CA Versailles, 5e ch., 10 décembre 2020, n° 20/01693
VERSAILLES
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Colas (SA)
Défendeur :
Union pour le Recouvrement des Cotisations de Sécurité Sociale et D’allocations Familiales Ile-De-France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fourmy
Conseillers :
Mme Jacquet, Mme Buck
Avocats :
Me Decolasse, Me Beaumont
La société anonyme Colas (ci-après la Société) a fait l’objet d’un contrôle pour les exercices 2006 et 2007 de la part de l’union pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et allocations familiales (ci-après 'l’URSSAF') de Marseille, aux droits de laquelle vient l’URSSAF des Bouches-du-Rhône, s’agissant de ses établissements situés à Boulogne-Billancourt (siège social de la Société) et à Magny-les-Hameaux (laboratoire de la Société), dans le cadre d’un contrôle national concerté des sociétés du groupe Colas.
Le 28 octobre 2009, à l’issue de ce contrôle, l’URSSAF de Marseille a adressé une lettre d’observations à la Société afin de l’aviser qu’un redressement à concurrence d’un montant de 1 101 001 euros était envisagé.
La Société a fait part de ses observations le 1er décembre 2009.
La Société, ne contestant pas les chefs de redressement n°3, 4, 5, 6, 7, 9, 12 et 14, a réglé la somme de 210 721 euros.
L’URSSAF de Paris et région parisienne a adressé à la Société une mise en demeure, le 22 décembre 2009, pour un montant de 1 272 805 euros (dont 176 137 euros de majorations de retard).
La Société a contesté cette mise en demeure devant la commission de recours amiable (ci-après la « CRA ») de l’URSSAF de Paris et région parisienne aux droits de laquelle vient l’URSSAF d’Île-de-France, le 22 janvier 2010.
En l’absence de décision prise par la CRA dans le délai légal, la société a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Hauts-de-Seine (ci-après le « TASS »).
La CRA ayant finalement rendu une décision de rejet partiel en sa séance du 13 février 2012, la Société a également contesté cette décision explicite devant le TASS.
A la demande des parties et par ordonnance du 9 décembre 2013, le retrait du rôle de ces deux affaires a été ordonné.
La Société a sollicité le rétablissement de ces affaires au rôle, lesquelles ont été réinscrites sous le seul numéro RG 16-02112/N.
Par jugement en date du 11 juillet 2017, le TASS a :
— ordonné la jonction des recours enrôlés sous les numéros 12-00980/N et 12-00987/N et dit que I’affaire sera désormais appelée sous le seul numéro de rôle 16-02112/N ;
— dit n’y avoir lieu à prononcer la nullité des opérations de contrôle menées par l’URSSAF de Marseille, aux droits de laquelle vient l’URSSAF des Bouches-du-Rhône, au sein de la Société s’agissant de ses établissements de Boulogne Billancourt et de Marly dans le cadre du contrôle concerté national dont elle a fait l’objet ;
— dit n’y avoir lieu à prononcer la nullité de la procédure de redressement suivie à l’encontre de la Société s’agissant de ses établissements de Boulogne Billancourt et de Marly dans le cadre du contrôle concerté national dont elle a fait l’objet ;
— dit n’y avoir lieu d’annuler la mise en demeure du 22 décembre 2009 adressée à la Société par l’URSSAF de Paris et région parisienne et dont elle a accusé réception le 4 janvier 2010 ;
— dit que l’action en recouvrement de l’URSSAF de Paris et région parisienne des cotisations dues pour l’année 2006 n’est pas prescrite ;
— dit que sous réserve des dispositions du présent jugement, la Société n’est pas redevable de la somme de 176 137 euros à titre de majorations de retard au regard du paiement de la somme de 210 721 euros en cotisations qu’elle a effectué avant l’envoi de la mise en demeure ;
— maintenu les chefs de redressement n°2, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20 et 21 suivant la lettre d’observations du 28 octobre 2009 adressée à la Société par l’URSSAF de Marseille ;
— annulé les chefs de redressement n°8 et 22 suivant la lettre d’observations du 28 octobre 2009 adressé à la Société par l’URSSAF de Marseille ;
— ordonné le sursis à statuer sur la demande reconventionnelle en paiement de 1'URSSAF d’Île-de-France dans l’attente d’un chiffrage à nouveau des sommes dont la Société demeure effectivement redevable au titre du redressement en considération des énonciations du jugement, en précisant les sommes dues au titre des cotisations redressées et celles dues au titre des majorations de retard qui y afférent ;
— débouté les parties de toute autre demande ;
— renvoyé l’affaire en fixation au 24 janvier 2018 à 13h30 pour qu’il soit statué sur le nouveau chiffrage.
La Société a relevé appel partiel du jugement, le 6 octobre 2017.
La cour a ordonné la radiation de cette affaire par arrêt en date du 14 février 2019.
La Société a sollicité la réinscription de cette affaire par courriers du 3 décembre 2019 et du 19 février 2020.
Les parties ont été convoquées à l’audience collégiale du 22 octobre 2020, date à laquelle l’affaire a été plaidée.
Par conclusions écrites et soutenues à l’audience, la Société demande à la cour de :
— la dire et juger recevable en sa contestation ;
A titre principal
— infirmer le jugement rendu par le TASS du 11 juillet 2017 en ce qu’il a dit « n’y avoir lieu à prononcer la nullité des opérations de contrôle menées par l’URSSAF de Marseille, aux droits de laquelle vient l’URSSAF des Bouches-du-Rhône au sein de la société Colas s’agissant de ses établissements de Boulogne-Billancourt et de Marly dans le cadre du contrôle concerté national dont elle a fait l’objet » et en ce qu’il a dit « n’y avoir lieu à prononcer la nullité de la procédure de redressement suivie à l’encontre de la société Colas s’agissant de ses établissements de Boulogne-Billancourt et de Marly dans le cadre du contrôle concerté national dont elle a fait l’objet » ;
— constater que le contrôle de la Société s’est inscrit dans le cadre d’un contrôle concerté ;
— constater que l’URSSAF ne justifie pas de l’existence d’une convention spécifique de réciprocité ayant date certaine ;
— constater l’absence d’envoi de l’avis de contrôle par l’URSSAF en charge du recouvrement des cotisations ;
— constater l’irrégularité de l’avis de contrôle adressé par l’URSSAF des Bouches-du-Rhône ;
— constater la nullité de la procédure de contrôle ;
— constater la nullité de la mise en demeure ;
— constater la prescription de l’action de l’URSSAF pour l’année 2006 ;
En conséquence,
— prononcer la nullité du contrôle et du redressement opérés par l’URSSAF de Marseille ;
— condamner l’URSSAF d’Île-de-France à rembourser à la Société le règlement partiel intervenu le 14 décembre 2009 d’un montant de 210 721 euros ;
— condamner l’URSSAF d’Île-de-France à payer à la Société les intérêts légaux à compter du règlement partiel du 14 décembre 2009 et en ordonner la capitalisation ;
A titre subsidiaire :
— confirmer le jugement rendu par le TASS du 11 juillet 2017 en ce qu’il a dit que la société n’est pas redevable de la somme de 176 137 euros à titre de majorations de retard du paiement de la somme de 210 721 euros en cotisations qu’elle a effectué avant l’envoi de la mise en demeure et en ce qu’il a annulé les chefs de redressement n° 8 et n° 22 suivant la lettre d’observations du 28 octobre 2009 adressée par l’URSSAF de Marseille ;
— infirmer le jugement rendu le 11 juillet 2017 en ce qu’il a maintenu les chefs de redressements n° 2, 13, 14, 15, 16, 18, 19, 20 et 21 suivant la lettre d’observations du 28 octobre 2009 adressée à la Société par l’URSSAF de Marseille et a rejeté les autres demandes ;
En conséquence,
— constater le caractère infondé des différents chefs de redressement ;
En tout état de cause :
— annuler la décision implicite de rejet de la CRA, la décision explicite de rejet de la CRA de l’URSSAF du 13 février 2012 et notifiée par un courrier en date du 14 mars 2012, la mise en demeure du 22 décembre 2009 et, plus généralement, le redressement entrepris ;
— condamner l’URSSAF d’Île-de-France au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
— condamner l’URSSAF d’Île-de-France aux éventuels dépens.
Par conclusions écrites et soutenues oralement, l’URSSAF d’Île-de-France demande à la cour de :
— dire et juger l’appel de la Société Colas recevable mais mal fondé ;
En conséquence,
— l’en débouter ;
A titre principal :
— confirmer le jugement rendu par le TASS du 11 juillet 2017 en ce qu’il a dit « n’y avoir lieu à prononcer la nullité des opérations de contrôle menées par l’URSSAF de Marseille aux droits de laquelle vient l’URSSAF des Bouches- du-Rhône » ;
Et ce faisant,
— constater que le jugement comporte une erreur de plume sur la désignation de l’établissement
secondaire contrôlé à savoir l’établissement de Magny les Hameaux (78 114) à tort désigné dans le jugement comme l’établissement de Marly ;
— procéder à la rectification de cette erreur autant que besoin ;
— constater que l’URSSAF de Marseille et l’URSSAF de Paris justifient de l’existence d’une convention spécifique de réciprocité ayant date certaine ;
En tout état de cause,
— constater que l’URSSAF de Marseille et l’URSSAF de Paris, justifient de l’existence d’une convention générale de réciprocité portant délégation de compétence entre Urssaf ;
— constater l’existence d’un avis de contrôle adressé le 23 juin 2008 par l’URSSAF de Marseille au siège social de la Société ;
Sur l’avis préalable de contrôle,
A titre liminaire et principal,
— déclarer la Société irrecevable en sa demande de nullité de l’avis préalable de contrôle qui lui a été adressé le 23 juin 2008 par l’URSSAF de Marseille ainsi que de l’ensemble de la procédure de contrôle et des actes subséquents en raison de la nouveauté de sa demande non soumise préalablement à l’appréciation de la CRA ;
A titre subsidiaire, si par impossible,
— constater la régularité formelle de l’avis contrôle du 23 juin 2008 au regard du droit applicable ;
En conséquence,
— juger régulière l’ensemble de la procédure de contrôle menée par l’URSSAF de Marseille dans le cadre du contrôle national concerté de la Société, ainsi que l’ensemble des actes subséquents ;
— rejeter le moyen de prescription soulevée par la Société au titre de l’année 2006 ;
— débouter la Société de sa demande de remboursement du règlement partiel de la somme de 210 721 euros (encaissé selon la Société le 23 décembre) ainsi que sa demande d’intérêts légaux et de capitalisation des intérêts ;
Si par impossible, compte tenu de la bonne foi de l’organisme de recouvrement,
— fixer le point de départ des intérêts légaux non pas à la date du règlement mais à la date du prononcé de l’arrêt à venir, et rejeter en tout état de cause la demande de capitalisation des intérêts de retard non formulée en première instance,
A titre subsidiaire au fond :
— réformer le jugement rendu par le TASS du 11 juillet 2017 en ce qu’il a dit que la Société n’est pas redevable de la somme de 176 137 euros à titre de majorations de retard du fait du paiement de la somme de 210 721 euros en cotisations qu’elle a effectué avant l’envoi de la
mise en demeure,
Et statuant à nouveau,
— constater que la Société ne justifie pas que le règlement de 210 721 euros soit intervenu avant l’émission de la mise en demeure ;
En conséquence,
— valider sur le principe le montant des majorations de retard provisoires réclamées par la mise en demeure du 22 décembre 2019 (176 137 euros) ;
— donner acte à l’URSSAF de ce qu’elle n’entend pas relever appel des chefs de redressement annulés par le TASS des Hauts-de-Seine dans son jugement rendu le 11 juillet 2017 soit les chefs de redressement n°8 et n°22 ;
et partant de là,
— constater que la mise en demeure du 22 décembre 2009 est ramenée en principal à la somme de 774 803 euros représentant le montant des cotisations et contributions sociales restant dues au titre du redressement notifié à la Société par lettre d’observations du 28 octobre 2009 pour les années 2006 et 2007 outre les majorations de retard provisoires qu’il appartiendra à l’URSSAF Île-de-France de calculer sur ce montant ;
— confirmer le jugement pour le surplus ;
— condamner la Société à payer à l’URSSAF Île-de-France la somme de 774 803 euros en cotisations et contributions sociales au titre des années 2006 et 2007 outre les majorations de retard provisoires qu’il appartiendra à l’URSSAF de calculer sur ce montant ;
En tout état de cause,
— débouter la Société de ses plus amples demandes fins et prétentions ;
— débouter la Société de sa demande d’article 700 du code de procédure civile d’un montant de 2 000 euros non fondée dans son principe et non justifiée dans son montant.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions et pièces déposées et soutenues à l’audience.
MOTIFS
Sur la nullité des opérations de contrôle
C’est dans ce cadre que la Société fait valoir, à titre liminaire, que le jugement doit nécessairement être infirmé, qui vise un établissement de la Société sis à 'Marly’ alors qu’elle 'n’a jamais disposé d’un établissement' dans cette ville et que le contrôle a eu lieu sur l’établissement de Magny-les-Hameaux.
Cela étant, c’est à titre principal que la Société soulève la nullité des opérations de contrôle. Pour elle, la procédure de contrôle est irrégulière pour plusieurs raisons :
— l’URSSAF en charge du recouvrement des cotisations n’a pas envoyé d’avis de contrôle ; or, dans le cas présent, l’URSSAF de Paris n’a délégué sa compétence qu’en matière de contrôle, 'mais elle n’a jamais délégué sa compétence en matière de recouvrement'. L’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale a d’ailleurs été modifié par un décret du 8 juillet 2016, mais qui précisait que ses
dispositions entraient en vigueur (sauf exception) le 1er janvier 2017 ;
— l’avis de contrôle du 23 juin 2008 est lui-même irrégulier ; il ne mentionne pas la faculté pour l’employeur de se faire assister par un conseil de son choix et ne mentionne pas l’adresse électronique où la charte du cotisant (la 'Charte') est consultable ;
La Société précise, sur ce point, d’une part que la Cour de cassation a déjà statué, dans une affaire concernant une autre société du groupe Colas, pour rejeter le pourvoi d’une URSSAF contre l’arrêt de la cour d’appel qui avait retenu que « le défaut d’une seule mention obligatoire prive le cotisant de la faculté d’organiser sa défense et entraîne la nullité du contrôle (…) » et que la nullité est encourue sans qu’il soit besoin de démontrer l’existence d’un préjudice ; d’autre part que l’URSSAF ne peut soutenir devant la cour de céans qu’il s’agit d’une demande nouvelle en cause d’appel ;
— la « structure de la lettre d’observations (… n’a) pas permis, pour certains chefs de redressement, de pouvoir y répondre correctement dans le cadre d’un véritable débat contradictoire » ;
— les inspecteurs du recouvrement ont répondu « de manière lapidaire » aux observations de la Société ; celle-ci n’a donc « pas été en mesure d’exercer pleinement son droit à la défense » ;
— les cotisations sociales dues au titre de l’année 2006 sont prescrites : la Société a reçu la mise en demeure le 4 janvier 2010 et l’URSSAF ne démontre pas qu’elle a été adressée entre le 22 et le 31 décembre 2009.
L’URSSAF fait tout d’abord valoir qu’il ne peut sérieusement soutenu l’infirmation du jugement à cause d’une erreur de plume, s’agissant de l’établissement de Magny-les-Hameaux.
S’agissant de la procédure de contrôle, elle est régulière. L’organisme social soutient en particulier que l’URSSAF compétente en matière de contrôle est, en principe, celle chargée du recouvrement des cotisations, sauf en cas de convention de versement en lieu unique, de convention générale de réciprocité ou de convention spécifique de réciprocité. Dans le cas présent, les opérations de contrôle « se sont déroulées dans le cadre du controle concerté national du Groupe Colas, conformément aux dispositions de l’article L. 225-1-1 du code de la sécurité sociale ». L’agence centrale des organismes de sécurité sociale ('ACOSS') a ainsi adressé au président du groupe Colas, le 24 avril 2008, une lettre l’informant de l’inscription de ce groupe au plan de contrôle national des URSSAF pour 2008, la coordination en étant assurée par l’ACOSS et le pilotage du contrôle par l’URSSAF de Marseille. Celle-ci disposait d’une convention générale de réciprocité, depuis 2002, reconduite par tacite reconduction. En outre, une convention spécifique de réciprocité avait été signé entre les URSSAF de Marseille et Paris dans le cadre du contrôle concerté du groupe Colas, respectivement les 21 et 23 mai 2008, donc avant l’envoi de l’avis de contrôle. En l’espèce, sous l’empire de l’article R. 243-59 ancien, le principe était que l’URSSAF compétente en matière de contrôle était celle chargée du recouvrement et, en tout cas, dès lors qu’elles se situaient dans le cadre des délégations en cause, tant l’URSSAF de Marseille que celle de PARIS étaient compétentes pour adresser à la Société l’avis préalable de contrôle.
Par ailleurs, l’argument selon lequel cet avis ne respecterait pas les formalités substantielles de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale est nouveau : il n’a pas été soumis à la commission de recours amiable et s’en trouve irrecevable.
Quoi qu’il en soit, l’avis de contrôle « satisfait aux exigences de la jurisprudence ». L’URSSAF convient qu’il ne mentionne pas expressément le droit de se faire assister d’un conseil ni l’adresse électronique sur laquelle consulter la Charte. Mais celle-ci y était jointe, qui fait expressément état de ce droit et la Société n’a jamais contesté l’avoir reçue. Au demeurant, la Société « dispose d’une parfaite connaissance de ses droits' et 'ne caractérise par l’existence d’un grief qui lui aurait été causé par cette omission ».
S’agissant de la lettre d’observations elle-même, elle « comporte bien les seules mentions prescrites par le texte à peine de nullité, à savoir :
- la période contrôlée (1er janvier 2006 au 31 décembre 2007)
- la nature des redressements opérés (accompagnés des textes applicables et de la doctrine administrative)
- les bases réintégrées par année
- le montant des cotisations en résultant
- les dispositions de l’article R. 243-59 » du code de la sécurité sociale.
La réponse de l’inspecteur du recouvrement aux observations de la Société est conforme aux exigences posées par les textes. « En l’état des textes applicables et de la jurisprudence, si l’inspecteur est tenu de répondre aux observations du cotisant contrôlé lorsque ce dernier a fait connaître ses observations dans le délai de 30 jours suivant la réception de la lettre d’observations, sa réponse n’est cependant soumise à aucune formalisme particulier ». Au demeurant, les inspecteurs du recouvrement avaient répondu point par point.
Sur ce
A titre préliminaire, la cour observe que l’argument relatif au nom de l’un des deux établissements contrôlés, en l’espèce celui de Magny-les-Hameaux et non celui de Marly, effectivement, ne constitue en aucune façon une question de nullité qu’il appartiendrait à la cour de trancher de façon préalable mais une question de fond.
S’agissant des motifs de nullité invoqués par la défense de la Société, il convient d’aborder d’emblée la question du droit à l’assistance d’un conseil.
Contrairement à ce que soutient la Caisse, l’argument ainsi soulevé devant la cour est recevable, quand bien même il n’aurait été soutenu ni devant la CRA ni devant le tribunal.
En effet, il ne s’agit aucunement d’une demande nouvelle mais d’un argument nouveau tendant aux mêmes fins que les contestations déjà présentées par la Société tant devant la CRA que devant le TASS : celle-ci contestait en effet non seulement le fond du contrôle (au moins pour la plupart des chefs de redressement) que la forme de ce contrôle, qu’elle considérait comme nul.
Il appartient donc à la cour de statuer sur cet argument, lequel touche aux demeurant aux droits fondamentaux de toute personne dans le cadre d’une procédure judiciaire, s’agissant du droit à un conseil.
Aux termes de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable à l’époque du contrôle :
Tout contrôle effectué en application de l’article L. 243-7 est précédé de l’envoi par l’organisme chargé du recouvrement des cotisations d’un avis adressé à l’employeur ou au travailleur indépendant par lettre recommandée avec accusé de réception, sauf dans le cas où le contrôle est effectué pour rechercher des infractions aux interdictions mentionnées à l’article L. 324-9 du code du travail. Cet avis mentionne qu’un document présentant au cotisant la procédure de contrôle et les droits dont il dispose pendant son déroulement et à son issue, tels qu’ils sont définis par le présent code, lui sera remis dès le début du contrôle et précise l’adresse électronique où ce document est consultable. Lorsque l’avis concerne un contrôle mentionné à l’article R. 243-59-3, il précise l’adresse électronique où ce document est consultable et indique qu’il est adressé au cotisant sur sa demande, le modèle de ce document, intitulé « Charte du cotisant contrôlé », est fixé par
arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale.
L’employeur ou le travailleur indépendant a le droit pendant le contrôle de se faire assister du conseil de son choix. Il est fait mention de ce droit dans l’avis prévu à l’alinéa précédent.
Les employeurs, personnes privées ou publiques, et les travailleurs indépendants sont tenus de présenter aux agents chargés du contrôle mentionnés à l’article L. 243-7, dénommés inspecteurs du recouvrement, tout document et de permettre l’accès à tout support d’information qui leur sont demandés par ces agents comme nécessaires à l’exercice du contrôle.
Ces agents peuvent interroger les personnes rémunérées notamment pour connaître leurs nom et adresse ainsi que la nature des activités exercées et le montant des rémunérations y afférentes, y compris les avantages en nature.
A l’issue du contrôle, les inspecteurs du recouvrement communiquent à l’employeur ou au travailleur indépendant un document daté et signé par eux mentionnant l’objet du contrôle, les documents consultés, la période vérifiée et la date de la fin du contrôle. Ce document mentionne, s’il y a lieu, les observations faites au cours du contrôle, assorties de l’indication de la nature, du mode de calcul et du montant des redressements envisagés. Le cas échéant, il mentionne les motifs qui conduisent à ne pas retenir la bonne foi de l’employeur ou du travailleur indépendant. Ce constat d’absence de bonne foi est contresigné par le directeur de l’organisme chargé du recouvrement. Il indique également au cotisant qu’il dispose d’un délai de trente jours pour répondre par lettre recommandée avec accusé de réception, à ces observations et qu’il a, pour ce faire, la faculté de se faire assister d’un conseil de son choix.
En l’absence de réponse de l’employeur ou du travailleur indépendant dans le délai de trente jours, l’organisme de recouvrement peut engager la mise en recouvrement des cotisations, des majorations et pénalités faisant l’objet du redressement.
Lorsque l’employeur ou le travailleur indépendant a répondu aux observations avant la fin du délai imparti, la mise en recouvrement des cotisations, des majorations et pénalités faisant l’objet du redressement ne peut intervenir avant l’expiration de ce délai et avant qu’il ait été répondu par l’inspecteur du recouvrement aux observations de l’employeur ou du travailleur indépendant.
L’inspecteur du recouvrement transmet à l’organisme chargé de la mise en recouvrement le procès-verbal de contrôle faisant état de ses observations, accompagné, s’il y a lieu, de la réponse de l’intéressé et de celle de l’inspecteur du recouvrement.
L’absence d’observations vaut accord tacite concernant les pratiques ayant donné lieu à vérification, dès lors que l’organisme de recouvrement a eu les moyens de se prononcer en toute connaissance de cause. Le redressement ne peut porter sur des éléments qui, ayant fait l’objet d’un précédent contrôle dans la même entreprise ou le même établissement, n’ont pas donné lieu à observations de la part de cet organisme. (Souligné et mis en gras par la cour)
Il résulte des dispositions qui précèdent que l’avis de contrôle doit être adressé à la Société concernée préalablement au contrôle et mentionner, entre autres, que la Charte lui sera remise dès le début du contrôle.
Dans le cas présent, il n’est pas contesté que la Charte était jointe à l’avis de contrôle.
Mais le règlement précité dispose également que l’avis lui-même doit comporter la mention du droit à être assisté du conseil de son choix pendant le contrôle.
La Cour de cassation a statué sur la question de la mention du droit à l’assistance d’un conseil, en l’occurrence dans la lettre d’observations, dans les termes suivants (Civ2, 17 septembre 2015, n° 14-22.389) :
Attendu que, pour rejeter le moyen de nullité de la procédure de redressement, l’arrêt, après avoir
constaté que la société avait reconnu avoir reçu en mains propres et contre signature la charte du
cotisant contrôlé le 25 août 2008, date de la première visite de l’inspecteur de recouvrement,
document qui rappelle que le contrôlé a droit d’être assisté par un conseil de son choix, retient que la société avait été informée de ses droits dès le début du contrôle et qu’il n’y a pas lieu d’annuler la lettre d’observations ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’il n’était pas contesté que cette lettre ne mentionnait pas la faculté
donnée au cotisant de se faire assister par un conseil de son choix, la cour d’appel a violé le texte
susvisé.
Cet arrêt est plus particulièrement intéressant en ce qu’il souligne que la mention du droit au conseil doit figurer dans le document lui-même, peu important que le cotisant ait été informé de ce droit, par la remise de la Charte, qui le rappelle pourtant.
Dans le cas présent, il n’est pas contesté que la Société a bien reçu, avec l’avis de passage, la Charte du cotisant.
Mais il est tout aussi constant que l’avis lui-même ne faisait aucune référence au droit de la Société à l’assistance d’un conseil de son choix.
Dès lors, l’avis de contrôle est nul.
Il importe peu que la Société, par son expérience, par sa taille, disposent de la connaissance et de tous les moyens propres à assurer sa défense (on pourrait objecter à l’URSSAF que ses connaissances, son expérience et au demeurant la taille du cotisant contrôlé justifiaient que fût envoyé un avis de passage respectant scrupuleusement les dispositions réglementaires applicables).
La Société n’a pas davantage besoin de démontrer qu’elle aurait subi un préjudice résultant de l’absence de cette mention.
La Société écrit à juste titre, dans ses conclusions, que dans l’une des affaires auxquelles elle fait référence (Civ2, 31 mai 2018, n° 17-18.118) (laquelle n’est pas autrement utile en ce qu’il s’agit d’une rejet non motivé), le conseiller rapporteur avait estimé que l’absence de cette mention dans l’avis « équivaut à une absence d’avis et entraîne également la nullité des opérations de contrôle, sans que soit exigée la preuve d’un préjudice ».
La cour considère également que l’absence de la mention en cause dans l’avis est équivalente à une absence d’avis et que, dès lors, il n’est aucun besoin pour la Société de démontrer un quelconque préjudice.
Le contrôle en cause est donc nul.
L’URSSAF devra, en conséquence, rembourser à la Société le montant du règlement partiel intervenu le 14 décembre 2009, pour un montant de 210 721 euros et ce, avec intérêt au taux légal à compter de cette date, sans qu’il y ait lieu d’ordonner la capitalisation compte tenu des circonstances.
L’URSSAF, qui succombe à l’instance, supportera les dépens éventuellement exposés depuis le 1er janvier 2019 et la Société sera déboutée de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement (16-02112/N) du tribunal des affaires de sécurité sociale des Hauts-de-Seine en date du 11 juillet 2017 en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Prononce la nullité du contrôle et du redressement opérés par l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et des allocations familiales de Marseille ;
Condamne l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et des allocations familiales d’Île-de-France à rembourser à la société Colas le règlement partiel intervenu le 14 décembre 2009 d’un montant de 210 721 euros ;
Condamne l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et des allocations familiales d’Île-de-France à payer à la société Colas les intérêts légaux à compter du règlement partiel du 14 décembre 2009 ;
Condamne l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et des allocations familiales d’Île-de-France aux dépens ;
Déboute la société Colas de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de toute demande autre, plus ample ou contraire.
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.