Cass. com., 26 novembre 2013, n° 12-23.775
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
Mme Mandel
Avocat général :
Mme Batut
Avocats :
Me Bertrand, SCP Hémery et Thomas-Raquin, SCP Piwnica et Molinié
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Boehringer fait grief à l'arrêt d'avoir dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer, alors, selon le moyen, que les effets de la limitation d'un brevet rétroagissent à la date du dépôt de la demande de brevet ; qu'en conséquence, lorsqu'une procédure en limitation du brevet de base est pendante, la cour d'appel saisie d'un recours contre une décision du directeur général de l'INPI rejetant une demande de certificat complémentaire de protection (CCP) fondé sur ce brevet de base est tenue de surseoir à statuer jusqu'à l'intervention d'une décision définitive sur la procédure en limitation, dès lors que l'issue de cette dernière procédure est de nature à influer sur la solution du litige ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de sursis à statuer, que le sort réservé à la demande en limitation du brevet européen n° 502 314, servant de base à la demande de CCP n° 02C0028, serait sans incidence sur le litige qui lui est soumis, sans s'expliquer sur le fait que la limitation sollicitée avait pour effet de faire figurer expressément et rétroactivement l'association des principes actifs Telmisartan et Hydrochlorothiazide dans le libellé des revendications du brevet et visait donc à répondre à l'objection du directeur général de l'INPI, dans sa décision du 9 décembre 2010, selon laquelle l'association de ces principes actifs ne serait pas protégée par le brevet européen n° 502 314 au sens de l'article 3, paragraphe a), du Règlement n° 1768/92, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 377 du code de procédure civile et L. 613-24 du code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu que le sursis à statuer, dans l'attente d'une décision définitive sur une demande en limitation des revendications d'un brevet, n'étant pas prévu par la loi, l'opportunité de le prononcer relève du pouvoir discrétionnaire des juges du fond ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société Boehringer fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté le recours qu'elle avait formé contre la décision du directeur général de l'INPI du 9 décembre 2010, alors, selon le moyen :
1°) que si la Cour de Justice de l'Union Européenne a dit pour droit dans son arrêt Medeva rendu le 24 novembre 2011 (C-322/10) que les principes actifs pour lesquels un certificat complémentaire de protection est demandé doivent être « mentionnés dans le libellé des revendications du brevet de base invoqué au soutien d'une telle demande », cela n'implique pas nécessairement que la désignation de ces principes actifs figure littéralement dans le texte des revendications ; qu'il est suffisant, lorsqu'une association de deux principes actifs est en cause, que le libellé des revendications couvre une telle association ; que tel est le cas lorsqu'une revendication couvre l'utilisation d'un principe actif pour la préparation d'un médicament doté d'un certain effet et que la description envisage la possibilité de préparer un tel médicament en combinant ce principe actif avec la seconde substance active en cause en donnant à l'homme du métier tous les moyens pour préparer ce médicament ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé l'article 3, paragraphe a), du Règlement n° 1768/92 ensemble l'article 69 de la Convention de Munich ;
2°) que subsidiairement « il convient de poser à la Cour de Justice de l'Union européenne une question préjudicielle sur la question de savoir si l'on peut considérer que « le produit est protégé par un brevet de base en vigueur », au sens de l'article 3, paragraphe a), du Règlement n° 1768/92, lorsque sans contenir la désignation littérale des principes actifs combinés pour lesquels le certificat complémentaire de protection est demandé, le libellé des revendications du brevet de base, tel qu'interprété à la lumière de la description, couvre néanmoins leur combinaison ;
Mais attendu que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit (C-322/10, Medeva, 24 novembre 2011) que l'article 3, sous a) du règlement (CE) n° 469/2009 du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009, concernant le CCP pour les médicaments, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce que les services compétents de la propriété industrielle d'un Etat membre octroient un CCP portant sur des principes actifs qui ne sont pas mentionnés dans le libellé des revendications du brevet de base invoqué au soutien d'une telle demande ; que l'arrêt relève que le brevet de base porte sur les benzomidazoles et que seul, par sa structure, le telmisartan est inclus dans cette famille ; qu'il relève encore que si la revendication 9 du brevet de base, seule invoquée à l'appui du recours, évoque l'utilisation d'un composé pour la préparation d'un médicament, elle ne vise nullement une association avec un principe actif tel que l'hydrochlorothiazide ; que de ces constatations et appréciations desquelles il résulte que le libellé de la revendication 9 du brevet, tel que délivré, ne couvre qu'un seul principe actif appartenant à la famille des benzomidazoles, sans référence expresse à une association avec un autre principe actif, la cour d'appel a exactement déduit que, sur la base du brevet n° 502 314, un CCP ne pouvait être accordé pour une composition associant du telmisartan et de l'hydrochlorothiazide ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le troisième moyen :
Attendu que la société Boehringer fait grief à l'arrêt d'avoir dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer et d'avoir rejeté son recours à l'encontre de la décision du directeur général de l'INPI du 9 décembre 2010, alors, selon le moyen :
1°) que les effets de la limitation de la portée d'un brevet rétroagissant à la date du dépôt de la demande, la limitation des revendications du brevet de base a pour effet de priver de tout fondement légal la décision du directeur général de l'INPI refusant d'octroyer un certificat complémentaire de protection (CCP) sur le fondement du texte d'origine de ce brevet ; qu'en l'espèce, par lettre du 14 décembre 2011, la société Boehringer a sollicité, auprès du directeur général de l'INPI, la limitation de la portée de la partie française du brevet européen n° 502 314 servant de base à sa demande de CCP n° 02C0028 ; que la cour d'appel de Paris est actuellement saisie d'un recours contre la décision rendue par le directeur général de l'INPI le 26 avril 2012 rejetant cette requête en limitation ; que l'octroi de la limitation sollicitée entraînera, pour perte de fondement juridique, l'annulation de l'arrêt attaqué qui a rejeté le recours formé contre la décision du directeur général de l'INPI en date du 9 décembre 2010 rejetant sa demande de CCP n° 02C0028 fondé sur le brevet européen n° 502 314 ;
2°) que par lettre du 17 septembre 2012, la société Boehringer a présenté une seconde requête en limitation de la portée de la partie française du brevet européen n° 502 314 ; que l'octroi de la limitation sollicitée entraînera, pour perte de fondement juridique, l'annulation de l'arrêt attaqué qui a rejeté le recours formé contre la décision du directeur général de l'INPI en date du 9 décembre 2010 rejetant sa demande de CCP n° 02C0028 fondé sur le brevet européen n° 502 314 ;
Mais attendu que les requêtes en limitation des revendications du brevet n° 502 314 ayant été présentées au directeur général de l'INPI les 14 décembre 2011 et 17 septembre 2012 et la cour d'appel, saisie du recours en annulation contre la décision du directeur général de l'INPI du 9 décembre 2010 ayant rejeté la demande de CCP, devant se placer dans les conditions qui étaient celles existant au moment où cette décision a été prise, le moyen est inopérant ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Boehringer Ingelheim Pharma Gmbh and Co KG aux dépens.