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Décisions

AFA, 30 novembre 2021, n° 19-02

AGENCE FRANÇAISE ANTICORRUPTION

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Courtlal

Rapporteur :

M. Morellet-Steiner

AFA n° 19-02

29 novembre 2021

PROCEDURE

Procédure antérieure :

Le 25 septembre 2019, le directeur de l'agence française anticorruption a saisi la présente commission, en application des dispositions du IV de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Il reprochait à la société I. SA, d'une part, d'avoir méconnu, dans l'exercice de cartographie des risques qu'elle avait effectué, les exigences définies au 3° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016, d'autre part, de ne pas disposer d'un code de conduite satisfaisant aux exigences posées par les dispositions du 1° du II du même article et, enfin, de n'avoir pas mis en place les points de contrôle comptable spécifiques requis par les dispositions du 5° du II du même article de cette loi.

Par une décision du 7 février 2020, la commission, après avoir écarté le manquement aux exigences relatives à l'établissement d'une cartographie des risques découlant des dispositions du 3° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016 et jugé qu'il n'y avait, par suite, lieu de prononcer, à raison de ce grief, ni injonction, ni sanction, a retenu que les deux autres griefs de la saisine étaient fondés. Conformément aux pouvoirs de sanctions qui lui sont attribués de manière exclusive par le V de l'article 17 de cette loi, la commission a, par suite, enjoint à la société I. SA de se conformer, dans des délais qu'elle a fixés, aux exigences posées par les 1° et 5° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016, en ce qui concerne, respectivement, le code de conduite et la mise en oeuvre de points de contrôle comptables spécifiques.

Par l'article ter de sa décision du 7 juillet 2021, la commission a retenu que la société I. SA devait, à la date où elle statuait, être regardée comme ayant exécuté l'injonction relative à son code de conduite et jugé qu'il n'y avait, par suite, plus lieu de prononcer, à son encontre d'injonction, ni de sanction à raison du grief dont elle avait été saisie par le directeur de l'agence.

Par l'article 2 de la même décision, elle a renvoyé à une date qu'elle déterminerait, postérieurement à l'expiration du délai fixé au 31 mars 2021 par l'article 4 de sa décision du 7 février 2020, le jugement sur la persistance du manquement aux dispositions du 5° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016, à la lumière des mesures prises, à cette date, par la société I. SA pour s'y conformer.

Procédure devant la commission au titre de l'exécution de l'injonction, relative à la mise en oeuvre de points de contrôle comptables spécifiques, prononcée le 7 février 2020 :

Le 8 juillet 2021, la société I. SA a adressé à la commission un rapport dans lequel elle décrit les diligences qu'elle a mises en oeuvre, assorti de pièces justificatives ; elle y soutient qu'elle démontre avoir exécuté l'injonction prononcée par la commission à l'article 4 de sa décision du 7 février 2020.

Le 6 septembre 2021, l'agence française anticorruption, à laquelle, par décision du président de la commission, les productions de la société ont été soumises, a présenté des observations par lesquelles elle admet que la société a bien formalisé des contrôles comptables anticorruption, comportant les niveaux de contrôle attendus et correspondant à sa cartographie des risques de corruption ; elle observe, toutefois, qu'il ne peut être assuré que la réorganisation comptable engagée par l'entreprise soit achevée et que les contrôles comptables qu'elle a formalisés aient été effectivement mis en oeuvre aux bornes du groupe.

Le 13 octobre 2021, la société I. SA a communiqué à la commission de nouvelles productions par lesquelles elle conteste les critiques soulevées par l'agence et maintient avoir pleinement exécuté l'injonction qui lui a été faite par la décision de la commission du 7 février 2020.

A l'issue de l'audience tenue le 20 octobre 2021, le président de la commission a informé la société, par un courrier en date du 26 octobre 2021 communiqué le jour même au directeur de l'agence, de la mise en délibéré prolongé de l'affaire, et lui a demandé la production, sous dix jours, de l'intégralité des tableaux remplis par les contrôleurs de deuxième ligne, assortis d'une description précise de l'ensemble des « clusters » concernés (nombre, composition, secteurs géographiques, sites ou établissements couverts), afin de vérifier l'effectivité de la mise en oeuvre par la société de ses contrôles de deuxième niveau.

Le 8 novembre 2021, la société I. SA a communiqué à la commission l'ensemble des tableaux et des informations complémentaires demandés.

Ces productions ont été communiquées, par décision du président de la commission du même jour à l'agence française anticorruption qui n'a pas produit d'observations.

La commission des sanctions, comprenant M. Jean Courtial, président, Mmes Paquita Morellet-Steiner et Isabelle Orsini ainsi que MM. Nicolas Maziau et Yves Medina, membres, M. Laurent Barnaud, secrétaire de séance lors des débats de la séance du 20 octobre 2021, qui a eu lieu à huis clos par décision du président prise sur le fondement du II de l'article 5 du décret du 14 mars 2017 relatif à l'agence française anticorruption, après avoir entendu, au cours de ces derniers :

Mme Morellet-Steiner en son rapport ;

Pour l'agence française anticorruption,

-M. Charles Duchaine, directeur ;

-M. Julien Laumain, chef de section au département du contrôle des acteurs économiques ;

Pour la société I. SA :

Mme F. B-R, directrice juridique, membre du comité exécutif ;

M. P. L, directeur adjoint des affaires financières groupe ;

Mme C. B, directrice de la conformité ;

M. J.-F. L, Direction juridique ;

MmeM.F;

M.S.R;

-Mme F.O;

Les conseils de la société I. SA, Maîtres Guillaume Pellegrin et Anne Guilberteau, avocats au Barreau de Paris (Cabinet Bredin Prat SAS) ;

La parole ayant été donnée, en dernier lieu, à Maître Pellegrin ;

prend la décision suivante :

MOTIFS DE LA DECISION

Statuant sur la saisine du directeur de l'agence française anticorruption du 25 septembre 2019, la commission des sanctions a, par l'article 4 de sa décision du 7 février 2020, enjoint à la société I. SA de lui transmettre, d'ici le 31 mars 2021, toute preuve de ce qu'elle a complètement achevé la mise en conformité de ses procédures de contrôle comptable anticorruption.

Sur l'exécution de l'injonction prononcée par l'article 4 de la décision du 7 février 2020 de la commission des sanctions :

Pour l'exécution de cette injonction, il incombait à la société I. SA, à l'échéance qui lui était fixée, de présenter à la commission des sanctions un rapport sur l'exécution de ses obligations de mise en conformité, assorti des pièces justificatives nécessaires à ses démonstrations.

Le 8 juillet 2021, la société I. SA a adressé à la commission un rapport, assorti de pièces justificatives, qu'elle a complété successivement le 13 octobre et le 8 novembre 2021, en réponse, s'agissant de cette seconde transmission, à la demande d'informations complémentaires qui lui a été faite par le président de la commission, le 27 octobre 2021.

Les dispositions du 5° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016 assignent aux contrôles comptables spécifiques l'objectif de « s'assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d'influence ».

L'agence française anticorruption a établi et publié sur son site Internet, des recommandations tant en ce qui concerne l'élaboration de ce dispositif de contrôle comptable anticorruption que sa mise en oeuvre. Dans leur rédaction mise à jour au 4 décembre 2020, ces recommandations sont organisées autour de trois principes directeurs.

En premier lieu, l'agence recommande d'établir ces contrôles spécifiques « au regard des situations à risques mises en évidence dans la cartographie des risques de corruption, parmi les contrôles généraux existants, par approfondissement ou en complément de ceux-ci. »

En deuxième lieu, elle préconise que « Les modalités des contrôles comptables » soient « formalisées au sein d'une procédure rappelant, notamment : l'objet et le périmètre des contrôles ;/ les rôles et responsabilités dans leur mise en oeuvre ; /les modalités d'échantillonnage des opérations à contrôler, le cas échéant; /la définition d'un plan de contrôle ;/ les modalités de gestion des incidents ;/ les critères de seuils ou de matérialité devant entraîner un contrôle. »

Enfin, elle définit le contenu de ces contrôles en y distinguant trois niveaux dont la mise en oeuvre simultanée est nécessaire pour se conformer à l'obligation découlant des dispositions, citées au point 4, du 5° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016. Aux termes de ces recommandations, « Les contrôles (...) de premier niveau sont généralement effectués par les personnes en charge de la saisie et de la validation des écritures comptables. Ces personnes s'assurent que les écritures sont convenablement justifiées et documentées (en particulier les écritures manuelles). / (...) Les contrôles comptables anticorruption de deuxième niveau, réalisés par des personnes indépendantes de celles ayant réalisé les contrôles de premier niveau, sont réalisés tout au long de l'année. Ils visent à s'assurer de la bonne exécution des contrôles comptables anticorruption de premier niveau. Ainsi, lors des contrôles par sondage, l'échantillon retenu doit être représentatif des risques inhérents aux opérations traitées (écritures manuelles, niveau d'habilitation et séparation des tâches notamment). (...) / L'efficacité des procédures de contrôles comptables anticorruption est évaluée régulièrement dans le cadre de contrôles comptables de troisième niveau, également appelés « audits comptables ». /Ces audits comptables couvrent l'ensemble des dispositifs comptables afin de s'assurer que les contrôles comptables anticorruption sont conformes aux exigences de l'entreprise, efficacement mis en oeuvre et tenus à jour. /Dans ce cadre, les contrôles comptables de troisième niveau apprécieront la pertinence et l'efficacité : /de la gouvernance et des ressources allouées aux procédures de contrôles comptables anticorruption ;/ de la méthode d'élaboration (notamment de la prise en compte de la cartographie des risques de corruption) et de l'application des contrôles comptables anticorruption de premier niveau et de deuxième niveau. ».

6. Il ressort, en premier lieu, de l'ensemble des documents communiqués à la commission, en particulier du rapport effectué par le cabinet Deloitte dans le cadre de la mission d'audit des procédures de contrôle comptable anticorruption qui lui a été confiée par la société I. SA, que cette dernière dispose, pour chacun des onze moyens de corruption identifiés dans sa cartographie des risques, de contrôles comptables renforcés et précisément définis. Les procédures de contrôle comptable dont s'est dotée la société sont, par suite, corrélées à la cartographie des risques qu'elle a établie, conformément aux recommandations de l'agence rappelées au point 5.

En deuxième lieu, la société produit ce qu'elle appelle une « matrice de risques et de contrôle » comportant, pour chacun des niveaux de contrôle, la description précise des vérifications comptables à réaliser. Elle démontre également que chaque type de procédures de contrôle a donné lieu à l'élaboration, par le contrôle interne, d'une « Group policy » ou « politique » décrivant, de manière précise et exhaustive, la nature et l'étendue des contrôles comptables devant être réalisés. Chacune de ces politiques figure dans un dossier consacré aux contrôles anti-corruption ; l'ensemble de ces dossiers ont été communiqués par les responsables comptables ou financiers aux équipes en charge des contrôles comptables. A destination des mêmes, un guide méthodologique des contrôles comptables a été rédigé par le contrôle interne.

La société I. SA a, par suite, formalisé les modalités de ses contrôles comptables au sein d'une procédure qu'ont pu s'approprier l'ensemble de ceux qui sont chargés de les mettre en oeuvre, conformément aux recommandations rappelées au point 5.

Enfin, la société établit qu'elle a organisé ses procédures de contrôle selon ce qu'elle dénomme trois « lignes de défense ». La première ligne de défense correspond, selon le rapport établi par le cabinet Deloitte, aux « contrôles de premier niveau, qui sont des contrôles réalisés, au jour le jour, au niveau le plus opérationnel et sur la base de contrôles définis dans les procédures » appropriées. Dans chacun des pays ou des régions où la société dispose de sites d'extraction ou d'établissements, qu'elle a regroupés dans ce qu'elle appelle des « clusters », les responsables de ces « clusters » ou les « finance managers » représentent la deuxième ligne de défense et réalisent des examens indépendants des contrôles anti-corruption effectués par la première ligne de défense. Les contrôles de troisième niveau sont, quant à eux, intégrés aux missions de l'audit interne qui, selon le même rapport, : « inclut dans son plan de vérification l'examen de l'efficacité du programme de conformité anticorruption du groupe. L'audit interne effectue des audits périodiques pour évaluer l'efficacité avec laquelle l'organisation évalue et gère ses risques de corruption et s'assure de l'efficacité des contrôles de première et deuxième lignes de défense. » La société I. SA dispose, par suite, d'une organisation en trois niveaux répondant aux mêmes recommandations de l'agence.

Il ressort, dès lors, de l'ensemble des éléments décrits au point 6 que la société I. SA a procédé, ainsi que l'admet d'ailleurs l'agence française anticorruption, à une revue et une mise à jour de ses contrôles comptables de premier, deuxième et troisième niveaux, qui sont conformes aux recommandations de l'agence, et à l'élaboration d'une feuille de route comportant un plan d'action permettant d'améliorer les points de contrôles existants et de les compléter, si besoin.

Toutefois, les dispositions du 5° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016 exigeant que les entités concernées par cette loi disposent de « procédures de contrôles comptables, internes ou externes, destinées à s'assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d'influence » entraînent non seulement une obligation formelle portant sur les procédures qu'elles doivent élaborer mais aussi, nécessairement, une obligation de mise en oeuvre effective des contrôles ainsi formalisés et, le cas échéant, d'en justifier, devant la commission des sanctions, en cas de saisine.

Il ressort des documents transmis, notamment des tableaux communiqués le 8 novembre 2021 à la demande du président de la commission, ainsi que des précisions apportées par la société I. SA lors des débats de l'audience tenue le 20 octobre 2021, que la société justifie avoir procédé au déploiement des contrôles sur les trois niveaux requis.

La société justifie, en effet, d'un calendrier de déploiement où l'année 2020 a correspondu au déploiement des contrôles de premier niveau et où le déploiement du deuxième et du troisième niveau devait s'accomplir, par étape, à partir du mois de décembre 2020 et jusqu'au début du second semestre 2021.

En particulier, les documents exhaustifs produits le 8 novembre 2021, alors qu'ils n'avaient été communiqués que sous forme d'extraits dans les productions antérieures de la société, laissent voir l'organisation retenue en ce qui concerne les contrôles de deuxième niveau. Après avoir initialement mis en oeuvre un suivi prenant la forme d'un questionnaire adressé aux responsables des contrôles de premier niveau, la société a modifié son organisation. La nouvelle organisation repose, en complément des audits sur site, sur un contrôle effectué par les équipes dites « CAR » (« Consolidation Accounting and Reporting »), selon une méthode d'échantillonnage dont la société produit la documentation technique complète (« 2loD Testing Tool and Methodology »). A l'issue de leur revue, les contrôleurs de deuxième niveau remplissent un tableau d'analyse et de suivi des contrôles effectués au premier niveau par les responsables opérationnels. Ces tableaux de suivi sont produits pour 249 entités du groupe couvrant l'ensemble des pays où la société a des activités et réparties en huit « clusters » géographiques. Les résultats des contrôles y sont classés selon trois rubriques : « OK », non OK » et « in progress ».

Enfin, l'intégration de la revue des contrôles comptables anticorruption dans le programme de travail de l'audit interne du groupe, qui correspond au troisième niveau, est attestée par le rapport du cabinet Deloitte.

L'ensemble de ces documents permettent ainsi de retenir que les contrôles déployés l'ont été sur l'ensemble des entités composant le groupe.

La commission constate, par suite, que l'ensemble des mesures analysées aux paragraphes 5, 6, 7 et 9 ont permis à la société I. SA de satisfaire aux exigences posées par les dispositions du 5° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016.

Sur le respect de l'échéance fixée :

La commission des sanctions retient, par ailleurs, qu' il y a lieu, dans l'appréciation qu'elle doit porter sur le respect des délais dont disposait la société I. SA pour se conformer à cette injonction, de tenir compte non seulement de ce que ces délais ont nécessairement bénéficié de la suspension générale, résultant de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, mais également des contraintes liées à l'état d'urgence sanitaire qui ont pesé sur cette société, comme sur l'ensemble des acteurs économiques, en particulier tout au long de l'année 2020.

Il résulte de tout ce qui précède que la société I. SA doit, par suite, à la date où la commission des sanctions statue et sans que puisse lui être reproché un retard traduisant un mauvais vouloir, être regardée comme ayant exécuté l'injonction relative aux contrôles comptables spécifiques.

Il n'y a, dès lors, plus lieu, pour la commission des sanctions, de prononcer d'injonction, ni de sanction à l'encontre de la société I. SA à raison du grief dont elle a été saisie par le directeur de l'agence, tiré de ce que cette société ne disposait pas de contrôles comptables conformes aux dispositions du 5° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016.

La commission des sanctions, après en avoir délibéré en la même composition, le secrétaire de la séance s'étant retiré, par ces motifs,

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a lieu de prononcer ni de nouvelle injonction, ni de sanction, pécuniaire ou de publication, à l'encontre de la société I. SA, à raison du manquement aux dispositions du 5° du II de l'article 17 de la loi du 9 décembre 2016.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société I. SA et à son directeur général en exercice. Elle sera, en outre, communiquée au directeur de l'agence française anticorruption.