CJUE, gr. ch., 22 mars 2022, n° C-151/20
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Question préjudicielle
PARTIES
Demandeur :
Bundeswettbewerbsbehörde
Défendeur :
Nordzucker AG, Südzucker AG, Agrana Zucker GmbH
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lenaerts
Vice-président :
M. Bay Larsen
Présidents de chambre :
M. Arabadjiev, Mme Jürimäe (rapporteure), M. Lycourgos, M. Regan, M. Jääskinen, Mme Ziemele, M. Passer
Juges :
M. Ilešič, M. von Danwitz, M. Kumin, M. Wahl
Avocat général :
M. Bobek
Avocats :
Mme Harsdorf Enderndorf, Mme Krauskopf, Me von Köckritz, Me Bosch, Me Fritzsche, Me Wollmann, Me von Köckritz, Me Bosch, Me Fritzsche
LA COUR (grande chambre)
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Bundeswettbewerbsbehörde (autorité fédérale de la concurrence, Autriche) (ci-après l’« autorité autrichienne ») à Nordzucker AG, à Südzucker AG et à Agrana Zucker GmbH (ci-après « Agrana ») au sujet de la participation de ces dernières à une pratique contraire à l’article 101 TFUE et aux dispositions correspondantes du droit autrichien de la concurrence.
Le cadre juridique
3 Les considérants 6 et 8 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), sont libellés comme suit :
« (6) Pour assurer l’application efficace des règles [de l’Union] de concurrence, il y a lieu d’y associer davantage les autorités de concurrence nationales. À cette fin, celles-ci doivent être habilitées à appliquer le droit [de l’Union].
[...]
(8) Afin de garantir la mise en œuvre effective des règles [de l’Union] de concurrence ainsi que le bon fonctionnement des mécanismes de coopération prévus par le présent règlement, il est nécessaire de faire obligation aux autorités de concurrence et aux juridictions des États membres d’appliquer les articles [101] et [102 TFUE], lorsqu’elles appliquent des règles nationales de concurrence, aux accords et aux pratiques qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres. Afin de créer au sein du marché intérieur des conditions de concurrence homogènes pour les accords entre entreprises, les décisions d’associations d’entreprises et les pratiques concertées, il est également nécessaire de définir, sur la base de l’article [103, paragraphe 2, point e), TFUE], les rapports entre les législations nationales et le droit [de l’Union] en matière de concurrence. À cet effet, il faut prévoir que l’application du droit national de la concurrence aux accords, décisions et pratiques concertées au sens de l’article [101], paragraphe 1, [TFUE] ne peut pas entraîner l’interdiction de ces accords, décisions et pratiques concertées s’ils ne sont pas également interdits en vertu du droit [de l’Union] de la concurrence. Les notions d’accords, de décisions et de pratiques concertées sont des concepts propres au droit [de l’Union] de la concurrence couvrant la coordination du comportement des entreprises sur le marché au sens qu’en ont donné les juridictions [de l’Union]. [...] »
4 Aux termes de l’article 3, paragraphes 1 et 2, de ce règlement :
« 1. Lorsque les autorités de concurrence des États membres ou les juridictions nationales appliquent le droit national de la concurrence à des accords, des décisions d’associations d’entreprises ou des pratiques concertées au sens de l’article [101], paragraphe 1, [TFUE] susceptibles d’affecter le commerce entre États membres au sens de cette disposition, elles appliquent également l’article [101 TFUE] à ces accords, décisions ou pratiques concertées. Lorsque les autorités de concurrence des États membres ou les juridictions nationales appliquent le droit national de la concurrence à une pratique abusive interdite par l’article [102 TFUE], elles appliquent également l’article [102 TFUE].
2. L’application du droit national de la concurrence ne peut pas entraîner l’interdiction d’accords, de décisions d’associations d’entreprises ou de pratiques concertées qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres, mais qui n’ont pas pour effet de restreindre la concurrence au sens de l’article [101], paragraphe 1, TFUE, ou qui satisfont aux conditions énoncées à l’article [101], paragraphe 3, [TFUE] ou qui sont couverts par un règlement ayant pour objet l’application de l’article [101], paragraphe 3, [TFUE]. Le présent règlement n’empêche pas les États membres d’adopter et de mettre en œuvre sur leur territoire des lois nationales plus strictes qui interdisent ou sanctionnent un comportement unilatéral d’une entreprise. »
5 L’article 5 dudit règlement énonce :
« Les autorités de concurrence des États membres sont compétentes pour appliquer les articles [101] et [102 TFUE] dans des cas individuels. À cette fin, elles peuvent, agissant d’office ou saisies d’une plainte, adopter les décisions suivantes :
– ordonner la cessation d’une infraction,
– ordonner des mesures provisoires,
– accepter des engagements,
– infliger des amendes, astreintes ou toute autre sanction prévue par leur droit national.
Lorsqu’elles considèrent, sur la base des informations dont elles disposent, que les conditions d’une interdiction ne sont pas réunies, elles peuvent également décider qu’il n’y a pas lieu pour elles d’intervenir. »
6 L’article 12, paragraphe 1, du même règlement prévoit :
« Aux fins de l’application des articles [101] et [102 TFUE], la Commission et les autorités de concurrence des États membres ont le pouvoir de se communiquer et d’utiliser comme moyen de preuve tout élément de fait ou de droit, y compris des informations confidentielles. »
7 L’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 énonce que la Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et aux associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles commettent une infraction aux dispositions des articles 101 TFUE ou 102 TFUE.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
8 Nordzucker, Südzucker et sa filiale Agrana sont actives sur le marché de la production et de la commercialisation du sucre destiné à l’industrie ainsi qu’à la consommation des ménages (ci-après le « marché du sucre »).
9 Nordzucker et Südzucker dominent, avec un troisième grand producteur, le marché du sucre en Allemagne. Les usines de Nordzucker se trouvent dans le nord et celles de Südzucker dans le sud de cet État membre. Du fait de l’emplacement des usines, des caractéristiques du sucre et des coûts de son transport, le marché allemand du sucre était traditionnellement divisé en trois zones géographiques principales, chacune dominée par l’un de ces trois grands producteurs. Cette division géographique du marché ne s’étendait pas aux marchés étrangers, y compris ceux sur lesquels les filiales de ces trois producteurs opéraient, et ne concernait pas, notamment, le marché autrichien.
10 Agrana est le principal producteur de sucre en Autriche. Elle opère dans une large mesure de façon autonome sur les marchés qu’elle dessert.
11 L’adhésion, en 2004, de nouveaux États membres à l’Union a suscité l’inquiétude des producteurs allemands de sucre en raison de la nouvelle pression concurrentielle émanant des entreprises établies dans ces États membres. C’est dans ce contexte que, au plus tard à partir de l’année 2004, plusieurs réunions ont eu lieu entre les directeurs commerciaux de Nordzucker et de Südzucker, à l’issue desquelles ces derniers sont convenus de ne pas se faire mutuellement concurrence par intrusion dans leurs zones de vente principales traditionnelles afin d’esquiver cette nouvelle pression concurrentielle.
12 Vers la fin de l’année 2005, Agrana a remarqué des livraisons de sucre sur le marché autrichien, en provenance, notamment, d’une filiale slovaque de Nordzucker et à destination de clients industriels autrichiens dont Agrana avait été, jusqu’alors, le fournisseur exclusif.
13 Le 22 février 2006, lors d’un entretien téléphonique, le gérant d’Agrana a informé le directeur commercial de Südzucker de l’existence de ces livraisons et lui a demandé le nom d’une personne de contact au sein de Nordzucker.
14 Le directeur commercial de Südzucker a alors appelé, le même jour, le directeur commercial de Nordzucker pour l’informer desdites livraisons vers l’Autriche, en faisant allusion à de possibles conséquences pour le marché allemand du sucre (ci-après l’« entretien téléphonique litigieux »). Il n’est pas établi qu’Agrana ait été informée de cet appel téléphonique.
15 À la suite de l’introduction, par Nordzucker, de demandes de clémence, notamment auprès du Bundeskartellamt (autorité fédérale de la concurrence, Allemagne) (ci-après l’« autorité allemande ») et de l’autorité autrichienne, ces autorités ont, de manière concomitante, ouvert des procédures d’enquête.
16 Ainsi, au mois de septembre 2010, l’autorité autrichienne a saisi l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne, Autriche), qui est la juridiction autrichienne compétente en matière d’entente, d’un recours tendant à faire constater que Nordzucker avait enfreint l’article 101 TFUE ainsi que les dispositions correspondantes du droit autrichien et à infliger deux amendes à Südzucker, dont une solidairement avec Agrana. Parmi les éléments matériels invoqués par l’autorité autrichienne pour établir la participation de ces trois entreprises à une entente sur le marché autrichien du sucre figurait, notamment, l’entretien téléphonique litigieux.
17 Pour sa part, l’autorité allemande a, par une décision du 18 février 2014, passée en force de chose jugée, constaté que Nordzucker, Südzucker et le troisième producteur allemand visé au point 9 du présent arrêt ont commis une infraction à l’article 101 TFUE et aux dispositions correspondantes du droit allemand de la concurrence et a, notamment, infligé à Südzucker une amende de 195 500 000 euros (ci-après la « décision définitive de l’autorité allemande »). Selon cette décision, ces entreprises mettaient en œuvre, sur le marché du sucre, un accord de respect mutuel des zones de vente principales, au moyen de rencontres régulières entre les représentants de Nordzucker et de Südzucker qui se sont tenues au cours de la période comprise entre les années 2004 et 2007, voire jusqu’à l’été 2008. Dans ladite décision, l’autorité allemande a reproduit le contenu de l’entretien téléphonique litigieux, à l’occasion duquel les représentants de Nordzucker et de Südzucker avaient discuté du marché autrichien. Parmi l’ensemble des éléments de fait constatés par cette autorité, cet entretien est l’unique élément relatif à ce dernier marché.
18 Par ordonnance du 15 mai 2019, l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne) a rejeté le recours formé par l’autorité autrichienne, au motif, notamment, que l’accord conclu lors de l’entretien téléphonique litigieux avait déjà fait l’objet d’une sanction infligée par une autre autorité nationale de concurrence, de telle sorte qu’une nouvelle sanction serait contraire au principe ne bis in idem.
19 L’autorité autrichienne a interjeté appel de cette ordonnance devant l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), qui est la juridiction de renvoi. Elle demande, d’une part, qu’il soit constaté que, en raison de cet accord, Nordzucker a enfreint l’article 101 TFUE ainsi que les dispositions correspondantes du droit autrichien de la concurrence et, d’autre part, qu’une amende d’un montant approprié soit infligée à Südzucker pour la même infraction.
20 En premier lieu, la juridiction de renvoi s’interroge, eu égard au principe ne bis in idem consacré à l’article 50 de la Charte, sur la possibilité de tenir compte de l’entretien téléphonique litigieux, alors même que celui-ci a été expressément mentionné dans la décision définitive de l’autorité allemande.
21 Premièrement, cette juridiction observe que le principe ne bis in idem, en sa composante « idem », a donné lieu à des interprétations divergentes. Ainsi, en matière de droit de la concurrence, il découlerait, notamment, de l’arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a. (C‑17/10, EU:C:2012:72, point 97), que ce principe ne peut être appliqué que si trois critères cumulatifs sont réunis, à savoir l’identité des faits, l’identité des contrevenants et l’identité de l’intérêt juridique protégé. En revanche, dans d’autres domaines du droit de l’Unionen particulier dans les arrêts du 9 mars 2006, Van Esbroeck (C‑436/04, EU:C:2006:165, point 36), et du 20 mars 2018, Menci (C‑524/15, EU:C:2018:197, point 35), la Cour aurait écarté le critère tenant à l’identité de l’intérêt juridique protégé.
22 Deuxièmement, la juridiction de renvoi se demande s’il y a lieu, dans le cadre de l’appréciation de la composante « idem », de prendre en considération, parmi d’autres éléments, les effets territoriaux des ententes ayant eu lieu sur les territoires de différents États membres, par analogie avec la solution retenue dans les arrêts du 18 mai 2006, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission (C‑397/03 P, EU:C:2006:328), du 29 juin 2006, Showa Denko/Commission (C‑289/04 P, EU:C:2006:431), ainsi que du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a. (C‑17/10, EU:C:2012:72, points 99 à 103).
23 S’agissant du litige au principal, la juridiction de renvoi fait observer que, selon l’autorité autrichienne, l’amende infligée par la décision définitive de l’autorité allemande n’a pas tenu compte des effets de l’entente en Autriche. De même, selon un avis du vice-président de l’autorité allemande, en date du 28 juin 2019, les décisions de cette autorité ne sanctionneraient, en principe, que les effets anticoncurrentiels en Allemagne. L’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne) aurait cependant estimé le contraire en raison de l’importance particulière accordée, dans la décision définitive de l’autorité allemande, à l’entretien téléphonique litigieux.
24 En second lieu, s’agissant de la demande de constatation d’infraction à l’égard de Nordzucker, la juridiction de renvoi relève que l’autorité autrichienne a accordé à cette entreprise le bénéfice de mesures de clémence en vertu du droit national. Relevant que, selon l’arrêt du 18 juin 2013, Schenker & Co. e.a. (C‑681/11, EU:C:2013:404), une autorité nationale de concurrence peut exceptionnellement se limiter à constater une infraction sans infliger une amende, elle se demande si le principe ne bis in idem doit être appliqué à une telle procédure de constatation d’infraction. En effet, la Cour aurait jugé, notamment au point 94 de l’arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a. (C‑17/10, EU:C:2012:72), que ce principe ne doit être respecté que dans les procédures tendant à l’infliction d’amendes.
25 C’est dans ces conditions que l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Le troisième critère posé par la jurisprudence de la Cour en matière de concurrence pour l’application du principe ne bis in idem, à savoir celui selon lequel le même intérêt juridique protégé doit être concerné, doit-il également être appliqué lorsque les autorités de la concurrence de deux États membres sont appelées à appliquer aux mêmes faits et à l’égard des mêmes personnes, outre la réglementation nationale, les mêmes règles de droit européen (en l’espèce l’article 101 TFUE) ?
En cas de réponse affirmative à cette question :
2) Dans un tel cas d’application parallèle du droit de la concurrence européen et national, le même intérêt juridique est-il protégé ?
3) En outre, aux fins de l’application du principe ne bis in idem, importe‑t‑il de savoir si la première – chronologiquement – décision de l’autorité de concurrence d’un État membre infligeant une amende a pris en compte les effets que l’atteinte à la concurrence a eus, en pratique, dans l’autre État membre dont l’autorité de concurrence n’a statué qu’ultérieurement dans la procédure de droit de la concurrence qu’elle a menée ?
4) Une procédure dans laquelle, en raison de la participation d’une partie concernée au programme national de clémence, une infraction au droit de la concurrence ne peut qu’être constatée, est‑elle également une procédure soumise au principe ne bis in idem, ou un tel constat simple d’infraction peut-il être dressé indépendamment du résultat d’une procédure antérieure relative à l’imposition d’une amende (dans un autre État membre) ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur les premières et troisièmes questions
26 Par ses première et troisième questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 50 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une entreprise soit poursuivie, par l’autorité de concurrence d’un État membre, et se voie, le cas échéant, infliger une amende pour une infraction à l’article 101 TFUE et aux dispositions correspondantes du droit national de la concurrence, en raison d’un comportement qui a eu un objet ou un effet anticoncurrentiel sur le territoire de cet État membre, alors que ce comportement a déjà été mentionné, par une autorité de concurrence d’un autre État membre, dans une décision définitive que celle-ci a adoptée, à l’égard de cette entreprise, au terme d’une procédure d’infraction à l’article 101 TFUE et aux dispositions correspondantes du droit de la concurrence de cet autre État membre.
27 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi souhaite, en particulier, être éclairée sur les critères pertinents aux fins d’apprécier si les deux autorités nationales de concurrence ont statué sur les mêmes faits.
Observations liminaires
28 Il convient de rappeler que le principe ne bis in idem constitue un principe fondamental du droit de l’Union (arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, point 59), qui est désormais consacré à l’article 50 de la Charte.
29 L’article 50 de la Charte dispose que « [n]ul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi ». Ainsi, le principe ne bis in idem interdit un cumul tant de poursuites que de sanctions présentant une nature pénale au sens de cet article pour les mêmes faits et contre une même personne (arrêt du 20 mars 2018, Menci, C‑524/15, EU:C:2018:197, point 25 et jurisprudence citée).
30 En ce qui concerne l’appréciation de la nature pénale des poursuites et des sanctions en cause, qu’il revient à la juridiction de renvoi d’effectuer, il y a lieu de rappeler que trois critères sont pertinents. Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le deuxième la nature même de l’infraction et le troisième le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé (voir, en ce sens, arrêts du 5 juin 2012, Bonda, C‑489/10, EU:C:2012:319, point 37, ainsi que du 20 mars 2018, Menci, C‑524/15, EU:C:2018:197, points 26 et 27).
31 Il convient de souligner, à cet égard, que l’application de l’article 50 de la Charte ne se limite pas aux seules poursuites et sanctions qui sont qualifiées de « pénales » par le droit national, mais s’étend – indépendamment d’une telle qualification en droit interne – à des poursuites et à des sanctions qui doivent être considérées comme présentant une nature pénale sur le fondement des deux autres critères visés au point précédent (voir, en ce sens, arrêt du 20 mars 2018, Menci, C-524/15, EU:C:2018:197, point 30).
32 En outre, la Cour a déjà jugé que le principe ne bis in idem doit être respecté dans les procédures tendant à l’infliction d’amendes, relevant du droit de la concurrence. Ledit principe interdit, en matière de concurrence, qu’une entreprise soit condamnée ou poursuivie une nouvelle fois du fait d’un comportement anticoncurrentiel du chef duquel elle a été sanctionnée ou dont elle a été déclarée non responsable par une décision antérieure qui n’est plus susceptible de recours (arrêts du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a., C‑17/10, EU:C:2012:72, point 94 ainsi que jurisprudence citée, et du 3 avril 2019, Powszechny Zakład Ubezpieczeń na Życie, C‑617/17, EU:C:2019:283, point 28).
33 Il s’ensuit que l’application du principe ne bis in idem dans le cadre des procédures relevant du droit de la concurrence est soumise à une double condition, à savoir, d’une part, qu’il y ait une décision antérieure définitive (condition « bis ») et, d’autre part, que le même comportement soit visé par la décision antérieure et par les poursuites ou les décisions postérieures (condition « idem »).
Sur la condition « bis »
34 En ce qui concerne la condition « bis », il convient de rappeler que, pour qu’une décision puisse être regardée comme ayant définitivement statué sur les faits soumis à une seconde procédure, il est nécessaire non seulement que cette décision soit devenue définitive, mais également qu’elle ait été rendue à la suite d’une appréciation portant sur le fond de l’affaire (voir, par analogie, arrêt du 5 juin 2014, M, C‑398/12, EU:C:2014:1057, points 28 et 30).
35 En l’occurrence, il ressort des constatations effectuées par la juridiction de renvoi que la décision définitive de l’autorité allemande constitue une décision antérieure définitive au sens de la jurisprudence rappelée au point précédent.
Sur la condition « idem »
36 S’agissant de la condition « idem », il découle des termes mêmes de l’article 50 de la Charte que celui-ci interdit de poursuivre ou de sanctionner pénalement une même personne plus d’une fois pour une même infraction.
37 Ainsi que l’indique la juridiction de renvoi dans sa demande de décision préjudicielle, les différentes poursuites et sanctions en cause au principal visent les mêmes personnes morales, à savoir Nordzucker et Südzucker.
38 Selon une jurisprudence établie de la Cour, le critère pertinent aux fins d’apprécier l’existence d’une même infraction est celui de l’identité des faits matériels, compris comme l’existence d’un ensemble de circonstances concrètes indissociablement liées entre elles qui ont conduit à l’acquittement ou à la condamnation définitive de la personne concernée. Ainsi, l’article 50 de la Charte interdit d’infliger, pour des faits identiques, plusieurs sanctions de nature pénale à l’issue de différentes procédures menées à ces fins (arrêts du 20 mars 2018, Menci, C‑524/15, EU:C:2018:197, point 35, et du 20 mars 2018, Garlsson Real Estate e.a., C‑537/16, EU:C:2018:193, point 37 ainsi que jurisprudence citée).
39 En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la qualification juridique en droit national des faits et l’intérêt juridique protégé ne sont pas pertinents aux fins de la constatation de l’existence d’une même infraction, dans la mesure où la portée de la protection conférée à l’article 50 de la Charte ne saurait varier d’un État membre à l’autre (arrêts du 20 mars 2018, Menci, C‑524/15, EU:C:2018:197, point 36, et du 20 mars 2018, Garlsson Real Estate e.a., C‑537/16, EU:C:2018:193, point 38).
40 Il en va de même aux fins de l’application du principe ne bis in idem consacré à l’article 50 de la Charte dans le domaine du droit de la concurrence de l’Union, dans la mesure où la portée de la protection conférée à cette disposition ne saurait, sauf disposition contraire du droit de l’Union, varier d’un domaine de celui-ci à un autre (arrêt de ce jour, bpost, C‑117/20, point 35).
41 S’agissant du critère tenant à l’identité des faits, le point de savoir si des entreprises ont adopté un comportement ayant pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, ne saurait être apprécié de manière abstraite, mais doit être examiné au regard du territoire et du marché de produits sur lesquels le comportement visé a eu un tel objet ou un tel effet et de la période pendant laquelle le comportement visé a eu un tel objet ou un tel effet (voir, par analogie, arrêts du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a., C‑17/10, EU:C:2012:72, point 99, ainsi que du 25 février 2021, Slovak Telekom, C‑857/19, EU:C:2021:139, point 45).
42 Il incombe à la juridiction de renvoi, seule compétente pour statuer sur les faits, de déterminer si le litige dont elle est saisie porte sur les mêmes faits que ceux ayant conduit à l’adoption de la décision définitive de l’autorité allemande, eu égard au territoire, au marché de produits et à la période concernés par cette décision. Ainsi, il appartient à cette juridiction de s’assurer de la portée de ladite décision. Comme l’a relevé M. l’avocat général au point 68 de ses conclusions, en application de l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003, il est possible pour une juridiction nationale, avec l’assistance de l’autorité nationale de concurrence, de demander l’accès, auprès d’une autorité de concurrence d’un autre État membre, à une décision adoptée par cette dernière ainsi qu’à des informations portant sur le contenu de cette décision. Cela étant, la Cour peut fournir à ladite juridiction des éléments d’interprétation du droit de l’Union dans le cadre de l’appréciation de cette portée.
43 À cet égard, il ressort des éléments du dossier que les interrogations de la juridiction de renvoi concernent, plus spécifiquement, la circonstance que les poursuites menées en Autriche reposent sur un élément factuel, à savoir l’entretien téléphonique litigieux à l’occasion duquel a été abordé le marché autrichien du sucre, qui avait déjà été mentionné dans la décision définitive de l’autorité allemande. Cette juridiction se demande si, compte tenu de la mention de l’entretien téléphonique dans cette décision, la condition tenant à l’identité des faits est remplie.
44 À ce titre, eu égard à la jurisprudence exposée au point 41 du présent arrêt, il convient de préciser que la seule circonstance qu’une autorité d’un État membre mentionne, dans une décision constatant une infraction au droit de la concurrence de l’Union ainsi qu’aux dispositions correspondantes du droit de cet État membre, un élément de fait se rapportant au territoire d’un autre État membre ne saurait suffire pour considérer que cet élément de fait est à l’origine des poursuites ou a été retenu par cette autorité parmi les éléments constitutifs de cette infraction. Il convient encore de vérifier si ladite autorité s’est effectivement prononcée sur ledit élément de fait afin de constater l’infraction, d’établir la responsabilité de la personne poursuivie dans cette infraction et, le cas échéant, de lui imposer une sanction, de telle sorte que ladite infraction soit à considérer comme englobant le territoire de cet autre État membre (voir, par analogie, arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a., C-17/10, EU:C:2012:72, points 101 et 102).
45 Partant, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, sur la base d’une appréciation de l’ensemble des circonstances pertinentes, si la décision définitive de l’autorité allemande a eu pour objet de constater et de sanctionner l’entente en cause en ce qu’elle portait, par son objet ou son effet anticoncurrentiel au cours de la période considérée, non seulement sur le marché allemand, mais également sur le marché autrichien.
46 Dans le cadre de cette appréciation, il importe, notamment, d’examiner si les appréciations juridiques effectuées par l’autorité allemande sur la base des éléments de fait constatés dans sa décision définitive ont porté exclusivement sur le marché allemand ou également sur le marché autrichien du sucre. Est également pertinent le point de savoir si, aux fins du calcul de l’amende fondé sur le chiffre d’affaires réalisé sur le marché affecté par l’infraction, l’autorité allemande a pris comme base de calcul uniquement le chiffre d’affaires réalisé en Allemagne (voir, par analogie, arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a., C‑17/10, EU:C:2012:72, point 101).
47 Dans l’hypothèse où, au terme de l’appréciation de l’ensemble des circonstances pertinentes, la juridiction de renvoi estimerait que la décision définitive de l’autorité allemande n’a pas constaté et sanctionné l’entente en cause au principal en raison de l’objet ou de l’effet anticoncurrentiel de celle-ci sur le territoire autrichien, cette juridiction devrait constater que la procédure dont elle est saisie ne porte pas sur les mêmes faits que ceux à l’origine de la décision définitive de l’autorité allemande, de telle sorte que le principe ne bis in idem, au sens de l’article 50 de la Charte, ne s’opposerait pas à de nouvelles poursuites et, le cas échéant, à de nouvelles sanctions (voir, par analogie, arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a., C-17/10, EU:C:2012:72, point 103).
48 Dans l’hypothèse inverse où la juridiction de renvoi estimerait que la décision définitive de l’autorité allemande a constaté et sanctionné l’entente en cause en raison également de l’objet ou de l’effet anticoncurrentiel de celle-ci sur le territoire autrichien, cette juridiction devrait constater que la procédure dont elle est saisie porte sur les mêmes faits que ceux à l’origine de la décision définitive de l’autorité allemande. Un tel cumul de poursuites et, le cas échéant, de sanctions serait constitutif d’une limitation du droit fondamental garanti à l’article 50 de la Charte.
Sur la justification d’une éventuelle limitation du droit fondamental garanti à l’article 50 de la Charte
49 Afin de donner une réponse complète à la juridiction de renvoi, il convient d’ajouter qu’une limitation du droit fondamental garanti à l’article 50 de la Charte, telle que celle qui existerait dans l’hypothèse visée au point 48 du présent arrêt, peut être justifiée sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte (arrêts du 27 mai 2014, Spasic, C‑129/14 PPU, EU:C:2014:586, points 55 et 56, ainsi que du 20 mars 2018, Menci, C‑524/15, EU:C:2018:197, point 40).
50 Conformément à l’article 52, paragraphe 1, première phrase, de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par celle-ci doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel de ces droits et libertés. Selon la deuxième phrase dudit paragraphe, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées auxdits droits et auxdites libertés que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.
51 S’agissant des conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, deuxième phrase, de la Charte, et plus spécifiquement de la question de savoir si la limitation du droit fondamental garanti à l’article 50 de la Charte résultant d’un cumul de poursuites et, le cas échéant, de sanctions par deux autorités nationales de concurrence répond à un objectif d’intérêt général, il convient de souligner que l’article 101 TFUE est une disposition d’ordre public qui interdit les ententes et qui poursuit l’objectif, indispensable pour le fonctionnement du marché intérieur, de garantir que la concurrence n’est pas faussée dans ce marché (voir, en ce sens, arrêts du 1er juin 1999, Eco Swiss, C‑126/97, EU:C:1999:269, point 36, ainsi que du 13 juillet 2006, Manfredi e.a., C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:461, point 31).
52 Eu égard à l’importance que la jurisprudence de la Cour accorde à cet objectif d’intérêt général, un cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale peut se justifier lorsque ces poursuites et sanctions visent, en vue de la réalisation d’un tel objectif, des buts complémentaires ayant pour objet, le cas échéant, des aspects différents du même comportement infractionnel concerné (voir, en ce sens, arrêt du 20 mars 2018, Menci, C‑524/15, EU:C:2018:197, point 44).
53 Or, à cet égard, il convient de rappeler que, s’agissant du rôle des autorités des États membres dans le respect du droit de l’Union en matière de concurrence, l’article 3, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 1/2003 établit un lien étroit entre l’interdiction des ententes qu’énonce l’article 101 TFUE et les dispositions correspondantes du droit national de la concurrence. Lorsque l’autorité nationale de concurrence applique les dispositions du droit national interdisant les ententes à un accord d’entreprises susceptible d’affecter le commerce entre États membres au sens de l’article 101 TFUE, ledit article 3, paragraphe 1, première phrase, impose de lui appliquer également, en parallèle, l’article 101 TFUE (arrêts du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a., C‑17/10, EU:C:2012:72, point 77, ainsi que du 13 décembre 2012, Expedia, C‑226/11, EU:C:2012:795, point 18).
54 Conformément à l’article 3, paragraphe 2, première phrase, du règlement n° 1/2003, l’application du droit national de la concurrence ne peut pas entraîner l’interdiction d’ententes qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres si elles n’ont pas pour effet de restreindre la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 13 décembre 2012, Expedia, C‑226/11, EU:C:2012:795, point 19).
55 Il découle de ces dispositions, lues à la lumière du considérant 8 du règlement n° 1/2003, que l’application des dispositions du droit national de la concurrence ne saurait entraîner l’interdiction d’accords, de décisions et de pratiques concertées au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE s’ils ne sont pas également interdits en vertu de cette disposition. En d’autres termes, elle ne saurait aboutir à un résultat différent de celui qui découlerait de l’application de ce dernier.
56 Partant, dans l’hypothèse où deux autorités nationales de concurrence poursuivraient et sanctionneraient les mêmes faits afin d’assurer le respect de l’interdiction des ententes en application de l’article 101 TFUE et des dispositions correspondantes de leur droit national respectif, ces deux autorités poursuivraient le même objectif d’intérêt général visant à garantir que la concurrence dans le marché intérieur ne soit pas faussée par des accords, des décisions d’associations d’entreprises ou des pratiques concertées anticoncurrentielles.
57 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer qu’un cumul des poursuites et des sanctions, dès lors qu’elles ne visent pas des buts complémentaires ayant pour objet des aspects différents du même comportement au sens de la jurisprudence rappelée au point 52 du présent arrêt, ne saurait, en toute hypothèse, être justifié au titre de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.
58 À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première et troisième questions que l’article 50 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une entreprise soit poursuivie, par l’autorité de concurrence d’un État membre, et se voie, le cas échéant, infliger une amende pour une infraction à l’article 101 TFUE et aux dispositions correspondantes du droit national de la concurrence, en raison d’un comportement qui a eu un objet ou un effet anticoncurrentiel sur le territoire de cet État membre, alors que ce comportement a déjà été mentionné, par une autorité de concurrence d’un autre État membre, dans une décision définitive que celle-ci a adoptée, à l’égard de cette entreprise, au terme d’une procédure d’infraction à l’article 101 TFUE et aux dispositions correspondantes du droit de la concurrence de cet autre État membre, pour autant que cette décision ne repose pas sur le constat d’un objet ou d’un effet anticoncurrentiel sur le territoire du premier État membre.
Sur la deuxième question
59 Eu égard à la réponse apportée aux première et troisième questions, il n’est pas nécessaire de statuer sur la deuxième question.
Sur la quatrième question
60 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 50 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’une procédure de mise en œuvre du droit de la concurrence, dans laquelle, en raison de la participation de la partie concernée au programme national de clémence, une infraction à ce droit ne peut qu’être constatée, est susceptible d’être soumise au principe ne bis in idem.
61 En premier lieu, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 32 du présent arrêt, le principe ne bis in idem interdit, en matière de concurrence, qu’une entreprise soit condamnée ou poursuivie une nouvelle fois du fait d’un comportement anticoncurrentiel au titre duquel elle a été sanctionnée ou dont elle a été déclarée non responsable par une décision antérieure qui n’est plus susceptible de recours.
62 Le principe ne bis in idem vise donc à prévenir qu’une entreprise soit « condamnée ou poursuivie une nouvelle fois », ce qui présuppose que cette entreprise ait été condamnée ou déclarée non responsable par une décision antérieure qui n’est plus susceptible de recours. En tant que corollaire du principe de l’autorité de la chose jugée, il a pour objet de garantir la sécurité juridique et l’équité en assurant que, lorsqu’elle a été poursuivie et, le cas échéant, condamnée, la personne concernée a la certitude qu’elle ne sera pas de nouveau poursuivie pour la même infraction (voir, en ce sens, arrêt du 3 avril 2019, Powszechny Zakład Ubezpieczeń na Życie, C‑617/17, EU:C:2019:283, points 29 et 33).
63 Il s’ensuit que l’ouverture de poursuites à caractère pénal est susceptible de relever, en tant que telle, du champ d’application du principe ne bis in idem, indépendamment du point de savoir si ces poursuites donnent effectivement lieu à l’infliction d’une sanction.
64 En second lieu, il importe de relever que, selon la jurisprudence de la Cour, l’article 101 TFUE ainsi que les articles 5 et 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 doivent être interprétés en ce sens que, dans le cas où l’existence d’une infraction à l’article 101 TFUE est établie, les autorités nationales de concurrence peuvent exceptionnellement se limiter à constater cette infraction sans infliger une amende lorsque l’entreprise concernée a participé à un programme national de clémence (arrêt du 18 juin 2013, Schenker & Co. e.a., C‑681/11, EU:C:2013:404, point 50). Afin de s’assurer qu’une non-imposition d’une amende au titre d’un programme national de clémence ne porte pas atteinte à l’exigence de l’application efficace et uniforme de l’article 101 TFUE, un tel traitement ne peut être accordé que dans des situations strictement exceptionnelles, telles que celles où la coopération d’une entreprise a été déterminante pour la détection et la répression effective de l’entente (arrêt du 18 juin 2013, Schenker & Co. e.a., C‑681/11, EU:C:2013:404, points 47 et 49).
65 Il s’ensuit que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 92 de ses conclusions, l’immunité ou la réduction d’amendes n’est en aucun cas automatiquement garantie à une entreprise qui sollicite le bénéfice d’un programme de clémence.
66 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, sans préjudice de la réponse apportée aux première et troisième questions de la juridiction de renvoi, le principe ne bis in idem peut s’appliquer à une procédure de mise en œuvre du droit de la concurrence nonobstant le fait que, en raison de la participation au programme national de clémence de l’entreprise en cause, laquelle a déjà été poursuivie dans le cadre d’une autre procédure ayant abouti à une décision définitive, cette nouvelle procédure peut seulement conduire à la constatation d’une infraction à ce droit.
67 À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la quatrième question que l’article 50 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’une procédure de mise en œuvre du droit de la concurrence dans laquelle, en raison de la participation de la partie concernée au programme national de clémence, une infraction à ce droit ne peut qu’être constatée est susceptible d’être soumise au principe ne bis in idem.
Sur les dépens
68 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
1) L’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une entreprise soit poursuivie, par l’autorité de concurrence d’un État membre, et se voie, le cas échéant, infliger une amende pour une infraction à l’article 101 TFUE et aux dispositions correspondantes du droit national de la concurrence, en raison d’un comportement qui a eu un objet ou un effet anticoncurrentiel sur le territoire de cet État membre, alors que ce comportement a déjà été mentionné, par une autorité de concurrence d’un autre État membre, dans une décision définitive que celle-ci a adoptée, à l’égard de cette entreprise, au terme d’une procédure d’infraction à l’article 101 TFUE et aux dispositions correspondantes du droit de la concurrence de cet autre État membre, pour autant que cette décision ne repose pas sur le constat d’un objet ou d’un effet anticoncurrentiel sur le territoire du premier État membre.
2) L’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’une procédure de mise en œuvre du droit de la concurrence dans laquelle, en raison de la participation de la partie concernée au programme national de clémence, une infraction à ce droit ne peut qu’être constatée est susceptible d’être soumise au principe ne bis in idem.