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Décisions

Cass. com., 16 mars 2022, n° 20-19.490

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Primocable (SAS)

Défendeur :

Société française du radiotéléphone (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Comte

Avocat général :

Mme Beaudonnet

Avocats :

SCP Claire Leduc et Solange Vigand, SCP Piwnica et Molinié

T. com. Paris, du 10 juill. 2017

10 juillet 2017

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 juin 2020), la Société de services informatiques pour professionnels (la société 2SIP) a confié, à compter de 2010, des prestations d'intervention en matière d'assistance informatique et internet à la société Primocable, d'abord sans formalisation d'un contrat, puis, en vertu d'un contrat dit « d'application fibre » à effet au 1er mars 2014, pour une durée d'un an, renouvelable par tacite reconduction, signé le 20 février 2014.

2. Le 19 mars 2015, la société 2SIP a résilié le contrat « d'application fibre » conclu avec la société Primocable, à effet au 25 juin 2015.

3. Reprochant à la société 2SIP, aux droits de laquelle vient la Société française du radiotéléphone (la société SFR), une rupture brutale de leur relation commerciale établie, la société Primocable l'a assignée en réparation de ses préjudices.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société Primocable fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie, alors :

« 1°) que pour déterminer, en considération de la durée de la relation commerciale, celle du préavis devant être respecté préalablement à sa rupture, le juge saisi par une entreprise ayant eu pour cocontractants plusieurs personnes morales économiquement liées mais juridiquement autonomes doit prendre en considération tous les éléments de faits de nature à établir objectivement la continuité de la relation commerciale, sans s'arrêter à l'absence de preuve d'une volonté clairement établie de l'auteur de la rupture de poursuivre la relation commerciale antérieurement initiée par d'autres entités ou encore d'un transfert de droits et obligations de l'une à l'autre ; qu'en considérant que seuls devaient être pris en compte, pour apprécier la durée de la relation commerciale, les liens qui s'étaient noués entre la société Primocable et la seule société 2SIP, motif pris de l'autonomie juridique des personnes morales dépendant du groupe SFR-Numéricable avec lesquelles la société Primocable avait antérieurement traité, de l'absence de preuve suffisante de la volonté de la société 2SIP de poursuivre la relation commerciale initialement nouée avec d'autres filiales, ainsi que de l'absence de transfert de droits et obligations entre ces entités, la cour d'appel, qui a fait dépendre l'appréciation de la continuité de la relation commerciale de ses seuls aspects juridiques, a violé l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, pris dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ;

2°) que pour déterminer, en considération de la durée de la relation commerciale, celle du préavis devant être respecté préalablement à sa rupture, le juge saisi par une entreprise ayant eu pour cocontractants plusieurs personnes morales économiquement liées mais juridiquement autonomes doit prendre en considération tous les éléments de faits de nature à établir objectivement la continuité de la relation commerciale ; qu'en affirmant qu'aucun des éléments versés aux débats par la société Primocable ne venait conforter ses affirmations selon lesquelles l'autonomie juridique de la société 2SIP ne pouvait masquer l'existence d'une réelle continuation de la relation nouée antérieurement avec d'autres sociétés du groupe SFR-Numéricable, tout en retenant que la société Primocable avait successivement fourni aux sociétés UPC France devenue Noos, Erenis, SFR, ERT technologie et 2SIP des prestations de même nature, ce pour les besoins du raccordement des particuliers et professionnels au réseau du même opérateur de télécommunications SFR-Numéricable, en ayant parfois pour interlocuteur les mêmes personnes physiques, et que la rupture de la relation commerciale avait elle-même été dictée par l'évolution de la politique du groupe SFR-Numéricable, tous éléments qui pouvaient être de nature à justifier objectivement l'existence d'une relation commerciale unique qui avait perduré nonobstant la diversité des personnes morales avec lesquelles la société Primocable avait successivement traité, la cour d'appel a de nouveau violé l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, pris dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ;

3°) que pour apprécier la durée du préavis devant être respecté en cas de rupture d'une relation commerciale établie, le juge doit prendre en considération, non seulement la durée de la relation commerciale, mais également toutes les circonstances particulières de l'espèce, et notamment le temps nécessaire au reclassement des personnels qui auraient été spécialement recrutés et formés pour les besoins de la relation commerciale qui a été rompue ; que pour justifier de l'insuffisance du préavis de trois mois qui lui avait été laissé, ainsi que de l'insuffisance du délai de prévenance tel qu'arbitré par les premiers juges, la société Primocable avait fait valoir que la société 2SIP lui avait contractuellement imposé de s'entourer de personnels spécialement compétents, formés à ses frais et habilités par sa donneuse d'ordre, ce en nombre suffisant pour être à même de pourvoir au remplacement sans délai de tout salarié qui ne pourrait accomplir sa mission, notamment en cas d'arrêt-maladie ; qu'en s'abstenant de prendre en considération ces contraintes particulières pour apprécier la durée du préavis devant être respecté par la société 2SIP, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, pris dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ;

4°) que pour apprécier la durée du préavis devant être respecté en cas de rupture d'une relation commerciale établie, le juge doit prendre en considération, non seulement la durée de la relation commerciale, mais également toutes les circonstances particulières de l'espèce, et notamment l'état de dépendance dans laquelle s'est trouvée placée la victime de la rupture en raison de la stipulation d'une clause d'exclusivité ou de non-concurrence ; qu'à cet égard, la société Primocable rappelait que l'article 3-5 du contrat qui la liait à la société 2SIP stipulait, sous le couvert d'une simple obligation de loyauté, une véritable obligation de non-concurrence, puisqu'il lui était interdit de conclure tout contrat relatif à la même activité, pour le compte d'une autre entité que la société 2SIP et ses filiales, si ce contrat prévoyait d'intervenir en portant la marque d'un fournisseur d'accès à internet ; qu'elle faisait observer que cette clause de non-concurrence, jointe à l'obligation faite à la société Primocable d'imposer à ses préposés de porter les tenues et insignes du groupe SFR revenait à lui assurer une exclusivité de fait ; qu'en considérant qu'il n'était pas établi, faute de clause d'exclusivité, que l'état de dépendance économique de la société Primocable fût imputable à la société 2SIP, au seul motif que l'obligation faite aux préposés de la société Primocable de porter des tenues arborant les marques SFR "ou Connect Assistance" ne l'empêchait pas de conclure des marchés avec d'autres opérateurs, sans prendre en considération la clause de non-concurrence interdisant à la société Primocable de travailler pour tout autre opérateur qui formulerait la même exigence, la cour d'appel a de nouveau privé son arrêt de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, pris dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019. »

Réponse de la Cour

5. En premier lieu, après avoir relevé d'abord que les prestations offertes par la société Primocable aux sociétés UPC France, devenue Noos, Erenis, SFR, ERT technologie et 2SIP étaient comparables, s'agissant toutes de travaux de raccordement au réseau de particuliers ou professionnels et de travaux de maintenance, et retenu que la société Primocable avait notamment fourni de manière concomitante des prestations pour les sociétés UPC France et Erenis et qu'elle était encore le prestataire de la société ERT technologie pendant qu'elle entretenait une relation commerciale avec la société 2SIP, l'arrêt constate ensuite qu'il ne ressort pas des termes du contrat du 20 février 2014 que les parties ont eu l'intention de poursuivre la relation commerciale initialement nouée depuis 2001 avec les autres sociétés et relève qu'il n'est pas établi que la succession des parties intervenues dans cette relation d'affaires a eu lieu au bénéfice d'opérations emportant transfert automatique de droits et obligations au contractant ayant poursuivi la relation commerciale avec elle à la suite d'opérations de rachat, d'apport ou de fusion. Il considère enfin que la circonstance que la société Primocable ait eu deux interlocuteurs communs à certaines des sociétés ne suffit pas à établir une volonté des parties de poursuivre les relations initialement nouées avec d'autres entités, dès lors qu'ils intervenaient à des périodes distinctes pour des sociétés différentes. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel a exactement déduit que la relation avait duré quatre ans et cinq mois.

6. En second lieu, l'arrêt retient qu'il n'existe pas de clause d'exclusivité, que la clause imposant aux préposés de la société Primocable, lors de leurs interventions pour le compte de la société 2SIP, de porter des tenues arborant les marques « SFR » ou « Connect Assistance », à l'exclusion de toutes autres marques, n'empêche pas cette société de conclure des marchés avec d'autres opérateurs et en déduit que la dépendance économique de la société Primocable n'est pas établie. Il constate ensuite que le marché de la fibre optique est fortement concurrentiel, faisant ainsi ressortir l'existence d'alternatives pour la société Primocable. Il en déduit que la durée du préavis fixée à trois mois est suffisant. En cet état, la cour d'appel, qui n'avait pas à s'expliquer sur la circonstance, dépourvue d'offre de preuve, prise d'investissements en personnel qu'elle aurait spécialement réalisés pour l'exécution du contrat rompu, a légalement justifié sa décision.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.