Livv
Décisions

Cass. com., 16 mars 2022, n° 20-23.416

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

LMC (EURL)

Défendeur :

Provence logistiques services (EURL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Comte

Avocat général :

Mme Beaudonnet

Avocats :

SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, SCP Spinosi

Aix-en-Provence, ch. 3-1, du 22 oct. 202…

22 octobre 2020

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 22 octobre 2020), reprochant à la société LMC une rupture sans préavis de leur relation commerciale, la société Provence logistique services (la société PLS) l'a assignée, par acte du 29 mars 2016, devant le tribunal de commerce de Manosque sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce. La société PLS a interjeté appel du jugement du tribunal de commerce de Manosque devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

2. La société LMC fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Manosque du 21 février 2017 l'ayant condamnée à payer à la société PLS la somme de 5 034 euros en réparation du préjudice causé par la rupture de leur relation d'affaires et, y ajoutant, la somme de 23 895,12 euros à titre de complément de préavis, alors « que la cour d'appel de Paris est la seule cour d'appel investie du pouvoir juridictionnel de statuer sur un litige portant sur l'application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ; que, par suite, une autre cour d'appel, étant dépourvue de tout pouvoir juridictionnel pour statuer sur un litige portant sur l'application de cet article, doit relever d'office l'irrecevabilité de la demande fondée sur celui-ci dont elle est saisie ; qu'en l'espèce, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, après avoir relevé l'excès de pouvoir commis par le tribunal de commerce de Manosque pour avoir statué sur une demande fondée sur ledit texte cependant qu'il n'était pas juridiction de première instance spécialement désignée à cet effet, a affirmé qu'elle devait statuer elle-même sur le litige et a condamné en conséquence, sur le fondement de ce texte, la société LMC à payer des dommages-intérêts à la société Provence logistique services ; qu'en statuant ainsi, quand elle aurait dû juger irrecevables les demandes formées par cette dernière société sur ce fondement, la cour d'appel a violé les articles L. 442-6, I, 5°, L. 442-6, III du code de commerce, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 24 avril 2019, l'article D. 442-3 du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009, ensemble articles R. 311-3 du code de l'organisation judiciaire, 122 et 125 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 442-6, III du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, l'article D. 442-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-599 du 17 juin 2019, et l'article R. 311-3 du code de l'organisation judiciaire :

3. Il résulte du deuxième de ces textes que seuls les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions du premier degré spécialement désignées pour statuer sur l'application du premier d'entre eux sont portés devant la cour d'appel de Paris, de sorte qu'il appartient aux autres cours d'appel, conformément au troisième de ces textes, de connaître de tous les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions situées dans leur ressort qui ne sont pas désignées par le deuxième texte. Il s'en déduit que toute cour d'appel, autre que celle de Paris, est dépourvue du pouvoir juridictionnel de statuer sur des demandes fondées sur les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce et que la méconnaissance de ces dispositions est sanctionnée par une fin de non-recevoir. Dès lors, il appartient à ces cours d'appel de relever d'office, le cas échéant, la fin de non-recevoir tirée du défaut de leur pouvoir juridictionnel pour statuer sur un litige relatif à l'application de cet article et l'irrecevabilité des demandes formées devant elles en résultant.

4. Pour condamner la société LMC à indemniser la société PLS sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, l'arrêt, après avoir relevé d'office l'excès de pouvoir commis par le tribunal de commerce de Manosque qui, ne disposant pas du pouvoir juridictionnel pour statuer sur l'application de ce texte, aurait dû en déduire que la demande était irrecevable, retient qu'il y a lieu d'examiner cette demande au fond.

5. En statuant ainsi, alors que saisie de l'appel d'un jugement rendu par le tribunal de commerce de Manosque, qui ne fait pas partie des juridictions désignées par l'article D. 442-3 du code de commerce, sur une demande fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° du même code, il lui appartenait d'annuler le jugement pour excès de pouvoir et, statuant elle-même, de relever qu'elle ne disposait pas du pouvoir juridictionnel pour statuer sur un litige relevant de ces dispositions et de prononcer l'irrecevabilité de la demande de la société PLC, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

6. Il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile, comme suggéré par le demandeur au pourvoi.

7. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

8. Tant le tribunal de commerce de Manosque que la cour d'appel d'Aix-en-Provence étant dépourvus du pouvoir juridictionnel de statuer sur la demande de la société PLS, il y a lieu d'annuler le jugement rendu le 21 février 2017 par le tribunal de commerce de Manosque et de déclarer cette demande irrecevable devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

9. La Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne s'oppose pas à cette solution, dès lors qu'il s'agit de faire appliquer une règle d'ordre public en vigueur depuis le décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009 sur laquelle la Cour de cassation s'est prononcée à plusieurs reprises antérieurement à l'assignation, notamment par des arrêts com., 31 mars 2015, pourvoi n° 14-10.016, Bull. 2015, IV, n° 59 ; com., 20 octobre 2015, pourvoi n° 14-15.851, Bull. 2015, IV, n° 149, s'agissant des juridictions de première instance spécialement désignées, et par des arrêts rendus le 29 mars 2017 (com., 29 mars 2017, pourvoi n° 15-24.241, Bull. 2017, IV, n° 47 ; com., 29 mars 2017, pourvoi n° 15-15.337, Bull. 2017, IV, n° 48 ; com., 29 mars 2017, pourvoi n° 15-17.659, Bull. 2017, IV, n° 49), s'agissant de l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Statuant à nouveau,

Annule le jugement rendu le 21 février 2017 par le tribunal de commerce de Manosque ;

Déclare les demandes formées par la société Provence logistique services sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce irrecevables.