octobre 2015, la société Agri négoce a admis que les semences en cause présentaient un défaut les rendant impropres à leur destination. Il en déduit que, sur le fondement de l'article 1641 du code civil, la société Agri négoce lui doit réparation au titre de la garantie des vices cachés.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 4 mai 2020, la société Agri négoce et la société MMA Iard assurances mutuelles demandent à la cour de :

-confirmer le jugement rendu le 16 mai 2019 par le tribunal de grande instance de Blois en ce qu'il a :

>débouté M. Patrick V. de sa demande tendant à qualifier de transaction le procès-verbal d'expertise du 26 octobre 2015,

>débouté en conséquence M. Patrick V. de sa demande d'homologation dudit procès-verbal,

>déclaré sans objet les conclusions de la société Agri négoce relatives à l'action en responsabilité du fait des produits défectueux,

>débouté M. Patrick V. de sa demande au titre du manquement par la société Agri négoce à son devoir de conseil,

>débouté M. Patrick V. de sa demande au titre de la garantie des vices cachés,

>débouté M. Patrick V. de sa demande de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive,

>condamné M. Patrick V. à payer à la société Agri négoce la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

>condamné M. Patrick V. aux entiers dépens

Y ajoutant,

-condamner M. Patrick V. à payer à la société Agri négoce la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner M. Patrick V. aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de la Selarl Cabinet Audrey H. et faire application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile

La société Agri négoce ne conteste pas avoir constaté avec l'ensemble des parties présentes, lors que la première réunion d'expertise, qu'il existait une différence de rendement entre les semences litigieuses et les semences d'une autre variété, cultivées par M. V., mais soutient qu'en signant le procès-verbal dont se prévaut l'appelant, elle n'a d'aucune manière reconnu être responsable de ce problème de rendement, dont la cause n'avait pas été déterminée lors de la première réunion d'expertise, et dont M. V. n'établit pas qu'elle puisse lui être imputée à faute.

Les intimées ajoutent que M. V. ne peut demander à la cour d'écarter le rapport d'expertise du 10 février 2016 au motif qu'il ne lui serait pas opposable, alors que les opérations ont eu lieu en son absence pour la seule raison qu'il a refusé d'y participer, et que selon la jurisprudence de la Cour de cassation, le juge ne peut refuser de prendre en considération un rapport d'expertise dès lors qu'il a été régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire.

Elles soulignent enfin que ni le rapport d'expertise dont se prévaut M. V., ni les autres productions de l'appelant, n'établissent l'existence d'un défaut des semences vendues, ou la nécessité d'une préparation particulière des terres. Elles en déduisent que M. V. qui, dans le cas contraire, n'aurait pas été le seul à se plaindre d'un défaut de rendement, ne peut chercher à faire supporter à la société Agri négoce une mauvaise préparation de ses terres.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions récapitulatives.

A l'audience, les parties ont été invitées à présenter leurs observations, au moyen d'une note en délibéré à transmettre contradictoirement, sur la perte de chance éventuellement subie par M. V. dans l'hypothèse où un manquement de la société Agri négoce à une obligation de conseil serait retenu.

M. V. a transmis ses observations par voie électronique le 5 janvier 2022.

Il commence par indiquer que la société Agri négoce ne pouvait ignorer que la variété de semis qu'elle lui a vendue et conseillée présentait un manque de vigueur et n'était pas adaptée à la zone agricole dans laquelle elle a été implantée, composée de limon hydromorphe froid et humide, et rappelle que cette semence été retirée du marché. Il en déduit qu'en lui conseillant une variété de semence inadaptée, la société Agri négoce ne lui a pas fait perdre une chance, mais a commis à son égard un manquement dont il est résulté un préjudice qui correspond à une perte de récolte établie, au coût d'un passage supplémentaire d'irrigation, ainsi qu'au coût des semences en cause. M. V. maintient donc, à titre principal, l'intégralité de ses demandes indemnitaires et, subsidiairement, ajoute que si la cour analysait son préjudice en une perte de chance, le pourcentage de cette perte de chance devra être fixé à 90 %, et en tous cas à 80 % au moins, en faisant valoir que les méthodes culturales ont été identiques entre la parcelle témoin et la parcelle objet du litige, que les variables, telles que l'humidité, les précipitations et les températures, ont elles aussi été identiques, que la période de travaux et le matériel utilisé ont été les mêmes, ce dont il déduit que la probabilité que le dommage survienne était extrêmement élevée.

La société Agri négoce et son assureur ont transmis leur observations, par voie électronique également, le 12 janvier 2022.

Les intimées maintiennent de leur côté que l'affirmation de M. V. selon laquelle la variété de semis en cause n'était pas adaptée à la zone culturale exploitée par l'appelant est inexacte.

Elles assurent qu'il est au contraire démontré que la cause du manque de rendement est liée à un faible enracinement des plants, au travail superficiel du sol et à la battance en surface due à une forte pluviométrie juste après les semis. Elle en conclut que le choix, ou le conseil de la variété de semis, n'est pas la cause de la perte de rendement évoquée par M. V., et que ce dernier n'a donc souffert d'aucune perte de chance.

 

SUR CE, LA COUR :

Sur l'allégation d'un aveu de reconnaissance de responsabilité

Selon l'article 1354 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l'aveu qui est opposé à une partie, est ou extrajudiciaire ou judiciaire.

L'aveu exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques.

L'aveu ne peur porter que sur des faits, pas sur des points de droit (v. par ex. Civ. 2, 28 mars 1966, Bull. civ. II, n° 266).

M. V. soutient donc vainement que le procès-verbal de constatation signé le 26 octobre 2015 entre les parties vaudrait reconnaissance de responsabilité de la société Agri négoce.

Ce procès-verbal établit seulement, ce que ne contestent pas les intimées, un moindre rendement des semences litigieuses.

Sur l'allégation d'un manquement de la société Agri négoce à ses obligations d'information et de conseil

En application des articles 1134 et 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le vendeur professionnel est tenu d'une obligation d'information et de conseil à l'égard de l'acheteur, y compris professionnel, lorsque les compétences de ce dernier ne lui permettent pas d'apprécier les caractéristiques techniques du produit qui lui est vendu et, comme le relève M. V. en se référant à une décision de la première chambre civile de la Cour de cassation du 4 mai 1994 (pourvoi n° 92-13.377), le vendeur d'un produit récemment commercialisé doit fournir à l'acheteur toutes les indications nécessaires sur les conditions d'utilisation et les précautions d'emploi de la chose vendue.

Au cas particulier, la société Agri négoce, qui ne conteste pas que les semences litigieuses constituaient une variété expérimentale, ni avoir conseillé à M. V., qui était depuis longtemps son client, de faire l'acquisition de ces nouvelles semences, ne justifie pas avoir fourni à M. V. le moindre conseil, ni même la moindre information sur les caractéristiques essentielles de ces produits et leurs conditions de mise en œuvre.

Pour soutenir que la société Agri négoce lui aurait vendu des semences qu'elle savait inadaptées à ses besoins, M. V. produit un courriel de l'institut du végétal Arvalis en date du 11 mars 2019, par lequel une préposée de cet institut indique que la vigueur de la variété DKC 4117 a été évaluée à 6,8 sur une échelle de note allant de 1 à 10, en précisant que cette vigueur se trouve dans la moyenne plutôt basse en comparaison des autres variétés, en joignant pour illustrer ses propos un tableau de synthèse pluriannuelle des résultats des variétés précoces expérimentées entre 2015 et 2018, encore disponibles à la vente en 2018, puis en expliquant dans son courriel que l'intérêt des semences ne s'apprécie pas seulement en terme de vigueur.

Sur la question, non pas seulement de la vigueur des semences, mais de leur rendement, qui est celle sur laquelle porte le litige, il résulte du tableau de synthèse établi par l'institut Arvalis que sur la période 2015 à 2018, le rendement net de la variété de semence DKC 4117 a été de 97,1 % dans la zone Centre-Val de Loire-Île de France, ce qui la situe dans une bonne moyenne.

Il résulte surtout du tableau de synthèse établi par le même organisme pour l'année 2015, qui correspond à la campagne en cause, que le taux de rendement de la variété DKC 4117 a été, dans la même zone, de 97,9 %, alors que le taux de rendement de la variété Krysalis avec laquelle M. V. avait ensemencé la parcelle voisine de comparaison, n'a été que de 97,2 %.

M. V. échoue donc à démontrer que la société Agri négoce lui aurait vendu une variété de semence dont elle ne pouvait ignorer le faible rendement.

Pour soutenir, de son côté, que le défaut de rendement des semences serait dû à une préparation insuffisante des parcelles de M. V., notamment à un défaut de fumure, la société Agri négoce se fonde sur l'expertise extrajudiciaire qu'elle a fait réaliser, avec son fournisseur, la société Monsanto, le 10 février 2016.

Si cette expertise a été soumise à la libre discussion des parties, comme celle qui avait été réalisée le 26 octobre 2015, la cour observe que le technicien qui a procédé aux secondes opérations d'expertise, sur pièces, c'est-à-dire sans avoir examiné personnellement les parcelles de M. V., ne conclut pas de manière certaine à un défaut de préparation des terres, mais émet simplement une hypothèse en concluant que « le manquement de rendement est "probablement" dû à une carence en macro-éléments disponibles au niveau des racines du maïs en 2015, compte tenu du faible enracinement consécutif à un travail du sol superficiel et une pluviométrie violente juste après les semis ».

Outre que cette conclusion, rédigée de manière hypothétique, n'est corroborée par aucune production, la cour observe qu'elle repose sur un postulat que rien ne vient non plus démontrer. Le technicien tient pour acquis, en effet, que le défaut de rendement des semences en cause, dont les essais dans la région ont été considérés satisfaisants, en 2014 et 2015, par l'institut du végétal Arvalis et la chambre de l'agriculture du Loir-et-Cher, ne peuvent provenir d'un défaut affectant le lot concerné, en retenant que les exploitants auxquels ont été vendues des semences du même lot n'ont formulé aucune réclamation. Or le technicien tient cette information, non pas des exploitants concernés, qu'il n'a pas interrogés, mais des déclarations des sociétés Agri négoce et Monsanto, qui ne peuvent être considérées comme probantes dans le contexte de cette expertise.

Si aucune des deux expertises extrajudiciaires n'a finalement permis de déterminer la cause du mauvais rendement des semences litigieuses, il apparaît en revanche que M. V. sait cultiver, puisque ses parcelles voisines de celle ensemencée avec les variétés litigieuses ont eu un rendement satisfaisant, qu'aucun des techniciens qui sont intervenus, tant en octobre 2015 qu'en février 2016, n'a observé de différence dans la nature ou dans la préparation des parcelles comparées, et que l'on peut raisonnablement admettre que l'épisode pluvieux auquel ont fait référence les deux experts a été de même intensité sur l'ensemble des parcelles.

Il en résulte que le mauvais rendement des semences litigieuses peut être imputé, soit à un défaut affectant le lot de semences en cause, soit à une préparation inadéquate des terres.

Dès lors qu'il ne ressort d'aucune production et qu'il n'est d'ailleurs pas allégué que M. V. aurait moins bien préparé la parcelle qu'il a ensemencée avec le maïs litigieux que la parcelle voisine qui, d'une nature tenue pour tous comme comparable et ensemencée avec une autre variété de maïs, a fourni un rendement satisfaisant, il apparaît que si le manque de rendement trouve sa cause, non pas dans un défaut du produit, mais dans une préparation inadéquate du sol, c'est que, contrairement à ce que soutiennent les intimées, la nouvelle variété de semence exigeait une préparation particulière.

Il est en conséquence établi que la société Agri négoce, qui ne justifie avoir informé M. V., ni sur les risques qu'il prenait en faisant l'acquisition d'une variété de semence expérimentale, ni sur les conditions particulières de mise en œuvre de cette nouvelle variété, a failli à ses obligations d'information et de conseil, et fait perdre à M. V. la chance d'obtenir un rendement satisfaisant de ses cultures de maïs, en renonçant à acquérir une nouvelle variété de semence, ou en mettant en œuvre des techniques culturales idoines.

Sur l'évaluation de la perte de chance et le dommage réparable

S'il apparaît très probable que, informé sur les exigences de mise en œuvre de la variété de semences litigieuse, M. V. aurait suivi les préconisations de son fournisseur habituel d'intrants, il apparaît tout aussi probable que, informé du risque qu'il prenait en faisant l'acquisition d'une variété de semences nouvelle, mais déjà expérimentée de manière satisfaisante depuis 2011, ainsi qu'il résulte des études menées par l'institut Arvalis et la chambre départementale d'agriculture dont il dépend, M. V. aurait accepté de prendre un risque dans l'espoir des meilleurs rendements possibles.

La perte de chance d'obtenir un meilleur rendement en ayant acquis une autre variété de semence, du type de celle avec laquelle il a ensemencé la parcelle de comparaison voisine, ou en ayant mis en œuvre les semences litigieuses de manière adéquate, sera en conséquence évaluée à 50 %.

La perte de revenus qui a découlé pour M. V. de la perte de rendement a été évaluée contradictoirement, lors de l'expertise du 26 octobre 2015, à la somme HT de 33 204 euros.

Cette évaluation, effectuée en calculant la perte de marge brute, par comparaison du rendement moyen attendu et du rendement atteint sur la parcelle sinistrée, correspond à une juste estimation du dommage en cause.

En application de l'article 1315, devenu 1353, du code civil, il appartient au créancier d'une obligation inexécutée qui sollicite l'évaluation de son préjudice TVA incluse, de démontrer que ses activités professionnelles ne sont pas soumises à cette taxe et qu'il ne peut pas récupérer celle payée en amont.

En l'espèce, alors que les intimées lui reprochent de ne pas établir qu'il ne peut pas récupérer la TVA, M. V. n'offre aucune preuve en ce sens.

Dès lors, sur la base d'une perte de chance fixée à 50 %, la société Agri négoce et son assureur de responsabilité seront condamnés in solidum à régler à M. V., en réparation de son préjudice, la somme de 16 602 euros à titre de dommages et intérêts.

M. V., qui sollicite des intérêts à un taux de 3,6 % à compter du 26 octobre 2015, ne fournit aucune explication et ne propose aucun fondement à cette prétention.

Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1153-1 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la condamnation à indemnité qui vient d'être prononcée portera intérêts au taux légal à compter de ce jour.

M. V., qui sollicite en sus la condamnation des intimées à « prendre en charge » le coût des factures des semences litigieuses, ne développe aucun moyen au soutien de cette prétention.

Dès lors qu'il a été indemnisé des conséquence dommageables du manquement de la société Agri négoce à son obligation d'information et de conseil à son égard, et qu'il n'a pas sollicité la résiliation de la vente des semences en cause, M. V. ne peut qu'être débouté de sa demande tendant « à la prise en charge », par les intimées, du coût des semences litigieuses.

Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive

La résistance opposée par les intimées ne saurait être considérée comme abusive alors qu'il n'est pas établi qu'elles ont agi de mauvaise foi ou qu'elles ont commis une erreur grossière d'appréciation.

M. V. sera en conséquence débouté de sa demande de dommages et intérêts formée sur ce chef.

Sur les demandes accessoires

La société Agri négoce et son assureur, qui succombent au sens de l'article 696 du code de procédure civile, devront supporter in solidum les dépens de première instance et d'appel et seront déboutés de leur demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur ce dernier fondement, la société Agri négoce et son assureur de responsabilité devront régler in solidum à M. V., à qui il serait inéquitable de laisser la charge de la totalité des frais irrépétibles qu'il a exposés en première instance et en cause d'appel, en ce compris le coût de l'expertise amiable, une indemnité de procédure d'un montant total de 4 500 euros.

PAR CES MOTIFS

INFIRME la décision entreprise, en ce qu'elle a débouté M. Patrick V. de sa demande au titre du manquement par la société Agri négoce à son devoir de conseil, en ce qu'elle a condamné M. V. aux entiers dépens ainsi qu'à payer à la société Agri négoce la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

STATUANT À NOUVEAU sur les chefs infirmés et y ajoutant :

CONDAMNE in solidum la société Agri négoce et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. Patrick V. la somme de 16 602 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

CONDAMNE in solidum la société Agri négoce et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. Patrick V. la somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE la demande de la société Agri négoce et la société MMA Iard assurances mutuelles formée sur le même fondement,

CONDAMNE in solidum la société Agri négoce et la société MMA Iard assurances mutuelles aux dépens de première instance et d'appel,

DIT n'y avoir lieu d'accorder à la Selarl Cabinet Audrey H. le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

CONFIRME la décision pour le surplus de ses dispositions critiquées.